Archives de catégorie : Beauté

Sous nos applaudissements (Jouanno et l’ours)

Je n’étais pas là. Physiquement, j’étais ailleurs tous ces derniers jours, et donc silencieux. Je rentre et découvre l’hallucinant propos tenu par Chantal Jouanno à propos de l’ours des Pyrénées. Vous le savez sans doute, la secrétaire d’État à l’Écologie a voulu faire plaisir aux braillards, aux Pyrénéens « de souche », dont nombre sont là depuis trente ans seulement, mais qui se croient pourtant les proprios de la grande montagne. Pauvres imbéciles. Je ne trouve pas d’autre mot dans mon vocabulaire. Imbéciles. Tartarins. Éternels personnages de la Comédie humaine, qui jamais ne mourront, je le sais bien.

Ils se sentent donc les maîtres, et sont venus à Toulouse à 200, pour impressionner la sous-ministre. 200 ! 200 ! Mais seraient-ils venus à cinq qu’ils auraient de toute façon obtenu satisfaction, car la messe était dite avant que de commencer. Fini de faire joujou. Fini les risettes aux écolos. Fini les trucages et manipulations du Grenelle de l’Environnement. L’heure est aux présidentielles de 2012, et aux câlins destinés au noyau dur de l’électorat espéré par Sarkozy. J’ai dit du bien de Chantal Jouanno une fois sur Planète sans visa, et je le regrette, car elle n’est bel et bien qu’une (minuscule) politicienne, aux ordres de son maître.

D’un côté – bien obligé, la biologie est une science -, elle a reconnu à Toulouse qu’une population d’ours n’est pas viable sur le plan génétique au-dessous de  50. Les Pyrénées en comptent autour de 20. Il en manque donc au moins trente. Mais, mais la dame a pourtant refusé le principe d’un renforcement avec des ours venus de Slovénie, comme cela a été fait depuis 1996. Soyons juste : une ourse unique devrait être réintroduite l’an prochain. C’est ridicule, inepte, c’est la preuve irréfutable que ces gens-là ne feront rien, et c’est la certitude qu’au mieux, quelques ours végéteront dans cette terre admirable – la montagne pyrénéenne – dont ils furent les maîtres authentiques pendant des centaines de générations.

Deux choses encore. J’ai la nausée. Au fond, rien d’autre. La petitesse de cette politique me donne le cafard. Puis, l’attitude des associations de protection des ours me navre. Je n’en dirai pas plus. Mais je n’en pense pas moins. L’infernale logique du « Grenelle de l’Environnement » pousse des gens que j’estime pourtant à se taire, ou à produire des communiqués tout empruntés, dérisoires, lamentables. La cause de l’ours mérite des cris, des actes, de l’audace. J’ose le dire : une mystique. Je ne vois rien venir.

Sur le front pyrénéen (où en sont les ours ?)

Cela continue d’être l’été, et je serai bref, ce qui changera. Le 26 juillet prochain, Chantal Jouanno, secrétaire d’État à l’écologie, sera à Toulouse. Elle devrait y présenter des mesures en faveur de l’ours dans les Pyrénées. Je rappelle en courant que cet animal vit dans la chaîne depuis plus longtemps que l’homme lui-même. De cette formidable présence, il ne reste plus, je crois bien, que deux ours « autochtones » dans le Béarn. Point barre. La sous-espèce qui faisait des Pyrénées un lieu à part est donc morte, tuée par des armées inépuisables de barbares.

Mais des lâchers d’ours capturés en Slovénie, qui ont commencé en 1996, ont permis la reconstitution d’un noyau significatif dans les Pyrénées centrales. Malgré les animaux tués comme à la foire, il y a eu des naissances, et au total, il y a peut-être une trentaine d’ours vivant le long de cette immense étendue entre Méditerranée et Atlantique. Seulement, il est certain que cette population n’est pas viable sans renforcement. Si rien n’est fait, concrètement, ces animaux exilés sont condamnés, à terme, au même sort que leurs cousins béarnais. On comprend donc l’importance de la visite de Jouanno à Toulouse.

Pour résumer, il y a ceux dont la haine de l’animal est telle qu’ils en deviendraient risibles. D’ailleurs, à respectable distance, ils le sont. J’ai déjà évoqué ici la figure renversante d’un homme dont je ne veux même plus écrire le nom (lire ici). Ses amis préparent, pour madame Jouanno, une réception houleuse, car ils craignent une annonce favorable à l’ours (lire ici). De son côté, l’association écologiste Ferus note, dans un communiqué à l’adresse de la secrétaire d’État : « Toute annonce de principe sans échéance concrète pour 2011 serait considérée par nos associations comme un renoncement de votre part et nous n’aurons alors d’autre choix que de relancer les actions citoyennes et juridiques, notamment auprès du Parlement et de la Commission européenne. C’est parce que nous refusons ce scénario catastrophe que nous vous demandons une nouvelle fois, et solennellement, d’annoncer lundi 26 juillet à Toulouse non seulement le principe, mais aussi la mise en œuvre concrète du nouveau plan de restauration de la population d’ours dans les Pyrénées, incluant des lâchers dès le printemps 2011 ».

Qu’ajouter ? Il est des situations où, malgré qu’on en ait, l’affrontement est frontal. Où l’on ne peut tergiverser. Où il faut faire face. Où reculer ne fait que rendre plus agressif l’ennemi de la nature. Où il faut savoir se lever sur les pattes arrière, comme sait d’ailleurs le faire l’ours. L’ours, notre véritable humanité.

PS 1 : Je vous renvoie à un autre texte écrit l’an passé : lire ici.

PS2 : Un salut à François Arcangeli, Alain Reynes et Sandrine Andrieux Rolland, sans qui l’ours serait déjà un lointain souvenir.

PS 3 : Un autre salut à Yves Salingue, pour lui dire que nous irons ensemble là où il sait. Et en espérant qu’il continue à trouver des traces.

Sauver la forêt russe de Khimki (contre Vinci)

(Je me rends compte, après avoir tout écrit, que le plus important est vers la fin. Soit le rôle du groupe de BTP français Vinci, et la pétition lancée par un groupe russe. J’aurais dû commencer par là, mais c’est trop tard.)

Le provincialisme franchouillard finira bien par nous perdre, ce n’est qu’une question de temps. Que foutent donc les structures officielles de l’écologie, ces grands acteurs lyriques du « Grenelle de l’Environnement », où l’on aura tant ri avant de tant pleurer ? Oui, que font-ils ? Une dernière coupe de champagne en compagnie de Borloo, pour la route ?

En ce moment, une bataille est en cours (merci à miss Gimmick pour l’info) à Moscou pour la sauvegarde de la forêt de Khimki, jusqu’ici protégée. Je vous résume l’affaire, et vous renvoie à une dépêche en français plus complète (ici). Les bureaucrates qui mènent le bal dans toute la Russie, dont la plupart sont des anciens du système policier, ont décidé en 2004 la construction d’une autoroute reliant Moscou à Saint-Pétersbourg (650 km). Banal ? Banal. Ce qui l’est moins, c’est l’extraordinaire déploiement de moyens illégaux pour parvenir au résultat escompté.

L’autoroute est dans son principe une abjection, où qu’elle se situe. Elle coupe à jamais des territoires, interdit quoi qu’on dise l’essentiel des passages d’animaux ainsi que le plus lent mouvement des plantes, elle transforme la nature vivante en une dépendance de cet objet criminel qu’est la voiture individuelle. Soit. Mais autour de Moscou, on en rajoute. Le projet d’autoroute, concocté comme il se doit dans le secret des bureaux moscovites, mobilise les brutes et les anciens kaguébistes. En novembre 2008, le journaliste Mikhaïl Beketov, qui travaille pour Khimkinskaïa Pravda, a été passé à tabac avec une telle violence qu’on a dû l’amputer d’une jambe. Il reste, on le comprend, très affaibli. Et bien entendu, il avait publié des révélations sur le dossier de l’autoroute, la corruption généralisée qu’il a généré, les violations de la loi sur lequel il repose.

En deux mots, les promoteurs de cette autoroute maudite ont fait subir au tracé un changement brutal vers le nord-ouest de Moscou, en direction de l’aéroport Cheremetievo. En effet, les voleurs au pouvoir, lorsqu’ils rentrent de virées à Nice ou en Suisse, le nez encore poudré de coke, ne veulent pas perdre de temps dans d’insupportables embouteillages. Et comme il semble qu’il n’y ait pas assez d’hélicoptères pour tous, il fallait bien une autoroute en plus pour « décongestionner » le ballet des Mercedes, non ?

Si. Mais le changement de tracé implique de couper en deux une forêt protégée par la loi, Khimki. Mais quelle loi ?  Cette forêt est l’une des dernières forêts « anciennes » de la région de Moscou. Pleine de vieux chênes, de cerfs et de sangliers, pleine de cette beauté si absurde qui ne rapporte rien à personne. Tout est donc truandé de la première à la dernière ligne du projet, faute de quoi il n’aurait pas pu passer la rampe. Ce que les pontes n’avaient pu prévoir, c’est la révolte populaire bien réelle qui agite une partie de Moscou. La forêt est personnage vivant du pays russe, et l’hymne actuel du pays contient d’ailleurs ces quelques mots sans ambiguïté : ?? ????? ????? ?? ????????? ????/??????????? ???? ???? ? ????. Ce qui veut dire, du moins je l’espère : Des mers du sud au cercle polaire/S’épanouissent nos forêts et nos champs.

On ne plaisante pas avec le sacré. Ou l’on plaisante moins. Une association a vu le jour, dont la présidente, Evguenia Tchirikova, elle aussi agressée, mène le combat de David contre Goliath le corrompu. Avec au programme des manifs, des appels, des lettres, etc. L’une des dernières initiatives concerne le fleuron du BTP français Vinci, dont une filiale a obtenu des chantiers de construction de l’autoroute. Vinci est cette taule d’où a été chassé Antoine Zacharias, son patron, en 2006. Un licenciement réellement sauvage, puisque Zacharias est parti avec 12,8 millions d’euros d’indemnité, une retraite complémentaire annuelle de 2,1 millions d’euros et un joli lot de stock-options.

Ces gens-là sont-ils, finalement, si gentils ? Le Mouvement pour la défense de la forêt de Khimki a écrit au PDG actuel de Vinci, Xavier Huillard, pour lui demander de renoncer aux travaux. Vinci aurait commencé à abattre des arbres sans autorisation. Et puis quoi, encore ? L’association d’Evguenia Tchirikova décrit avec précision le processus même de la corruption, qui impliquerait le ministre des Transports. Le vertueux groupe Vinci a de son côté répondu : « Le tracé a été décidé et reste du ressort des autorités russes et à ce stade Vinci n’intervient pas sur le chantier ». Non, Vinci n’intervient que pour couper les arbres, et détruire le monde.

Je viens pour ma part de signer une pétition (c’est ici). Je n’ai pas la naïveté de croire que cela empêchera de dormir les salopards de Moscou. Mais ça soulage une courte seconde. J’en suis là. Et nos franchouillards de service, qu’attendent-ils pour bloquer le siège français de Vinci ?

PS : J’ai assez souvent critiqué Dominique Voynet, maire de Montreuil, pour reconnaître quand il est nécessaire ses mérites. À ma connaissance, elle est la seule en France à avoir envoyé une lettre au patron de Vinci à propos de la forêt de Khimki.

La révolte des chapeaux de paille

Je continue à penser à Haïti. J’y pensais avant le tremblement de terre qui a tué 250 000 personnes et chassé de chez eux 1,3 million de personnes au moins ( lire ici). J’y pense encore, tentant de superposer ce que j’ai vu par là-bas il y a trente ans, et ce qui peut bien rester en place. Dans un temps lointain, j’ai vécu dans une ville ravagée par un séisme comparable, sept ans avant que je ne m’y installe. Rien n’avait été rebâti sérieusement. Je marchais dans des ruines entassées proprement au ras des trottoirs. Oui, il y avait des trottoirs, traversant cette ville fantôme surchargée de gravats et de plantes tropicales. Mon Dieu ! c’était étrange.

Un jour, passant non loin d’un des rarissimes bâtiments anciens encore sur pied, j’ai entendu des cris d’enfants et des rires puissants qui m’ont transpercé. On eût dit une nouvelle fantastique de Gabriel José de la Concordia García Márquez, avant que sa sénilité ne le transforme en valet au petit pied du dictateur cubain. Des cris d’enfants, au milieu des ruines et de la fin du monde. Il y avait là une façade intacte, dont les ouvertures ouvraient sur le ciel et sur le vide. Rien qu’une façade de pierre,  roide, impeccable, sans la moindre profondeur de champ. J’ai passé ce qui avait été la porte, et je n’en ai pas cru mes yeux. Dedans, au dedans de cette maison jadis opulente, demeurait une piscine de belle taille, où les riches du pays, probablement des fils de pute amis du caudillo local, devaient jadis s’ébrouer, un drink à la main.

Mais les riches étaient depuis longtemps réfugiés à Miami, et la piscine puait l’eau croupie des tropiques. Elle était pleine d’eau, d’une eau verte et fétide, d’une eau morte et gluante, d’une eau d’émeraude maladive. Mais pleine de gosses, également, qui n’avaient jamais entendu parler de tétanos, de poliomyélite, de bactéries tueuses. Ils étaient une quarantaine, nageant, sautant depuis des plongeoirs rouillés, s’aspergeant, se hurlant dessus, riant jusqu’à tomber à la renverse. J’ai aimé ce pays et ses habitants, Dieu m’en est le témoin. Et si Lui ne s’en souvient pas, moi si.

Haïti est un autre pays, car dans celui que j’évoquais, on parlait une langue castillane que je trouvais étouffée, retenue, aspirée. Je me souviens qu’un chauffeur de taxi – mais a-t-on le droit de parler de chauffeur, et de taxi pour désigner ce qu’était ce transport-là à ce moment-là ? – m’avait demandé, un de mes premiers jours sur place après certains événements majeurs, si je n’étais pas Chilien. Et je n’étais pas Chilien, non, bien que j’eusse alors aimé en être un. Haïti. J’ai pensé, je pense à une manifestation inouïe du Mouvman Peyizan Papay (MPP), qui s’est déroulée ces derniers jours dans la petite ville de Hinche.

Ces hommes et femmes parmi les plus pauvres de la planète ont envoyé au diable un « don » de 475 tonnes de semences hybrides « offertes » par Monsanto. Ils disent qu’il s’agit de semences OGM, destinées en fait à conquérir le marché haïtien, car il n’y a pas de petit profit pour un immense salopard comme Monsanto. Lequel salopard nie, et parle de calomnie. Je vous le dis, je vous assure que je m’en fous royalement. Car je pense à cette foule de milliers de paysans à chapeau de paille et chemise rouge qui ont osé dire merde à l’Empire et à tous ses séides. Voulez-vous savoir ? Je les admire du plus profond de mon âme.

Marius Vazeilles, grand homme barbu

J’ai retrouvé tout à l’heure un texte qu’un homme vivant sur le plateau de Millevaches m’avait demandé, dans le cadre d’un hommage à Marius Vazeilles. Vous jugerez. Il s’agit d’un court souvenir. Vazeilles, né en 1881, avait donc 87 ans l’année où je l’ai rencontré. Il m’a marqué, c’est le moins que je puisse écrire. Forestier de génie – certes, d’une autre époque -, il a conduit une partie du reboisement de ce plateau corrézien qui n’évoque pas 1 000 bovins, mais autre chose. Quoi ? Le géographe Onésime Reclus, frère de mon anarchiste adoré Élisée, penchait pour un calembour antique involontaire, appuyé sur un jeu de syllabes néo-latines. Plus vraisemblablement, Millevaches désigne une montagne désolée. Vazeilles était aussi un archéologue prodigieux, bien qu’amateur. Par lui, grâce à ses gestes inlassables de laboureur du passé, la région de Meymac a retrouvé son histoire romaine, et mérovingienne. Moi qui vous écris en ce moment, j’ai tenu en main – sous sa scrupuleuse vigilance – les restes d’une épée du temps des centurions et de Rome l’impériale.

Ce n’est déjà pas mal. Mais Vazeilles était en outre un combattant social d’avant le grand désastre stalinien. Entre 1924 et 1928, lors que le parti communiste n’était pas encore couché devant les assassins, il fut un cadre important de ce mouvement. En 1936 encore, il était député communiste de Corrèze. Mais l’accord conclu en 1939 entre les deux grandes canailles du siècle passé – Staline et Hitler -, connu sous le nom de pacte germano-soviétique, le força à rompre. C’était une question d’honneur, voyez-vous ?

Bien que dégoûté par ce pacte immonde, Marius fut arrêté comme communiste, puis assigné à résidence par la droite – déjà – au pouvoir. Pendant la guerre, on le sait, ou plutôt, on ne le sait, les crapules staliniennes laissèrent tomber les héros éternels de la MOI, ceux de l’Affiche rouge, ceux du groupe Manouchian, ces jeunes étrangers qui tiraient à bout portant sur la soldatesque. Et comme ils ne pouvaient pardonner à ceux qui avaient remis en cause le dogme de l’infaillibilité de Staline, ils chassèrent Vazeilles de son parti, ignominieusement, en décembre 1944. Jeunes, cela ne vous dit rien du tout. Vieux, cela ne vous dit probablement pas davantage. Mais l’histoire est l’histoire. Thorez pouvait bien être ce froussard planqué en Russie pendant toute la guerre. Duclos pouvait bien être l’homme des basses besognes policières, dans l’Espagne républicaine de 1936 à 1939. Les dirigeants de l’après-guerre, c’était eux. Pas Marius.

Tout cela, bien entendu, je l’ignorais, ce jour de gloire de l’été 1968 où je croisai par miracle la route de Marius Vazeilles. L’aurais-je su que je lui aurais dit quelque chose. Car j’avais beau n’avoir pas encore 13 ans, je savais déjà de menues bricoles sur l’infamie des staliniens. Bon, assez causé. Voici le petit texte que j’ai écrit il y a une poignée d’années en souvenir de Marius Vazeilles, le grand homme barbu de mon enfance.

Un matin du tout début juillet 1968, j’ai pris le train gare d’Austerlitz, et je n’étais pas seul. Nous étions toute une bande de jeunes échappés des banlieues, sous la garde de moniteurs désemparés par nos cris de hyènes et nos sauts de puces. J’avais un peu plus de douze ans, et j’allais rejoindre un camp de vacances de la Caisse d’allocations familiales (CAF) d’Ile-de-France, installé à Meymac (Corrèze). Tous les cas sociaux de la région parisienne étaient représentés. Il y avait parmi nous des orphelins, des excités qui jouaient du couteau jusque dans le couloir du train, des gentils, des abrutis, pas mal de paumés qui appelaient leur mère. Laquelle ne répondait pas, comme on s’en doute.

À Limoges, nous prîmes un car, qui nous mena au terminus. En bas d’une colline se tenaient les bâtiments en dur, dont la cantine. Et sur les pentes était dressé un village de tentes où nous dormions, huit par huit. Je me souviens très bien des chasses au lézard et à la vipère : je participais volontiers aux premières, mais surtout pas aux secondes, qui me flanquaient la trouille. Un gars de plus de treize ans avait trouvé une combine avec un pharmacien de Meymac, qui lui achetait je crois le venin des serpents. Le gosse en profitait, il était riche.

Pour ma part, j’étais triste, pour des raisons que je ne peux pas détailler ici. Mais triste. Sauf ce jour dingue où nous allâmes visiter le musée d’un certain Marius Vazeilles, dont je n’avais bien sûr jamais entendu parler. J’en ai gardé le souvenir que voici : des grandes salles, une lumière brune sur des vitrines où dormaient des épées romaines tombant en miettes. Peut-être ai-je rêvé. Je revois pourtant quantité de restes d’armées défuntes, ainsi que des morceaux de poteries, les traces d’un monde disparu.

Et c’est alors que l’enchantement fut complet. Car je rencontrais ce même jour le créateur du musée, Marius Vazeilles soi-même, et je compris pour la première fois de ma vie, je veux dire concrètement, les liens qui unissent les hommes par-delà le temps. Vazeilles en personne, et nul autre, avait fouillé la terre avant d’en exhumer les trésors. Ici, alentour, dans les environs de Meymac, où je posais le pied, d’autres humains avaient vécu jadis. On peut, on doit même appeler cela une révélation. Mais j’ai également le souvenir physique de Marius. C’était, pour le gosse que j’étais en tout cas, un géant de légende, venu tout droit de l’Iliade et de l’Odyssée.

Il me semble qu’il portait un béret, ou une casquette. À coup sûr, il avait une barbe fournie, jupitérienne. Et il parlait, figurez-vous, en français que je comprenais ! J’ai su ce même jour qu’il avait dirigé le reboisement du plateau de Millevaches. Mais je dois avouer que je n’ai pas compris l’ampleur de l’entreprise. Le plateau, pour moi, c’était une clairière dans laquelle j’allais me gorger de myrtilles, et dans mon souvenir toujours, ce plateau est pentu, il n’est nullement plat. Quelqu’un peut-il m’expliquer ?

Pour clore cette journée folle, nous nous sommes retrouvés chez Marius, dans le parc qui entourait sa vaste maison. Où ? Je ne sais. Mais j’en fus marqué à tout jamais. Car le grand forestier avait planté là, côte à côte, des conifères venus du monde entier. Des lointaines Amériques, d’Asie centrale, du Chili, de Russie, de l’Atlas peut-être. Je venais de la banlieue parisienne, je n’avais rien vu de rien, j’étais d’une ignorance totale, et Marius m’offrait le monde et ses splendeurs, d’un seul coup d’oeil. Je me souviens des différences de taille entre ces arbres, de leurs couleurs si variées, de leur invraisemblable solidité. Et Marius parlait, parlait, parlait. J’ai sa voix dans mon oreille au moment où j’écris ces lignes. Il savait parler aux enfants. Il était grand.