Archives de catégorie : Beauté

Suivre des chauves-souris, ça vous tente ?

Je reçois ce message de Jean-Paul Urcun, dont j’ai croisé la route il y a beau temps déjà. Je crois pouvoir dire que ce pilier d’Organbidexka Col Libre (OCL), devenu responsable de la LPO en Aquitaine, est une excellente personne. La proposition qui suit est donc honnête, et je dirais même alléchante.

Dans le cadre de son programme estival d’étude sur les chiroptères, la LPO Aquitaine recherche des bénévoles pour des diagnostics naturalistes des sites natura 2000 de la montagne pyrénéenne. Et organise cet été une session d’étude des zones de chasse d’espèces de chauves-souris.?? Du lundi 6 aout au samedi 18 aout 2012 😕 étude des habitats de chasse du Petit Murin (Myotis blythii) en vallée d’Ossau (64). ?Hébergement dans un gîte à Louvie-Juzon??. Cette étude consiste à suivre par télémétrie des individus de chaque espèce afin de définir leur exploitation et leur sélection des habitats lors de leur phase de recherche alimentaire nocturne.? Cette technique nécessite un fort investissement humain mais permet d’apporter des éléments indispensables à la bonne connaissance et conservation de ces espèces méconnues. L’équipe des salariés et stagiaires se fera un plaisir de vous accueillir.?? L’association prend en charge le gîte et le couvert pour tous les amateurs de randonnée nocturne.

Renseignements et inscription 😕 Denis Vincent, ?pyrenees-atlantiques@lpo.fr

Tél : ?06 10 49 29 07

Pour nos frères à longue trompe ( de l’eau !)

Je relaie ci-dessous, avec plaisir, un message de Jean-François Noblet, créateur de l’association Pic Vert. Je connais Jean-François depuis une vingtaine d’années, et je ne pouvais faire moins. Il est aux origines de la Frapna en Isère (ici), puis a créé et dirigé le service Environnement du département de l’Isère. Dire que j’ai été d’accord avec tout ce qu’il a entrepris serait grandement faux. Mais, ayant eu la chance d’aller chez lui, où les animaux d’alentour sont les rois – il habite tout, tout près d’une vraie campagne -, ayant pu apprécier sa valeur, sa chaleur et ses rires, j’en ai conclu que c’était un excellent homme.

Ce qui explique ce que vous verrez ci-dessous. Payer des pompes à eau pour les éléphants de Hwange, cela ne changera pas le sort de la vie sur terre. Mais on dépense tant de sous à ne rien faire, ou à accélérer la destruction de tout, qu’il m’a semblé qu’on pouvait aider Pic Vert. La photo qui accompagne l’appel au peuple est de Jean-François, et elle montre nos frères à longue trompe, là-bas.

Michel Buénerd, que je ne connais pas, m’excusera de ne pas parler de lui.

Communiqué de presse : Le Pic vert au secours des rhinocéros

Le parc national de Hwange au Zimbawe est un magnifique sanctuaire de la faune africaine. Sur une superficie équivalente à deux départements français il héberge environ 30 000 éléphants et de nombreuses espèces  menacées de disparition (rhinocéros noirs, lycaons, guépards, etc.). La crise politique et économique qui sévit dans ce pays réduit dramatiquement les moyens de lutte anti braconnage et de financement du fonctionnement des pompes qui alimentent les mares dont l’approvisionnement est indispensable à la survie de la faune pendant la saison sèche. L’association de protection de la nature Le Pic Vert a décidé de financer  le remplacement des pompes à gasoil  par des pompes solaires (coût  d’une pompe : 20 000 €). La procédure de financement écartera tout danger de corruption ou de détournement des dons investis. Le Pic Vert est en contact direct et régulier  et avec les scientifiques locaux et les associations qui agissent au quotidien sur le terrain.
En 2011 une première pompe solaire a été installée grâce à l’aide de la fondation Le Pal nature et le Pic vert espère pouvoir en financer deux en 2012. Aussi une souscription est lancée : kes dons sont à adresser à l’association Le Pic vert  avec la mention «  pompe solaire » 24 place de la mairie 38140 Réaumont. Le site http://www.lepicvert.asso.fr/29/lassociation/mares-de-hwange présente le détail du projet et tous les souscripteurs recevront un reçu fiscal qui leur permettra de déduire les 2/3 de leur don du montant de leur impôt.

Pour tous renseignements contacter Michel Buénerd, responsable du projet : buenerd.michel@wanadoo.fr.

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La soudaine richesse des pauvres gens de Kenguir* (un anniversaire)

In memoriam, 16 mai-26 juin 1954, mai-juin 2012

Je fête, et nous ne devons pas être si nombreux, le cinquante-huitième anniversaire de la révolte du camp de Kenguir, au Kazakhstan. Je vous préviens d’emblée que ce qui suit n’a rien à voir avec l’objet obsessionnel de Planète sans visa, c’est-à-dire la crise écologique. Mais il se trouve que, trois à quatre fois par semaine en ce moment, je pense à ceux de Kenguir. J’aimerais, où qu’ils soient, leur faire savoir qu’un être humain a allumé une bougie pour leur âme.

Nous sommes en Union soviétique, en 1954. Le Meilleur des Hommes, le Grand Camarade Staline, est mort le 5 mars 1953. Nul ne peut imaginer le deuil qui a frappé le monde. Lisez plutôt cette ode au Plus Grand Génie de Tous les Temps, signé du poète officiel Rashimov : « Ô grand Staline, Ô chef des peuples/Toi qui fais naître l’homme/Toi qui fécondes la terre/Toi qui rajeunis les siècles/Toi qui fais fleurir le printemps/Toi qui fais vibrer les cordes musicales/Toi splendeur de mon printemps,/Soleil reflété par des milliers de cœurs ». En France, L’Humanité titre en une : « Deuil pour tous les peuples qui expriment dans le plus grand recueillement leur amour pour le grand Staline ». Le siège parisien du PCF est tout enguirlandé de noir. Louis Aragon déclare : « On peut inventer des fleurs, des chèvres, des taureaux, et même des hommes, des femmes – mais notre Staline, on ne peut pas l’inventer ». Des milliers d’êtres en pleurs défilent lentement dans l’entrée de l’ambassade soviétique, pour signer un immense livre de condoléances.

Pendant ce temps, le Goulag. Des millions d’hommes y croupissent, la plupart sans avoir jamais rien fait. Ou prononcé une parole. Ou retenu une phrase. Parce qu’ils sont paysans. Ou bien Tatars. Ou encore pour avoir été prisonniers de guerre des Allemands en 1941, quand l’Armée rouge décapitée par Staline laissait entrer la Wehrmacht dans le pays comme dans du beurre. Des millions de détenus habitent des centaines de camps dispersés dans cet Archipel génialement décrit par Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne. Les mois qui suivent la mort du Meilleur Ami de l’Homme sont très difficiles pour les glorieux kapos qui gardent les miradors.  Lavrenti Pavlovitch Beria, qui a pris la succession, saura-t-il se maintenir au pouvoir ? Non, et c’est bien triste, car un tel homme manquera fatalement au monde concentrationnaire. Arrêté l’arme au poing par le maréchal Gueorgui Konstantinovitch Joukov, qu’il voulait liquider, il est buté d’une balle dans la tête le 23 décembre 1953.

Qu’on se mette à la place de ceux qui ont assassiné tant de millions de personnes depuis 1918. Il faut comprendre que cette instabilité au sommet met leurs nerfs à rude épreuve. Et de même, les détenus qu’ils gardent commencent à se demander si le moment n’est pas venu de relever la tête, ne serait-ce que pour voir une seconde le ciel. À Kenguir, dans les premiers mois de 1954, rien ne va plus. En février, un garde guébiste – c’est-à-dire un membre de la police politique – flingue un type qui, rapporte Soljenitsyne, avait tiré un billet de dix. Autrement dit, qui avait été condamné à dix ans de camp, dont il avait fait neuf ans et neuf mois. Il se fait donc tirer comme un lapin parce qu’il a décidé de pisser à côté d’une guérite en bois. Est-il dans une zone interdite ? Non. Les flics du camp, constatant sa mort, tentent de le déposer dans ce qu’on appelle « l’avant zone », ce qui aurait constitué une infraction. Mais les zeks – les détenus – se révoltent, saisissent des pelles et des pics, avant de charger le mort sur leurs épaules et de le ramener au camp.

Une minute. Un tel fait, soit le tir sur un homme qui n’a rien fait, est évidemment ordinaire. Nous serions en 1952 que rien ne serait arrivé. Et même dans l’hypothèse d’un mouvement de zeks, ceux-ci auraient aussitôt été bastonnés, et peut-être bien tués. Mais nous sommes en février 1954, je le rappelle, et commence alors un des plus beaux moments de la liberté humaine. Le camp de Kenguir est une ville de 20 000 zeks, dont la moitié sont des Ukrainiens, et un quart des Baltes ou des Polonais. Au retour de la victime, un anonyme lâche dans le noir d’un baraquement, au moment du coucher : « Frères ! Jusques à quand allons-nous continuer de construire et de récolter des balles en échange ? Demain, nous n’allons pas au travail ! ». Cet appel héroïque à la grève est repris de dortoir en dortoir, et le lendemain, c’est la grève. Ce premier essai est brisé en deux jours.

Est-ce fini ? Bien sûr que non. La pâte lève, que nulle force ne peut plus contenir. À la veille du 1er Mai, sentant monter quelque chose d’inconnu, les bureaucrates en chef du camp font entrer 650 de ceux que le régime nomme les « socialement proches ». Il faudrait un livre pour seulement approcher cette réalité-là. Les « socialement proches » sont les truands, le plus souvent d’un individualisme et d’une violence sans limites. Dans les îles et îlots du vaste Archipel, ces voleurs ont toujours joué le jeu des assassins, en frappant, volant, tuant volontiers les 58, c’est-à-dire ceux arrêtés, selon l’article 58 du code pénal stalinien, pour « activités contre-révolutionnaires ». Le jeu des chefs du camp est limpide : ils entendent casser le mouvement grondant des zeks en faisant entrer dans les chambrées ceux qui possèdent des armes – au moins des couteaux – et ne reculent pas au moment de s’en servir.

Disons-le, c’est un excellent choix. Partout dans l’Archipel, l’usage des truands a permis de faire régner l’ordre policier. Mais à Kenguir, l’air de la liberté a commencé de souffler. Il se passe un événement inouï, sans aucun précédent : les truands fraternisent avec les politiques. Oh ! je suis bien incapable de décrire la magie complète de ces effusions. Si vous en avez la possibilité, lisez de toute urgence les pages que mon grand, mon noble, mon si cher Soljenitsyne y consacre dans le tome 3 de l’Archipel du Goulag (pages 234 à 269 de l’édition originale en français). Quel grand malheur que tant de lecteurs ne lisent pas. Ou ne sachent pas lire. La totalité de ce texte, mais ces pages-là un peu plus, sont un chant venu des profondeurs, à la gloire de la liberté. Contre l’autorité. Contre l’État. En ce sens, et je sais très bien ce que j’écris,  Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne, le slavophile, le chrétien orthodoxe, l’anticommuniste féroce était un immense anarchiste. Un frère. Je plains ceux qui le tiennent pour fretin, quand il était si évidemment géant.

Mais revenons à Kenguir. Le 16 mai, des héros inconnus brisent le mur séparant leur camp numéro 3 de deux autres. On ne peut imaginer plus fol défi à l’ordre. Les satrapes staliniens tirent et tuent treize détenus, puis laissent faire, espérant que l’affaire prendra la forme d’un viol de masse. L’un des camps ainsi libéré est en effet peuplé de femmes. Mais nul n’en touche aucune. Pas même l’un de ces truands qui n’auraient jamais hésité en d’autre circonstances. Dans la nuit, des libérateurs filent à l’isolateur – le cachot -, et en sortent 252 prisonniers. Dans les jours suivants, la grève générale insurrectionnelle est décrétée. Les promesses commencent, aussitôt trahies par les flics du lager. Une commission vient de Moscou, repart. Les flics rebouchent le mur. La révolte s’étend, se durcit, un Comité de grève voit le jour, qui durera jusqu’à la fin. On fabrique des piques et des couteaux, on pile du verre pour retarder l’entrée des soudards, s’ils entrent. Car il n’y a plus un seul garde-chiourme dans ce territoire miraculeusement libéré.

Je vous garantis qu’en écrivant ces mots, j’ai la main qui tremble. Je vous le garantis. Soljenitsyne raconte une atmosphère de grande fête politique, qui oscille sans cesse entre espoir et cauchemar. Les révoltés ont mis la main sur les vivres, et peuvent compter sur une eau abondante. Les affiches font leur apparition. On voit sur des bouts de papier l’essentiel de ce qu’il faut oser : « Les gars, tapez sur les tchékistes ! », ou bien « Mort aux mouchards, ces larbins des tchékistes ! ». Commentaire de Soljenitsyne : « Les heures de la liberté ! Des dizaines de kilos de chaînes qui vous tombent des bras et des épaules ! Ah, certes non ! on ne regrette pas ! Un jour comme celui-ci, ça en vaut la peine ».

La suite. Incursions et tirs de la flicaille stalinienne. Les insurgés creusent des galeries sous les murs reconstruits par les sbires, façon Gaza 2012. Ils créent une commission technique, et aussitôt une rumeur voit le jour : les zeks auraient mis au point des armes secrètes, qui feront merveille en cas d’assaut. Et le camp s’organise, sans l’État policier et ses chiens. La vie continue, et elle est incomparablement plus belle. On expérimente le vol d’électricité, et même la puissance des éoliennes. On ouvre un café. On fait de la musique. Parallèlement, les généraux staliniens débarquent à la queue leu leu sur un aéroport voisin. Ils viennent, repartent, montrent leurs épaulettes, se tâtent, téléphonent, regardent à la jumelle le camp de la liberté.

Nous sommes à un moment de grâce, qui ne peut pas durer. Les tueurs moscovites sont entravés, et depuis la mort de Beria, ne savent plus sur quel pied danser. Pactiser avec cette racaille ? Pouah ! Les mitrailler et disperser leurs cendres, comme ils ont fait pendant des décennies ? Et si le vent avait tourné ? Les salauds ont peur, ils hésitent. On organise des sommets où des émissaires passent d’un bord à l’autre, drapeau blanc au poing. Ceux de Kenguir ne savent jusqu’à quel point dire ce qu’ils pensent de ce régime atroce. Certains font semblant. D’autres moins. Les policiers continuent de flageoler.

Les détenus libres construisent une montgolfière, chargée de tracts, pour informer le monde du drame en cours. Elle se perd sur les barbelés de l’enceinte. D’autres ballons réussissent à atteindre la cité ouvrière toute proche. On a écrit sur le flanc des ballons : « Sauvez des coups les femmes et les enfants ». Car il y a des femmes et des enfants, nous sommes au paradis des travailleurs, n’est-ce pas ? Les flics harcèlent, ouvrent des brèches, photographient, filment, remplissent leurs dossiers. On tient assemblée générale sur assemblée générale, pour savoir s’il faut tenir, ou capituler. Mais il n’est pas question de retourner au chenil. Il est question de se battre, ou de mourir. Cela change de nos conforts petits-bourgeois, ne trouvez-vous pas, chers lecteurs de Planète sans visa ?

À la mi-juin, des tracteurs apparaissent dans la steppe. Pourquoi ? Et que tirent-ils ? On ne sait. On s’endort auprès d’une pique digne de 1789, alors que les assassins disposent de milliers d’armes automatiques. Assez ! Assez de ce faux suspense qui me semble tout à coup insupportable.  Le 26 juin 1954, à 3 heures et demie du matin, les staliniens montrent leurs crocs. 1700 soldats, 98 chiens, cinq chars T-34 encerclent le camp, puis l’envahissent. On dit que les militaires, qui tiraient et tuaient sans discontinuer, étaient ivres. Ils étaient en toute certitude des ordures. Les chars écrasent les vivants, fichés à l’entrée de leurs baraquements. Et que peuvent des cailloux et des bâtons, fussent-ils de métal, contre les coques d’acier trempé ? Nul ne sait combien moururent ce jour-là. 500 ? Ni combien furent assassinés ensuite, après des procès truqués.

Moi, je vous le dis, les héros de Kenguir sont entrés dans mon panthéon personnel, et n’en sortiront plus jamais. En ces jours d’anniversaire, je pense à eux tous. Je verse ma larme. La bougie du souvenir brûle, lentement. Je sais ce qu’est la liberté. Je sais la reconnaître où elle apparaît. Et je sais la tyrannie, quel que soit son masque. Et il en est beaucoup.

* J’ai bien entendu pensé à ce film de Volker Schlöndorff, Der plötzliche Reichtum der armen Leute von Kombach, connu en français sous le titre : La soudaine richesse des pauvres gens de Kombach. Je l’ai vu à Paris au moment de sa sortie, en 1971 je crois. J’avais en tout cas 16 ans. J’espère que ma mémoire ne me trompe pas. Je revois des scènes en noir et blanc, dans la neige et les bois, dans le froid et la désolation de la misère. Je revois une révolte sans espoir. Mais nécessaire, mais cruciale, mais vitale. J’espère que je n’invente pas.

Nos amies les bêtes sont-elles des frères ?

Je vois, comme vous je l’espère, que personne ne parle des animaux. Dans cette funeste campagne électorale, du moins. Voilà qu’on polarise l’attention publique pendant quelques mois, prétendant aborder les questions les plus essentielles de l’époque, et voilà qu’on ignore nos frères, les bêtes. C’est étrange. C’est instructif.

J’ai employé le mot frères sans réfléchir, et j’ai eu tort. Car il est tout sauf anodin. D’un côté, il est absurde, car il trace un trait d’égalité entre qui commande, frappe et tue – nous – et qui ne cesse de recevoir le knout – eux. De l’autre, il est juste en ce qu’il exprime mon rêve fou d’un monde réconcilié avec lui-même, laissant à chacun l’espace et le temps nécessaires pour mener une existence digne d’être vécue. Je n’y peux rien : je me sens fraternel avec les animaux, tous les animaux de la création. Et les végétaux, pour sûr. En règle générale, on ne tue pas son frère. Sauf si on s’appelle Caïn, mais on voit les conséquences.

Donc, pas un mot, de la part de nos chers politiciens, sur la barbarie totale infligée à ceux qui nous ont pourtant tout donné. Je parle là des seuls animaux domestiqués par notre noble espèce. Nous butons environ 1 milliard et 100 millions d’individus chaque année en France pour permettre à la Sécurité sociale de faire face aux authentiques épidémies de cancers, maladies cardiovasculaires, diabètes dont notre monde ne saurait désormais se passer. Quand je dis qu’on les bute, c’est qu’on les bute jusqu’au fond des chiottes* que sont nos vastes abattoirs. Et avant cela, bien sûr, l’on nie toute forme de personnalité à ces êtres considérés comme des morceaux, des choses, des amas. En les entassant comme des sacs – non, on ferait plus attention -, en les piquant d’antibiotiques et de tant d’autres produits goûteux, en leur enlevant leurs gosses en fonction des calculs commerciaux, etc.

Nous sommes des barbares, mais comme la version officielle est que la France est un pays cultivé, éduqué, démocrate jusqu’à l’os, emplie jusqu’à la gueule de prétentions universelles, il vaut mieux s’abstenir de parler du sort fait aux bêtes. Pourtant ! Depuis leur domestication, aux origines plus mystérieuses qu’il n’y paraît – qu’on se plonge dans les livres de Jacques Cauvin ! -, les animaux d’élevage ont offert aux sociétés humaines leur peau, leurs plumes et sabots, leur chair, leur extraordinaire présence quotidienne, si nécessaire à notre relatif équilibre. Et que dire de leur force de travail ?

Sans la force contrainte de nos esclaves animaux, aucune civilisation n’aurait émergé. Ni l’Égypte des Pharaons qui vénérait, avec plus de sagesse que nous, le taureau Hap. Ni la Grèce antique et son invention de la démocratie. In fine, le glorieux viaduc de Millau – humour – n’aurait pas même vu le jour. Ils nous ont tout donné, et nous ne cessons pourtant de les martyriser. La dette que nous avons accumulée au fil des millénaires ne sera jamais acquittée, mais au moins, on pourrait commencer à faire les comptes.

Il n’y a pas d’avenir humain sans eux. Sans une radicale transformation de notre attitude à leur égard, qui impose de vrais bouleversements de notre psyché. Ce qui signifie, car il me reste un soupçon de lucidité, qu’un long chemin improbable attend les défenseurs de la vie sur terre pour tous. Il va de soi que le petit espace qu’une main invisible nous a octroyé doit être partagé. Il va de soi que les hommes doivent accepter de reculer là où c’est possible, et de faire place à ce qui n’est pas eux. Pensez qu’un pays comme la France, pour cause de déroute de la civilisation paysanne, dispose désormais, pour la première fois depuis des siècles, de millions d’hectares où les humains ne pénètrent plus guère ! Et pensez que quelques braillards, avec des arguments rationnels à la clé, hurlent à l’idée que 150 loups, peut-être 200, sont enfin revenus au pays après en avoir été chassés par le fusil et le poison ! 150, quand il y avait en France, voici deux siècles, plus de 15 000 loups !

Mais je m’égare, puisque de l’animal domestique, sujet du jour, je suis passé sans prévenir au sublime Canis lupus. Revenons à nos moutons. Où plutôt au cochon. Il y a de cela trois ans – je crois -, je suis allé rendre visite à un éleveur de cochons du côté du cirque de Navacelles, entre Hérault et Gard. Je suis arrivé fort tôt le matin, alors que grondait un formidable tonnerre au-dessus de villages déserts. L’éleveur, Éric Simon, menait son vaste troupeau d’une manière prodigieuse, au milieu d’une garrigue géante. Je l’ai suivi quand il donnait à manger à ses animaux, et j’en avais la chair de poule, au milieu des cochons. Car ces derniers vivaient, tout simplement. Les mères se retiraient dans des abris pour mettre au monde leurs enfants. Les jeunes partaient en bande déconner dans les bois voisins. Un gros verrat prenait son bain de boue dans une sorte de piscine à même le sol. Et chacun gambadait dans le sens qui convenait à son humeur du jour, jusqu’au bout de l’horizon. Je ne suis pas près d’oublier la beauté de ce monde naissant, entre orage et soleil levant.

* Tout le monde ne connaît pas nécessairement l’anecdote : au cours d’une conférence de presse tenue en 1999, Vladimir Poutine avait déclaré qu’il fallait « buter les Tchétchènes jusque dans les chiottes ».

PS : en complément, je vous suggère de réfléchir à certaines grandes figures inventées par nous pour désigner au fond une seule et même horreur. Nous feignons tous de croire qu’il est sans importance d’attribuer aux animaux nos tares les plus viles. Mais il n’en est évidemment rien. Plutôt que de reconnaître pleinement notre responsabilité, et nos si évidentes limites, nous préférons donc matraquer par les mots ceux qui échappent encore un instant au Grand Massacre. Et cela donne, mais vous complèterez :

La Bête de l’Apocalypse – sept têtes et dix cornes – est le symbole d’un pouvoir exercé par Satan lui-même. Bienvenue en enfer.

La Malbête, qu’on retrouve dans tant de témoignages fiables – ou beaucoup moins – est non seulement le loup sauvage, mais aussi, et finalement, tout ce qu’on redoute affreusement sans nécessairement le voir. Par certains côtés, un synonyme de l’angoisse.

La Bête humaine, formidable roman de Zola, où le mécanicien finit par ne plus faire qu’un avec sa locomotive, sur la ligne Paris-Le Havre. Cette Bête-là est bien proche de l’idée de « progrès » industriel.

La phrase de Brecht : « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde ». La bête, pour cet écrivain qui finit sa vie en triste stalinien, c’est le fascisme allemand, le nazisme. Mais le fascisme n’est pas une bête. C’est un homme.

Une signature vaut mieux que rien (Michelin en Inde)

ATTENTION, LES SIGNATURES DOIVENT ÊTRE ENVOYÉES ici

Je vous prie tous, amis lecteurs, de relayer la pétition ci-dessous, que j’ai signée bien entendu. J’ai pu d’ailleurs écrire un article sur le sujet, qui me tient au cœur. Il ne s’agit plus du lointain et méchant Monsanto. Il s’agit de Michelin. Il s’agit bien de nous. Prenez le temps de lire. Prenez le temps de signer, et de diffuser. Merci.

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Bonjour à toutes et tous,
Toute une région du Tamil Nadu est actuellement mobilisée contre l’implantation d’une usine Michelin, ruinant la survie de milliers de villageois. Toute la population, hommes et femmes, s’est mobilisée. Il y a eu plusieurs grèves de la faim. Des militants ont été mis en prison. Nous vous demandons de diffuser largement cet appel à signatures et de nous adresser votre signature ici.

En soutien aux initiatives citoyennes indiennes, nous lançons un appel à tous ceux et celles qui refusent la loi du plus fort

                                     Michelin ne doit pas construire cette usine en Inde !

Le mouvement social ne peut plus se contenter de dénoncer abstraitement la délocalisation de l’économie. Non seulement cette dernière ruine l’emploi chez nous, mais elle détruit souvent à la racine les conditions de vie des plus pauvres au Sud. En Inde, un conflit terrible oppose un village d’Intouchables – les plus méprisés de ce pays de castes – et Michelin, notre grande transnationale du pneu.

Thervoy Kandigai est un bourg du Tamil Nadu, État du sud de l’Inde. Il compte environ 1500 familles, qui vivent depuis toujours des pâturages et forêts proches de Thervoy. Tel est leur territoire, que Michelin s’apprête à détruire pour l’éternité avec cette usine. Non seulement la forêt, espace indispensable à la survie de cette population sans terre, est confisquée mais elle a déjà commencé à être détruite, risquant par la même de tarir les lacs approvisionnant les villages locaux en eau. Notre transnationale a en effet réussi à convaincre les autorités fédérales, et entend bâtir une usine ultramoderne de pneus en lieu et place de la forêt des Intouchables. L’espace est déjà clôturé, des bâtiments déjà en construction, le centre de formation déjà ouvert.

Les villageois se battent seuls depuis deux ans, multiplient les actions, grèves de la faim. En retour, ils subissent la répression : coups, présence policière, emprisonnement, certains depuis février 2011. Ils viennent d’élire un Panchayat – sorte de maire – ouvertement opposé à l’installation de Michelin. Et ils appellent à l’aide internationale. La France est en première ligne, et les signataires de cette pétition demandent, comme les habitants de Thervoy Kandigai l’annulation du projet. Michelin India proclame sur son site internet : « Une des valeurs essentielles de Michelin, c’est le respect des personnes ». Le moment est venu de prouver que ces paroles ne sont pas que de la propagande commerciale. Ne touchez pas à la forêt des Intouchables de Thervoy Kandigai !

Les  soussignés exigent :
L’annulation de ce projet de construction d’une usine Michelin à Thervoy Kandigai
la restitution des terres aux villageois
l’indemnisation des villageois pour les terres détruites
la libération des 8 emprisonnés, l’amnistie pour les 61 en attente de jugement et l’arrêt de toute violence contre la population !

Premiers signataires

Thébaud-Mony Annie, sociologue, présidente de l’association Henri Pézerat, santé – travail – environnement, Fontenay-sous-bois

Nicolino Fabrice, journaliste, association Henri Pézerat, Fontenay-sous-bois

Roudaire Josette, présidente du Comité Amiante Prévenir et Réparer, Auvergne, association Henri Pézerat

Roca François, CGT Michelin, Clermont Ferrand

Souzon Thierry, CGT Michelin

Chevalier Michel, CGT Michelin

Gascuel Jean-Sébastien, hebdomadaire Paysan d’Auvergne

Serezat Jean-Pierre, Université populaire, Clermont Ferrand

Panthou Eric, Historien,Syndicaliste FSU, Clermont-Ferrand
Quinson Laurent, Bibliothécaire, Syndicaliste FSU, Lyon

Védrine Corine, ethnologue, Saint-Etienne