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Un chef-d’œuvre signé Victor Serge (aux éditions Agone)

Préambule indispensable : exceptionnellement, ce qui suit ne concerne pas la crise écologique. Nul n’est obligé de s’intéresser à Victor Serge, qui habite les hauteurs les plus élevées de mon Panthéon personnel. J’ai connu cet homme en 1971, lors que j’avais 16 ans. Je l’ai aussitôt aimé, avant de l’admirer. Qu’on se le dise : j’ai l’admiration bien rare. Mais Serge est clairement à part, et je lui dois d’ailleurs le nom de ce lieu imaginaire appelé Planète sans visa (ici). Je lui dois bien plus que cela. Je lui dois d’avoir choisi la liberté comme valeur conductrice de la vie humaine. Je lui dois d’avoir compris ce qu’est le vrai courage, moi qui n’ai (presque) jamais eu à en éprouver l’existence. Je lui dois l’exigence qu’on est en droit d’attendre des relations avec les autres humains. Je le salue souvent encore, dans le silence de ma tête, comme un père lointain, comme un frère réel.

Ajoutons que la lecture de ce livre n’est pas facile pour qui ne s’intéresserait pas à l’époque dont il est question. De très nombreuses références à l’histoire politique, notamment celle de la première moitié du siècle précédent, peuvent dérouter le lecteur.

Et voici le vrai début : gloire aux éditions Agone, de Marseille (http://atheles.org/agone/). Cette petite maison publie souvent des livres formidables – parfois plus discutables -, mais celui-ci m’aura secoué comme bien peu. Il s’agit des Carnets (1936-1947) de Victor Serge (840 pages, 30 euros), et la première singularité de ces textes, c’est qu’ils n’ont pas été modifiés, élagués, censurés pour complaire à quelque vivant que ce soit. Ce que nous avons en main, c’est ce que Serge a écrit de sa propre volonté au cours de ces onze et si terribles années du siècle passé. Mais bien entendu, commençons par le commencement : qui est-il ? Sa vie est telle qu’on se ridiculiserait à paraître la résumer. Trois mots, et le reste attend ceux que ça intéresse. Serge est né Viktor Lvovitch Kibaltchitch en 1890, de parents émigrés politiques russes, réfugiés à Bruxelles. À Paris, il est anarchiste individualiste, et croise la route de quatre membres de la future Bande à Bonnot. Bien que n’ayant jamais soutenu leurs actions, bien qu’ayant critiqué leur dérive, Serge est condamné à cinq ans de prison, pour complicité. En somme, un innocent, dans nos républicaines prisons de 1912.

À peine sorti, en 1917, il est à Barcelone, une ville alors traversée de part en part par le souffle de la révolution sociale. Après bien des entraves, il arrive au début de 1919 dans la Russie bolchevique, dont il deviendra lui, le si vibrant libertaire, l’un des dirigeants. Il côtoie tous les chefs de ce mouvement, de Lénine à Trotski, passant par Staline. Mais l’anarchiste n’est pas mort en lui. Il voit avec stupéfaction, bientôt avec horreur, la révolution devenir une prison. Il aide qui il peut aider. On le sollicite de partout, car c’est un homme, qui aime les hommes. Année après année, il affermit son opposition à la dictature. Il est arrêté, libéré, déporté en Asie centrale, où il va passer trois ans. Des milliers, des millions d’autres sont broyés sous la meule stalinienne. Serge est l’un des rarissimes révolutionnaires de la première époque de la révolution bolchevique à échapper au grand massacre. In extremis, une campagne menée dans les milieux intellectuels français et belges – il est connu pour être un écrivain – le sort du goulag. Romain Rolland arrache sa grâce a cours d’un entretien privé, à Moscou, avec le grand maître de l’Union soviétique.

Serge s’installe à Bruxelles, car à Paris, les flics n’ont toujours pas oublié Bonnot, pourtant si éloigné de Victor. Il suit les déchirements de l’Espagne d’après le 19 juillet 1936. Il voit, comme bien peu, combien le stalinisme a tout gangréné. Est-il trotskiste, comme l’en accusent faute de mieux ses nombreux adversaires ? Non, c’est un révolutionnaire. Et c’est un démocrate. Et c’est un humaniste incandescent. Il soutient la révolution espagnole étranglée à la fois par Hitler et Staline, et c’est à cet instant que commencent les Carnets publiés par Agone.

Première note, en novembre 1936, à Paris. Serge rencontre André Gide, dont il trace le portrait, entre photo, vidéo avant l’heure, aquarelle. Il a l’art du portrait, une sorte de génie de l’instantané. Voilà l’entrée de ces stupéfiants Carnets, où Serge montre l’une des facettes d’un esprit qui en eut tant : le goût de la culture, de la littérature, de la pensée, de l’intelligence. De Gide, qui avait tant intérêt à rester dans le giron stalinien, il loue la « vitalité du vieil intellectuel », qui a osé écrire ce qu’il avait vu en URSS, quand la plupart des visiteurs mentaient. La politique n’est jamais plus loin que le pas de la porte : fin mai 1937, Serge est touché au cœur par la disparition d’Andreu Nin, responsable du Poum, parti espagnol révolutionnaire antistalinien. Les tueurs du Guépéou, aidés par les communistes locaux, ont enlevé, torturé et assassiné l’une des âmes de la révolution espagnole de juillet 1936. Commence une litanie. Une interminable série d’épitaphes pour tous ceux qui, tués par les staliniens, sont en outre diffamés, traînés dans l’ordure, accusés de collusion avec Hitler, Mussolini, quand ce n’est pas le Mikado japonais ou les services secrets britanniques.

Cette liste des martyrs est insupportable et n’en finit d’ailleurs pas. Les staliniens, et parmi eux des crapules aussi retentissantes que le Français Jacques Duclos, qui conserve une station de métro à son nom, ont proprement massacré une génération politique, qui incarnait la possibilité d’une autre Histoire. À l’heure où, écrit Serge, « l’Urss est la plus vaste prison du monde », les bourreaux qu’elle a envoyés partout où elle le peut éliminent les militants qui gênent le pouvoir de Staline. Victor note des éléments précis concernant Krivistki, Reiss, et tant d’autres, qui ne serviront à rien ni à personne. Il échappe de peu à la police vichyste, et donc à la Gestapo, attrape le Capitaine-Paul-Lemerle, un navire qui quitte Marseille, comme on le ferait du dernier métro. Nous sommes en mars 1941, et Serge finira, après tant d’aléas, à débarquer au Mexique.

Commencent alors les dernières années de la vie de Serge. Il mourra en novembre 1947 à Mexico, probablement d’une crise cardiaque. Mais avant cela, jour après jour, il note rencontres, voyages sur les routes mexicaines, réflexions, inquiétudes, projets. Pour un Journal, c’est remarquablement écrit. Et ce qui me frappe peut-être le plus, aujourd’hui du moins, c’est l’insatiable curiosité de Serge, lors même qu’il est réellement menacé de mort. Il passe du pire à l’émerveillement pour les codex précolombiens. À Oaxaca, au Monte Albán, il dit son émotion devant « le travail de mains inconnues ». Devant le temple de Teotihuacan, il note : « J’ai l’impression de contempler une des plus grandes choses que nous puissions voir ici-bas : d’être en contact avec une humanité tout à fait différente de la nôtre (…) ». Les paysages, les volcans, les pauvres villages indiens, le soleil, l’horizon, la Terre lui sont l’occasion de pages aussi simples que belles. En février 1944, il écrit : « En entrant dans le Michoacán, le sites changent, verdissent : amples vallées, champs clairs, cela fait aux yeux un bien inestimable. Je sens combien la vie végétale nous est proche et nécessaire ». Comme il a vu beaucoup de pays, il peut lier telle vue du Mexique et tels panoramas d’Europe centrale, ou d’Italie, ou de la Lozère. Ou encore comparer les merveilles aztèques et les antiquités hellénoscythes.

Est-il un écologiste avant l’heure ? Bien sûr, je me suis posé la question, et la réponse est : non. Il ne l’est pas. Car il est entier dans ce monde englouti où les nazis et les staliniens s’unissent contre l’espoir. Et pourtant ! Pourtant, je le jurerais, Serge n’est pas loin du grand combat de notre siècle. À Mil Cumbres, à 2600 mètres d’altitude ce 19 août 1943, il s’exclame : « C’est l’écorce terrestre que l’on voit ». Car Serge voit, à la différence de tant d’aveugles. Il voit. Le contact sur place avec Paul Rivet, fondateur du Musée de L’Homme, lui permet de saisir la sensationnelle beauté du monde, malgré la tragédie toujours présente. En août 1943, toujours : « Pendant que le volcan reprend du souffle, sa silhouette se ternit, puis noircit. On suit la montée des météores et leur chute. Il en est qui s’en vont parmi les étoiles vertes et y planent un long moment. La Voie lactée tombe sur le volcan, de sorte qu’il semble avoir deux prolongements à l’infini : le prolongement obscur, lourd et menaçant des nuées et celui, aérien, glacial, doucement lumineux de la Voie lactée. Par contraste avec l’embrasement terrestre, les étoiles sont d’un bleu d’acier scintilant et virent au vert. »

Il me serait aisé d’extraire des morceaux suggérant, davantage encore, que Serge le prophète envisageait cette épouvantable crise de la vie dans laquelle nous sommes désormais tous plongés. Mais ce serait tordre la réalité. Victor, extralucide à n’en pas douter, était quoi qu’il en soit de son temps. Eût-il vécu, peut-être aurait-il rejoint notre si noble combat. Intimement, je le crois. Mais je ne le sais ni ne peux prétendre le savoir. Quant au reste, il me faut dire encore à quel point Victor Serge, alors qu’il est décidément minuit dans le siècle, est admirable.

Redisons calmement que Victor est un survivant. Le splendide survivant d’une génération politique fracassée. Mexico est la ville où Léon Trotski a été assassiné par un sbire stalinien, quelques mois avant l’arrivée dans la ville de Serge. Le face-à-face avec ce mort si troublant est un moment difficile pour le lecteur. Car Serge a beau admirer celui que l’on appelait Le Vieux, il n’est pas un dévot. Après sa mort, il va visiter à plusieurs reprises sa veuve Natalia Ivanovna Sedova, et constate qu’ils sont tous deux les derniers représentants en vie de ceux qui ont mené la révolution bolchevique de 1917. Moi qui n’ai pas de sympathie pour Trostki, moi qui ne suis pas d’accord avec les choix faits par Serge entre 1919 et 1930, je dois dire que ces souvenirs sont poignants.

Je résume, pour ceux qui ne savent pas. La totalité de ceux qui ont incarné octobre 1917 ont été déportés et plus souvent assassinés par la dictature stalinienne. Serge rend hommage – pour ma part, je suis sur la réserve – à ces révolutionnaires qui crurent dynamiter le vieux monde. Je crois, moi, que la structure mentale et politique des bolcheviques les condamnait à l’arbitraire et à la répression de la différence. Serge croit qu’une autre voie fragile était possible. Que Trotski aurait dû arracher le pouvoir à Staline quand il était encore temps, en 1926 ou 1927. Qu’alors, l’Union soviétique ne serait pas devenue un immense camp de concentration. Attention ! il n’a pas la naïveté de penser que tout aurait été différent. Il juge qu’en l’absence d’une révolution européenne salvatrice, en 1920-1922, Trotski aurait pu représenter une sorte d’absolutisme socialiste éclairé. En tout cas, il ne s’absout pas. Le 14 mars 1946, il admet cette terrible évidence : « L’erreur de pensée la plus grande (…), ce fut de ne pas voir que nous construisions un État totalitaire ».

Certes oui, et ce constat est glaçant. Quant au reste, Serge est d’une intelligence qui foudroie sur place. Ayant été parmi les premiers à comprendre la nature du stalinisme, il ne peut que mettre en garde, mais en vain, ceux qui continuent à rêver de révolution. Car l’affrontement n’est pas seulement, comme de ni nombreux combattants l’ont cru, entre le fascisme et la démocratie. Le stalinisme est devenu un ennemi mortel. Serge décrit avec une prescience sidérante les objectifs de l’URSS après la chute de Hitler. Il voit, et il écrit que l’Europe centrale va passer dans le camp soviétique, sur fond de manipulations, d’assassinats, de calomnies sans fin et sans frein. Héraut du mouvement socialiste d’avant Staline, Serge « apprend le métier de vaincu » (19 février 1944). Car « l’époque est celle de la conscience obscurcie » et des « valeurs falsifiées ».

Permettez-moi d’insister encore. Victor nous parle d’un temps capital. Lorsqu’il arrive à Paris en 1909, alors anarchiste de 19 ans, le mouvement ouvrier est une splendeur. Une merveilleuse création humaine, le fruit d’une authentique civilisation. Les bourses du travail, les mutuelles, les syndicats, les causeries, les livres, le lien vivant avec la recherche scientifique font espérer des temps nouveaux. Tout est en place pour une société meilleure. La Première guerre mondiale met tout à bas. Et le stalinisme, atroce maladie de l’esprit avant tout – le mensonge, la calomnie, le dénigrement, la manipulation, la violence – détruit à la racine l’espérance révolutionnaire. Serge est un homme des ruines. Et ce qui me touche plus que tout dans ce livre, c’est que, ayant vécu dans sa chair la tragédie – sa femme russe, Liouba, est devenue folle, ses manuscrits ont été volés, ses amis assassinés, ses deux enfants récupérés par miracle -, il ne renonce pas.

Non, Serge ne renonce pas. Car il est un combattant. Un révolutionnaire mais un humaniste. Il continue de rêver d’une meilleure organisation des hommes. De respect. D’amour, je crois, bien que le mot lui soit inconnu. Le 16 mai 1946, dans la petite ville de Morelia, il est pris de vertiges. Avec le recul, on comprend sans peine que son cœur si fabuleux est sur le point de lâcher. « Je me sens en état de disponibilité, dit-il, prêt à partir, disparaître simplement ». Son fils Vlady, peintre de valeur, va lui survivre. De même que sa fille Jeannine. De même que sa compagne Laurette Séjourné. Comment vous le dire autrement ? J’aime Victor Serge.

PS 1 : Honneur aux éditions Agone, je l’ai déjà dit, et à Charles Jacquier, directeur de la collection Mémoires sociales. Honneur également à Claudio Albertani et Claude Rioux, auteurs de cette édition impeccable.  Honneur aux préparateurs de cette même édition : Michel Caïetti, Thierry Discepolo, Gilles Le Beuze, Philippe Olivera.

PS 2 : France 5 a diffusé le 25 mars 2012 un film de la Chilienne Carmen Castillo, Victor Serge L’insurgé. Castillo a partagé les derniers instants dans la clandestinité de Miguel Enriquez, responsable du Mir abattu par la soldatesque de Pinochet en 1974. Je ne souhaite rien dire du film, que je n’ai pas aimé. En revanche, un mot sur l’insupportable présence – pour moi – de Régis Debray en grand témoin de la vie de Serge. Je considère cette incongruité comme une insulte faite au mort. Debray a en effet été pendant de longues années un soutien décidé à la dictature de Castro à Cuba, et n’a en fait jamais rompu son lien originel avec l’esprit du stalinisme. Autant dire qu’il n’avais pas sa place dans un film présenté comme un hommage. On le voit pérorer et déclarer notamment : « Au fond, ce qui me passionne, c’est la tragédie de la solitude ». Ce psychologisme de bazar cache des dizaines d’années de répressions staliniennes, qui incluent l’histoire lamentable des gauches latino-américaines après la prise de pouvoir de Castro en 1959. Et cette histoire concerne au premier chef Régis Debray. Je ne peux croire que le Victor Serge que je connais eût pu être l’ami de cet homme-là.

PS 3 : Il me manque un mot. Le singulier itinéraire de Victor Serge signifie, entre mille choses, qu’un autre destin social était possible. Comme je l’ai écrit ici : une autre Histoire était concevable. Le stalinisme n’était pas fatal. Les fascismes n’avaient rien d’une certitude. La guerre elle-même aurait sans nul doute pu être évitée. Serge et ses camarades sont depuis longtemps des cendres froides, mais le souvenir de leur existence menace toujours les édifices les plus solides.

L’Orang-outan, le WWF et les Anonymous (une leçon)

Qu’est-ce qui est important ? L’Orang-outan, le Gorille, le Chimpanzé et nous, avons hérité de cinq chromosomes semblables. Pour la raison que notre ancêtre commun les possédait. L’Orang-outan, sans doute moins imbécile, a commencé d’évoluer de son côté, en Asie, il y a environ 12 millions d’années. Loin de notre aventureuse destinée. J’aime énormément les serpents – j’en ai tenu de gros dans les bras, et des petits, venimeux, contre la peau -, les fourmis, les oiseaux, les libellules, les batraciens, les abeilles bien sûr, et des centaines d’autres bestioles de toute taille. Mais j’ai également passé un grand nombre d’heures devant les cages réservées aux orangs-outans du Jardin des Plantes de Paris. Non, inutile de me dire, je sais. Ce sont des taulards. Ils mériteraient qu’on foute le feu à leurs saloperies de cages, j’en suis bien certain. Mais depuis quand ne peut-on considérer, éventuellement aimer des prisonniers ?

J’aime profondément ces bêtes. Leurs gestes de contentement, leurs lubies, leur apparente mélancolie, la grâce de leurs membres s’ouvrant comme des fleurs, les liens noués entre les jeunes et les autres, le cuir de leur paume, leur cheveu roux, et fou. Et je repose la question : qu’est-ce qui est important ? Pour moi, un monde où ne pourraient plus vivre des orangs-outans libres serait une Géhenne pour tous. Je viens de lire un article inouï sur la dévastation de lieux jadis à l’abri de la folie économique (ici). À Bornéo, tronçonneuses et bulldozers détruisent une forêt tropicale si belle à mes yeux qu’écrivant ces mots ordinaires, j’en ai soudain comme un tremblement. Des barbares qui nous ressemblent tant arrachent des arbres et plantent à leur place des palmiers à huile qui se transformeront en nécrocarburant ou en obésité sans frontières, sous la forme de centaines de plats cuisinés industriels.

Je ne cherche pas de qualificatif. Selon moi, les organisateurs de ce massacre relèvent d’un procès de Nuremberg qui n’aura pas lieu. Il y a cinq ans, j’ai écrit un livre (La faim, la bagnole, le blé et nous) pour dénoncer le crime des biocarburants. J’avoue, un peu honteux désormais, que j’espérais un sursaut. Dieu sait que j’ai alerté, directement, la galaxie écologiste et altermondialiste. Rien. La plupart de ces messieurs-dames se vautraient alors dans les salons sarkozystes, pour y fêter leur Grenelle de l’Environnement. À Bornéo, mais aussi dans une partie croissante de l’Asie du sud-est, la forêt disparaît au profit de cette vérole appelée palmier à huile. Les plantations ne durent que quelques années, car au-delà, elles ne donnent plus assez de fruits. C’est l’abandon, suivi d’un autre massacre un peu plus loin. Bientôt, si ce n’est déjà fait ici ou là, la splendeur des forêts n’existera plus que dans les films. Pour les orangs-outans et tant d’autres merveilles, la fin de ces territoires signifie bien entendu la mort. Il resterait moins de 60 000 de ces primates en liberté restreinte.

L’Indonésie – qui occupe cette partie de Bornéo qu’on nomme Kalimantan – est le plus grand producteur d’huile de palme au monde, et la surface plantée de palmiers y a été multipliée par 27 en une vingtaine d’années. On parle d’augmenter la production d’encore 60 % d’ici 2020. Le soja dans le bassin amazonien, pour nourrir notre malheureux bétail. L’huile de palme des forêts pluviales d’Asie, pour nourrir nos bagnoles. Ce n’est pas une honte, c’est un crime collectif, et il est majeur. Dans les deux cas, une association se prétendant écologiste joue le rôle évident de fourrier. Et c’est le WWF, qui continue d’incarner la protection, alors qu’elle accompagne sans état d’âme la destruction accélérée du monde. En Amérique latine, le WWF a lancé une table-ronde sur le soja responsable en compagnie de Monsanto et Cargill. J’ai déjà tant écrit sur ce sujet que je n’insiste pas. C’est immonde (ici et ici). En Indonésie, idem. Le WWF, qui y trouve un intérêt financier, promeut une soi-disant Table ronde pour une huile de palme durable (ici) avec les responsables industriels du désastre. Il s’agit bien entendu d’une vulgaire caution, qui couvre par exemple l’usage massif du paraquat, l’un des pesticides les plus dangereux au monde, interdit bien sûr en France (ici). Vous avez bien lu : le WWF soutient des gens qui utilisent du paraquat dans les plantations. Les paysans qui triment au milieu des vapeurs méphitiques ne viendront jamais cracher leurs poumons dans les beaux bureaux du WWF-France, carrefour de Longchamp, Paris. Et je le regrette bien.

Or donc, l’huile de palme tue les orangs-outans, et le WWF fait semblant. Tout le monde n’a pas envie d’être gentil avec la marque au Panda. Je souhaite même ardemment que cette mystification soit de plus en plus combattue ouvertement. Et certains ne m’ont pas attendu. Ainsi, les hackers abrités sous le beau nom d’Anonymous (ici) ont-ils mené une action lucide contre le WWF d’Indonésie (ici). Vous trouverez ci-dessous les détails. À mes yeux, le WWF a choisi son camp, et ce n’est évidemment pas le mien.

Le site officiel de l’ONG WWF Indonésie piraté par les Anonymous

25 septembre 2012 – 1 commentaire

wwf_indonesia_logo Publié par UnderNews Actu

Ce n’est pas le premier piratage qui touche l’ONG de protection de la Nature. WWF avait vu son compte Twitter piraté et utilisé pour diffuser de la publicité puis son site des Philippines victime d’une intrusion en 2011. Cette fois, c’est le site Indonésien qui en a fait les frais, action revendiquée par les Anonymous. Explications.

Des Anonymous reprochent à l’organisation mondiale de protection de l’environnement de s’être accoquinée avec Monsanto et les créateurs d’OGM. Le site Internet indonésien du WWF (wwf.or.id) a été visité. Le pirate qui se déclare faire parti du collectif Anonymous et revendique une intrusion sur le serveur. Bilan : des bases de données diffusées sur la Toile.

L’hacktiviste, qui participe à l’opération « Stop Green mafia« , explique que l’association écologiste se serait rapprochée de Monsanto, Syngenta, Cargill, et d’autres sociétés en 2005 lors d’une table ronde sur le soja transgénique (RTRS) et la culture d’huile de palme.

Anonymous reproche à la WWF de ne pas avoir agi contre l’utilisation d’un pesticide basé sur le glyphosate. Un produit qui provoque cancer et altérations génétiques. « A Bornéo 13.920 hectares de la forêt vierge ont été détruits », soulignent Anonymous. « Seuls 80 hectares de la forêt ont été préservés de la destruction. Moins de 10 orangs-outans y vivent, aujourd’hui« . Le WWF certifie que les cultures de palmiers (destinés à la production d’huile)  ont été réalisées de manière efficace, en prenant compte du reboisement.

« WWF, comment pouvez-vous conclure que détruire les forêts, les animaux et la nature, est écologiquement durable ? Votre masque d’écologiste ne peut pas cacher la dévastation des cultures et des êtres vivants par Monsanto, Wilmar International et les autres grandes entreprises de l’agro-industrie génétique« .

L’Anonymous a diffusé adresses, logins, mots de passe et données privées internes à la WWF Indonésie.

Mais ce n’est pas fini. Il n’y a qu’à voir le Twitter @OpGreenRights pour s’en rendre compte. Le site World Wild Life subit de très lourdes attaques DDoS et se retrouve hors ligne depuis quelques jours consécutifs.

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Notre-Dame-des-Landes : Appel aux naturalistes

Mon cher ami François de Beaulieu, pilier de l’association Bretagne Vivante – j’en suis membre – lance, avec d’autres, une magnifique opération à laquelle je ne peux que m’associer. En avant !

PS : François me précise que tout un collectif d’associations est derrière ce projet. Eh bien, tant mieux.

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Des dizaines de milliers d’individus et des dizaines d’associations s’investissent dans la lutte contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (organisation de manifestations, recours juridiques, expertises, matériel, etc.). L’un des aspects les plus scandaleux du projet est la destruction de 2000 hectares de bocage et de zones humides miraculeusement préservés et, avec elles, d’une foule d’espèces protégées. C’est une richesse « incompensable » et la communauté naturaliste ne peut que s’attacher à le montrer concrètement en réalisant des inventaires et leur valorisation.

Des naturalistes et leurs associations ont jeté les bases d’un collectif qui va :
–         Réaliser des inventaires naturalistes en lien avec les opposants vivant sur place.
–         Coordonner les inventaires sur des groupes d’espèces.
–         Valoriser les résultats aussi largement que possible.
–         Utiliser les résultats pour alimenter les dossiers juridiques.
–         Peser sur les travaux de la commission scientifique.

Organisation :

Un regroupement des naturalistes aura lieu le 2e dimanche de chaque mois à 9 heures devant l’église de Notre-Dame-des-Landes. Le premier rendez-vous est prévu le dimanche 13 janvier. Des opérations ponctuelles pouvant avoir lieu à tout moment en fonction des disponibilités et des besoins propres à chaque groupe.

Huit groupes de travail ont été constitués : Amphibiens, chiroptères, botanique, oiseaux, reptiles, entomologie, haies, réseau hydrographique. Il y a deux référents par groupe. Tous les rendez-vous seront donnés sur le blog ou au travers de listes de diffusion. Des fonds de cartes, des fiches d’inventaires et des éléments sur les inventaires existant seront mis à disposition des participants.

Communication

Un blog (http://naturalistesenlutte.overblog.com/) sera conçu comme la vitrine des naturalistes au travail. Il sera proposé à toutes les associations concernées de mettre sur leur site un lien visible vers le blog. Les contributeurs pourront disposer d’un code d’accès.

Les équipes naturalistes pourront être accompagnées dans certains cas d’un photographe et d’un journaliste. Les documents réalisés alimenteront le blog, des articles militants et des articles destinés à la presse. À côté de l’actualité purement militante, il s’agit de proposer une « actualité naturaliste » de Notre-Dame-des-Landes et de montrer l’explosion de la vie dans une zone humide.

Vous trouverez au fil des jours des informations sur le blog. En cas de besoin, vous pouvez envoyer des messages à l’adresse : naturalistesenlutte@gmail.com

Merci de diffuser cet appel sur vos réseaux et sur vos sites web.

La seconde mort du loup (remake)

Paru dans Charlie-Hebdo du 5 décembre 2012

Revenu par miracle en France après 70 ans de disparition forcée, le loup déchaîne à nouveau les plus beaux esprits de chez nous. Gaymard, Ciotti, Luca, Chevènement, Hue veulent lui faire la peau.

Pas contentes du tout. Dans une rare unanimité, onze associations – du WWF à la LPO, de France Nature Environnement à Ferus, de l’Aspas à Mille Traces – prennent la défense du loup. D’accord, sous la forme d’une pétition un rien faiblarde (1), mais quand même. Tout indique en effet qu’une coalition de tueurs se met en place, qui ne rêve que d’une chose : éradiquer une seconde fois, en France, cet animal maudit.

Résumons à très grands traits. Le loup est ici chez lui, depuis un poil plus longtemps que le chasseur. On a retrouvé le fossile d’un Leptocyon shermanensis – l’un des ancêtres – vieux de 7 millions d’années sur le territoire de l’Espagne actuelle. Dans la France historique, il était partout, jusqu’à la pointe du Raz. On pense qu’il pouvait rester 20 000 loups chez nous au moment de la Révolution française. Qui croquaient certes des brebis, et à l’occasion un petit berger ou un grand malade. Charlie ne prétend pas que le partage de l’espace est une affaire simple.

Par bonheur pour l’ordre humain, tout était fini autour de 1925, grâce à la strychnine, aux primes d’État et au fusil. Pendant près de 70 ans, calme plat dans les sous-bois : le loup est mort et la paix règne dans la société. Et puis ce connard revient sans prévenir, naturellement, depuis les monts Apennins d’Italie. En 1992, on en voit deux dans le Mercantour, au-dessus de Nice. Et comme une absurde Convention dite de Berne protège ce sauvage, il ne cesse depuis de réoccuper ses territoires historiques. D’abord l’arc alpin, puis les Cévennes via la vallée du Rhône, par franchissement du fleuve, de l’autoroute et de la ligne TGV, et jusqu’aux Pyrénées catalanes. Combien sont-ils à vagabonder sans Dieu ni maître ? Environ 250. 100 fois moins qu’il y a deux siècles. Mais la haine est plus forte que la raison.

Depuis 20 ans, les nouveaux éradicateurs ne cessent de marquer des points. Et cet automne marque à l’évidence un tournant. Premier avertissement le 10 octobre : une brochette de belles personnes dépose une proposition de loi à l’Assemblée nationale. Gaymard – viré du gouvernement en 2005 pour cause de duplex de 600 m2 -, Ciotti – noble député UMP des Alpes-Maritimes –, Luca – idem -, Lassalle – vieux pote de Bayrou – veulent « autoriser les éleveurs à tirer sur tout loup menaçant leurs élevages, cette autorisation s’appliquant également dans les cœurs des parcs nationaux ». Une précision : le cœur des parcs nationaux est le seul vrai sanctuaire pour la faune et la flore sauvages. Jusqu’ici, ces minuscules territoires ont été à l’abri de la destruction.

Le 19 octobre, la gauche de salon tente de reprendre l’initiative. Son Excellence Chevènement signe au Sénat, en compagnie du célèbre rocker Robert – Bob- Hue, une autre proposition de loi visant « à autoriser l’abattage des loups dans des zones d’exclusion à créer ». Comme à la parade, le conseil d’administration du parc national des Cévennes embraye le 19 octobre et déclare sans rire que le loup n’est pas compatible avec la biodiversité réclamant de le buter sur la totalité de son territoire. À quoi Raymond Faure, historique de la protection de la nature, répond, ouvertement effondré : « Si les grands prédateurs – loup, ours, lynx – n’ont pas leur place au cœur des Parcs Nationaux, à quoi ces derniers servent-ils ? ».

C’est la bonne question, et la réponse est aux abonnés absents. Notre grand Jean-Marc Ayrault a bien d’autres chats à fouetter, et pas seulement à Notre-Dame-des-Landes. Le Premier ministre a reçu le 8 novembre les Nemrod de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) et a promis d’en faire des « partenaires » dans la « gestion de la biodiversité ». Au même titre que les associations de protection de la nature ? Affirmatif.

Le reste n’est que babillage et entubage. Officiellement, la ministre de l’Écologie Delphine Batho peaufine un « nouveau plan d’action sur le loup », qui devrait être connu début 2013. En effet, fils, c’est du Belge.

(1) Entre autres sur : www.ferus.fr

Mélenchon et les Indiens de Sarayaku (ode à la « révolution citoyenne »)

Pour Grego

Habitué aux sports de haute voltige, je vais commencer, moi qui ai conchié tant de fois Jean-Luc Mélenchon, par lui rendre hommage. Attention, c’est un saut périlleux arrière retourné, et je ne suis pas sûr de bien me rattraper. Roulement de tambour. Les paroles de Mélenchon dans Libération (ici) m’ont paru sortir du cadre habituel de la simple propagande. Cette dernière y était bien sûr, mais pour qui s’en tient aux mots, nul doute qu’il y avait là une petite musique intéressante.

En deux mots, Mélenchon y affirme que le tournant de son Parti de Gauche vers l’écologie n’a rien de tactique. Il s’agirait d’une conversion profonde et sincère. L’avenir, bien que présenté d’une manière nébuleuse, appartiendrait à la « règle verte », à la « planification écologique ». Certaines formules prêtent tout de même à sourire, comme : « Il faut cesser de produire et d’échanger dans des conditions telles que la capacité de renouvellement de l’écosystème n’y répond plus. C’est simple, ça se chiffre et ça se planifie ». Mais au total, allez, une mention passable. Inutile d’insister, à ce stade, sur le but à peine caché de faire disparaître, à terme, le parti EELV. Au reste, je m’en fous bien.

Où sont passés les textes de 1992 ?

Pour être honnête ou tenter de, signalons les 18 thèses pour l’écosocialisme proposées au débat dans le Parti de Gauche (ici, puis chercher un peu). J’ai lu, ce qui ne doit pas être le cas de tout le monde. Si je veux être (très) gentil, je dirai que c’est rempli de proclamations et de bonnes intentions. Un peu comme le programme du parti socialiste d’avant 1981, que défendait d’ailleurs, à l’époque, Mélenchon. On a vu. Les programmes de partis sont comme des promesses. Des mirages. Et si j’essaie d’être franc, j’ajouterai qu’il s’agit de vieilleries assez consternantes. Le mot écosocialiste, désolé de faire de la peine aux mélenchonistes, a été employé à de nombreuses reprises dans le passé, et a même été défendu avec clarté par la Ligue communiste révolutionnaire il y a de longues années.

Le pire n’est pas là : il n’y a aucune analyse de la situation réelle du monde. De la dislocation déjà entamée de nombreuses sociétés sous le coup de la crise écologique. On se croirait en 1970. On y est, d’ailleurs. La crise diabolique du climat, la crise sans limites apparentes de la biodiversité, la crise mortelle des océans, la crise planétaire des sols fertiles ne sont pas au tableau. En somme, les questions politiques les plus essentielles ne font pas partie de la discussion publique. Quel étrange parti écosocialiste.

Retour à Mélenchon. Il est important de savoir ce que ce politicien pense. Non pour lui, je l’avoue, mais à cause des gens, souvent d’excellentes personnes, qui croient en lui. Mélenchon, dans l’article de Libération évoqué, se vante de textes qu’il aurait écrits sur l’écologie dès 1992. Qu’il les publie donc, que l’on puisse rire un peu ! Ne remontons pas à Mathusalem, seulement au 22 octobre 2012. Ce jour-là, l’agence chinoise Xinhua publie une dépêche (ici, en français) qui résume un entretien que lui a accordé Mélenchon. Que dit-il ? « Je considère que le développement de la Chine est une chance pour l’humanité ». Une telle phrase, je pense, a le mérite de la clarté, mais comme elle m’a littéralement soufflé, j’ai cherché une confirmation. Les bureaucrates chinois, staliniens dans l’âme, avaient peut-être tordu le propos de notre grand Leader Écosocialiste ?

La croissance chinoise est une chance pour l’humanité

Eh bien non. Le 28 octobre 2012, Mélenchon était l’invité de Tous Politiques sur France Inter (ici), et y parlait à nouveau de la Chine (à partir de la minute 44). Il y confirme sans détour que la « croissance chinoise est une chance pour l’humanité ». Je crois pouvoir affirmer, car à la différence de Mélenchon, je sais de quoi je parle, que notre Grand Homme de poche démontre ainsi qu’il n’a strictement rien d’un écologiste. L’inculture profonde, l’ignorance abyssale ne sauraient être une excuse pour raconter de telles inepties. Car la Chine, comme je l’écris en de nombreux endroits depuis une dizaine d’années, nous menace tous, elle d’abord, d’un krach écologique à côté duquel la Grande Dépression d’après 1929 ressemblerait à une dispute pour un bout de chocolat.

Je n’ai pas le temps de détailler, mais même ici, sur Planète sans visa, il est aisé de retrouver certains textes grâce au moteur de recherche. La Chine, qui devient la plus grande économie mondiale, n’a plus d’eau, plus d’air, plus de terres agricoles capables de supporter une croissance démentielle. Et elle ruine en conséquence, pour des siècles au moins, quantité de pays d’Asie – le Cambodge et le Laos sont en haut de la liste – et désormais d’Afrique, s’emparant aussi bien du bois que du pétrole ou encore de millions d’hectares de terres destinées à produire, in fine, la viande que réclame tant sa classe moyenne.

Dire que la croissance chinoise, qui n’est que dévastation, est une chance pour tous n’est pas seulement imbécile. C’est aussi criminel. Je pèse mes mots, si. Dans la même émission d’Inter, Mélenchon se répand comme à son habitude sur la supposée vitalité des gauches latino-américaines. C’est justement de cela que je voulais vous parler, comme en atteste le titre que j’avais placé tout là-haut avant de commencer ce roman-fleuve. Le 17 février 2013, l’Équateur vote pour l’élection de ses président et vice-président de la République. Le président actuel, Rafael Correa, se représente et espère l’emporter une nouvelle fois. Qui est-il ? Un homme de gauche, à coup sûr. Est-il plus proche de la ligne Chávez que de la ligne Lula ? C’est hautement probable, et ce qui est certain, c’est que Correa est l’un des grands inspirateurs de Mélenchon. Il a notamment popularisé l’expression un brin étrange connue sous le nom de « révolution citoyenne » que le Français arrange désormais à toutes les sauces. Pendant la campagne présidentielle du printemps dernier, Correa a envoyé à Mélenchon un vibrant message de soutien, rendu public, qui commençait ainsi : « Querido Jean-Luc ». Et finissait par ce vieux slogan guévariste : «  ¡ Hasta la victoria, siempre ! ».

Les 1200 habitants de Sarayaku

Je pense que cela suffit pour établir la grande proximité entre les deux hommes. Et je poursuis. Les élections équatoriennes approchent, et surtout, ne quittez pas, car je vais (probablement) vous apprendre quelque chose. L’Équateur est un pays deux fois plus petit que le nôtre, peuplé de 15 millions d’habitants. Entre Quito, la capitale, installée sur les flancs d’un volcan, à 2850 mètres d’altitude, et l’Amazonie équatorienne, il n’y a pas grand chose en commun. Dans la forêt légendaire, des peuples indiens survivent tant bien que mal. Mal. Et parmi eux les kichwa. Et parmi eux, les 1200 habitants du village de Sarayaku (ici). Ils vivent de, ils vivent avec la forêt depuis des milliers d’années.

Mais le pétrole ne vaut-il pas mieux que tout ? Voici un court résumé, emprunté à Frontière de vie (ici) : « Afin de développer l’exploitation du pétrole amazonien, l’Etat équatorien a emprunté des milliards de dollars à l’étranger, s’endettant de façon effrayante. Cercle vicieux, l’Etat ne peut espérer rembourser ses dettes qu’en augmentant encore l’exploitation pétrolière, ce qui implique une surexploitation dépassant toutes limites. 1.500.000 hectares de forêts sont déjà en exploitation. 500 km de routes ont été construites pour permettre l’installation de 400 puits de pompage. Ces puits génèrent quotidiennement 17 millions de litres de déchets toxiques non traités. Ces déchets sont déversés dans des bassins à ciel ouvert qui débordent lors des pluies tropicales et se répandent dans la forêt. Dans certaines rivières, toute vie a disparu ».

Un grand désastre, donc, synonyme de « développement », cette parole maudite qui réunit les droites comme les gauches. Mais Sarayaku résiste aux compagnies pétrolières depuis 25 ans. Surtout depuis qu’en 2003, ces frères humains ont réussi à foutre dehors des ouvriers payés par un pétrolier, défendus par 400 militaires, venus pour de premiers travaux. Il est impossible de seulement évoquer les principaux événements de cette saga. Elle fait des habitants de Sarayaku des héros de l’humanité. Et ils tiennent. Encore et toujours. Greg m’envoie de Colombie un article du quotidien de Bogotá El Espectador (ici, en espagnol). J’y apprends que Los hijos del jaguar, les fils du jaguar comme ils se nomment, sont au cœur du débat de la présidentielle en cours. Correa, ce fier combattant de la « révolution citoyenne » entend ouvrir un peu plus aux pétroliers l’Amazonie équatorienne,. D’un mot, l’Équateur est l’une des zones les plus riches en biodiversité de notre planète. Peut-être la plus riche. Sans doute. On y a recensé environ 1 600 espèces d’oiseaux, 4 000 d’orchidées, 382 de mammifères.

 Les Indiens vendus par Correa aux transnationales

Je lis une dépêche en espagnol de l’agence chinoise – décidément – Xinhua, en date du 29 novembre 2012 : « El gobierno de Ecuador convocó hoy a la XI Ronda Petrolera de Licitación 13 campos del suroriente del país para la exploración y explotación de crudo, en medio de la resistencia de comunidades indígenas de la Amazonía ». Le gouvernement de Quito vient de lancer des enchères pour l’exploitation de 13 champs pétrolifères au beau milieu de la résistance de communautés indiennes de l’Amazonie. Voici les propres mots du querido compañero de Mélenchon, Correa soi-même : « Bienvenidos todos los inversionistas que buscan esa rentabilidad razonable, pero con altísima responsabilidad ambiental ». Bienvenue à tous les investisseurs qui cherchent une rentabilité raisonnable, mais avec un haut sentiment de responsabilité environnementale : on croirait du Total dans le texte. Mélenchonistes éventuels, qui me lisez, épargnez-moi vos leçons : Correa vend son pétrole et les Indiens qui sont au-dessus aux transnationales.  Point final. Et tant pis pour le climat, et tant pis pour la biodiversité, et tant pis pour ces extraordinaires cultures indiennes qui sont pourtant, razonablemente, une partie de notre avenir possible.

Alors, désolé, je ne marche pas. L’écosocialisme vérolé que Mélenchon tente de fourguer en France à des crédules – chaque génération a les siens -, non merci. À moins, amis mélenchonistes, que je ne me trompe ? À moins que The Great Leader Chairman ne vole publiquement au secours des Indiens de Sarayaku, et désavoue son cher ami Rafael Correa ? Ce serait, pour le coup, une vraie nouvelle, susceptible de me faire changer d’avis sur ce que je tiens pour une pure foutaise. Tenez, il y a même un rendez-vous : en avril 2013, Correa prévoit l’organisation à Quito d’un forum mondial de sa soi-disant « révolution citoyenne ». Mélenchon a, je crois, prévu d’y aller. C’est le moment, camarade écosocialiste, de prouver que les mots et proclamations ont un sens.