Archives de catégorie : Biodiversité

Après l’Ours, le Loup, le Lynx, le Vautour, le Cormoran, la Grue

Je sais qu’ils s’en foutent, mais j’en veux à ceux – Bové, une bonne part de la Confédération paysanne, nombre d’altermondialistes, y compris journalistes – de soutenir la chasse au Loup, qui tue désormais chaque semaine et parfois chaque jour des animaux revenus dans ce qui est pourtant leur pays, de toute éternité. Ces ennemis du sauvage, s’alliant comme si de rien n’était avec les gros durs de la FNSEA et les chasseurs extrémistes, ont mis le doigt dans un engrenage qui les mènera fatalement plus loin. J’ai écrit ici quantité de papiers sur le sujet (notamment ici, ici, ici, ici, ici). Sur le Loup, sur l’Ours, sur le Vautour, ce dernier transformé pour les besoins d’une cause indéfendable en prédateur.

Voilà que – Raymond Faure, merci – la haine s’attaque aux grues, ces grâces ailées qui nous font l’immense honneur de nous survoler. Il fallait s’en douter : les grues, y en a marre. Il faut laisser ces braves gens faire pousser leur maïs aux pesticides, et trucider par millions poulets, canards, oies, cochons et bovins. Y en a marre. La FDSEA de la Haute-Marne – structure départementale de la FNSEA – vient d’obtenir de la région, gérée par nos bons socialistes, 100 000 euros pour faire face aux « dégâts » créés par les grues, ces barbares des airs. Un monsieur Jean-Louis Blondel,  président de cette FDSEA, a même déclaré à l’AFP : « Les nuisances sont surtout dues au nombre croissant de grues qui restent pendant l’hiver, et en cas de surpopulation déraisonnable il faudrait réguler cette espèce ». On admirera ici l’usage de l’euphémisme. Flinguer, cela s’appelle désormais, chez les tueurs, réguler.

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La dépêche de l’AFP :

Le lac du Der, havre de paix des oiseaux migrateurs

08 Nov 2014

 

 

 

 

A peine le jour levé qu’une immense clameur signe le réveil des échassiers qui s’élèvent en nuée dans un ciel orangé: à l’automne, des dizaines de milliers de grues cendrées font escale au lac du Der-Chantecoq en Champagne avant leur migration vers l’Espagne.

Plus grand lac artificiel d’Europe, le Der offre depuis sa création en 1974 un havre de paix aux grands oiseaux migrateurs qui se massent sur les îlots et les vasières pour y passer la nuit à l’abri des prédateurs.

Il aura fallu engloutir trois villages et des forêts de chênes pour construire ce réservoir de 4.800 hectares bordé de 77 kilomètres de rives à cheval entre la Marne et la Haute-Marne afin de prévenir et réguler les inondations du bassin parisien. « Un projet gigantesque qui serait probablement largement contesté de nos jours », remarque Aurélien Deschatres le coordinateur national du réseau « Grues France » de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

Selon lui, plus de 200 espèces d’oiseaux dont des animaux rares -pygargues à queues blanches, butors étoilés ou encore hérons pourprés- peuplent le site classé depuis 1986 « zone spéciale de conservation » par le réseau « Natura 2000 ». Mais ce sont surtout les grues cendrées et leurs envols matutinaux majestueux qui ont fait la réputation du lac auprès des amoureux de la nature.

« Les grues qui passent l’été en Europe du Nord se regroupent en Allemagne avant d’entreprendre la traversée vers la péninsule ibérique. Dès la création du lac, elles ont trouvé des conditions d’escales idéales et sont chaque année de plus en plus nombreuses à se poser et même à demeurer pendant les hivers doux », explique M. Deschatres.

Selon les estimations de la LPO, entre 80.000 et 100.000 de ces échassiers, soit près d’un quart de la population européenne, ont été dénombrés aux abords du lac fin octobre et environ 60.000 séjournaient encore sur le Der la première semaine de novembre, attendant des conditions météorologiques favorables à la poursuite de leur voyage.

Un long vol plané synchronisé

« Celles qui décident de partir exploitent les ascendances pour gagner de l’altitude avant de prendre un cap sud-ouest profitant si possible d’un vent de dos pour augmenter leur vitesse », explique l’ornithologue.

« Mais si la douceur persiste, entre 20.000 et 40.000 grues sont susceptibles de passer l’hiver sur place en se nourrissant de graines dans les champs alentours », précise-t-il.

Ce plus grand échassier d’Europe (2 mètres d’envergure pour 4 à 6 kilos) au plumage gris ardoise avec un cou noir, tache rouge sur la tête et queue touffue, quitte aux premières lueurs de l’aube son dortoir en « claironnant » continuellement et vole en formation serrée avec ses congénères vers les champs fraichement labourés ou les pâtures pour trouver sa pitance. A la nuit tombée, les grues repues se reposent au milieu du lac dans un long vol plané synchronisé.

Inquiets des quelques dégâts provoqués par les volatiles dans leurs champs, les agriculteurs ont négocié une enveloppe de 100.000 euros auprès de la Région Champagne-Ardenne.

« Les nuisances sont surtout dues au nombre croissant de grues qui restent pendant l’hiver, et en cas de surpopulation déraisonnable il faudrait réguler cette espèce », estime pour sa part Jean-Louis Blondel, le président de la FDSEA de Haute-Marne.

Un scénario inimaginable pour la LPO qui rappelle que la grue cendrée est un animal protégé depuis 1967 et pointe l’apport économique d’un « tourisme ornithologique » en pleine croissance.

Selon l’office du tourisme du lac du Der, en plus des 200.000 touristes recensés l’été, près de 100.000 amateurs d’oiseaux venus de toute l’Europe fréquentent le site d’octobre à mars offrant aux commerçants locaux une manne touristique à l’année.

Point de rendez vous de ces amoureux de la nature, le « Festival international de la photo animalière et de nature » de Montier-en-Der qui attire chaque près de 40.000 visiteurs chaque 3e week-end de novembre.

Ce barrage qui arrose les amis

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 24 septembre 2014

À dix kilomètres de Gaillac (Tarn), l’infernal barrage de Sivens entend claquer 9 millions d’euros d’argent public en faveur de 22 irrigants. Les opposants, qui défendent au passage la vie des papillons, des grenouilles et des genettes, se ramassent plein de coups dans la gueule.

Charlie arrive après la bataille, et quelle bataille ! On résume pour ceux qui ne seraient pas au courant : une vallée doit disparaître sous les eaux d’un barrage appelé tantôt Sivens, tantôt Testet, deux lieux-dits. Où ? À Lisle-sur-Tarn (Tarn), à dix kilomètres de Gaillac et trente d’Albi. Ce vieux projet pourave date des années 60, à l’époque où le maïs intensif faisait la loi, toute la loi. Il a certes subi quantité de modifications, mais le fond reste le même : il s’agit de dorloter une poignée de paysans intensifs du coin en leur offrant une eau d’irrigation, payée sur fonds publics.

Après des années d’atermoiements, tout s’est emballé. Le projet, enfin dévoilé, est encore pire que tout ce qui avait été imaginé. Il s’agit de stocker 1,5 million de mètres cubes derrière un mur de 13 mètres de hauteur et de plus de 300 mètres de longueur. Les 45 hectares noieraient au passage l’une des plus belles zones humides de la région, et flingueraient les 94 espèces protégées vivant sur place. Soit des papillons et autres insectes aussi beaux que l’Azuré du serpolet, la cordulie à corps fin – une libellule -, le Grand Capricorne. Et la grenouille de Graaf. Et le campagnol amphibie. Et la lamproie de Planer, qu’on rapproche des poissons.

On s’en fout ? Exact, tout le monde s’en tape, sauf les opposants au délire. D’innombrables pleurnicheries officielles ont lieu chaque année en souvenir des zones humides défuntes. En France, plus de la moitié de ces terres si riches sur le plan biologique – marais, fagnes, tourbières, prairies mouillées – ont été drainées en cinquante ans. Le ministère de l’Écologie s’est fait une spécialité de colloques où l’on compte une à une les surfaces mortes. En résumé express, du béton, beaucoup de béton au profit d’un maïs assoiffé, subventionné, bourré de pesticides, au détriment des genettes, des martins pêcheurs et des milans noirs.

Combien ça coûte ? Un bras, un bras de près de neuf millions d’euros au total, qui ne profiterait qu’à 22 irrigants. Ce qui fait cher du pedzouille, et d’autant plus que le fric claqué sera à 100 % public : conseils généraux du Tarn et du Tarn-et-Garonne – 10 % chacun -, Agence de l’eau Adour Garonne – 50 % – et l’Europe enfin, à hauteur de 30 %. Ne pas se fier aux apparences : même s’il ne paie que 10 %, le grand Manitou de l’opération est le conseil général du Tarn.

Le Tarn, comme l’Ariège de Bel, comme les Bouches-du-Rhône de Guérini, comme le Nord-Pas-de-Calais de Dalongeville, est un fief socialo. Depuis 1945, la SFIO puis le PS règnent sans partage, mais sont tombés sur un os avec cette invraisemblable histoire de barrage, qui pourrait bien – rire préenregistré – être la goutte d’eau de trop. L’inamovible président du Conseil général, Thierry Carcenac, au pouvoir depuis 1991, comme un président azerbaïdjanais, s’entête d’une façon étonnante. Ce mystère doit bien avoir une explication.

En attendant, sur place, c’est baston et grèves de la faim. Un formidable collectif fédère les énergies, qui sont nombreuses (http://www.collectif-testet.org). À l’heure où vous lirez ces lignes, il est probable que le défrichement, préalable aux travaux du barrage eux-mêmes, sera terminé, sous haute protection policière. Les heurts violents, les jets de cocktails Molotov, les coups de matraque, les barricades n’ont pas cessé depuis des semaines. Comme à Notre-Dame-des-Landes, où un autre socialo déjà oublié – Ayrault – fantasme encore de construire un aéroport.

Qu’est-ce qu’on peut dire depuis Paris ? Qu’il ne faut pas lâcher, bien sûr. Qu’il faut tenir autant qu’il sera possible. Charlie, avec ses moyens dérisoires, soutient et soutiendra les énervés et enragés de Sivens, et toutes les plantes et animaux menacés de mort. Une mention pour notre excellent Premier ministre, Manuel Valls. Ignorant tout du dossier, qu’il découvrait, il a finalement osé (1) il y a quelques jours ces mots d’anthologie : « Mobiliser la ressource en eau est un élément décisif pour l’installation des jeunes agriculteurs, c’est pour cela que nous avons tenu bon à Sivens ». On te croit, grand socialiste.

(1) http://www.reporterre.net/spip.php?article6274

Marina Silva entre les mains d’un criminel

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 17 septembre 2014

Ancienne syndicaliste et ministre, écologiste de choc, la Brésilienne Marina Silva peut gagner la présidentielle d’octobre. Seul menu problème : elle copine de très près avec le criminel Schmidheiny, roi de l’amiante condamné à 18 ans de prison.

Cette histoire a un côté pile et un côté face. Et elle contient une authentique révélation. Mais commençons par la lumière. Le Brésil, puissance ô combien montante, élit en octobre son président de la République, qui sera une présidente. Soit Dilma Roussef, héritière très contestée du vieux chef Lula. Soit peut-être Marina Silva, qui représente le parti socialiste du Brésil depuis la mort accidentelle du candidat prévu, Eduardo Campos.

Marina Silva est un cas stupéfiant. Née dans une famille de gueux – des seringueiros surexploités dans les plantations d’hévéas -, elle n’a été alphabétisée qu’à l’âge de 16 ans, avant de devenir une syndicaliste de choc. Défendant avec ferveur la grande forêt amazonienne et ses habitants, elle a milité pendant des années avec Chico Mendes, écologiste assassiné par des tueurs au service des fazendeiros, les gros propriétaires terriens. Adhérant ensuite au Parti des travailleurs (PT), elle a été ministre de l’Environnement de Lula,  jusqu’à sa démission en 2008.

Elle reprochait alors au pouvoir de favoriser les intérêts des l’agro-industrie, notamment autour de trois questions essentielles : les OGM, les biocarburants et les barrages hydro-électriques géants, qui chassent de leurs terres des milliers d’Indiens d’Amazonie.
Depuis, elle n’a cessé de marquer des points, obtenant à la surprise générale près de 20 % des voix à la présidentielle de 2010. Tous les sondages la donnent pour le moment gagnante en cas de duel au deuxième tour avec Dilma Roussef, contestée de tous côtés. Une victoire de Silva aurait à l’évidence un impact colossal dans toute l’Amérique latine.

Mais le côté face fait flipper. Car dans l’ombre de Marina Silva se profilent de très étranges pousses. On va essayer de résumer, ce qui n’a rien de facile. Un, le milliardaire suisse Stephan Schmidheiny a fait sa grande fortune grâce au groupe Éternit, propriété de sa famille. Éternit, c’est l’amiante, et la mort. En 2013, après un procès historique de plusieurs années, Schmidheiny a été définitivement condamné à 18 ans de prison par le tribunal de Turin. Le cher ange a été jugé coupable de la mort de 3000 prolos italiens exposés à l’amiante dans les usines de grand-papa, papa et fiston.

N’importe qui serait en taule, mais Schmidheiny n’est pas même recherché. Il a refait sa vie en Amérique latine, où il a créé Avina (http://www.avina.net) une fondation « philanthropique » qui « aide » les mouvements sociaux et écologistes dans tout le sous-continent. Ce Janus (au moins) biface a parallèlement créé le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), dont il est aujourd’hui le président honoraire. Or ce WBCSD regroupe les pires transnationales de la planète, dont Monsanto, Bayer, BASF, DuPont, BP, Shell, etc. À quoi sert ce bastringue ? À blanchir, en l’occurrence à verdir – on appelle ça du greenwashing – l’image des grands pollueurs à coup de propagande publicitaire. L’affaire se complique encore, car Schmidheiny a joué un rôle central, auprès de l’ONU, dans l’organisation des fameux sommets de la Terre, dont celui de Rio en 1992. Impossible ? Certain.

Quel rapport avec Marina Silva ? L’ancienne syndicaliste, ainsi que peut le révéler Charlie, est en cheville avec Avina, la fondation de Schmidheiny. Elle a ainsi participé à plusieurs réunions très importantes d’Avina, comme à Durban (Afrique du Sud), le 14 décembre 2011 et en juin 2012. Plus compromettant encore, Marina Silva était la vedette d’une conférence d’Avina à Santiago (Chili) le 14 mai 2014, il y a donc quatre mois, organisée dans le cadre d’une série de rencontres qui ont eu lieu dans toute la région, de Lima à Quito, passant par Bogotá, La Paz, Buenos Aires et Montevideo.

Ce n’est pas fâcheux, c’est désastreux. À ce stade, deux hypothèses. Ou Silva ne sait rien de Schmidheiny, ce qui serait comme un aveu d’ignorance crasse, très inquiétant. Ou elle sait, et croit pouvoir le manœuvrer, ce qui serait d’une naïveté confondante. On n’ose imaginer qu’elle a changé de camp. Schmidheiny, en tout cas, non. C’est un salaud.

De quoi Ebola est-elle le nom ?

Cet article a été publié le 6 août 2014 par Charlie Hebdo, sous un autre titre

Derrière les maladies émergentes, dont la fièvre Ebola qui dévaste l’Afrique, l’Internationale des gougnafiers. Un siècle de déforestation massive et d’agriculture intensive explique largement la dissémination de nouveaux fléaux.

Qui sait ? Peut-être que la Grande Peste – de 30 à 50 % de la population européenne meurt  entre 1347 et 1352 – a commencé comme cela. Ou encore la « grippe espagnole » de 1918, qui zigouilla davantage – 20 millions de morts – que la Première Guerre mondiale, celle qui devait être la dernière.

Une chose est sûre, et c’est que la fièvre hémorragique dite Ebola – une rivière de la République démocratique du Congo – est hors de contrôle. Après le Liberia et la Sierra Leone, tous les pays voisins sont désormais menacés, dont le Nigeria et ses 170 millions d’habitants. L’un des virologues au contact des malades, le Sierra Léonais Sheik Umar Khan, est mort la semaine passée, frappé lui aussi par le virus.

C’est donc l’angoisse dans des pays où les systèmes de santé croulent déjà sous le poids d’autres maladies. En attendant mieux, il n’est pas interdit de se poser une ou deux questions bien emmerdantes. La principale est celle-ci : pourquoi tant de maladies émergentes ? Selon les sources les plus sérieuses, leur nombre explose depuis cinquante ans, que l’on parle d’Ebola, du sida, du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), des hantavirus, du virus du Nil occidental, entre autres joyeusetés.

Il serait stupide de vouloir tout expliquer par la dévastation écologique de la planète, mais il serait franchement con de passer à côté. Car d’évidence, une des clés de la situation s’appelle déforestation. Dans un texte impeccable (1) publié par la FAO (Organisation des nations unies pour l’agriculture et l’alimentation), les chercheurs Bruce Wilcox et Brett Ellis expliquent par le menu l’arrière-plan de ces émergences (ou réémergences). Grossièrement, l’essentiel du phénomène viendrait de « changements dans le couvert végétal et l’utilisation des terres, notamment les variations du couvert forestier (en particulier la déforestation et la fragmentation des forêts), ainsi que l’urbanisation et l’intensification de l’agriculture ».

Les hommes pénètrent toujours plus loin dans les forêts tropicales, sortent virus et autres micro-organismes pathogènes de l’extrême stabilité écologique où ils se trouvaient, entrent au contact d’animaux de toutes sortes – primates, rongeurs, chauve-souris – qui deviennent les vecteurs de ces infections. On est très loin de tout comprendre, mais il est certain que le bouleversement de centaines de millions d’hectares de steppes et prairies, et surtout de forêts, a mis au contact des êtres vivants qui ne l’étaient pas dans le passé proche.

Wilcox et Ellis vont encore plus loin, écrivant : « Les premiers pathogènes responsables de fléaux tels que la variole seraient nés en Asie tropicale, au début de l’histoire de l’élevage et lorsque les forêts ont commencé à être défrichées à grande échelle, au profit de cultures permanentes et d’établissements humains ». La France n’est nullement à l’abri : une étude parue en 2008 dans la revue Nature (2) propose la première carte mondiale des maladies émergentes, et notre beau pays tempéré y occupe une place de choix.

Pourquoi ? Parce que nous avons beaucoup de ports – sur la Méditerranée, l’Atlantique, la Manche et la mer du Nord -, où les bateaux débarquent sans cesse des hôtes inattendus. Et parce que les anciens liens coloniaux font atterrir chaque année à Roissy, Marseille ou Lyon des centaines de milliers d’habitants de pays tropicaux. Le reste s’appelle dérèglement climatique, qui fait irrésistiblement remonter vers le Nord des espèces jusqu’ici confinées plus au sud.

Charlie, qui n’est pas devin, ne sait rien de ce qui va se passer, mais la promiscuité toujours plus grande entre les hommes, les animaux sauvages et les milliards de prisonniers de l’élevage concentrationnaire ne saurait annoncer le printemps. Pour que la situation s’améliore, il faudrait commencer par respecter ces équilibres écologiques qui emmerdent tout le monde, à commencer par les aménageurs-massacreurs. À moins de devenir sages, et même très sages, Ebola n’est qu’un début.

(1) http://www.fao.org/docrep/009/a0789f/a0789f03.html
(2) http://www.nature.com/nature/journal/v451/n7181/full/nature06536.html

Le grand désastre des campagnes silencieuses

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 2 juillet 2014

Le crime était presque parfait. Les transnationales de la chimie fourguent depuis vingt ans des pesticides tuant les abeilles par milliards. Sous les applaudissements de la gauche et de la droite. Mais voilà qu’on apprend bien pire.

Que le Gaucho de nos chers amis de Bayer soit une merde, on le savait. Ce pesticide foudroyant et systémique – il diffuse et circule dans l’ensemble de la plante traitée – n’a cessé de bousiller les abeilles par milliards depuis ses premières applications en France, en 1994. À l’époque, on ne connaissait pas cette nouvelle classe de tueurs, dits néonicotinoïdes, qui a donné naissance à d’autres merveilles comme le Cruiser ou le Poncho-Maïs.

Après une bataille de vingt ans sur laquelle on va revenir, l’Europe a suspendu en 2013  la vente de trois saloperies, dont le Gaucho, pendant trois ans. Mais une étude vient de tomber, qui rebat toutes les cartes et fait claquer des dents (1). On résume : un groupe de chercheurs internationaux – Task Force on Systemic Pesticides – a regardé dans les coins la bagatelle de 800 études publiées dans des revues scientifiques. Un travail de dinguo, qui a duré cinq ans et mobilisé une cinquantaine de savants de quinze nationalités. Ce qu’on appelle une méta-analyse.

Portant à la fois sur les néonicotinoïdes et une autre matière active, le fipronil – son nom commercial est Régent -, elle montre que la situation est beaucoup plus grave que ce qu’on pensait jusqu’ici. Les abeilles et bourdons, dont dépend en large part l’agriculture – par le sublime cadeau de la pollinisation – ne sont pas les seuls atteints par le grand massacre. La moitié des papillons a disparu en seulement vingt ans, et jusqu’à 52 % des oiseaux des champs en une trentaine d’années. Les sols sont également frappés, au travers des micro-organismes et des vers de terre, essentiels artisans de la fertilité.

Certes, les auteurs ne prétendent pas que tout viendrait des pesticides nouveaux. Mais il ne fait plus aucun doute qu’ils jouent un rôle central dans l’effondrement de la biodiversité des campagnes. Et c’est à ce moment précis que Charlie enfile son manteau de justicier sans masque. Car l’affaire du Gaucho et de ses putains de cousins est (aussi) un immense scandale français, qui met en cause les socialos comme la droite. Excusez à l’avance si l’on saute des étapes, car l’affaire en compte des dizaines.

En 2000, alors que l’on sait déjà l’essentiel grâce à des chercheurs comme Jean-Marc Bonmatin ou Marc-Édouard Colin, une certaine Catherine Geslain-Lanéelle devient la patronne de la puissante Direction générale de l’alimentation (DGAL), place-forte du ministère de l’Agriculture. Plus ou moins de gauche, elle est en relation étroite avec le ministre socialo, Jean Glavany, et couvre avec lui une invraisemblable décision : le renouvellement pour dix ans, en janvier 2002, de l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) du Gaucho. Son rôle exemplaire lui vaudra dès 2001 une perquise au siège de la DGAL – une première -, mais tout se terminera comme il se doit par une promotion.

Geslain-Lanéelle, nommée en 2006 directrice de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), y défendra mordicus Dana Bati, la présidente de l’EFSA, jusqu’à sa démission forcée. Bati cumulait dans le secret son job officiel et un rôle important dans le plus grand lobby agro-alimentaire de la planète, International Life Science Institute (ILSI).

Pour en revenir au Gaucho, la droite française n’a évidemment pas fait mieux. En juin 2002, après la déroute de Jospin, Geslain-Lanéelle est remplacée à la DGAL par un préfet de combat, Thierry Klinger. Pour lui, la cause est entendue : si les abeilles meurent, c’est p’être bien à cause des acariens qu’on retrouve dans les ruches, ou parce que ces cruches d’apiculteurs achètent des reines en Chine, qui seraient de trop basse qualité. Moins drôle : il adresse sans se gêner des courriers à des scientifiques travaillant sur le Gaucho, pour qu’ils rectifient le tir, avant de voir son bureau occupé par une bande de la Confédération paysanne.

Et c’est ainsi que s’installa l’empoisonnement généralisé des campagnes, sur fond d’accord politique parfait entre la gauche et la droite. Pourquoi ? Parce que. Qui se souvient du brave Henri Nallet ? Né en 1939, il devient en 1965 l’un des responsables de l’Institut de formation des cadres paysans, une structure de la FNSEA, le grand syndicat de l’agriculture industrielle. Il est dans la foulée un chargé de mission de cette même FNSEA, qui a accompagné et même réclamé l’industrialisation lourde par les pesticides.

Ensuite ? Il est touché par la grâce et devient socialo. Il est le principal conseiller de Mitterrand pour les affaires agricoles, entre 1981 et 1985, et sera ministre de l’Agriculture à deux reprises. Entre 1985 et 1986. Entre 1988 et 1990. Avant, bien plus tard, de se changer en lobbyiste du laboratoire pharmaceutique Servier – le Mediator – et d’être éclaboussé par le scandale. Comprend-on mieux ?

La situation n’a pas beaucoup changé. Hollande, Valls et Le Foll font une lèche permanente au nouveau patron de la FNSEA, Xavier Beulin, qui leur promet de créer des emplois. Si, il promet. Mais Beulin est en même temps le patron d’une énorme boîte de l’agro-industrie, Sofiprotéol, dont le chiffre d’affaires atteint 7 milliards d’euros. La moitié des pesticides utilisés en France seraient commercialisés par Beulin and Co, si bien qu’on se posera pour finir cette question de bon sens : pourquoi sommes-nous si cons ?

(1) La première synthèse parue, d’une série de sept, est en ligne : http://link.springer.com/article/10.1007/s11356-014-3180-5

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Mais quel rapport avec l’autisme ?

Attention, c’est polémique. Les lettres d’insulte seront évidemment toutes lues. Le monde connaît une augmentation stupéfiante du nombre de cas d’autisme. En partie, sans doute, parce qu’on classe autrement et qu’on regarde mieux. Mais il est manifeste que d’autres causes expliquent ce que la ministre québécoise de la Santé, Véronique Hivon, appelle (le 6 janvier 2014) un « tsunami d’autisme ». Tous les quatre ans là-bas, le nombre de cas double. Et la tendance est mondiale.

Or une nouvelle étude- car il y en a d’autres – pointe des liens entre pesticides et certains cas d’autisme (1). Une équipe de l’université californienne Davis y montre que des femmes, surtout celles exposées au cours des deuxièmes et troisièmes trimestres de grossesse ont un risque bien plus élevé d’avoir des enfants autistes ou souffrant de troubles du comportement. Le cerveau des fœtus pourrait être tout spécialement sensible aux pesticides. Aux Etats-Unis, l’autisme touche en 2014 un gosse sur 68, contre un sur 150 en 2000.

(1) http://ehp.niehs.nih.gov/1307044