Une nouvelle génération de téléphonie mobile est annoncée : la 5G. 
Elle est beaucoup plus qu’un simple aménagement des standards 
téléphoniques actuels. Le progrès qu’elle préfigure ? Un effroyable 
regrès sanitaire, écologique, démocratique et humain. Allons-nous 
laisser faire ? Résister ? Ni cobayes, ni machines, nous ne sommes pas 
négociables, pas plus que la vie sur Terre.  
Des milliards d’objets connectés, des millions de stations de base  terrestres, une antenne tous les cent mètres, 20 000 satellites  supplémentaires, le Très-Haut débit accessible aux endroits les plus  reculés du monde, mille fois plus de données transmises, des hologrammes  à volonté, des véhicules sans conducteurs, des robots pour nous opérer à  distance, pour remplacer les derniers paysans, des services publics  dématérialisés, des données à foison sur nos comportements, sur nos  déplacements et sur nos vies placées sous surveillance permanente, mieux  encore, sous pilotage électronique, une planète ou tout devient  intelligent : les villes, les routes, les maisons, les frigos, les  brosses à dents… 350 000 ans d’Homo Sapiens pour en arriver là. Gageons  qu’une innovation rendra la connerie universelle, elle aussi,  intelligente.
 Il est difficile de se représenter toutes les retombées de cette  nouvelle fuite en avant tant elles sont colossales, obéissant à ce que  Günther Anders nommait les « phénomènes supraliminaires » échappant à  notre perception en raison de leur ampleur. Mais au moins peut-on  essayer de penser ce qui se joue. Au moins doit-on tenter de relier ce  qui, pris isolément, semble anodin et presque désirable si l’on s’en  tient à la doxa progressiste.
 Ce qui, souvent, s’impose lorsque l’on considère les technologies sans  fil, ce sont les risques sanitaires. Les ondes 5G sont-elles nocives ?  Cette question est d’autant plus préoccupante que l’on connait les  effets délétères des radiofréquences du type 2G, 3G, 4G, wifi… Je ne  suis ni physicien, ni biologiste, mais je sais lire. Et j’ai lu. Des  études publiées dans des revues à comités de lecture, des alertes de  scientifiques, de médecins, des témoignages de personnes  électro-hypersensibles avec qui j’ai partagé le quotidien. 
Combien de  preuves accablantes du danger des ondes artificielles ? Des dizaines ?  Des centaines ? Des milliers ? Des milliers. Je ne vais pas dresser la  liste des risques sur la santé. Ils sont connus et mentionnés dans un  appel international récent de scientifiques, de médecins et  d’organisations. Et ils sont effrayants quoi qu’en disent les lobbies et  leurs collabos. Ils ont beau jeu de répondre qu’il n’y a pas consensus  scientifique et qu’il faut continuer à étudier tout en poursuivant  l’emballement technologique et son cortège macabre, s’inscrivant ainsi  dans la lignée des scandales sanitaires passés, du  tabac à l’amiante,  en passant par le dérèglement climatique, les pesticides, les  perturbateurs endocriniens, les Ogm… A chaque fois, le même scénario, à  quelques variantes près. Les conflits d’intérêt, la fabrique du doute,  les autorités sanitaires et scientifiques complices ou aphones, les  protocoles biaisés, la rédaction d’articles favorables par l’industrie  signés ensuite par des scientifiques de renom… Tous les moyens sont bons  pour gagner du temps, rendre la société dépendante, inverser la charge  de la preuve, individualiser les responsabilités, dénigrer les lanceurs  d’alerte, voire les victimes.
 On me rétorquera qu’aucune étude sanitaire n’a été réalisée relativement  à cette nouvelle génération d’ondes. Certes. Mais tout de même, trois  choses à ce propos :
 1. La 5G ajoutera une nouvelle source de pollution électromagnétique à  celles déjà existantes. Comment ne pas craindre que ce cumul ne soit pas  préjudiciable au monde vivant ? A force de poser des pièces les unes  sur les autres, l’empilement finira par s’effondrer. La pièce qui aura  provoqué le basculement ne sera pas foncièrement différente des  précédentes. Poison chimique, rayonnement ionisant ou non-ionisant,  nouvelle augmentation de la température moyenne, comment savoir ? La  situation qui en résultera sera inédite et irréversible. Cela ne  concerne pas seulement la santé, mais l’ensemble des écosystèmes  naturels, sociaux, économiques, humains…
 2. Il est tout de même extravagant de déployer une innovation sans  s’être inquiété sérieusement de ses effets sur la santé publique. Rien  de bien nouveau, hélas, mais quand va-t-on cesser de nous prendre pour  des cobayes ? Si la 5G était un médicament, elle ne serait pas autorisée  !
 3. Pour autant, comment serait-il possible de conclure à une totale  innocuité de cette technologie, quand un cancer peut mettre 30 ans à se  déclarer, quand les effets cocktails – entre différentes fréquences,  entre rayonnements artificiels et molécules chimiques de synthèse – sont  quasiment infinis et laissent entrevoir le pire, quand les symptômes  liés aux ondes sont asymptomatiques, quand on peut être vulnérable même à  de très faibles doses – ainsi, pour les fœtus, les enfants, les  personnes malades, épuisées, chimico et électro-hypersensibles ? Où  pourront survivre ces dernières, quand il n’y aura plus aucun endroit  vierge d’ondes sur la terre et sur la mer, alors que bon nombre d’entre  elles endurent d’ores et déjà un enfer innommable ?
 Le bon sens le plus élémentaire voudrait que l’on s’abstienne, que l’on  s’en remette au principe de précaution, ou plutôt de prévention, étant  donné le foisonnement de preuves scientifiques alarmantes.
 Ce n’est là qu’une partie du problème. Quand bien même des réseaux  filaires ou je ne sais quelle innovation seraient retenus et nous  épargneraient les ondes toxiques, il y aurait lieu de refuser cette  nouvelle génération de télécommunication qui aggravera la dévastation  écologique en cours. Par quel miracle les fourmis, les abeilles, les  oiseaux seraient-ils épargnés, alors que des études sérieuses prouvent  les effets biologiques sur ces espèces ? Plus largement, à  quoi faut-il  s’attendre ? A des centaines de millions de téléphones 5G et de gadgets  électroniques à venir, à de nouvelles infrastructures dispendieuses, à  des extractions de minerais et de matériaux extrêmement polluants, à des  déchets qui le sont tout autant, à des sols stérilisés, à des nappes  phréatiques asséchées, à une gabegie d’eau potable et d’énergie. Pour  mémoire, les data centers rejettent autant de CO2 que le transport  aérien. Il faut croire que notre boulimie numérique importe plus que la  vie sur Terre. Comment faut-il le formuler ? Ces technologies sont  incompatibles avec un usage respectueux du monde. Las. D’un côté la  déploration pour la planète, de l’autre la fascination pour la  techno-science et la croissance. « Dieu se rit des hommes qui déplorent  les effets dont ils chérissent les causes », écrivait déjà Bossuet. Rien  de bien nouveau, en somme, si ce n’est l’échelle inédite de la  Catastrophe. Un nouveau pas vers l’abîme en toute connaissance de cause.  Si notre civilisation était un humain, elle serait internée à vie comme  n’importe quel psychopathe.
 Combien coûtera ce petit caprice de technocrates ? 500 milliards d’euros  sur 10 ans, selon l’estimation de la Commission européenne. Quand on  sait qu’un Conseil Général refuse d’attribuer une aide qui pourrait  alléger un peu les souffrances de personnes électro-hypersensibles, il y  a de sérieuses raisons d’être révulsé, non ? Et ce n’est là qu’un  exemple parmi des milliers d’autres tout aussi immondes les uns que les  autres. Qui paiera les conséquences de ces nouveaux jouets inutiles et  nuisibles, imposés, rappelons-le quand même, sans aucune délibération,  sans la moindre consultation populaire ? Le coup d’Etat est magistral.  Dans une société technicienne administrée par les experts, une seule  solution : la plus efficace. Comme nous sommes une civilisation  soucieuse de l’image, nos gouvernants s’attachent à combler notre besoin  d’illusion, et quoi de mieux, pour faire diversion, que des élections  qui ne changeront rien, un grand débat qui se gardera bien d’aborder les  sujets majeurs ? Nucléaire, nanotechnologies, transhumanisme,  innovations perpétuelles, industrialisation, marchandisation et  enlaidissement du monde, armes de guerre massive, ethnocides… Et il  faudrait en plus aller voter pour le parti unique de la société  techno-industrielle et de l’abondance matérielle ? Il faudrait  participer à son simulacre de démocratie et croire à ses sornettes selon  lesquelles les avancées technologiques sont bonnes pour notre santé,  pour notre sécurité et pour la planète ? Il faudrait s’agenouiller  devant leurs égos bouffis d’orgueil et leurs hologrammes bêtifiants ?  Sans moi.
 A ces questions sanitaires, écologiques et démocratiques, s’ajoute un  enjeu crucial : celui de notre liberté, de notre humanité dans le monde  hyper-connecté de la planète intelligente. Des puces RFID aux  smartphones, des compteurs Linky à la transition numérique, les  dispositifs techniques s’accumulent pour édifier la Smart City. La 5G  complétera ce bel ensemble dont les technophiles peuvent être fiers.  Détruire le monde naturel ne leur suffit pas, il leur faut aussi  s’attaquer à ce qui reste de notre humanité. Qu’est-ce qu’une ville  intelligente ? Une ville morte, peuplée d’humains diminués, bientôt  faussement augmentés grâce aux ennemis de l’humain, les transhumanistes.  Des techno-mutants, amputés de leurs facultés déléguées aux machines,  mutilés de leur mémoire, de leur pensée, de leur sensibilité, de leur  concentration, de leur capacité de faire, de penser, de choisir, de  résoudre des problèmes par eux-mêmes. Une humanité frappée  d’obsolescence, réduite à une seule dimension, celle d’un rouage  économique mis à nu, ciblé, traqué, surveillé, n’ayant pour seul guide  que la maximisation de ses intérêts. Un troupeau standardisé et  prédictible, compétitif et malléable, car dans l’univers surpeuplé de la  mégalopole, sur une planète aux ressources comptées et aux besoins  infinis, il importe d’optimiser les flux, de congédier le hasard et  l’imprévu. La meilleure façon d’y parvenir ? Révoquer l’humain. Des  guichets sans guichetiers, des caisses sans caissières, des métros, des  bus et des voitures sans conducteurs, des écoles sans professeurs, une  médecine sans médecin, des bibliothèques sans bibliothécaires, des  services publics sans humain à qui s’adresser. Des applis, des bornes,  des automates, des voix synthétiques, des algorithmes, des caméras de  flicage avec reconnaissance faciale, des évaluations permanentes de  chaque parcelle de nos vies, du prédictif et du coercitif… Voilà la  planète intelligente et la grande convergence des technologies. «  L’incarcération de l’homme-machine dans le monde-machine », ainsi que  l’écrivent les auteurs inspirés de Pièces et main d’œuvre, ce groupe de  réflexion critique grenoblois qui, à longueur de livres et d’articles,  met au jour « l’enfer vert », « les gadgets de destruction massive » –  nos téléphones portables – les puces RFID, le nano-monde, « les  mouchards électroniques » au doux nom de Linky, la technologie comme  fait majeur de notre époque…
 La ville intelligente est sans doute le rêve des gestionnaires et des  techniciens de tous bords, mais elle est un cauchemar pour tous les  êtres épris de liberté et d’humanité. On n’habite pas dans une telle  cité, on y fonctionne. L’humain n’y a pas sa place. Réduit à n’être  qu’un accessoire du système technicien, et finalement qu’une série de  chiffres, il est voué à disparaître dans son humanité même. Le compte à  rebours a commencé, il est déjà bien entamé. La machine s’empare des  esprits autant que des corps. A chaque problème, qu’il soit social,  écologique ou politique, une solution : la technologie. A chaque geste, à  chaque opération de la vie quotidienne, une prothèse. Comme il est bien  connu que la fonction crée l’organe et la prothèse le handicap, comme  les générations nées, élevées et éduquées avec le digital l’auront  totalement naturalisé, je suis, pour ma part, plus que tourmenté,  partageant avec Jaime Semprun cette interrogation obsédante : « […]  quand le citoyen-écologiste prétend poser la question la plus  dérangeante en demandant : “ Quel monde allons-nous laisser à nos  enfants ? ”, il évite de poser cette autre question, réellement  inquiétante : “ A quels enfants allons-nous laisser le monde ? ” »  (L’abîme se repeuple, éditions de l’Encyclopédie des Nuisances 1997).  Les adultes ne sont pas épargnés par cette emprise numérique, pas plus  les seniors et bien des écolos, soucieux avant tout de ne pas paraître  conservateurs ou réactionnaires, et c’est avec effroi qu’il m’arrive  d’assister, dans les espaces civilisés, à des scènes consternantes où  les gens ne se regardent plus, ne s’écoutent pas vraiment, se parlent en  continuant de pianoter sur leurs écrans tactiles ; comment avons-nous  en arriver à ce si peu d’attention aux autres, ceux qui sont là à côté  de nous, et les lointains, les sacrifiés de notre petit confort moderne ?  Quel Hopper contemporain peindra la mélancolie de l’âge numérique, ses  solitudes, ses cohortes de naufragés ? Les cloîtrés dans leurs cages de  Faraday, les empoisonnés dans leurs villages du cancer, les délabrés  dans les mines de métaux rares et les décharges électroniques, les  esclaves dans les usines à nécro-phone, les ravis de l’aliénation  électronique…
 Malgré tout, des dissidents – et pas seulement des ermites ou des hommes  des cavernes s’éclairant à la bougie – rejettent cette colonisation  électronique, refusant le téléphone mobile, voire internet, car ces  technologies sont climaticides, polluantes et asservissantes. Des  éleveurs refusent de pucer leurs bêtes, des assistantes sociales  boycottent le rendu des statistiques, des personnels de l’éducation  nationale dénoncent l’école numérique, un réseau – Ecran Total –  rassemble les personnes opposées à l’informatisation et à la gestion.
 Y aura-t-il un sursaut pour faire barrage à la 5G ou allons-nous laisser  faire comme nous avons, majoritairement, acquiescé à la soumission aux  écrans ? Des collectifs d’opposition vont-ils se multiplier, plus  nombreux encore que ceux qui se sont opposés aux compteurs Linky ?  Verrons-nous des actes de désobéissance civile, des refus de collaborer,  des boycotts massifs, des faucheurs d’une nouvelle génération, des  convergences entre les défenseurs de la santé publique, des abeilles et  des oiseaux, de la démocratie, des services publics de proximité, de la  liberté et de l’humanité ? Des zones à défendre s’installeront-elles un  peu partout sur nos territoires ? Des mouvements de type « Faut pas  pucer » grandiront-ils dans les activités et les métiers menacés ? Des  villes se déclareront-elles territoires hors 5G ? De nouvelles formes de  combat verront-elles le jour, des alliances inattendues se  noueront-elles avec pour mot d’ordre : Ni cobayes, ni machines ? En  finirons-nous avec cet impensé qu’est la technologie, si répandu dans  les milieux qu’on dit alternatifs ? Allons-nous comprendre enfin qu’elle  est l’accélérateur majeur de la destruction du monde humain et  non-humain ?
 Bien malin qui le dira. Contre cet angle mort de la réflexion, il  importe instamment de réhabiliter la Pensée. Je la tiens pour une force  agissante, un point d’appui pour soulever le monde. « Ce que des idées  ont produit, d’autres idées peuvent le détruire » (Pièces et main  d’œuvre, Manifeste des chimpanzés du futur). Oui, il est urgent de lire  les penseurs. L’un d’entre eux, justement. Jacques Ellul, écrivait en  1972 :
 « S’intéresser à la protection de l’environnement et à l’écologie sans  mettre en cause le progrès technique, la société technicienne, la  passion de l’efficacité, c’est engager une opération non seulement  inutile, mais fondamentalement nocive. Car elle n’aboutira finalement à  rien, mais on aura eu l’impression de faire quelque chose, elle  permettra de calmer faussement des inquiétudes légitimes en jetant un  nouveau voile de propagande sur le réel menaçant. »
 Cette pensée permet de tracer une ligne de partage entre les  environnementalistes et les éco-gestionnaire du désastre d’un côté, les  écologistes authentiques et les néo-luddites de l’autre côté. Le  Président du parti des Verts en Suisse, Alberto Macchi, en offre une  illustration parfaite, en déclarant ceci : « Nous n’avons pas  d’opposition de principe à la 5G. Notre position est de dire  qu’aujourd’hui, on n’a pas suffisamment de réponses en matière d’effets  potentiels de cette technologie sur la santé ». Je ne connais pas cet  homme, et peut-être est-ce une excellente personne qui se bat  sincèrement pour son prochain. Mais tout de même, ceci. Qu’il se  rassure. La technologie trouvera une solution. Grâce aux capteurs  greffés sous la peau, des alertes nous seront envoyées en cas de  dépassements des seuils de danger et une appli nous guidera – pour ne  pas dire nous contraindra, mais comme c’est pour notre bien, soyons  charitables, n’est-ce pas ? – dans les bonnes pratiques d’une santé  optimale, car dans la nécropole, chacun est responsable de son  bien-être. Grâce à la rhétorique du Progrès, la dépendance technologique  c’est l’autonomie, l’aliénation électronique la liberté, le  techno-totalitarisme la démocratie, la dévastation écologique la  transition énergétique et numérique. De quoi se plaint-on ?
Frédéric Wolff