Archives de catégorie : Biodiversité

Les rennes du Père Noël aux mains des ordures

Ce papier a été publié dans Charlie-Hebdo le 26 décembre 2012

Rien ne va plus pour les rennes du Grand Nord canadien. Le plus grand troupeau du monde a perdu 95 % de ses effectifs, et les Innu regardent mourir leur vieux compagnon. La faute à l’exploitation minière.

C’est difficile à croire, mais le renne n’a pas toujours été l’esclave du Père Noël, bondissant sous le fouet. En Amérique du Nord, il a longtemps peuplé le monde sous le nom de caribou. Pendant le Pléistocène, qui commence, jeunes gens, il y plus de deux millions d’années, on le trouvait jusque dans le Nevada – à côté de San Francisco – et le Tennessee actuels. Ses troupeaux, comme ceux du bison, obscurcissaient l’horizon. Et puis l’homme, ses pièges, ses flingues.

L’animal a replié ses bois vers le Nord et les sols acides, vers l’extrême froid, là où la tuerie est moins industrielle. En Alaska, dans le nord du Labrador et du Québec, il conserve quelques vraies hardes, mais plus pour très longtemps. Un communiqué du ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) du Québec vient de tomber, comme un coup de hache (1). Un inventaire aérien confirme que l’immense troupeau de la rivière George est en train de mourir.

Un mot des lieux : la rivière George se jette dans la baie d’Ungava, à hauteur du village inuit de Kangiqsualujjuaq. Deux connards missionnaires lui ont donné le nom de Georges III, roi d’Angleterre et d’Irlande, mais dans la langue inuktitut, on l’appelle Mushuau Shipu, ou rivière sans arbre. Car ce pays entre Labrador et Québec est une immense toundra posée sur le granit, couverte de mousses et de lichens, que les caribous boulottent.

Le troupeau de la rivière George – de la sous-espèce dite toundrique au Québec – était jusque vers 1993 le plus important de la planète, atteignant alors entre 800 000 et 900 000 têtes. Avant de chuter de moitié – à 385 000 – en 2001. Et à 74 000 animaux en 2010. Et à 27 600 à l’été 2012. En vingt ans, la population a diminué de 95 %. Qui dit mieux ? Personne. Mettez-vous une seconde à la place des Inuits, des Innu, des Cris, des Naskapis, même si c’est rigoureusement impossible. Pendant des millénaires, le sort de ces peuples du Grand Nord a dépendu de l’état de santé des caribous, qui tombent comme des mouches. D’où une légère inquiétude existentielle chez ces pauvres arriérés de primitifs.

Pourquoi cet invraisemblable déclin ? Chez les officiels, aussi cons que les nôtres, la cause est entendue. Les caribous seraient trop nombreux et le surpâturage, au cours de leur migration, empêcherait les mousses et lichens de se reconstituer. Le problème existe certainement, mais permet de mettre au second plan le dérèglement climatique, dont les effets sur la végétation sont d’ores et déjà considérables. Surtout, cette thèse simpliste dissimule les responsabilités écrasantes du pouvoir politique.

L’association Survival (2), qui défend les peuples indigènes partout où l’on empêche de vivre, c’est-à-dire partout, a rencontré les principaux intéressés. George Rich, un vieil  Innu du nord-est du Canada : « L’exploitation et l’exploration minières à outrance sont l’une des principales causes de la disparition des caribous. La compagnie Quest Minerals a, par exemple, récemment annoncé qu’elle projetait de construire une route qui traversera le cœur de l’aire de mise bas du caribou et que des hélicoptères et des avions survoleront la zone pour atteindre les sites d’exploration ».

Le « développement », cet autre nom de la destruction, a en effet détruit massivement les pâturages et les routes de migration des caribous toundriques. Les exemples sont si nombreux qu’ils ne laissent place à aucun doute. Citons la compagnie Cap-Ex Ventures, qui exploite le fer dans la région, après avoir construit barrages hydro-électriques et ligne de chemin de fer. Quest Minerals de son côté, la boîte citée par George Rich, est spécialisée dans l’extraction des terres rares, qui pourrait démarrer sur place en 2016.

Les terres rares, rappelons les bonnes choses, sont vitales pour la fabrication des éoliennes, des cellules photovoltaïques, des ordinateurs, des téléphones portables, des bagnoles électriques. Tu l’as dit, y a un problème.

(1) http://communiques.gouv.qc.ca/gouvqc/communiques/GPQF/Aout2012/16/c7587.html
(2) http://www.survivalfrance.org/

L’Orang-outan, le WWF et les Anonymous (une leçon)

Qu’est-ce qui est important ? L’Orang-outan, le Gorille, le Chimpanzé et nous, avons hérité de cinq chromosomes semblables. Pour la raison que notre ancêtre commun les possédait. L’Orang-outan, sans doute moins imbécile, a commencé d’évoluer de son côté, en Asie, il y a environ 12 millions d’années. Loin de notre aventureuse destinée. J’aime énormément les serpents – j’en ai tenu de gros dans les bras, et des petits, venimeux, contre la peau -, les fourmis, les oiseaux, les libellules, les batraciens, les abeilles bien sûr, et des centaines d’autres bestioles de toute taille. Mais j’ai également passé un grand nombre d’heures devant les cages réservées aux orangs-outans du Jardin des Plantes de Paris. Non, inutile de me dire, je sais. Ce sont des taulards. Ils mériteraient qu’on foute le feu à leurs saloperies de cages, j’en suis bien certain. Mais depuis quand ne peut-on considérer, éventuellement aimer des prisonniers ?

J’aime profondément ces bêtes. Leurs gestes de contentement, leurs lubies, leur apparente mélancolie, la grâce de leurs membres s’ouvrant comme des fleurs, les liens noués entre les jeunes et les autres, le cuir de leur paume, leur cheveu roux, et fou. Et je repose la question : qu’est-ce qui est important ? Pour moi, un monde où ne pourraient plus vivre des orangs-outans libres serait une Géhenne pour tous. Je viens de lire un article inouï sur la dévastation de lieux jadis à l’abri de la folie économique (ici). À Bornéo, tronçonneuses et bulldozers détruisent une forêt tropicale si belle à mes yeux qu’écrivant ces mots ordinaires, j’en ai soudain comme un tremblement. Des barbares qui nous ressemblent tant arrachent des arbres et plantent à leur place des palmiers à huile qui se transformeront en nécrocarburant ou en obésité sans frontières, sous la forme de centaines de plats cuisinés industriels.

Je ne cherche pas de qualificatif. Selon moi, les organisateurs de ce massacre relèvent d’un procès de Nuremberg qui n’aura pas lieu. Il y a cinq ans, j’ai écrit un livre (La faim, la bagnole, le blé et nous) pour dénoncer le crime des biocarburants. J’avoue, un peu honteux désormais, que j’espérais un sursaut. Dieu sait que j’ai alerté, directement, la galaxie écologiste et altermondialiste. Rien. La plupart de ces messieurs-dames se vautraient alors dans les salons sarkozystes, pour y fêter leur Grenelle de l’Environnement. À Bornéo, mais aussi dans une partie croissante de l’Asie du sud-est, la forêt disparaît au profit de cette vérole appelée palmier à huile. Les plantations ne durent que quelques années, car au-delà, elles ne donnent plus assez de fruits. C’est l’abandon, suivi d’un autre massacre un peu plus loin. Bientôt, si ce n’est déjà fait ici ou là, la splendeur des forêts n’existera plus que dans les films. Pour les orangs-outans et tant d’autres merveilles, la fin de ces territoires signifie bien entendu la mort. Il resterait moins de 60 000 de ces primates en liberté restreinte.

L’Indonésie – qui occupe cette partie de Bornéo qu’on nomme Kalimantan – est le plus grand producteur d’huile de palme au monde, et la surface plantée de palmiers y a été multipliée par 27 en une vingtaine d’années. On parle d’augmenter la production d’encore 60 % d’ici 2020. Le soja dans le bassin amazonien, pour nourrir notre malheureux bétail. L’huile de palme des forêts pluviales d’Asie, pour nourrir nos bagnoles. Ce n’est pas une honte, c’est un crime collectif, et il est majeur. Dans les deux cas, une association se prétendant écologiste joue le rôle évident de fourrier. Et c’est le WWF, qui continue d’incarner la protection, alors qu’elle accompagne sans état d’âme la destruction accélérée du monde. En Amérique latine, le WWF a lancé une table-ronde sur le soja responsable en compagnie de Monsanto et Cargill. J’ai déjà tant écrit sur ce sujet que je n’insiste pas. C’est immonde (ici et ici). En Indonésie, idem. Le WWF, qui y trouve un intérêt financier, promeut une soi-disant Table ronde pour une huile de palme durable (ici) avec les responsables industriels du désastre. Il s’agit bien entendu d’une vulgaire caution, qui couvre par exemple l’usage massif du paraquat, l’un des pesticides les plus dangereux au monde, interdit bien sûr en France (ici). Vous avez bien lu : le WWF soutient des gens qui utilisent du paraquat dans les plantations. Les paysans qui triment au milieu des vapeurs méphitiques ne viendront jamais cracher leurs poumons dans les beaux bureaux du WWF-France, carrefour de Longchamp, Paris. Et je le regrette bien.

Or donc, l’huile de palme tue les orangs-outans, et le WWF fait semblant. Tout le monde n’a pas envie d’être gentil avec la marque au Panda. Je souhaite même ardemment que cette mystification soit de plus en plus combattue ouvertement. Et certains ne m’ont pas attendu. Ainsi, les hackers abrités sous le beau nom d’Anonymous (ici) ont-ils mené une action lucide contre le WWF d’Indonésie (ici). Vous trouverez ci-dessous les détails. À mes yeux, le WWF a choisi son camp, et ce n’est évidemment pas le mien.

Le site officiel de l’ONG WWF Indonésie piraté par les Anonymous

25 septembre 2012 – 1 commentaire

wwf_indonesia_logo Publié par UnderNews Actu

Ce n’est pas le premier piratage qui touche l’ONG de protection de la Nature. WWF avait vu son compte Twitter piraté et utilisé pour diffuser de la publicité puis son site des Philippines victime d’une intrusion en 2011. Cette fois, c’est le site Indonésien qui en a fait les frais, action revendiquée par les Anonymous. Explications.

Des Anonymous reprochent à l’organisation mondiale de protection de l’environnement de s’être accoquinée avec Monsanto et les créateurs d’OGM. Le site Internet indonésien du WWF (wwf.or.id) a été visité. Le pirate qui se déclare faire parti du collectif Anonymous et revendique une intrusion sur le serveur. Bilan : des bases de données diffusées sur la Toile.

L’hacktiviste, qui participe à l’opération « Stop Green mafia« , explique que l’association écologiste se serait rapprochée de Monsanto, Syngenta, Cargill, et d’autres sociétés en 2005 lors d’une table ronde sur le soja transgénique (RTRS) et la culture d’huile de palme.

Anonymous reproche à la WWF de ne pas avoir agi contre l’utilisation d’un pesticide basé sur le glyphosate. Un produit qui provoque cancer et altérations génétiques. « A Bornéo 13.920 hectares de la forêt vierge ont été détruits », soulignent Anonymous. « Seuls 80 hectares de la forêt ont été préservés de la destruction. Moins de 10 orangs-outans y vivent, aujourd’hui« . Le WWF certifie que les cultures de palmiers (destinés à la production d’huile)  ont été réalisées de manière efficace, en prenant compte du reboisement.

« WWF, comment pouvez-vous conclure que détruire les forêts, les animaux et la nature, est écologiquement durable ? Votre masque d’écologiste ne peut pas cacher la dévastation des cultures et des êtres vivants par Monsanto, Wilmar International et les autres grandes entreprises de l’agro-industrie génétique« .

L’Anonymous a diffusé adresses, logins, mots de passe et données privées internes à la WWF Indonésie.

Mais ce n’est pas fini. Il n’y a qu’à voir le Twitter @OpGreenRights pour s’en rendre compte. Le site World Wild Life subit de très lourdes attaques DDoS et se retrouve hors ligne depuis quelques jours consécutifs.

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Notre-Dame-des-Landes : Appel aux naturalistes

Mon cher ami François de Beaulieu, pilier de l’association Bretagne Vivante – j’en suis membre – lance, avec d’autres, une magnifique opération à laquelle je ne peux que m’associer. En avant !

PS : François me précise que tout un collectif d’associations est derrière ce projet. Eh bien, tant mieux.

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Des dizaines de milliers d’individus et des dizaines d’associations s’investissent dans la lutte contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (organisation de manifestations, recours juridiques, expertises, matériel, etc.). L’un des aspects les plus scandaleux du projet est la destruction de 2000 hectares de bocage et de zones humides miraculeusement préservés et, avec elles, d’une foule d’espèces protégées. C’est une richesse « incompensable » et la communauté naturaliste ne peut que s’attacher à le montrer concrètement en réalisant des inventaires et leur valorisation.

Des naturalistes et leurs associations ont jeté les bases d’un collectif qui va :
–         Réaliser des inventaires naturalistes en lien avec les opposants vivant sur place.
–         Coordonner les inventaires sur des groupes d’espèces.
–         Valoriser les résultats aussi largement que possible.
–         Utiliser les résultats pour alimenter les dossiers juridiques.
–         Peser sur les travaux de la commission scientifique.

Organisation :

Un regroupement des naturalistes aura lieu le 2e dimanche de chaque mois à 9 heures devant l’église de Notre-Dame-des-Landes. Le premier rendez-vous est prévu le dimanche 13 janvier. Des opérations ponctuelles pouvant avoir lieu à tout moment en fonction des disponibilités et des besoins propres à chaque groupe.

Huit groupes de travail ont été constitués : Amphibiens, chiroptères, botanique, oiseaux, reptiles, entomologie, haies, réseau hydrographique. Il y a deux référents par groupe. Tous les rendez-vous seront donnés sur le blog ou au travers de listes de diffusion. Des fonds de cartes, des fiches d’inventaires et des éléments sur les inventaires existant seront mis à disposition des participants.

Communication

Un blog (http://naturalistesenlutte.overblog.com/) sera conçu comme la vitrine des naturalistes au travail. Il sera proposé à toutes les associations concernées de mettre sur leur site un lien visible vers le blog. Les contributeurs pourront disposer d’un code d’accès.

Les équipes naturalistes pourront être accompagnées dans certains cas d’un photographe et d’un journaliste. Les documents réalisés alimenteront le blog, des articles militants et des articles destinés à la presse. À côté de l’actualité purement militante, il s’agit de proposer une « actualité naturaliste » de Notre-Dame-des-Landes et de montrer l’explosion de la vie dans une zone humide.

Vous trouverez au fil des jours des informations sur le blog. En cas de besoin, vous pouvez envoyer des messages à l’adresse : naturalistesenlutte@gmail.com

Merci de diffuser cet appel sur vos réseaux et sur vos sites web.

Mélenchon et les Indiens de Sarayaku (ode à la « révolution citoyenne »)

Pour Grego

Habitué aux sports de haute voltige, je vais commencer, moi qui ai conchié tant de fois Jean-Luc Mélenchon, par lui rendre hommage. Attention, c’est un saut périlleux arrière retourné, et je ne suis pas sûr de bien me rattraper. Roulement de tambour. Les paroles de Mélenchon dans Libération (ici) m’ont paru sortir du cadre habituel de la simple propagande. Cette dernière y était bien sûr, mais pour qui s’en tient aux mots, nul doute qu’il y avait là une petite musique intéressante.

En deux mots, Mélenchon y affirme que le tournant de son Parti de Gauche vers l’écologie n’a rien de tactique. Il s’agirait d’une conversion profonde et sincère. L’avenir, bien que présenté d’une manière nébuleuse, appartiendrait à la « règle verte », à la « planification écologique ». Certaines formules prêtent tout de même à sourire, comme : « Il faut cesser de produire et d’échanger dans des conditions telles que la capacité de renouvellement de l’écosystème n’y répond plus. C’est simple, ça se chiffre et ça se planifie ». Mais au total, allez, une mention passable. Inutile d’insister, à ce stade, sur le but à peine caché de faire disparaître, à terme, le parti EELV. Au reste, je m’en fous bien.

Où sont passés les textes de 1992 ?

Pour être honnête ou tenter de, signalons les 18 thèses pour l’écosocialisme proposées au débat dans le Parti de Gauche (ici, puis chercher un peu). J’ai lu, ce qui ne doit pas être le cas de tout le monde. Si je veux être (très) gentil, je dirai que c’est rempli de proclamations et de bonnes intentions. Un peu comme le programme du parti socialiste d’avant 1981, que défendait d’ailleurs, à l’époque, Mélenchon. On a vu. Les programmes de partis sont comme des promesses. Des mirages. Et si j’essaie d’être franc, j’ajouterai qu’il s’agit de vieilleries assez consternantes. Le mot écosocialiste, désolé de faire de la peine aux mélenchonistes, a été employé à de nombreuses reprises dans le passé, et a même été défendu avec clarté par la Ligue communiste révolutionnaire il y a de longues années.

Le pire n’est pas là : il n’y a aucune analyse de la situation réelle du monde. De la dislocation déjà entamée de nombreuses sociétés sous le coup de la crise écologique. On se croirait en 1970. On y est, d’ailleurs. La crise diabolique du climat, la crise sans limites apparentes de la biodiversité, la crise mortelle des océans, la crise planétaire des sols fertiles ne sont pas au tableau. En somme, les questions politiques les plus essentielles ne font pas partie de la discussion publique. Quel étrange parti écosocialiste.

Retour à Mélenchon. Il est important de savoir ce que ce politicien pense. Non pour lui, je l’avoue, mais à cause des gens, souvent d’excellentes personnes, qui croient en lui. Mélenchon, dans l’article de Libération évoqué, se vante de textes qu’il aurait écrits sur l’écologie dès 1992. Qu’il les publie donc, que l’on puisse rire un peu ! Ne remontons pas à Mathusalem, seulement au 22 octobre 2012. Ce jour-là, l’agence chinoise Xinhua publie une dépêche (ici, en français) qui résume un entretien que lui a accordé Mélenchon. Que dit-il ? « Je considère que le développement de la Chine est une chance pour l’humanité ». Une telle phrase, je pense, a le mérite de la clarté, mais comme elle m’a littéralement soufflé, j’ai cherché une confirmation. Les bureaucrates chinois, staliniens dans l’âme, avaient peut-être tordu le propos de notre grand Leader Écosocialiste ?

La croissance chinoise est une chance pour l’humanité

Eh bien non. Le 28 octobre 2012, Mélenchon était l’invité de Tous Politiques sur France Inter (ici), et y parlait à nouveau de la Chine (à partir de la minute 44). Il y confirme sans détour que la « croissance chinoise est une chance pour l’humanité ». Je crois pouvoir affirmer, car à la différence de Mélenchon, je sais de quoi je parle, que notre Grand Homme de poche démontre ainsi qu’il n’a strictement rien d’un écologiste. L’inculture profonde, l’ignorance abyssale ne sauraient être une excuse pour raconter de telles inepties. Car la Chine, comme je l’écris en de nombreux endroits depuis une dizaine d’années, nous menace tous, elle d’abord, d’un krach écologique à côté duquel la Grande Dépression d’après 1929 ressemblerait à une dispute pour un bout de chocolat.

Je n’ai pas le temps de détailler, mais même ici, sur Planète sans visa, il est aisé de retrouver certains textes grâce au moteur de recherche. La Chine, qui devient la plus grande économie mondiale, n’a plus d’eau, plus d’air, plus de terres agricoles capables de supporter une croissance démentielle. Et elle ruine en conséquence, pour des siècles au moins, quantité de pays d’Asie – le Cambodge et le Laos sont en haut de la liste – et désormais d’Afrique, s’emparant aussi bien du bois que du pétrole ou encore de millions d’hectares de terres destinées à produire, in fine, la viande que réclame tant sa classe moyenne.

Dire que la croissance chinoise, qui n’est que dévastation, est une chance pour tous n’est pas seulement imbécile. C’est aussi criminel. Je pèse mes mots, si. Dans la même émission d’Inter, Mélenchon se répand comme à son habitude sur la supposée vitalité des gauches latino-américaines. C’est justement de cela que je voulais vous parler, comme en atteste le titre que j’avais placé tout là-haut avant de commencer ce roman-fleuve. Le 17 février 2013, l’Équateur vote pour l’élection de ses président et vice-président de la République. Le président actuel, Rafael Correa, se représente et espère l’emporter une nouvelle fois. Qui est-il ? Un homme de gauche, à coup sûr. Est-il plus proche de la ligne Chávez que de la ligne Lula ? C’est hautement probable, et ce qui est certain, c’est que Correa est l’un des grands inspirateurs de Mélenchon. Il a notamment popularisé l’expression un brin étrange connue sous le nom de « révolution citoyenne » que le Français arrange désormais à toutes les sauces. Pendant la campagne présidentielle du printemps dernier, Correa a envoyé à Mélenchon un vibrant message de soutien, rendu public, qui commençait ainsi : « Querido Jean-Luc ». Et finissait par ce vieux slogan guévariste : «  ¡ Hasta la victoria, siempre ! ».

Les 1200 habitants de Sarayaku

Je pense que cela suffit pour établir la grande proximité entre les deux hommes. Et je poursuis. Les élections équatoriennes approchent, et surtout, ne quittez pas, car je vais (probablement) vous apprendre quelque chose. L’Équateur est un pays deux fois plus petit que le nôtre, peuplé de 15 millions d’habitants. Entre Quito, la capitale, installée sur les flancs d’un volcan, à 2850 mètres d’altitude, et l’Amazonie équatorienne, il n’y a pas grand chose en commun. Dans la forêt légendaire, des peuples indiens survivent tant bien que mal. Mal. Et parmi eux les kichwa. Et parmi eux, les 1200 habitants du village de Sarayaku (ici). Ils vivent de, ils vivent avec la forêt depuis des milliers d’années.

Mais le pétrole ne vaut-il pas mieux que tout ? Voici un court résumé, emprunté à Frontière de vie (ici) : « Afin de développer l’exploitation du pétrole amazonien, l’Etat équatorien a emprunté des milliards de dollars à l’étranger, s’endettant de façon effrayante. Cercle vicieux, l’Etat ne peut espérer rembourser ses dettes qu’en augmentant encore l’exploitation pétrolière, ce qui implique une surexploitation dépassant toutes limites. 1.500.000 hectares de forêts sont déjà en exploitation. 500 km de routes ont été construites pour permettre l’installation de 400 puits de pompage. Ces puits génèrent quotidiennement 17 millions de litres de déchets toxiques non traités. Ces déchets sont déversés dans des bassins à ciel ouvert qui débordent lors des pluies tropicales et se répandent dans la forêt. Dans certaines rivières, toute vie a disparu ».

Un grand désastre, donc, synonyme de « développement », cette parole maudite qui réunit les droites comme les gauches. Mais Sarayaku résiste aux compagnies pétrolières depuis 25 ans. Surtout depuis qu’en 2003, ces frères humains ont réussi à foutre dehors des ouvriers payés par un pétrolier, défendus par 400 militaires, venus pour de premiers travaux. Il est impossible de seulement évoquer les principaux événements de cette saga. Elle fait des habitants de Sarayaku des héros de l’humanité. Et ils tiennent. Encore et toujours. Greg m’envoie de Colombie un article du quotidien de Bogotá El Espectador (ici, en espagnol). J’y apprends que Los hijos del jaguar, les fils du jaguar comme ils se nomment, sont au cœur du débat de la présidentielle en cours. Correa, ce fier combattant de la « révolution citoyenne » entend ouvrir un peu plus aux pétroliers l’Amazonie équatorienne,. D’un mot, l’Équateur est l’une des zones les plus riches en biodiversité de notre planète. Peut-être la plus riche. Sans doute. On y a recensé environ 1 600 espèces d’oiseaux, 4 000 d’orchidées, 382 de mammifères.

 Les Indiens vendus par Correa aux transnationales

Je lis une dépêche en espagnol de l’agence chinoise – décidément – Xinhua, en date du 29 novembre 2012 : « El gobierno de Ecuador convocó hoy a la XI Ronda Petrolera de Licitación 13 campos del suroriente del país para la exploración y explotación de crudo, en medio de la resistencia de comunidades indígenas de la Amazonía ». Le gouvernement de Quito vient de lancer des enchères pour l’exploitation de 13 champs pétrolifères au beau milieu de la résistance de communautés indiennes de l’Amazonie. Voici les propres mots du querido compañero de Mélenchon, Correa soi-même : « Bienvenidos todos los inversionistas que buscan esa rentabilidad razonable, pero con altísima responsabilidad ambiental ». Bienvenue à tous les investisseurs qui cherchent une rentabilité raisonnable, mais avec un haut sentiment de responsabilité environnementale : on croirait du Total dans le texte. Mélenchonistes éventuels, qui me lisez, épargnez-moi vos leçons : Correa vend son pétrole et les Indiens qui sont au-dessus aux transnationales.  Point final. Et tant pis pour le climat, et tant pis pour la biodiversité, et tant pis pour ces extraordinaires cultures indiennes qui sont pourtant, razonablemente, une partie de notre avenir possible.

Alors, désolé, je ne marche pas. L’écosocialisme vérolé que Mélenchon tente de fourguer en France à des crédules – chaque génération a les siens -, non merci. À moins, amis mélenchonistes, que je ne me trompe ? À moins que The Great Leader Chairman ne vole publiquement au secours des Indiens de Sarayaku, et désavoue son cher ami Rafael Correa ? Ce serait, pour le coup, une vraie nouvelle, susceptible de me faire changer d’avis sur ce que je tiens pour une pure foutaise. Tenez, il y a même un rendez-vous : en avril 2013, Correa prévoit l’organisation à Quito d’un forum mondial de sa soi-disant « révolution citoyenne ». Mélenchon a, je crois, prévu d’y aller. C’est le moment, camarade écosocialiste, de prouver que les mots et proclamations ont un sens.

Le délire de Notre-Dame-du-Littoral (à La Réunion)

Où va le pognon ? Une route de 12 kilomètres pourrait coûter près de 3 milliards d’euros. Ça se passe sur l’île de la Réunion, et comme à l’habitude, il va vous falloir attendre un peu. Où va le pognon ? Si je parais insister, c’est qu’en vérité, la France n’a jamais été aussi riche qu’en cette fin d’année 2012. Disons pour être exact qu’elle n’a jamais autant produit de merdes à l’obsolescence programmée pour relancer sans fin, et surtout sans but discernable, la machine industrielle. Les chiffres sont désespérément têtus. Leurs chiffres, vous aurez rectifié, car les miens tentent d’inclure, ce qui est impossible, la mesure de la destruction de la vie. Et cela change quelque peu la perspective d’ensemble.

Donc, leurs chiffres sont sans appel (ici). De 2000 à 2011, le PIB a grimpé chez nous, selon les ans, entre 2,5 % et 5,3 % (en valeur). Seule l’année 2009, après le choc de la crise financière, a vu une contraction de  -2,5 %, suivie aussitôt d’une augmentation de 2,7 % en 2010 et 3,1 % en 2011. Dans le même temps, le taux de croissance démographique – l’expression n’est pas de moi, juré ! – a oscillé entre 0,38 % – en 2000- et 0,59 % – en 2007 -, ne dépassant pas 0,5 % en 2011 et (certainement) 0,5 % en 2012.

Or donc, qu’on arrête de nous servir toujours la même soupe froide. Nous sommes d’une richesse stupéfiante, qui ne saurait d’ailleurs durer, et les seules questions qui vaillent sont celles-ci : que produisons-nous; pour qui; comment; avec quelles conséquences pour les équilibres de la vie. Je constate comme vous que ces interrogations pourtant évidentes ne font pas partie du débat national, dominé et même écrasé par des discours qui, de l’extrême gauche à l’extrême droite, parlent d’autre chose. C’est-à-dire, eu égard aux enjeux, de rien. Je reviendrai, sous peu je l’espère, sur le cas Mélenchon, car cet homme que j’ai tant attaqué ici, flambe désormais pour un « écosocialisme » qui mérite le commentaire.

Et voilà, après ce si long préambule, le sujet du jour. Notre-Dame-du-Littoral. Comme des Landes, mais en bordure de l’océan Indien. Ou plutôt dessus l’océan Indien. Nous sommes à la Réunion, une île sublime où l’homme n’est apparemment arrivé – pour y rester – qu’au milieu du XVIIème siècle. C’est un endroit sublime – je connais -, mais surpeuplé. L’île n’est jamais qu’un volcan dont les flancs plongent dans la mer, et les 840 000 habitants se concentrent pour l’essentiel sur le littoral.  340 habitants au kilomètre carré, c’est déjà énorme, mais ce n’est qu’une moyenne qui ne dit pas l’extrême densité le long des côtes. J’ajoute que les peuples de la Réunion – petits Blancs, gros Blancs, Noirs de toutes nuances, Tamouls de la côte de Malabar, zarabs venus de l’actuel Gujarat indien, Chinois, z’oreils de la métropole, et métis de ce grand maëlstrom – arrivent à peu près à vivre ensemble. J’ai beaucoup, beaucoup aimé ce lieu si singulier.

Revenons-en à Notre-Dame-du-Littoral. Le conseil régional de la Réunion est dirigé par un politicien local de l’UMP. À moins qu’il n’ait rejoint le RUMP de François Fillon ? En tout cas, son nom est Didier Robert (ici), et il entend, tel un Jean-Marc Ayrault des Tropiques, marquer de sa belle empreinte le territoire qui l’aura oublié demain. Que veut Robert ? Une route phénoménale de 12 kilomètres permettant de mieux relier les villes côtières de Saint-Denis et Possession. Pour l’heure, cela ne convient pas à cette excellente personne. Une route avait été inaugurée en 1963, mais les ingénieurs, ces distraits, n’avaient pas remarqué, juste au-dessus d’elle, une fabuleuse falaise de basalte. Fabuleuse par une biodiversité très remarquable, qui n’a évidemment rien à voir ici. Les pierres tombaient régulièrement sur la route, et parfois sur les bagnoles. Il fallait bien faire quelque chose, non ?

En 1976, nouvelle route, un peu plus loin de la falaise. Les pierres ne l’atteignent plus que rarement, mais les travaux de sécurisation ont coûté bonbon. On en était là lorsque la droite locale et le puissant lobby BTP du coin ont décidé de se changer en roi Pharaon. En proposant une route directement sur la mer, avec digue géante, et travaux jusqu’en 2020. Au nom de la sécurité, du tourisme à venir et du « développement » de l’île, blabla, blablabla. Si vous avez beaucoup de temps, allez télécharger l’imbitable document de présentation officiel (ici). Mais pour ma part, j’en resterai ici à deux photos, elles aussi officielles, qui en disent long.

Sur la première, ci-dessous, la première réunion publique consacrée à la « Nouvelle route du littoral ». À votre avis, combien de participants, compte tenu des chaises vides et malgré l’art consommé du photographe ?  Je dirais entre 20 et 30. Peut-être moins. Et combien qui ne soient pas blancs de peau ?

Sur cette deuxième photo, on voit à quoi ressemblerait leur affaire. Vous voyez qu’il y a la mer de part et d’autre de l’ouvrage. Sécurisé, cela va de soi. On en reparlera – plutôt, on en reparlerait – au moment des typhons et des vents à 200 km/heure.

Seulement, les amis, la critique est jolie, mais après ? Le plus dingue de ce projet, c’est sans doute qu’il a enterré une autre idée, certes en sommeil, mais qui consistait en un tram-train. Je vous recommande vivement la lecture d’un article de l’excellent site Carfree (ici). Jusqu’en 2007, on envisageait, avec le soutien de l’État, la construction d’une ligne qui, à terme, aurait relié Saint-Denis à Saint-Paul, en passant par La Possession. Comme la nouvelle route. Située bien sûr sur terre, elle aurait été le premier transport ferroviaire régulier de l’île depuis la disparition – pour cause de nouvelle route ! – de l’ancienne ligne de chemin de fer. Et ce tram-train n’aurait pas été du luxe dans ce pays où un habitant sur trois n’a pas de bagnole. Et où les transports collectifs – bus et taxis-, qui assuraient il y a vingt ans environ 30 % des déplacements, n’en permettent plus, aujourd’hui que 6 %. En somme, et au passage, ce projet délirant est une expression de la guerre de classe paisible qui oppose là-bas ceux qui roulent et ceux qui sont roulés. Ajoutons que la Réunion est l’un des départements français les plus pauvres et les plus endettés. Ajoutons que 30 % de la population est au chômage, mais 60 % des jeunes actifs de 15 à 24 ans.

Que vous dire de plus ? Ayrault, notre teigneux Ayrault de Notre-Dame-des-Landes, vient de confirmer le soutien de l’État à cette route de Notre-Dame-du-Littoral. La région UMP – ou RUMP ? – envisage le début des travaux en 2013. Il y a sur place un petit groupe d’opposants, menés par le militant EELV Jean-Pierre Marchau. J’ai beau avoir tant de fois moqué son parti, je sais reconnaître, fût-ce de loin, la vaillance (ici). Marchau est un vaillant, et je le salue. Dites, les braves de Notre-Dame-des-Landes, quand envoyez-vous messages et messagers à la Réunion ?

En attendant, on ne lâche rien. Ni ici, ni ailleurs.