Archives de catégorie : Biodiversité

Les animaux malades de la peste nucléaire (pour Jean-Gabriel)

Publié le 4 août 2010

Tchernobyl, destructeur de biodiversité

par Valéry Laramée de Tannenberg

Cet article est extrait du Journal de l’Environnement (ici), et m’a paru si clair, si net, à ce point informé que j’ai décidé de le mettre en ligne ici, espérant que l’auteur ne m’en voudra pas. En tout cas, bravo.

Au printemps, lorsque l’on visite la zone d’exclusion de Tchernobyl, c’est toujours le même rituel. Immanquablement, les guides s’extasient sur la richesse de la flore et de la faune. La preuve, selon eux, que les effets de la radiation s’estompent. Et chacun y va de son anecdote : les troupeaux de chevaux sauvages venus d’on ne sait où ; les bisons biélorusses qui préfèrent les parages de la centrale accidentée à leur forêt natale. Sans oublier les poissons-chats dont la taille dépasse sûrement celle de bien des requins. On ne compte plus non plus les cervidés qui se plaisent à hanter la ville fantôme de Tchernobyl. Bref, la zone la plus contaminée de la planète serait devenue le paradis perdu des animaux.

Incroyable, mais faux ! Depuis 20 ans, Anders Pape Moller, de l’Université Pierre et Marie Curie de Paris, évalue les effets de la contamination radioactive sur la faune des alentours de la centrale ukrainienne. Et d’après le biologiste danois, pas plus que pour les humains, les rayons bêta et gamma ne sont bons pour les animaux.

Ces dernières années, cet ornithologue patenté a publié de nombreux articles sur le déclin des populations d’oiseaux dans la région de Tchernobyl. « Nous avons réalisé de nombreuses campagnes de comptage dans et hors des zones contaminées. Et, à l’intérieur de la zone d’exclusion, les populations d’oiseaux sont, en général, inférieures de moitié à celles que l’on trouve à l’extérieur », déclare-t-il.

Jusqu’à présent, ses travaux n’ont porté que sur nos amis à plumes. Avec son habituel compère Timothy Mousseau, de l’université de Caroline du Sud, Anders Pape Moller a voulu en savoir plus. « En adaptant nos méthodes, nous avons estimé les populations de mammifères, insectes, arachnides, amphibiens et reptiles », explique-t-il. Trois années durant, les chercheurs vont observer et baguer des oiseaux, compter bourdons, sauterelles et libellules, traquer les traces des renards.

Publiés cette semaine dans la dernière mouture d’ Ecological Indicators, les résultats de leurs travaux sont édifiants. « Tous ces animaux sont touchés par les doses de radiations et cela se voit nettement. Dans la zone d’exclusion leurs populations, tant en nombre qu’en diversité, sont moindres qu’à l’extérieur des zones contaminées. Pour certaines espèces d’insectes, la population est 89 % moins importante autour de Tchernobyl que dans le reste de l’Ukraine », précise le Danois.

Tout aussi grave, de nombreux spécimens sont malades. « Voilà des décennies que je bague des oiseaux. Or, à Tchernobyl, plus de 10 % des hirondelles capturées étaient atteintes de tumeurs. Je n’avais jamais vu ça auparavant », reprend-il.

Plusieurs mécanismes expliquent cet affaiblissement biologique. L’exposition aux radiations détruit ou endommage l’ADN des animaux, ce qui entraîne des conséquences fâcheuses pour leur descendance. La radioactivité fragilise aussi la chaîne trophique. Parce qu’il y a moins d’insectes, les insectivores sont moins nombreux, de même que leurs prédateurs.

Le bilan définitif de la catastrophe du 26 avril 1986 n’est pas près d’être achevé.

Les biocarburants, la morale et l’élection présidentielle

Que notre monde soit au bout de sa route, l’affaire des biocarburants en apporte une preuve dont je me serais bien passé. Je ne veux surtout pas dire que nos sociétés vont disparaître rapidement. Leur temps et leurs soubresauts se moquent bien de l’échelle qui est la nôtre. Mais elles sont entrées dans un processus de dislocation qui ne peut désormais s’arrêter. En plus de tout le reste, que vous connaissez comme moi, qu’il s’agisse de la crise écologique ou des impasses de « l’économie » officielle, il y a ce que nous appelons communément la morale.

Aucun groupe humain ne se maintient longtemps sans un ciment invisible, omniprésent pourtant, qui permet d’accepter l’obligation sociale. Qui donne aux existences un minimum de sens cohérent, de manière que la vie de chaque jour, le reflet dans le miroir, l’adresse aux enfants demeurent acceptables ou mieux encore désirables. Or tout se dissout. Les voleurs d’en haut s’emplissent les poches, légalement ou non, et profitent du butin, tandis que les Apaches, d’ici ou d’ailleurs, partent aux galères pour avoir vendu du shit ou dérobé un téléphone portable. Mais pour en revenir à la question du jour, les biocarburants éclipsent tout.

Je rappelle l’excellent principe : dans un monde toujours plus dévasté par la faim, des hommes bien nourris – beaucoup au Nord, certains au Sud – ont imaginé la transformation de plantes alimentaires en carburant automobile. Que cela soit un crime complet, et même un assassinat, qui pourrait donc le contester, et avec quels arguments ? Il est possible, il est même probable – mais nullement démontrable – que des centaines de milliers d’hommes ont été achevés sur l’autel de cette nouvelle industrie. Je me refuse à évoquer des données précises, car nous sombrerions alors dans la statistique, dans cet habituel voyeurisme des gavés que nous sommes. La faim. Celle qui tenaille pour de vrai, pendant des semaines et des années. Qui rend fou quand il devient impossible de donner quelque chose au mioche qui réclame. Allons nous plaindre après cela de la cuisson de notre steak quotidien.

Je sais cela, et dans le détail, car j’ai publié en septembre 2007, à l’époque du si lamentable Grenelle de l’Environnement, un livre dont je suis fier : La faim, la bagnole, le blé et nous, Une dénonciation des biocarburants (Fayard). Je crois y avoir révélé l’essentiel. Soit la constitution d’un lobby jusqu’au cœur de l’État, piloté par l’agriculture industrielle, en panne de débouchés pour ses si goûteux produits. Soit la grossière manipulation de l’opinion, à qui l’on a vendu cette idée ridicule que les biocarburants seraient bons pour le climat, quand ils aggravent le dérèglement en cours. Soit la destruction accélérée de milieux naturels prodigieux – par exemple les forêts pluviales d’Indonésie – afin de les remplacer par des plantations, comme des palmiers à huile, matière première des biocarburants. Ou la vente de millions d’hectares d’un tenant dans le bassin du Congo, pour y planter jatropha, manioc ou Dieu sait quoi, aux mêmes fins en tout cas. Soit l’annonce de famines terriblement aggravées par la concurrence entre des terres à vocation agricole et des terres sacrifiées à cette putain de bagnole.

Voilà que la Cour des Comptes française s’en mêle. Longtemps après une poignée de grands scientifiques, qui ont tordu le cou aux légendes commerciales et industrielles au sujet des biocarburants. Et bien loin derrière les institutions, souvent ultralibérales pourtant, comme la FAO, l’OCDE, le FMI, etc. qui toutes se sont attaquées aux mythologies associées au monstre. Il n’empêche : notre Cour des Comptes, donc. Et que dit-elle (ici) ? Un, nos conseillers si bien rémunérés ne savent que ce qu’ils lisent, et ils lisent apparemment peu. Ainsi ne peuvent-ils prendre en compte le désastre écologique global, humain, moral que représente cette invention du diable. Ils se contentent, avec la prudence qui est consubstantielle à leur confortable état, de noter : « Si, en France, le bilan coût / avantages des biocarburants du point de vue de leur effet sur l’environnement donne lieu à certaines critiques, la contestation qui environne cette question dans les autres pays du monde est beaucoup plus forte et va croissant ». Ajoutons que leur (nov)langue est à faire peur, mais c’est une autre histoire.

Se préoccupant avant toute chose de pognon, la Cour note avec une tranquille désapprobation (ici) que les exonérations fiscales en faveur des biocarburants ont coûté 3 milliards d’euros au budget commun entre 2005 et 2010. Au seul profit du lobby de l’agriculture industrielle. Rappelez-vous, si vous l’avez oublié, que le président en titre du « syndicat » agricole FNSEA, Xavier Beulin, est le patron de Sofiproteol, holding pesant plus de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2010, et dont le cœur de métier est la prolifération des biocarburants.

Moi, lorsque j’ai publié mon livre – je l’ai déjà écrit ici, mais je me dois de le marteler -, j’ai alerté tous les responsables de l’écologie en France. Quand je dis tous, j’exagère bien sûr. Mais pour les autres, il y avait tout de même mon livre. J’ai alerté, comme on dit, et suggéré quantité d’actions concrètes, auxquelles j’aurais volontiers participé au premier rang. Elles n’étaient pas toutes légales, non pas. Mais il me semble que face à une offensive planétaire du crime organisé, il faut accepter de risquer. Ses biens et sa liberté, pour commencer. Ne croyez pas que je verse avec facilité dans la grandiloquence. J’exprime ce que je pense. Et si même je devais reculer en telle ou telle circonstance, cela ne déconsidérerait que ma personne. Ni ma cause, ni les moyens proposés.

Une conclusion ? Les mouvements écologistes officiels et tous ces braillards de gauche ou d’extrême-gauche qui donnent des leçons à l’univers et prétendent incarner le bien, toutes ces excellentes personnes acceptent sans seulement moufter l’une des agressions les plus totales contre la vie et la morale élémentaire qu’on puisse imaginer. Et quand la barbarie montrera le bout de son groin, quel que soit ce groin, les mêmes, avant de s’enfuir, trouveront encore le moyen de justifier leur lâcheté et leur petitesse. Ils auront encore raison, car telle est la définition qu’ils se sont octroyé : toujours retomber sur ses pattes. Mais moi, je les exècre.

PS : Allez donc voter, je crois que j’ai autre chose à faire.

Le lac Poyang et l’élection présidentielle française

Rajout le 26 janvier, suite à un petit mot de mon ami Hacène. Il me reproche d’évoquer un avenir pulvérulent pour le lac Poyang, constatant à juste titre qu’il pleut encore 1 000 mm d’eau sur la région chaque année. Je ne change rien, et il le comprendra je pense, car j’ai déjà évoqué la grande distance – incommensurable – qui existe entre notre temps si chichement compté et celui des écosystèmes. Mon propos était une image.

Un événement domine tous les autres, qui réduit nos débats picrocholins à leur triste condition : l’état du lac Poyang, situé dans la province de Jiangxi (Chine). Avant de vous en dire plus, et je suis navré de devoir enfoncer ce clou empoisonné : l’élection présidentielle française, Son Excellence Jean-Luc Mélenchon comprise, est un comice agricole franchouillard, où les prétendants se filent des torgnoles pour rire, tout en arborant leur air avantageux et leurs plumes dans le derrière. J’ai honte. Je ne devrais pas, car tous ces candidats me sont bien peu, mais j’ai honte pourtant.

La France, dans ma mémoire profonde, est un pays de révoltés. Je ne dresserai pas la liste de toutes ses barricades, qui m’ont tant fait rêver. Je dois rappeler tout de même qu’il fut un moment de l’histoire où notre pays se pensait universel. Où il trouvait les mots – et les actes – pour parler bien au-delà de ses pauvres frontières géographiques et mentales. Tel n’est plus le cas. Gavé, perdu dans sa goinfrerie perpétuelle, il se contente de radoter. Sarkozy est un Rastignac de troisième division, Hollande un Mitterrand de pacotille, Mélenchon un Robespierre de banlieue. Ce n’est même pas drôle.

Le lac Poyang, donc. Allons à l’essentiel : il est crucial, il est vital pour les hommes et les animaux. Nous parlons d’un géant de 160 kilomètres de long et de 16 de large en moyenne. Soit le plus grand lac d’eau douce de ce pays d’1 milliard 400 millions d’habitants. Je ne sais pas, et je ne crois pas d’ailleurs qu’on sache bien, en Chine, combien d’humains sont abreuvés par ses eaux. Disons beaucoup, et je suis certain de ne pas me tromper. Disons des millions, et je suis bien sûr de ne pas exagérer. La province du Jiangxi, peu connue, se trouve au sud-ouest de Shanghai, et compte environ 45 millions d’habitants. Pour les oiseaux migrateurs, les chiffres sont raisonnablement plus précis : l’hiver, 500 000 d’entre eux et de 52 espèces différentes se gorgent de nourriture et de graisse sur ses rives et son imposante surface. Dont la merveilleuse et si menacée grue de Sibérie. Regardez ci-dessous cette beauté.

 Grus leucogeranus

Le Poyang abrite également 140 espèces de poissons et supporte la vie de 600 autres espèces animales (ici, en anglais). Que se passe-t-il là-bas ? Une catastrophe dont aucun mot humain ne peut s’approcher. Au printemps 2011, une sécheresse historique a frappé la région, asséchant 90 % de la superficie du lac. 90 % d’un lac de 160 kilomètres de long, je le rappelle. Je dois être en veine de photographies : regardez celles-ci, piquées à un site officiel chinois. Elles datent du 28 mai 2011 pour la première, et du 27 juin 2010 pour la seconde (ici), bien entendu prises au même endroit. Le lac est simplement devenu une prairie, avant peut-être de se changer en désert pulvérulent.

En haut : le 28 mai 2011, un photographe marche sur le lit exposé du lac Poyang à Jiujiang. En bas : le 27 juin 2010, le lac Poyang au même endroit.

Cela, c’était donc au printemps dernier. Et maintenant, c’est pire. Jamais le lac n’avait été aussi désespérément sec un mois de janvier. Les pêcheurs n’ont pas eu à sortir leurs barques, car l’eau n’y est plus (voir le reportage photo). La sécheresse n’est pas la seule explication, de loin. Le barrage des Trois-Gorges, l’insupportable barrage des Trois-Gorges (ici) joue un rôle-clé dans cette tragédie. Or ce barrage, c’est nous aussi. Car Alstom, l’entreprise franchouille dont Chevènement s’est fait le héraut a vendu aux canailles de la bureaucratie chinoise 12 des 26 turbines géantes des Trois-Gorges. Avis aux crapules de gauche et de droite qui défendent le travail « français ».

Pourquoi les Trois-Gorges sont-ils en cause ? Mais parce que le lac Poyang se situe à l’aval du lac de barrage, long de centaines de kilomètres ! Tout l’équilibre de ce qui fut un grandiose écosystème est rompu. À jamais, du moins à vue humaine. Une considérable partie des eaux est désormais retenue, au lieu d’irriguer les terres, et d’alimenter nappes et lacs. Même la Chine officielle s’en émeut, c’est dire ! Jetez un regard à cet article estampillé par Pékin, mais en langue française (ici), et notamment à ces mots terribles : « Le projet du barrage des Trois-Gorges n’a pas pris la mesure complète de son impact sur l’environnement durant sa phase de conception, a admis un fonctionnaire hier. Il a ajouté que cet impact pourrait néanmoins être minimisé par des rejets d’eau du réservoir appropriés dans le fleuve Yangtsé. Le plus grand projet hydroélectrique du monde a contribué à la diminution du niveau d’eau dans le lac Dongting du Hunan et dans le lac Poyang du Jiangxi, a déclaré Wang Jingquan, inspecteur adjoint du Bureau de prévention des inondations et de la sécheresse affilié au Comité des ressources hydrauliques du Yangtsé ».

Autrement dit, les communistes au pouvoir reconnaissent à demi-mots, mais vingt ans après les courageux qui osèrent l’écrire au risque de leur liberté et même de leur vie, que les Trois-Gorges sont un crime de masse. Je ne les déteste pas, je les hais. Je sais que dans une société (faussement) pacifiée comme la nôtre, il ne fait pas bon assumer un tel sentiment. C’est barbare. Pis, c’est vulgaire. Mais moi, pour être franc, je m’en fous. Je n’aurai pas vécu pour faire plaisir au monde des bien-nés et des bien-élevés.

Et je continue. La situation est si grave que, sans état d’âme apparent, les divines autorités de la province de Jianxi envisagent désormais…un barrage pour que le lac Poyang ne verse plus ce qui lui reste d’eau dans le Yangtsé, le fleuve martyrisé par les Trois-Gorges. Un barrage contre le barrage ! Nous sommes bel et bien dans le monde des Shadoks (ici, en anglais). Au total, si l’on en croit la presse officielle du régime, 243 lacs d’une surface de plus d’un kilomètre carré chaque ont disparu en Chine depuis cinquante ans (ici, en français).

Je vous le dis bien calmement : la Chine est en train de vivre un krach écologique au regard duquel nos angoisses ne pèsent rien. La crise financière dont tant de gens discutent chaque matin chez nous n’est absolument rien en face du grand désastre planétaire dont nous sommes coresponsables, au premier plan. Je vois, comme vous j’espère, que pas un candidat à notre funeste élection présidentielle ne s’intéresse si peu que ce soit à ce qui commande pourtant notre avenir commun. Autant dire que je les envoie tous au diable, du premier – de la première – au dernier – à la dernière. Je ne sais plus bien qui a dit cette phrase limpide, que je fais mienne : « Si le mensonge règne sur le monde, qu’au moins cela ne soit pas par moi ». Et en effet, au moins cela.

Une signature vaut mieux que rien (Michelin en Inde)

ATTENTION, LES SIGNATURES DOIVENT ÊTRE ENVOYÉES ici

Je vous prie tous, amis lecteurs, de relayer la pétition ci-dessous, que j’ai signée bien entendu. J’ai pu d’ailleurs écrire un article sur le sujet, qui me tient au cœur. Il ne s’agit plus du lointain et méchant Monsanto. Il s’agit de Michelin. Il s’agit bien de nous. Prenez le temps de lire. Prenez le temps de signer, et de diffuser. Merci.

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Bonjour à toutes et tous,
Toute une région du Tamil Nadu est actuellement mobilisée contre l’implantation d’une usine Michelin, ruinant la survie de milliers de villageois. Toute la population, hommes et femmes, s’est mobilisée. Il y a eu plusieurs grèves de la faim. Des militants ont été mis en prison. Nous vous demandons de diffuser largement cet appel à signatures et de nous adresser votre signature ici.

En soutien aux initiatives citoyennes indiennes, nous lançons un appel à tous ceux et celles qui refusent la loi du plus fort

                                     Michelin ne doit pas construire cette usine en Inde !

Le mouvement social ne peut plus se contenter de dénoncer abstraitement la délocalisation de l’économie. Non seulement cette dernière ruine l’emploi chez nous, mais elle détruit souvent à la racine les conditions de vie des plus pauvres au Sud. En Inde, un conflit terrible oppose un village d’Intouchables – les plus méprisés de ce pays de castes – et Michelin, notre grande transnationale du pneu.

Thervoy Kandigai est un bourg du Tamil Nadu, État du sud de l’Inde. Il compte environ 1500 familles, qui vivent depuis toujours des pâturages et forêts proches de Thervoy. Tel est leur territoire, que Michelin s’apprête à détruire pour l’éternité avec cette usine. Non seulement la forêt, espace indispensable à la survie de cette population sans terre, est confisquée mais elle a déjà commencé à être détruite, risquant par la même de tarir les lacs approvisionnant les villages locaux en eau. Notre transnationale a en effet réussi à convaincre les autorités fédérales, et entend bâtir une usine ultramoderne de pneus en lieu et place de la forêt des Intouchables. L’espace est déjà clôturé, des bâtiments déjà en construction, le centre de formation déjà ouvert.

Les villageois se battent seuls depuis deux ans, multiplient les actions, grèves de la faim. En retour, ils subissent la répression : coups, présence policière, emprisonnement, certains depuis février 2011. Ils viennent d’élire un Panchayat – sorte de maire – ouvertement opposé à l’installation de Michelin. Et ils appellent à l’aide internationale. La France est en première ligne, et les signataires de cette pétition demandent, comme les habitants de Thervoy Kandigai l’annulation du projet. Michelin India proclame sur son site internet : « Une des valeurs essentielles de Michelin, c’est le respect des personnes ». Le moment est venu de prouver que ces paroles ne sont pas que de la propagande commerciale. Ne touchez pas à la forêt des Intouchables de Thervoy Kandigai !

Les  soussignés exigent :
L’annulation de ce projet de construction d’une usine Michelin à Thervoy Kandigai
la restitution des terres aux villageois
l’indemnisation des villageois pour les terres détruites
la libération des 8 emprisonnés, l’amnistie pour les 61 en attente de jugement et l’arrêt de toute violence contre la population !

Premiers signataires

Thébaud-Mony Annie, sociologue, présidente de l’association Henri Pézerat, santé – travail – environnement, Fontenay-sous-bois

Nicolino Fabrice, journaliste, association Henri Pézerat, Fontenay-sous-bois

Roudaire Josette, présidente du Comité Amiante Prévenir et Réparer, Auvergne, association Henri Pézerat

Roca François, CGT Michelin, Clermont Ferrand

Souzon Thierry, CGT Michelin

Chevalier Michel, CGT Michelin

Gascuel Jean-Sébastien, hebdomadaire Paysan d’Auvergne

Serezat Jean-Pierre, Université populaire, Clermont Ferrand

Panthou Eric, Historien,Syndicaliste FSU, Clermont-Ferrand
Quinson Laurent, Bibliothécaire, Syndicaliste FSU, Lyon

Védrine Corine, ethnologue, Saint-Etienne

Le grand miracle de l’aggradation des terres (alléluia !)

Passer une année pleine au pays des aveugles est une chose. Finir 2011 sans l’ombre d’un espoir est au-dessus de mes forces. Et c’est pourquoi je vous parlerai aujourd’hui de l’aggradation. Je ne doute pas une seconde que certains lecteurs de Planète sans visa connaissent le mot. Mais je crois également que la plupart n’en ont jamais entendu parler. Or l’aggradation est un miracle. Elle l’est, car elle est l’envers de la dégradation. Elle est un soleil.

J’avoue ne pas bien savoir d’où le mot vient. À peine si je sais qu’il a servi dans le langage des géologues, et qu’il continue d’ailleurs. Je vous renvoie à un colloque canadien remarquable, tenu en 1992, et qui amène à l’histoire que je vais vous conter (ici). Il s’agissait à cette occasion de faire le point, avec des Portugais, sur une manière de restituer aux sols dégradés par l’agriculture intensive et ses diverses pestes chimiques la fertilité sans laquelle nous ne saurions vivre. En cette occurrence, par le « bois raméal fragmenté » ou BRF. En deux mots, ce dernier consiste à broyer finement du bois venu des arbres, arbustes et arbrisseaux proches, de la forêt, des fagots et restes en toutes formes. Ce broyat se révèle être, pour des raisons complexes qui me sont en partie mystérieuses, un magicien. Toute magie a ses limites, nous sommes d’accord, mais le BRF est capable d’authentiques prouesses.

Mais est-ce bien de lui que je veux vous parler ? Eh bien non, désolé de vous avoir emmené sur ce chemin de traverse. Mon sujet s’appelle Zoram Naagtaaba, mais aussi Filly Wemanegre, Tenkeega, sans oublier Terre Verte. Trois noms burkinabé, comme vous n’aurez pas manqué de le remarquer. Et un quatrième français, semble-t-il. Les premiers sont chacun une association du Burkina Faso, État si pauvre de l’Afrique de l’Ouest. Et le dernier une structure de soutien française créée le 23 avril 1989 à Landrecies (Nord), dans une région qui connaît le sens du mot solidarité.

En cette année 1989, seule Zoram Naagtaaba existait déjà. Cette association a été lancée pour servir de cadre juridique à une ferme sahélienne pilote, Guiè. Mais j’entends déjà des questions sur le Sahel, et je m’empresse d’y répondre. Le Sahel – en arabe – ???? -, le mot signifie lisière, côte, frontière – est une immense bande qui relie la mer Rouge à l’Atlantique, marquant une transition climatique, pluviométrique, floristique entre le géant saharien et les savanes plus au sud, où il pleut encore abondamment. Cette ceinture s’étend sur environ trois millions de km2. Et se trouve soumise à des caprices météorologiques qui paraissent de plus en plus graves.

En fait, c’est presque simple. Le Sahara, jadis verdoyant et accueillant aux activités humaines, est devenu le plus vaste désert chaud de notre monde. Les hommes et leurs pratiques, dont l’écobuage – qui consiste à brûler la végétation arborée pour obtenir de l’herbe à bétail l’année suivante – ont leur part dans ce désastre. Quoi qu’il en soit, les peuples installés plus au sud, dans ce Sahel aux pluies incertaines, ont continué à pratiquer surpâturage et déboisement, entraînant sans cesse une aggravation de la situation. Allons droit au but : le Sahel est une zone clé de la crise écologique planétaire.

Et c’est ici que des hommes simples mais d’exception ont décidé d’agir. Je ne sais pas la répartition de tous les rôles, mais je reçois des nouvelles régulières des réalisations de cette belle équipe, par la voie électronique. Vous pouvez d’ailleurs en faire autant (ici). Pour ce que je comprends, il y a au point de départ rencontre entre des paysans burkinabè et un Français, Henri Girard, agronome vivant depuis des lustres au Burkina. Dans une, puis deux, trois fermes enfin, les associés démontrent sur le terrain l’efficacité miraculeuse de techniques au service des hommes. Lesquelles reposent notamment sur la création d’un périmètre bocager, ou wégoubri dans la langue mooré. C’est-à-dire un paysage agricole équilibré, où les champs sont délimités et protégés par des haies vives boisées. Incluant parcelles privées et communs.

Pour aller vite, ce système permet une conservation presque complète des eaux pluviales sur la parcelle cultivable et limite considérablement l’érosion et la divagation d’un bétail toujours menaçant pour les cultures. Je les cite : « De même que le désert appelle le désert, le bocage appelle le bocage ! Un bon entretien de ce milieu crée une dynamique et il n’est pas rare de voir pousser dans les haies vives des arbres semés par le vent ou les oiseaux, ainsi que la réapparition d’une faune qu’on croyait disparue à jamais. Ce retour de la biodiversité dans des terroirs dégradés est un résultat majeur de notre programme d’embocagement ».

Grâce au « ruissellement zéro », grâce à la technique antique du « zaï », les sols si lourdement dégradés par des activités sans avenir reprennent vie. Ils se trouvent restaurés. Dans le petit vocabulaire des mots d’espoir que je tiens près du cœur, aucun je crois ne résonne aussi fort que celui de restauration. L’avenir, s’il est, appartient tout entier à la restauration écologique, collective, décisive, des écosystèmes. Si le système utilisé dans les fermes de Guiè, Filly et Goèma pouvait s’étendre à la région martyre qu’est le Sahel, je crois, je crois sincèrement que le processus de stérilisation de la vie commencé là-bas il y a des milliers d’années pourrait être inversé.

Nous en sommes loin, mais si près pourtant. En cette extrême fin de l’année 2011, ceux de Guiè, Filly et Goèma nous montrent une voie concrète et réaliste. Réaliste ne veut pas dire aisée, concrète ne veut pas dire réussie. 2011 a été une très mauvaise année de pluies, et 2012 s’annonce menaçante. À Filly, par exemple, il n’a plu que 422  mm. Lisez donc avec moi la fin d’un message signé Henri Girard : « Comme annoncé en octobre, nous allons réagir à cette menace de famine en lançant des travaux à haute intensité de main d’œuvre (HIMO), afin de permettre aux populations de gagner l’argent nécessaire pour s’acheter des céréales, tout en travaillant pour améliorer leur environnement (pistes rurales boisées, bullis, aménagements bocagers). Si vous souhaitez nous soutenir (chèque, virement, CB, PayPal), nous vous en rappelons le lien : ici ».

S’il vous reste deux sous, je vous invite bien entendu à les envoyer au plus vite là-bas, ce qui sera une bonne et heureuse action. Et au-delà, permettez-moi de vous dire que la grande révolution est là. Dans la rupture totale, ici même comme partout ailleurs, avec l’agriculture industrielle, qui est en train de nous conduire à la plus grande famine de tous les temps. Oui, je forme le voeu, en cette fin d’année 2011, que nous soyons assez forts, assez fous, assez grands pour faire disparaître en dix ans cette manière criminelle de traiter les sols, les êtres, les plantes. Je ne conçois pas d’urgence plus totale que de vaincre l’industrie de l’agriculture, pour la changer en une vaste coalition planétaire, mêlant urbains et ruraux, en faveur de l’agroécologie. Elle seule peut nourrir ceux qui viennent. Elle seule peut nous conserver longtemps encore cette biodiversité qui meurt à si vive allure. Elle seule est humaine. Le reste n’est que barbarie chimique et destruction de tout par tous.

Amis lecteurs, je crois, et je me répète : je crois qu’une voie existe, aussi étroite qu’elle soit. Il faut forcer le passage, avancer, ne plus jamais reculer. Le Burkina Faso montre l’exemple.

De nouveau, le site de Terre Verte : http://www.eauterreverdure.org