Archives de catégorie : Climat

Que penser de Didier Raoult ?

Vous suivez sans doute comme moi les aventures burlesques du professeur marseillais Didier Raoult. Lui prétend avoir trouvé la pierre philosophale. L’hydroxychloroquine, éventuellement en association avec un antibiotique, serait en mesure de guérir massivement des atteintes par le coronavirus. Beaucoup de médecins et chercheurs constatent que certaines règles de base de la publication scientifique n’ont pas été respectées. Parmi eux, fût-ce à voix basse, quelques-uns mettent en cause une personnalité violemment extravertie.

Les soutiens politiques de Raoult se situent le plus souvent chez des hommes et femmes de droite ou d’extrême-droite, mais un Julien Dray – problème mineur : est-il de gauche ? – le défend également. Pour finir, d’innombrables conspirationnistes, sur le net, profitent de l’occasion pour marteler qu’on nous cache tout, et même que les juifs seraient derrière une entreprise de démolition de la miraculeuse découverte, qui ne leur rapporterait pas assez. Pauvres salauds.

Que penser donc de cette histoire ? Je ne saurais dire, évidemment, si l’hydroxychloroquine est un bon médicament contre la pandémie. Peut-être. Peut-être pas. L’évidence, c’est qu’on ne dispose pas de preuve scientifique pour le moment. Mais cela reste possible, et en ce cas, comme tout le monde, j’applaudirai l’usage massif d’un médicament si bon marché. Mais en toute hypothèse, cela ne règle aucunement la question de la place de Didier Raoult dans le panorama général.

Il se trouve que cet homme a été chroniqueur pour l’hebdomadaire Le Point jusque fin 2018 me semble-t-il. Et qu’il y a balancé des tombereaux de graves conneries climatosceptiques. Suivez avec moi quelques menus exemples : « Le réchauffement climatique est incertain et la responsabilité de l’homme discutable » (2014), « Après une poussée thermique notable dans les années 1990, la Terre a globalement arrêté de se réchauffer depuis 1998. » (2014), « Question réchauffement climatique, la seule certitude des scientifiques est qu’il est impossible de prévoir la température qu’il fera sur la Terre dans dix, vingt ou trente ans ». (2014), « Cela laisse penser que les changements observés pendant le XXe siècle ne sont pas reliés à des activités humaines mais probablement dus à des variations liées au hasard ». (2014), « La planète ne se réchauffe plus depuis 1998. Jusqu’à cette date, le réchauffement brutal était lié à un phénomène météorologique : El Niño ». (2013), « Pour la première fois, on a vu des académiciens demander à une ministre – Valérie Pécresse – de condamner les propos hérétiques d’un géologue académicien – Claude Allègre – qui avait osé proposer une hypothèse alternative. Ce type de procès tient plus de l’approche religieuse que de la science ». (2013)

On l’aura compris, Raoult aura chaussé les lourds croquenots d’Allègre, vingt ans après lui. Car souvenons-nous qu’Allègre a enfilé les mêmes perles dans ses chroniques du…Point autour de l’année 1996. J’en sais quelque chose, car sauf erreur, j’ai été l’un des tout premiers – le premier ? – à ferrailler publiquement avec lui, lorsqu’il était si puissant. Raoult sur les traces d’Allègre, donc.

Je passe sur les plus de 3000 publications scientifiques qu’il a au moins cosignées dans sa carrière. Le fait est l’objet d’une polémique, car beaucoup se demandent par quel miracle un homme aurait pu à lui seul participer à autant d’études. Je rappelle qu’il est courant qu’un chercheur se maintienne au-dessous de cinquante articles parus dans la littérature scientifique en une vie de laboratoire. Mais je passe, car de cela, je me fous. Grand bien fasse à son ego.

Le climatoscepticisme, lui, ne passe pas. C’est un crime. Le héros de Raoult, Allègre, a été convaincu de pure et simple tricherie dans son dernier livre paru en 2014, L’Imposture climatique, utilisant par exemple une courbe directement truquée, ainsi que l’a démontré Sylvestre Huet dans L’Imposteur, c’est lui. Ce n’est pas indifférent, car Allègre, tout comme Raoult est un microbiologiste indiscutable, fut avant ses folies médiatico-climatiques un géochimiste reconnu mondialement, récipiendaire en 1986 du grand prix Crafoord. Où l’on voit que l’on peut être un vrai scientifique d’un côté, et une pauvre personne de l’autre.

Revenons à Raoult. Il est manifeste que l’homme tient de l’histrion et que son hypernarcissisme le conduit à privilégier l’épate et le contre-courant. Il veut être seul. Il veut clamer, briller, épater et confondre les nains qui l’entourent fatalement. C’est un genre. D’ailleurs, jusqu’à fin février, il prétendait publiquement que le coronavirus n’était à peu près rien du tout : « Il y a trois Chinois qui meurent, et ça fait une alerte mondiale ». Une belle conscience en action, n’est-ce pas ?

Et pourtant. Et pourtant, pourquoi être embarrassé ? Dans l’affaire de l’hydroxychloroquine, il a peut-être raison. Il arrive même à de fichus imbéciles d’avoir raison, et Raoult, quoi qu’il en soit de ses limites, n’est pas un idiot. Seulement, pas question d’oublier le reste. Un microbiologiste qui ose radicalement contester le travail des milliers de chercheurs associés au GIEC, vrais spécialistes dans leurs domaines respectifs, usant de son pouvoir médiatique pour influencer la décision publique, cela ne peut inspirer que du dégoût. Alors, Raoult est dégoûtant ? Il l’est.

Planète sans visa rouvre ses portes

L’événement est du genre mineur, mais enfin, c’est comme ça : je reprends du service. Moi, Fabrice Nicolino, qui ai créé en septembre 2007, il y a plus de douze ans, Planète sans visa. Depuis cette date – je n’ai pas compté -, j’ai écrit et publié ici environ 1500 articles, tous disponibles. Ce que j’ai dans la tête n’a rien d’un secret. Il suffit de se référer à cette déclaration d’intention, en date du 27 août 2007.

Pourquoi s’y mettre à nouveau ? Parce que. Parce que, comme tant d’autres, je suis confiné et que ces circonstances amènent fatalement à penser un peu. Si j’en ai le goût, si j’en trouve le temps, j’écrirai ici un journal incertain, irrégulier et sincère sur ces jours d’agonie d’un monde détestable. Notons dès avant cela que Planète sans visa annonce audacieusement à son frontispice : une autre façon de voir la même chose.

Ce premier épisode concerne tous les êtres vivants, humains compris. J’éprouve depuis le départ une gêne à observer ce qui est si visiblement une épidémie de riches. Attention ! je ne souhaite pas aggraver mon cas, car je sais que ce que nous vivons est une très lourde épreuve. J’éprouve une compassion que je crois sincère pour les milliers de malades de France, les centaines de milliers de malades ailleurs. Et ne parlons pas des morts qui partent à la fosse seuls, sans même que leurs amis aient pu les accompagner. L’épouse de l’un de mes frères a dû accepter la crémation d’un proche à l’étranger, sans pouvoir faire le voyage. Bref, inutile de me chercher sur ce terrain : je sais combien tout cela est triste, douloureux, funèbre.

Je sais aussi que notre monde malade du Nord se contrefout, en règle si générale, du sort des autres. Le choléra, oublié ici depuis le 19ème siècle, tue chaque année 100 000 humains, dont chacun vaut bien la peau de chacun de nous. Faut-il rappeler la dernière phrase d’un texte célèbre ? « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui.» Dans ce même temps, 272 000 enfants de moins de cinq ans meurent du paludisme. 650 000 de la grippe, et pas que des petits vieux. 770 000 du sida, malgré la trithérapie. Autour de deux millions de gosses boivent une eau contaminée, eux-mêmes vivant au milieu de 1,6 milliard d’humains sans accès sécurisé à une eau de qualité. 96 millions sont frappés par la dengue. 800 millions sont des affamés chroniques et 9 millions en meurent. Mais deux milliards d’adultes sont en surpoids, dont 650 millions d’obèses. 140 millions seront réfugiés climatiques dans leur propre pays en 2050, selon la Banque mondiale. Ou peut-être 250 millions, comme le craint l’ONU. À moins qu’ils ne soient un milliard, selon d’autres sources.

Est-ce assez ? Cela ne le sera jamais. En quarante ans, 60% des populations d’animaux sauvages ont disparu et le rythme s’accélère. Voilà qu’on s’en prend – et peut-être y a-t-il une part de vrai – au pangolin et à la chauve-souris, accusés d’avoir propagé le coronavirus. Il y a près de 25 ans, la grippe aviaire avait été l’occasion d’un fantastique déni mondial. On accusait les oiseaux sauvages, ces salauds, de transporter le virus dans le monde entier, avant de s’interroger sur les routes majeures de la propagation, qui étaient celles du transport d’animaux de l’élevage industriel.

Qu’en sera-t-il demain ? Savez-vous qu’en Chine, d’où tout est parti, on lance des fermes de 100 000 vaches à la frontière avec la Mongolie ? Que l’on élève des porcs dans des immeubles spécialement conçus pour en accueillir des milliers ? Que la peste porcine africaine (PPA) a peut-être tué au moment où j’écris – le pouvoir totalitaire le conteste -, 200 millions d’animaux ? Que la Chine toujours, pensant mieux se protéger du fléau, élève désormais des porcs géants, aussi lourds que des ours ?

Or, il pourrait y avoir 10 milliards d’humains sur terre en 2050. Qui les nourrira ? Selon l’Atlas mondial de la désertification, 20% de la surface végétale a subi un déclin de sa productivité agricole. Maria-Helena Semedo, directrice générale adjointe de la FAO : « Si nous n’agissons pas maintenant, plus de 90 % des sols de la surface de la terre pourraient se dégrader d’ici 2050 ». Il faut entre 200 ans et plusieurs millénaires pour obtenir un centimètre de sol.

Pourquoi vous asséner ces chiffres implacables ? Parce qu’ils sont implacables. Ils sont le cadre, la contrainte, le paradigme dans lequel tout doit être repensé radicalement. Telle est la base morale et pour tout dire raisonnable de tout discours politique en ce mois de mars 2020. La crise terrible du coronavirus doit être considérée, Dieu sait. Mais en sachant ce que nous avons sous les pieds. Les innombrables pantins et paltoquets qui nous ont conduits là ne nous sortiront pas de ce cauchemar. C’est l’heure des vaillants. Sortez de la paille, descendez des collines.

Du côté d’un autre blog

Au cas où cela vous aurait échappé, je n’écris presque plus ici. La faute au mouvement des Coquelicots, dont je suis le président. Cela finira bien par s’arranger, mais en attendant, sachez que je sévis sur un autre blog. Si le cœur vous en dit, c’est ici. Faites au moins un tour.

.

Où sont passés les documents sur le chlordécone ?

Où sont passés les documents ? Derrière cette question se cache le lobby des pesticides. Celui qui parvient à mettre sur le marché des molécules ultratoxiques – DDT, lindane, malathion, atrazine, fenthion, paraquat, chlordécone, néonicotinoïdes, SDHI, tant d’autres – avant d’éventuellement les interdire des décennies plus tard, quand les profits ont été engrangés.

Où sont passés les documents ? En France, depuis l’après-guerre, l’homologation des pesticides est un scandale permanent. L’agrochimie a fait la pluie et le beau temps dans les commissions officielles, faisant même siéger certains de ses membres ès qualités. Une structure essentielle du ministère de l’Agriculture, le Service de protection des végétaux (SPV) accordait le sésame officiel – l’équivalent des Autorisations de mise sur le marché (AMM) de l’ANSES aujourd’hui – grâce auquel on pouvait vendre des poisons. Ses chefs successifs, entre 1945 et 1990 – André Vézin, le docteur Pouthiers, Pierre Dumas, Lucien Bouix, Pïerre Journet, Jean Thiault – étaient tous en lien étroit avec le lobby des pesticides créé en 1945 par Fernand Willaume, notamment au travers de la revue Phytoma.

Où sont passés les documents ? Aux Antilles françaises, ces hommes ou leurs successeurs ont accordé en 1981 une AMM au chlordécone, pour utilisation massive dans les bananeraies. Qui a signé leur papier, engageant au passage une indiscutable responsabilité-culpabilité ? Edith Cresson, première des ministres de l’Agriculture de François Mitterrand.

A cette date, le ministère de l’Agriculture SAIT que le chlordécone est l’un des pires poisons chimiques. Il a été interdit aux Etats-Unis en 1976 après un scandale sanitaire – des dizaines de travailleurs d’une usine d’Hopewell (Virginie) victimes de graves troubles neurologiques – qui a fait le tour du monde. Le ministère SAIT, mais impose le chlordécone.

Où sont passés les documents ? Le 1er février 1990, l’AMM du chlordécone est enfin retirée. Mais le nouveau ministre de l’Agriculture Henri Nallet, socialiste lui aussi, accorde le 5 juin une dérogation de deux ans au poison. Nallet a travaillé jusqu’à l’âge de 30 ans pour la FNSEA, et sera pendant vingt ans, à partir de 1997, lobbyiste des laboratoires Servier, responsables du cauchemar appelé Mediator.

En mars 1992, un troisième ministre socialiste de l’Agriculture, Louis Mermaz, accorde une nouvelle dérogation d’un an. En février 1993, Jean-Pierre Soisson, qui a pris sa place, offre six mois de plus aux empoisonneurs. Le chlordécone continuera d’être utilisé, illégalement cette fois, mais grâce à des complicités qui n’ont pas été recherchées.

Où sont passés les documents ? Un pesticide interdit dès 1976 aux Etats-Unis aura donc été massivement épandu en France de 1981 à 1993. En cette fin d’année 2019, 92% des Martiniquais et 95% des Guadeloupéens ont du chlordécone dans le corps. D’une stabilité rare, ce toxique ne sera dégradé dans les sols que dans environ 400 ans. Il provoque des cancers, des maladies neurologiques et de la fertilité, une hypertrophie du foie, etc. Les Martiniquais détiennent le record du monde du nombre de cancers de la prostate pour 100 000 habitants. Des études de haut niveau – celles du professeur Luc Multigner – relient nettement l’exposition au chlordécone et ces cancers.

Où sont passés les documents ? Ce mardi 26 novembre, la Commission d’enquête parlementaire sur le chlordécone rend son travail, qui sera rendu public le 2 décembre. Elle ne vous racontera pas cette histoire, pour des raisons qui la regardent. Notons qu’il eût été surprenant que son président, le député socialiste de la Martinique Serge Letchimy, aille au bout d’une affaire qui devrait conduire devant la Cour de Justice de la République madame Edith Cresson, messieurs Nallet et Mermaz, tous socialistes, et monsieur Jean-Pierre Soisson.

Où sont passés les documents ? La Commission parlementaire a en tout cas confirmé ce que l’on savait déjà. Tous les documents concernant la Commission des toxiques entre 1972 et 1989 – la ComTox pour les initiés – ont disparu. Pour dire les choses avec un peu plus de clarté, ils ont été détruits. Et s’ils l’ont été, c’est qu’ils disaient pour une fois la vérité sur le lobby des pesticides.

Bien entendu, aucune enquête n’aura été diligentée. Comment une telle masse de documents ont-ils pu s’envoler du siège de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), ce centre nerveux du ministère de l’Agriculture qui a géré si abominablement la question des néonicotinoïdes tueurs d’abeilles ? Poser la question, c’est entrevoir la réponse.

Frédéric Wolff parle des SDHI

Je m’étais fait un devoir moral de lire, avec la plus grande attention qui soit, cette nouvelle enquête sur les pesticides et les SDHI (Le crime est presque parfait, par Fabrice Nicolino, éditions LLL). C’est chose faite, et je peux en témoigner à présent : la satisfaction a pris le pas sur le devoir. Cela semblera étrange, peut-être, s’agissant d’un sujet qui, à première vue, peut apparaître aride, voire rébarbatif. Mais voilà, il ne l’est à aucun moment. Probablement, sans doute même, parce qu’il est porté par une conviction, une nécessité existentielle, une écriture. Oui, ces forces dont nous avons tant besoin parcourent ces pages. Elles tiennent en haleine jusqu’au bout, elles donnent à nos combats des arguments puissants, des raisons d’aller plus loin.


Un livre de combat, donc, de vérité et de courage, dont je ressors un peu sonné, tant la gangrène est répandue jusque dans les instances censées nous protéger. Je ne crois pas être suspect de candeur, d’optimisme béat ou de méconnaissance crasse de ces questions, mais le délabrement est à ce point avancé, dénoncé, preuves à l’appui, que j’ai été pris de vertige à plusieurs reprises. Il y a, dans cette enquête, de quoi créer un scandale d’Etat, une dissolution immédiate des structures de décision et de protection sanitaire, une refonte totale des tests réglementaires, une interdiction pure et simple des pesticides, une transformation radicale de notre modèle agricole, un procès contre ceux qui, depuis des décennies, organisent l’empoisonnement et dévastent la paysannerie. Les mêmes qui, souvent, prétendent la défendre !


Il y a, sans l’ombre d’un doute possible. Sauf que voilà. L’Etat a rompu les termes du pacte social. Le droit élémentaire de ne pas être empoisonné est bafoué en toute impunité.
Dans ces conditions, désobéir, comme le propose Fabrice, c’est prendre acte de cette trahison première. C’est formuler une évidence : il y a des lois, celles de la vie sur terre, qui priment sur celles des lobbies. Des intérêts communs qui doivent l’emporter sur les intérêts privés. Un principe supérieur, la santé du vivant, au-dessus de la santé des potentats industriels. Potentats ? Disons que j’ai décidé de rester courtois. Et franchement, j’ai du mérite !


A la désobéissance, j’ajoute la dissidence, un mot que ne désavouera pas Fabrice, j’en suis convaincu. Une rupture mentale avec la société techno-industrielle, une sécession qui en emporte d’autres, très concrètes, faite de refus, de rejets dans nos vies de tous les jours. Nous crevons aussi de cela : nos petites redditions quotidiennes, notre soumission aux injonctions de nos maîtres dont nous reprenons en chœur les mots d’ordre. Il faut bien vivre avec son temps, on ne peut pas faire autrement, on ne va quand même pas revenir à l’âge de pierre, la science et la technologie trouveront la solution, elles nous aideront à repousser infiniment les limites, tout est question d’usage individuel, on ne va pas renoncer à notre niveau de vie, à la mobilité, à nos objets surabondants, à l’extension indéfinie des droits individuels, au culte du pratique et de l’efficacité en toute chose…
Désobéir à ces commandements jusque dans nos choix d’existence, ça n’a sans doute rien de spectaculaire, ça complique parfois sacrément le quotidien, ça conduit à des renoncements, mais sans cette rupture existentielle, je ne vois guère d’horizon et moins encore de vie digne de ce nom.


J’en reviens au livre. Un crime, donc. Qui dit crime dit procès. Je ne suis pas naïf au point d’imaginer qu’il va se tenir demain et nous conduire à des changements majeurs. Sauf, peut-être, si le sursaut gagne les cœurs et fait tomber les bastides. Qui sait ? Et pourquoi pas l’organiser nous-mêmes, ce procès ? Avec de vrais avocats, de véritables juristes, d’authentiques victimes, dont des paysans, car oui, sur tous les tons, sous tous les angles, il faut le dire, le répéter : ce ne sont pas les paysans que nous attaquons, contrairement à ce qu’affirme la FNSEA productiviste, pro-pesticides et co-gestionnaire de la disparition de la paysannerie. Faut-il rappeler les chiffres ? Dix millions d’actifs agricoles après-guerre, 500 000 aujourd’hui. Et demain, avec l’agriculture robotisée et connectée défendue par les mêmes industrialistes ?

Ce que nous dénonçons, c’est un modèle agricole devenu toxique pour les sols, la faune, la flore, l’eau, les agriculteurs eux-mêmes, les humains que nous sommes, les forêts dévastées par le soja destiné à nos animaux d’élevage et par les nécrocarburants (soutenus par la même FNSEA qui prétend par ailleurs nourrir le monde et protéger le climat !), les paysans du Sud anéantis par nos exportations alimentaires bradées et subventionnées (et le même syndicat de dénoncer les distorsions de concurrence !), les fermes-usines à produire du kilowatt, l’élevage qui était un compagnonnage et qui est devenu une industrie de la souffrance et du minerais de viande bientôt complétée par la viande in vitro fabriquée par des multinationales bien peu recommandables avec l’assentiment des végans. Un modèle qui étouffe ses paysans criblés de dettes, empoisonnés, réduits à la servitude, à la merci d’un ordre économique morbide, des fabricants d’engrais et de traitements chimiques, de graines et de plants hybrides, de conglomérats tout-puissants et de racket commercial. Un modèle qui ne fait plus vivre ses paysans et qui coûte plus qu’il ne rapporte. Bref, un anti-modèle dont il est urgent de sortir.


Un procès, donc, mais pourquoi ? Non pour couper des têtes ou pour emprisonner. Mais pour dire que ça suffit, que le déni de justice et de démocratie a vécu. Pour nommer les ennemis, pour que l’infamie tombe sur eux. Pour que des âmes se lèvent et défassent des empires que l’on pensait indestructibles. Une mise en scène de contentieux parfaitement réaliste. Ou parodique à la Jean Kergrist, clown atomique de son état.


L’idée n’a rien d’inédit. Elle a inspiré des batailles, avant nous. Ainsi, en Inde, avec ce tribunal citoyen et fictif contre l’accaparement des terres, le pillage des ressources, les industries extractivistes, les villages brûlés, les milliers de morts. Ainsi à Berlin contre la Banque mondiale et le FMI, à Porto Allegre contre la dette. Et j’en oublie.
Une juridiction sans aucun pouvoir, sinon celui de cristalliser un mouvement, un moment de l’Histoire. Ou autre chose. Qu’importe. Mais que le souffle ne retombe pas.
En attendant, nous avons ce livre à faire connaître, à offrir. Cette affiche, à placarder, représentant un pseudo-scientifique qui ne voit rien, n’entend rien, ne dit rien et finalement se contrefout éperdument des alertes lancées par des savants de renommée mondiale. C’est à la page 242 et c’est sur le site des coquelicots. Nous avons nos rassemblements des coquelicots, l’appel à faire signer, des alliances à nouer, une désobéissance pacifique à élargir. Et de la dissidence à faire vivre dans nos choix de tous les jours.