Archives de catégorie : Beauté

Bons baisers du Fangu (un souvenir)

Un matin doux de mai 1996, très tôt, j’ai fait ce qu’il me plaisait, et je me suis baigné sur la plage de Ricciniccia. C’est très simple, il suffit d’aller à Galeria, sur la côte Ouest de la Corse, au bout de la vallée du Fangu. La plage était à moi seul, je crois même que j’étais nu. J’en suis sûr.

C’est une plage dure au pied, pleine de galets qui jouent du rose au gris. Derrière – ou devant, selon -, il y avait les sommets enneigés de Capu Tafunatu, Punta Minuta et Paglia Orba, dans le Niolu. La Corse, quoi. La montagne et la mer, comme disent les magazines. L’éternité géologique. Et le paradis.

Il faut oser se souvenir de ce que fut la Méditerranée d’avant l’invention du désastre. De cette Méditerranée qui n’avait pas encore décidé de tuer le thon rouge et la civilisation née de leur sillage (ici). Car il y a eu une civilisation du thon, étirée sur des milliers d’années, tout le long des rivages de Mare Nostrum. Encore faut-il ajouter un mot sur les requins habitant cette mer (presque) fermée depuis des millions d’années. Au cours des deux siècles passés, 97 % des effectifs des 47 espèces de jadis ont disparu, simplement si j’ose dire. Les chercheurs qui viennent d’établir ce catalogue des horreurs (ici) jugent « écologiquement éteintes » la plupart des espèces de requins de notre mer à nous. 42 sur 47 exactement.

J ‘ai pourtant vu un pêcheur, près de la tour de Galeria, là où les eaux du Fangu se mêlent à celles de la mer. Il devait être sept heures ce matin-là, et j’ai vu comme je ne vous vois pas un balbuzard pêcheur. Est-il du côté des faucons ? De celui des éperviers et des aigles ? En réalité, il est unique, seul à représenter la famille des Pandionidés. Blanc au-dessous, sur le front, sur le cou, il est brun foncé au-dessus de ses ailes. Il ne pense jamais qu’au poisson, son obsession.

Ce matin-là, auprès de la tour de surveillance héritée je crois de la présence génoise, il semblait traîner. Dans les airs. Nonchalant. Jusqu’à l’instant où, ayant aperçu une proie sous l’eau, il a plongé les pattes en avant. Il ne pêche pas d’hier, j’en jurerais. Car il dispose d’un doigt réversible et d’écailles sur la plante de ses pattes qui lui permettent de saisir le vif-argent du poisson qui lui fait envie. Mais pour cela, il faut parfois descendre profond, sans se noyer bêtement. Je vous le dis en confidence, quand il met la tête sous l’eau, un mécanisme se déclenche, qui lui ferme automatiquement les narines.

Ce matin-là, donc, je l’ai vu plonger les serres en avant, et il est sorti de l’eau avec un copieux poisson, la tête placée face au vent. Sans doute un mulet, mais je ne peux le jurer. Il y avait donc encore au moins un poisson dans la Méditerranée, et je suis bien certain que le balbuzard le méritait, contrairement à nous, qui épuisons les mers pour le bonheur de les trouver vides.

Ce n’est pas tout. Dans les mêmes jours, j’ai parcouru un bois d’aulnes touffus et trempé, non loin du delta du Fangu, et j’y ai vu une couleuvre à collier corse, Natrix natrix corsa, et quelques uns de ses amis – et surtout proies – du coin : des grenouilles, des crapauds, des tritons. Cela sentait les tropiques, le monde se décomposait en silence, je m’entortillais de clématites, de vigne sauvage et de houblons. Un moment, j’ai vu, comme dans un conte de Tolkien, des osmondes royales. Une fougère qui elle aussi à tendance à nous abandonner.

Encore deux mots. Si vous passez dans les environs, remontez le cours de la rivière, ce Fangu qui dit-on mène à la Corse. Je m’y suis baigné, bien entendu, découvrant au fond de son lit une multitude de pierres rondes, et noires, et rouges, et vertes, et violettes. C’est une affaire de temps. Un volcan, voici 260 millions d’années, lorsque nous ne pensions pas encore tout saccager, a craché de la lave alentour. Et changé le cours des événements en dispersant des billes de toutes les couleurs, que le Fangu continue de mener à la mer.

Le lendemain ou le surlendemain, ou la veille, vers cinq heures du matin – il était tôt, le jour hésitait -, j’ai percuté une vache qui divaguait sur la route. Avec une voiture, oui, et j’en suis toujours désolé. Mais la vache n’est pas morte, puisque je ne l’ai jamais revue. Et moi non plus, semble-t-il. Simplement, j’ai été remis à ma place, et j’ai basculé dans la pente, heurtant le tronc d’un chêne vert.

Galeria en a vu d’autres. Et moi de même. Le lendemain – là, je suis sûr -, je me suis perdu autour de Punta Muvrareccia, dans le maquis. Dans les pétales en crépon mauve des cistes de Crète. Dans les arbousiers et les filaires. Bientôt, la pluie est venue, une pluie dense qui changeait les arbousiers et leurs branches hautes en douches universelles. Oh ! je me suis bel et bien perdu pendant trois heures, contraint à tailler ma route au milieu des tiges et des racines, trempé comme je l’ai rarement été.

Je ne regrette pas, cela va sans dire. Tout me semblait unique, et tout l’était pour de vrai. Pendant un court moment de répit du ciel, je suis monté sur une fourche et j’ai vu apparaître la baie de Focolara, sur ma gauche. Rien n’avait changé, rien ne changerait jamais. Les Phéniciens n’étaient peut-être pas encore arrivés.

PS : Grâce à Frédéric (voir les commentaires), j’ai retrouvé le Nord, ou presque. Qu’il en soit remercié.

Gloire éternelle à Jiang Rong

Un livre. Je ne l’ai pas fini, mais je n’y tiens plus, il faut que je vous en parle. Je suis loin de l’avoir terminé, par bonheur : me voilà rendu à la page 208. Sur 565. Mais je sais depuis le début qu’il s’agit d’un grand bouquin qui restera présent en moi, quoi qu’il arrive désormais.

Le totem du loup (Bourin éditeur) a été écrit par Jiang Rong, un Chinois né dans une famille de militaires en 1946. En 1967, la Révolution culturelle met tout le pays sens dessus dessous. Des millions de jeunes urbains, souvent intellectuels, partent de gré ou de force dans les campagnes les plus lointaines, pour y être « rééduqués ». Jiang Rong est apparemment volontaire pour aller vivre en Mongolie dite intérieure, séparée de l’autre Mongolie – une République indépendante proche de l’URSS – par une invisible frontière qui coupe la steppe en deux.

Jiang Rong y restera finalement onze ans avant de revenir en ville, où il est aujourd’hui enseignant. Ce grand voyage dans l’intérieur de son pays et de lui-même n’aura pas été inutile, car il vient donc de publier un livre merveilleux, dans lequel le héros humain – Chen Zhen -, lui ressemble comme un frère.

Chen apprend la vie de berger au milieu d’un campement mongol, sous la yourte. Lui, le Han, lui le fils des grands peureux abrités durant des siècles derrière la Grande Muraille, se prend d’une passion totale pour l’univers des Mongols. Ce peuple du cheval, ce peuple nomade, minuscule au regard de la puissance chinoise, a toujours inquiété ses voisins, cent fois plus nombreux, mais mille fois moins aventureux.

D’où vient la force étonnante des cavaliers ? Je ne peux trahir le livre, ce serait un crime. Disons que le loup devient peu à peu le personnage central. Pour ce qui me concerne, je n’avais jamais lu encore de telles descriptions de chasses. Menées par le loup. Ou dirigées contre lui, le plus souvent. Ce n’est pas beau, c’est somptueux.

Chez Rong, les loups sont des stratèges, souvent beaucoup plus intelligents que les hommes. Ils sont l’esprit vivant de la steppe, qu’il convient de respecter avant toute chose. C’est du moins le sentiment du vieux Bilig, désespéré par le comportement insensé des autorités maoïstes, qui ne pensent qu’à exterminer les animaux sauvages. Chen Zhen/Jiang Rong va-t-il écouter le sage mongol, ou au contraire jouer le rôle que les Chinois attendent de lui ?

Au stade où j’en suis, je n’en sais rien. Mais certaines scènes sont gravées. Un tout petit extrait, pour vous donner une idée: « La rage des loups était effrayante. Bat en était frappé de stupeur. Il avait les mains et les pieds glacés d’effroi, et ses vêtements trempés de sueur ne tardèrent pas à raidir sous le vent glacial. Conscient que tout était irrévocablement perdu, il voulait pourtant sauver quelques chevaux de tête. Il tira sur la bride et, d’un saut, sa monture enjamba les loups qui l’encerclaient. Il fonça sur les quelques chevaux de tête mais, sous l’effet du sauve-qui-peut général, le troupeau s’était dispersé. Les rescapés fuyaient dans le sens du vent, indifférents au marécage qui se rapprochait.

La pente plus raide accéléra la galopade des chevaux, qui déboulèrent avec la force d’une avalanche droit sur l’immense bourbier. Ils foulèrent bientôt de leurs sabots la glace, qui se brisa en mille morceaux. Le marécage ouvrait grande sa gueule pour accueillir ces misérables créatures qui préféraient mourir asphyxiées plutôt que de devenir la proie des loups. Ce suicide collectif, c’était leur dernier acte de résistance, à la fois héroïque et poignant, parce qu’ils étaient des chevaux de la steppe mongole, une race dont l’endurance et la ténacité ne céderaient jamais rien aux loups ».

Bon, il reste une hypothèse, et c’est que vous soyez insensible à ce souffle de glace et de sang. Mais en ce cas, mille excuses : pour ma part, j’y retourne.

PS J’ai oublié un détail qui n’en est pas un pour tout le monde : ce livre vaut cher. 25 euros. D’un côté,  il les vaut largement. Mais de l’autre, ce peut être décourageant. Et j’en serais dans ce cas désolé.

Les droits véritables de l’humanité (Sur Lévi-Strauss)

Dans quelques jours, Claude Lévi-Strauss devrait avoir 100 ans. Pourquoi vous parler aujourd’hui de ce fabuleux vieillard ? C’est simple : au moment où sort chez Gallimard un livre qui rassemble l’essentiel de son oeuvre écrite (dans la collection La Pléiade), je pense à un texte récent de lui, qui m’avait beaucoup marqué au moment de sa publication.

En mai 2005, Lévi-Strauss reçoit un prix prestigieux, Catalunya, décerné par la Generalitat de Catalunya, autrement dit le gouvernement régional de Catalogne, installé à Barcelone. Pour l’occasion, cet homme qui va sur ses 97 ans écrit un texte magnifique (voir ici).

Voici un premier extrait, d’une grande netteté : « Toujours en deçà et au-delà de l’humanisme traditionnel, l’ethnologie le déborde dans tous les sens. Son terrain englobe la totalité de la terre habitée, tandis que sa méthode assemble des procédés qui relèvent de toutes les formes du savoir : sciences humaines et sciences naturelles ».

Et aussitôt un deuxième, plus parlant que bien des bavards de ma connaissance : « La population mondiale comptait à ma naissance un milliard et demi d’habitants. Quand j’entrai dans la vie active vers 1930, ce nombre s’élevait à deux milliards. Il est de six milliards aujourd’hui, et il atteindra neuf milliards dans quelques décennies à croire les prévisions des démographes. Ils nous disent certes que ce dernier chiffre représentera un pic et que la population déclinera ensuite, si rapidement, ajoutent certains, qu’à l’échelle de quelques siècles une menace pèsera sur la survie de notre espèce. De toute façon, elle aura exercé ses ravages sur la diversité, non pas seulement culturelle, mais aussi biologique en faisant disparaître quantité d’espèces animales et végétales ».

Enfin, cette merveille, à mon goût tout du moins : « Aussi la seule chance offerte à l’humanité serait de reconnaître que devenue sa propre victime, cette condition la met sur un pied d’égalité avec toutes les autres formes de vie qu’elle s’est employée et continue de s’employer à détruire.

Mais si l’homme possède d’abord des droits au titre d’être vivant, il en résulte que ces droits, reconnus à l’humanité en tant qu’espèce, rencontrent leurs limites naturelles dans les droits des autres espèces. Les droits de l’humanité cessent au moment où leur exercice met en péril l’existence d’autres espèces ».

Bien entendu, le gras dans le texte ci-dessus est de Lévi-Strauss lui-même. Bien entendu. Je dois dire que j’adhère sans la moindre réserve. Les droits de l’humanité, en effet, doivent cesser dès lors que leur application se retourne contre la vie de tous, hommes compris. J’ajouterai un commentaire : je pense qu’ils doivent être suspendus et subordonnés à la pleine compréhension des devoirs de l’homme, nouvelle frontière de l’esprit. Je suis bien certain, au fond de moi, que nous devons proclamer au plus vite ces derniers comme un impératif catégorique. S’imposant à tous, par définition.

L’heure n’est plus aux faux semblants. Il faut, il faut vraiment repenser le monde, avant – éventuellement – de le transformer. 1789 a été une étape marquante de notre vie ensemble, une date glorieuse, d’un certain point de vue. Mais on ne peut plus prétendre que les droits de l’homme – réduits à ceux de l’individu au service de la marchandise -, demeurent un horizon indépassable. Car ils ne le sont pas.

J’entends déjà certains cris, légitimes. Ne plus respecter les droits de l’homme ? Eh si, justement ! Mais en les intégrant à un point de vue plus vaste, qui leur permette de jouer encore leur rôle. Et ce rôle n’est pas d’étendre la destruction de tout, mais au contraire de permettre à l’aventure humaine de se poursuivre encore longtemps. Pas au détriment de la vie, du vivant, des formes innombrables habitant notre terre. Avec elles au contraire, par elles, pour elles et pour nous. Ce programme s’imposera-t-il ? Je n’en sais rigoureusement rien, mais j’aimerais. Et une respectueuse salutation pour Claude Lévi-Strauss, penseur de l’homme profond et véritable.

P.S on ne peut plus secondaire : Lévi-Strauss est partout célébré, ces jours-ci. Un nombre incalculable d’analphabètes le saluent comme s’il était un monument historique. Ce qu’il est, d’ailleurs. Combien, parmi eux, ont pris le temps de lire ne serait-ce qu’un paragraphe ? Tenez, pour la route, ce grand classique qui ouvre Tristes tropiques : « Je hais les voyages et les explorateurs ».

Faire ce qu’on peut faire (sur ce foutu aéroport)

En décembre dernier, ici, j’ai parlé du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes. Avant de passer la parole à des opposants vivant sur place, et qui ont décidé de résister, je souhaite vous dire mon point de vue d’aujourd’hui. Une bagarre commence, qui peut se révéler très importante. Peut : je ne suis pas devin. Mais il est clair que dans cette histoire s’affronteront deux visions du monde. D’un côté, ceux qui veulent continuer leur fuite en avant, nous traînant de force avec eux. Et de l’autre, les inconscients qui ont décidé de sortir des rangs, et d’emprunter quoi qu’il en coûte un autre chemin. Nous.

Je vous invite à regarder cette affaire avec les yeux du premier jour. Je vous invite à entrer dans la danse au plus vite, de la manière qui vous sera possible. Ce peut être un coup de fil, une visite, la participation aux premiers rendez-vous sur le terrain, le 1er mai, puis le 29 juin. Ce que vous voulez, mais faites-le ! Il faut selon moi transformer ce projet insupportable en un enjeu national et européen. Si nous gagnons, ce sera une date. Et si nous perdons, une autre.

Ultime précision. À ma connaissance, il existe plusieurs structures de résistance, et je vous renvoie à deux sites sur Internet : celui de l’Acipa et celui de Solidarités Écologie. Des associations comme Greenpeace Loire-Atlantique, la LPO, Bretagne Vivante (dont je suis membre), des syndicats comme la Confédération paysanne en sont.

Mais tout cela ne serait rien sans les habitants du lieu, qui se bougent. Et cela change tout. Ils sont décidés, déterminés, ils ont quelque chose à dire. Et nous devons les écouter. Ce qui suit est l’appel qu’ils lanceront le 1er mai, après un rassemblement organisé au lieu-dit Le Limimbout. Appelons cela, entre nous et pour rire, un scoop. Si vous avez le temps, faites partie de la fête. Et sinon, voici une adresse électronique : christiane.andre625@orange.fr. Et un téléphone : le 02 40 57 21 22. Un message de soutien serait déjà un geste. Tous ensemble ! Oui, tous ensemble !

L’aéroport de Nantes, c’est NON

Le monde s’enfonce dans une crise climatique angoissante, mais notre classe politique continue de parler une langue morte. Les gens qui défendent le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes pensent l’avenir avec les mots d’un passé qui ne reviendra pas. Ils sont les héritiers de ceux qui attendaient l’armée allemande derrière la ligne Maginot, et qui se trouvèrent débordés en une nuit de mai 1940 par les blindés du général Guderian. Comme eux, ils se trompent d’époque.

Nous pourrions rire, si ce n’était aussi grave, du discours des promoteurs du nouvel aéroport. Comme la Toinette du Malade imaginaire, qui répond « le poumon » à toutes les questions posées sur la santé d’Argan, ils répètent, hébétés par eux-mêmes : la croissance, la croissance, la croissance.

Ils ne savent pas, parce qu’ils ne le sauront jamais, que notre planète atteint déjà ses limites physiques dans des domaines vitaux. Le transport en fait partie. Dans un monde fini, ceux qui poussent encore à la destruction des espaces et des espèces sont de redoutables aveugles.

La question de l’aéroport n’est pas de droite ou de gauche. Elle est une affaire humaine, et pour cette raison, nous nous en emparons. Ailleurs dans le monde, comme autour de l’aéroport londonien d’Heathrow, les mêmes que nous ont décidé d’agir : nous sommes l’espoir en mouvement, quand ils n’incarnent que le renoncement. Tous : le maire de Nantes Jean-Marc Ayrault comme le Premier ministre actuel François Fillon.

Le pouvoir ne cesse de nous rabâcher que nous vivons bien au-dessus de nos moyens, que nous avons mangé notre pain blanc. Avoir un hôpital de proximité serait devenu un luxe intolérable : on en supprimera donc 250. Redon, Châteaubriant, Ancenis font partie de la liste ; mais un aéroport pour aller rejoindre les plages méditerranéennes, est une inéluctable nécessité, un intérêt public. L’économie marche sur la tête. Il est grand temps que les hommes reprennent en main leur destin.

Nous savons que ce combat, commencé il y a 35 ans, sera encore long et difficile. Et c’est pour cette raison que nous lançons ce 1er mai 2008 un appel à toute la France, à toute l’Europe. Il faut soutenir le mouvement contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes avec toutes les forces disponibles. Et par des moyens rarement utilisés à l’échelle que nous envisageons : l’occupation du territoire, la désobéissance civile, le refus complet et définitif.

Le compromis n’est pas possible, car ce combat qui continue, et qui concerne chacun, est entre une vie possible et un cauchemar certain. Nous vaincrons, non parce que nous sommes les plus forts, mais parce qu’il n’y a pas d’autre solution.

Les habitants qui résistent

Juste un mot (de Rilke) et un autre (de Char)

Il y a un temps long, j’ai écrit un livre, qui a été publié. Une année auparavant, j’avais lu un texte de Rainer Maria Rilke, Les cahiers de Malte Laurids Brigge, mais le cherchant tout à l’heure, je ne l’ai pas retrouvé. Il est là, je le sais, mais il me nargue depuis un arrière-fond de ma bibliothèque, et il a bien raison.

Ayant lu ce roman, j’en avais soutiré une phrase, mise en exergue de mon propre livre publié, car elle m’avait beaucoup frappé. De quoi parle Rilke ? Aïe, je ne m’en souviens pas bien. D’un jeune poète, qui pourrait bien être son double, et qui cherche la vérité dans les rues parisiennes, qui la lui refusent. Il veut écrire, mais quoi, et pour qui ? La mort et l’angoisse rôdent, Malte se pose les questions de tout humain authentique sur l’âme, la solitude, la rencontre.

La phrase que j’ai donc utilisée sans vergogne – mais en citant Rilke, bien entendu -, la voici, récupérée à l’entrée de mon propre ouvrage : « Est-il possible, pense-t-il, qu’on n’ait encore rien vu, rien su, rien dit qui soit réel et important ? Est-il possible qu’on ait eu des millénaires pour regarder, pour réfléchir, pour enregistrer et qu’on ait laissé passer ces millénaires comme une récréation dans une école, pendant laquelle on mange sa tartine et une pomme ? Oui, c’est possible ».

Qu’en pensez-vous ? N’est-ce pas simplement admirable ? N’est-ce pas profond et vrai, n’est-ce pas précisément ce que tout humain conscient du temps que nous vivons pourrait apprendre par coeur ? Répéter à ses proches, à ses amours, à ses ennemis même ? On se doute que Rilke ne pensait pas une seconde à la crise écologique et aux désastres en cours et en vue. Mais comme il était poète, il savait mieux que quiconque. Et il continuera de nous parler jusqu’à la fin, quelle qu’elle soit. Savez-vous ? Je l’aime.

Comme c’est dimanche, et que l’esprit vagabonde un peu plus, je saute, tressaute, et pense d’un coup à René Char. Et à ce texte qui m’accompagne depuis longtemps, lui aussi. Que vous le connaissiez ou non, je vous souhaite d’éprouver à sa lecture les mêmes frissons que moi.

Commune présence

Tu es pressé d’écrire,
Comme si tu étais en retard sur la vie.
S’il en est ainsi fais cortège à tes sources.
Hâte-toi.
Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance.
Effectivement tu es en retard sur la vie,
La vie inexprimable,
La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t’unir,
Celle qui t’es refusée chaque jour par les êtres et par les choses,
Dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés,
Au bout de combats sans merci.
Hors d’elle tout n’est qu’agonie soumise fin grossière.
Si tu rencontres la mort durant ton labeur,
Reçois-là comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride,
En t’inclinant.
Si tu veux rire,
Offre ta soumission,
Jamais tes armes.
Tu as été créé pour des moments peu communs.

Modifie-toi disparais sans regret
Au gré de la rigueur suave.
Quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit
Sans interruption,
Sans égarement.

Essaime la poussière.
Nul ne décèlera votre union.