Élections présidentielles au Brésil le 3 octobre. Lula, « grand homme de gauche », ne peut se présenter une troisième fois et a placé sur orbite Dilma Rousseff, qui a toutes chances de l’emporter. Pendant ce temps, l’un des milieux naturels les plus importants au monde – le cerrado – disparaît. Pour faire plaisir aux amis de Lula.
Le cerrado est lointain, mais il nous est pourtant essentiel. Avis aux nombreux petits rigolos qui ont marché dans la combine du Grenelle de l’Environnement, cette farce aux seules dimensions de la France. Cerrado, en espagnol comme en portugais signifie fermé, refermé, touffu, épais. Et tel est bien le cerrado du Brésil, une immensité d’environ 2 millions de km2, soit à peu près quatre fois la France. Une gigantesque savane arborée qui sépare grossièrement la vaste forêt tropicale amazonienne et l’océan, passant du niveau de la mer jusqu’à l’altitude de 1800 mètres. Il s’agit de ce que l’écologie scientifique nomme un biome. C’est-à-dire l’ensemble des formes vivantes présentes sur une vaste surface. Une cohérence d’écosystèmes corrélé à une aire géographique. La taïga est un biome. Le cerrado un autre.
Dans ce continent d’herbes et d’arbustes, plein de cachettes, d’eaux vives, d’épineux, de clairières, on trouve au total – pense-t-on – 160 000 espèces de plantes, de champignons et d’animaux. 100 espèces d’herbes, par exemple. 430 espèces d’arbres et d’arbustes. Il y aurait 4 400 espèces végétales endémiques, qu’on ne trouve donc que là sur la terre. Et 1 500 espèces animales de même, dont certes beaucoup d’invertébrés. Ce n’est pas tout, car c’est inépuisable. Le cerrado abrite par ailleurs les sources de nombreux affluents de l’Amazone et entretient par ses flots la plus vaste zone humide du monde, le Pantanal. Héros animaux de ce pays de rêve : le jaguar, le fourmilier géant, le tatou jaune et le capybara, qui se trouve être le plus gros rongeur de la planète.
Trop beau pour être vrai ? En effet. Le cerrado subit la plus grave agression de sa longue histoire, de loin. Selon les chiffres officiels du gouvernement brésilien, il aurait perdu la moitié de son territoire en cinquante ans (ici). Évidemment, la surface est toujours là, mais le cerrado, lui, a disparu. Bouffé par les activités humaines, en particulier par l’élevage et le soja transgénique, celui que nous importons par millions de tonnes chaque année pour nourrir notre bétail industriel. Celui qui débarque chaque jour à Lorient ou Brest. Le soja n’existait pas au Brésil il y a cinquante ans. Il couvre aujourd’hui peut-être 25 millions d’hectares, et comme il fait gagner de colossales fortunes aux producteurs et exportateurs, cela n’est pas près de finir. Le « roi du soja » brésilien, qui est probablement le plus gros producteur mondial, s’appelle Blairo Maggi. Non content d’avoir longtemps été le gouverneur de l’État du Mato Grosso – il vient de refiler la charge à un proche -, Maggi est aussi un allié fidèle de Lula, et donc de cette gauche brésilienne aussi pourrie que ne l’était la droite.
Le cerrado est donc dévoré de l’intérieur par ce développement qui est celui de la dévastation générale. Mais ne pas croire que les bureaucrates locaux sont indifférents. Ce serait mal les connaître. Eux aussi ont leurs Borloo et leurs Jouanno. Ils ont un plan, les amis, qui consiste à diminuer de 40 % les destructions d’ici 2020. Remarquez avec moi qu’ils n’ont pas même l’ambition d’arrêter le grand massacre. Non. Diminuer son rythme sera bien assez. Moi, qui vis à des milliers de kilomètres des lieux, je peux vous dire que ce dérisoire objectif ne sera pas même atteint. Ce qui se passe dans le cerrado est comparable à la guerre menée contre la Grande Prairie américaine aux 19 et 20 èmes siècles. Que reste-t-il de cet océan végétal ? Du maïs et des pesticides. Le cerrado aura droit au même destin, sauf révolte radicale. Et pulvérisation de l’industrie du soja. Nous y pouvons quelque chose ? Oui, nous pouvons tenter de détruire de notre côté l’élevage industriel. La tâche n’est pas évidente. Il est vrai. Elle est seulement fondamentale. Morale, écologique, humaine et fondamentale.
Si je m’autorise à écrire que le cerrado n’a, en l’état actuel, pas une chance, c’est qu’on pleure sur son sort depuis des lustres. Lisez avec moi ces quelques mots (le reste est ici, en français) : « Ces cinq à dix dernières années, 300 rivière se sont asséchées dans le cerrado à cause de la culture intensive du soja. Or elles sont parmi les plus importants affluents des grands fleuves qui rendent le Brésil aussi riche en ressources hydriques ». Je n’ai pas eu le cran de remonter à Mathusalem. Ce texte date de 2003, ce qui est bien suffisant. Lula est le président en titre depuis 2002. Mais pourquoi aurait-il embêté ses amis si chers ?
Morale de l’histoire. Il est douteux que j’en trouve une. Mais je sais qu’il est plus que temps de cesser les pleurnicheries. Il est un but clair, cohérent, positif qui pourrait réunir ce que la France compte de véritables écologistes. Bloquer, tenter de bloquer le débarquement du soja dans les ports français. C’est un appel ? C’est un appel. Crédible ? Je m’en fous.
PS : Suite à la remarque justifiée d’Hacène, j’ai modifié un court passage du texte ci-dessus. Celui concernant le nombre d’espèces recensées dans le cerrado. Sur le fond, bien sûr, c’est exactement le même texte.