Archives de catégorie : Climat

Derrière Boko Haram, le désert assiège le Nigeria

Paru dans Charlie y a pas longtemps

50 000 gosses en perdition au Nigéria. Cette crise humanitaire provoquée par Boko Haram masque une épouvantable catastrophe écologique dans le pays le plus peuplé d’Afrique. Le désert pousse ceux du Nord à envahir le Sud.

 

Amis alanguis sur la plage, ce qui suit n’est pas supportable, mais sachez que c’est pour votre bien. Enfin, peut-être. Je vous parlerai aujourd’hui du Nigeria, pays démentiel de plus de 180 millions d’habitants entassés sur bien moins que deux France réunies. On se serre. À côté de Lagos, la capitale, Mexico ou Calcutta sont de riantes contrées. La ville compte environ 22 millions d’habitants, dont la plus grande part vivent et vivront dans la fange. Au sud, dans le delta du Niger, les transnationales du pétrole ont transformé un pays de cocagne en une province polluée jusqu’à l’os, où ni les pêcheurs de jadis, ni les paysans bien sûr, ne peuvent plus espérer vivre de leur travail. Le pétrole et son argent ont créé au sommet une classe de kleptocrates qui pille son propre peuple. Au nord, les crapules de Boko Haram font régner la terreur qu’on sait. Est-ce tout ? Ben non.

Au moment même où la glace fond le long des doigts chez le marchand, 50 O00 gosses risquent bel et bien d’y passer. Cela se passe dans les États du Borno, d’Adamawa et de Yobe – le Nigeria est fédéral -, où l’armée officielle a enfin chassé de nombre de ses fiefs les tueurs de Boko Haram. Derrière les kalachs et les Land-Rover, 20 000 zigouillés, la désolation, les réfugiés – un million -, des terres brûlées. Les appels humanitaires se multiplient, mais pour l’heure, c’est le chaos.

En réalité, le Nigeria est soumis à une désertification telle que les éleveurs peuls, musulmans, sont contraints à chercher de nouvelles terres, plus au sud, où les attendent, armes en main, des paysans sédentaires, souvent chrétiens. Ce combat-là a déjà fait des milliers de morts. Pourquoi le désert avance tant et plus ? À cause de sécheresses à répétition qui sont certainement reliées au dérèglement climatique en cours. Mais pas seulement. Depuis des années, des études sérieuses sont publiées dans de bonnes revues scientifiques, dont les lecteurs se comptent sur les doigts de la main et du pied. Ainsi de cette étude de l’universitaire Jibril Musa, en 2012, centrée sur l’État de Yobe (1). La désertification y touchait 23,71 % de la surface en 1986, 31,3 % en 1999 et 46,52 % en 2009. Selon l’auteur, qui ne cache pas l’importance du facteur climatique, les facteurs humains sont prépondérants. Le surpâturage des troupeaux, la surexploitation de l’humus, la déforestation se combinent à des sécheresses à répétition qui font disparaître la fertilité des sols tandis qu’avancent les dunes.

Un autre travail de 2015 (2) estime que 63,83 % de la surface du pays sont désormais touchés, à des degrés divers, par la désertification. L’auteur, Olagunju Temidayo Ebenezer, y insiste davantage sur l’intrication entre le dérèglement climatique et des pratiques agro-pastorales devenues destructrices des écosystèmes. Les études météo montrent sans conteste une augmentation de la température moyenne et une diminution des précipitations qui atteindrait 81 mm par an en moyenne sur un siècle.

Le résultat sur le terrain est sans appel : le cabinet spécialisé SBM Intelligence, créé en 2012, retient que 389 incidents graves entre éleveurs et sédentaires se sont produits entre 1997 et 2015 dans le centre du pays. Dont la presque totalité – 371 – après 2011. En avril dernier, le président en titre Muhammadu Buhari – Peul, musulman, originaire du Nord – a lancé un énième appel solennel à sa propre police pour qu’elle prenne enfin « les mesures nécessaires pour arrêter le carnage ». Wole Soyinka, prix Nobel de littérature nigérian, très colère, lui a aussitôt répondu que ses propos « ont le goût d’un abject apaisement et sont un encouragement à la violence contre les innocents ». Ambiance.

Il y a toujours eu des massacres, ici ou là. Mais désormais, la crise écologique interagit et se superpose à de plus traditionnels problèmes ethniques, économiques et sociaux. Question sans réponse : que vont devenir les Nigérians ? Que va devenir le pays le plus peuplé d’Afrique ?

 

 

(1) https://works.bepress.com/cjes_kogistateuniversity/19/download

(2) academicjournals.org/journal/JENE/article-full-text-pdf/4505E2154369

(3) http://sbmintel.com/2016/04/28/death-and-the-herdsmen-a-report-on-spreading-pastoralist-violence-in-nigeria/

Je me répète : tous sur le pont contre l’aéroport

Amis, lecteurs, simples curieux, je vous rappelle que samedi 8 octobre, des dizaines de milliers de braves se retrouvent à Notre-Dame-des-Landes, pour un énième rassemblement contre le projet d’aéroport. Je gage que celui-ci aura une importance considérable.

Moi, je suis heureux d’avoir évoqué cette abominable affaire il y a bientôt…neuf ans. Ici même. Oui, alors que je commençais Planète sans visa, et que personne en France ne s’intéressait encore au sujet, j’ai publié un article dont je dois dire que je n’ai rien à retrancher. Je crois que j’avais vu clair. Voici la reproduction exacte.


Nantes, cinq minutes d’arrêt (ou plus)

Publié le 26 décembre 2007

Voler ne mène nulle part. Et je ne veux pas parler ici de l’art du voleur, qui conduit parfois – voyez le cas Darien, et son inoubliable roman – au chef-d’œuvre. Non, je pense plutôt aux avions et au bien nommé trafic aérien. Selon les chiffres réfrigérants de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), ce dernier devrait doubler, au plan mondial, dans les vingt ans à venir. Encore faut-il préciser, à l’aide d’un texte quasi officiel, et en français, du gouvernement américain (http://usinfo.state.gov).

Les mouvements d’avion ont quadruplé dans le monde entre 1960 et 1970. Ils ont triplé entre 1970 et 1980, doublé entre 1980 et 1990, doublé entre 1990 et 2 000. Si l’on prend en compte le nombre de passagers transportés chaque année, le trafic aérien mondial devrait encore doubler entre 2000 et 2010 et probablement doubler une nouvelle fois entre 2010 et 2020. N’est-ce pas directement fou ?

Les deux estimations, la française et l’américaine, semblent divergentes, mais pour une raison simple : les chifres changent selon qu’on considère le trafic brut – le nombre d’avions – ou le trafic réel, basé sur le nombre de passagers. Or, comme vous le savez sans doute, la taille des avions augmente sans cesse. Notre joyau à nous, l’A380, pourra emporter, selon les configurations, entre 555 et 853 voyageurs. Sa seule (dé)raison d’être, c’est l’augmentation sans fin des rotations d’avions.

Ces derniers n’emportent plus seulement les vieillards cacochymes de New York vers la Floride. Ou nos splendides seniors à nous vers les Antilles, la Thaïlande et la Tunisie. Non pas. Le progrès est pour tout le monde. Les nouveaux riches chinois débarquent désormais à Orly et Roissy, comme tous autres clampins, en compagnie des ingénieurs high tech de Delhi et Bombay. La mondialisation heureuse, chère au coeur d’Alain Minc, donc au quotidien de référence Le Monde lui-même – Minc préside toujours son conseil de surveillance -, cette mondialisation triomphe.

Où sont les limites ? Mais vous divaguez ! Mais vous êtes un anarchiste, pis, un nihiliste ! Vade retro, Satanas ! Bon, tout ça pour vous parler du projet de nouvel aéroport appelé Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes. Je ne vous embêterai pas avec des détails techniques ou des chiffres. Sachez que pour les édiles, de droite comme de gauche, sachez que pour la glorieuse Chambre de commerce et d’industrie (CCI) locale, c’est une question de vie ou de mort. Ou Nantes fait le choix de ce maxi-aéroport, ou elle sombre dans le déclin, à jamais probablement.

Aïe ! Quel drame ! Selon la CCI justement, l’aéroport de Nantes pourrait devoir accueillir 9 millions de personnes par an à l’horizon 2050. Contre probablement 2,7 millions en 2007. Dans ces conditions, il n’y a pas à hésiter, il faut foncer, et détruire. Des terres agricoles, du bien-être humain, du climat, des combustibles fossiles, que sais-je au juste ? Il faut détruire.

La chose infiniment plaisante, et qui résume notre monde davantage qu’aucun autre événement, c’est que l’union sacrée est déjà une réalité. l’Union sacrée, pour ceux qui ne connaissent pas, c’est le son du canon et de La Marseillaise unis à jamais. C’est la gauche appelant en septembre 1914 à bouter le Boche hors de France après avoir clamé l’unité des prolétaires d’Europe. L’Union sacrée, c’est le dégoût universel.

L’avion a reconstitué cette ligue jamais tout à fait dissoute. Dans un article du journal Le Monde précité (http://www.lemonde.fr), on apprend dans un éclat de rire morose que le maire socialiste de Nantes, le grand, l’inaltérable Jean-Marc Ayrault, flippe. Il flippe, ou plutôt flippait, car il craignait que le Grenelle de l’Environnement – ohé, valeureux de Greenpeace, du WWF, de la Fondation Hulot, de FNE – n’empêche la construction d’un nouvel aéroport à Nantes. Il est vrai que l’esprit du Grenelle, sinon tout à fait sa lettre, condamne désormais ce genre de calembredaine.

Il est vrai. Mais il est surtout faux. Notre immense ami Ayrault se sera inquiété pour rien. Un, croisant le Premier ministre François Fillon, le maire de Nantes s’est entendu répondre : « Il n’est pas question de revenir en arrière. Ce projet, on y tient, on le fera ». Deux, Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux Transports, a confirmé tout l’intérêt que la France officielle portait au projet, assurant au passage qu’il serait réalisé.

Et nous en sommes là, précisément là. À un point de passage, qui est aussi un point de rupture. Derrière les guirlandes de Noël, le noyau dur du développement sans rivages. Certes, c’est plus ennuyeux pour les écologistes à cocardes et médailles, maintenant majoritaires, que les coupes de champagne en compagnie de madame Kosciusko-Morizet et monsieur Borloo. Je n’en disconviens pas, c’est moins plaisant.

Mais. Mais. Toutes les décisions qui sont prises aujourd’hui, en matière d’aviation, contraignent notre avenir commun pour des décennies. Et la moindre de nos lâchetés d’aujourd’hui se paiera au prix le plus fort demain, après-demain, et jusqu’à la Saint-Glin-Glin. Cette affaire ouvre la plaie, purulente à n’en pas douter, des relations entre notre mouvement et l’État. Pour être sur la photo aujourd’hui, certains renoncent d’ores et déjà à changer le cadre dans vingt ou trente ans. Ce n’est pas une anecdote, c’est un total renoncement. Je dois dire que la question de l’avion – j’y reviendrai par force – pose de façon tragique le problème de la liberté individuelle sur une planète minuscule;

Ne croyez pas, par pitié ne croyez pas, ceux qui prétendent qu’il n’y a pas d’urgence. Ceux-là – tous – seront les premiers à réclamer des mesures infâmes contre les autres, quand il sera clair que nous sommes tout au bout de l’impasse. Qui ne les connaît ? Ils sont de tout temps, de tout régime, ils sont immortels. Quand la question de la mobilité des personnes sera devenue une question politique essentielle, vous verrez qu’ils auront tous disparu. Moi, je plaide pour l’ouverture du débat. Car il est (peut-être) encore temps d’agir. Ensemble, à visage découvert, dans la lumière de la liberté et de la démocratie. Peut-être.

Publié dans Développement

Qui entendra jamais le point de vue de Raoni ?

On peut commenter de mille manières le pauvre « Accord historique » conclu à Paris samedi. Celle de Raoni vaut bien les embrassades ridicules et les trémolos de Fabius et tous autres. C’est un extrait du journal Libération :

Raoni «très triste» à la lecture du projet d’accord

Le cacique Raoni, Indien du Brésil âgé de 85 ans venu à Paris défendre la cause des indigènes et de la forêt amazonienne, confie à Libération sa «tristesse» à la lecture du texte de l’accord :

«Une fois encore, c’est beaucoup de négociations pour arriver uniquement à des promesses. Des solutions existent, mais les chefs d’Etat ne veulent pas les entendre. Avec d’autres chefs indigènes de tous les continents, nous avions transmis 17 propositions à Ban Ki-moon, notamment la reconnaissance du crime d' »écocide » par la Cour pénale internationale, et la sanctuarisation de tous les territoires occupés par des populations autochtones autour de la planète, car ils sont le plus à même de protéger les forêts. Aucune de nos propositions n’a été reprise. Je suis très triste de voir que les chefs d’Etat sont restés dans leur bulle.»

Relisez l’interview que Raoni a accordée à Libération avant la présentation du projet d’accord.

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J’ajoute une information venue de Survival – Jean-Patrick Razon, salut ! -, qui montre une réalité fort éloignée de celle des grandes organisations « conservationnistes » comme Conservation International (CI),  Wwf ou Nature Conservancy. Ces dernières plaident le plus souvent pour des réserves naturelles d’où auraient été chassées les hommes, en l’occurrence ces peuples autochtones qui finissent inexorablement dans les bidonvilles. Survival rapporte le cas renversant d’une réserve indienne où la population voisine avec des tigres. Extrait : « Entre 2010 et 2014, le nombre de tigres vivant au sein de la réserve naturelle Biligiri Ranganathittu Tiger (BRT) dans l’État du Karnataka a augmenté, passant de 35 à 68 tigres ». C’est ici : ici.

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Un dernier commentaire. Quand le texte de la COP21 est signé dans l’allégresse samedi passé, personne ne sait clairement ce qu’il contient. Évidemment ! Personne. Tous ceux qui osent s’exprimer sur cet « Accord historique » ne sont donc que des perroquets répétant ce que les services officiels prétendent, au grand profit de Laurent Fabius, de la diplomatie française et bien entendu des transnationales. Je retiens le tweet de Cécile Duflot, qui aura passé sans doute mille fois plus de temps à ferrailler pour son poste qu’à réfléchir aux conséquences du dérèglement climatique : « Formidable ! C’est maintenant que tout commence ! Aux actes ! ».

Heureusement, la Confédération paysanne, Alternatiba et Attac (grâce à l’excellent Maxime Combes) sauvent un peu notre honneur.

Ce samedi soir de l’accord « historique »

Je le sais, soyez-en certains. On vous a, on nous a servi un bon millier de fois le rapprochement avec les Accords de Munich. Ce ne sera donc qu’une fois de plus. Comme je l’ai écrit constamment depuis des mois, il était certain que la COP21 se finirait sur un texte prodigieux, « historique », jamais vu, etc. Et tel est bien le cas.

Rappel : les 28 et 29 septembre 1938, Daladier, Chamberlain, Mussolini et Hitler se retrouvent en Bavière pour tenter, officiellement du moins, d’éviter la guerre. Les deux premiers sont le président du Conseil français et le Premier ministre britannique. On ne présente pas les deux autres. La crise des Sudètes – cette région du nord-est de la Tchécoslovaquie peuplée d’Allemands « de souche » – menace une paix européenne qui date de vingt ans tout juste et cette conférence quadripartite se propose de trouver une solution.

Hitler ne songe qu’à une chose : envahir les Sudètes, puis croquer la république tchécoslovaque, qu’il déteste avec la violence qu’on lui connaît. Il n’entend faire aucune concession et comme les Français et les Anglais ne veulent à aucun prix d’un affrontement, il emporte le morceau. Les Sudètes iront à l’Allemagne nazie, avant que ne vienne le tour du président tchécoslovaque Edvard Beneš et de son pays.

Dans l’avion du retour, Daladier a peur. Quand approche la piste d’atterrissage du Bourget, voyant la foule qui envahit les pistes, il craint qu’on ne soit venu le lapider pour avoir cédé encore une fois au chef nazi. Mais non, on l’acclame ! N’a-t-il pas sauvé la paix du monde ? La suite montre que non. Et qu’il aurait fallu une tout autre politique pour empêcher Hitler de tuer des dizaines de millions d’êtres humains.

Bon, la leçon est terminée. Que veux-je dire ? Non pas que l’accord signé ce samedi à la COP21 est de même nature que celui conclu à Munich il y a 77 ans. Non pas. Mais en tout cas, que les hommes s’illusionnent volontiers, avec un soulagement qui ressemble fort à de l’obscénité, quand leur peur est si haute qu’elle brouille leur entendement. C’est arrivé maintes fois, cela continuera de se produire.

Est-ce le cas aujourd’hui ? Je le répète, je ne sais pas. Mais en toute sincérité, je le crois. N’est-il pas épouvantable de voir cette armée de journalistes servir sans discontinuer la pauvre propagande imaginée par Laurent Fabius, président de la COP, et ses nombreux services de communicants ? Je tombe par le hasard de Google Actualités sur la prose d’un journaliste du Nouvel Observateur, Arnaud Gonzague (ici). Je vous jure que je n’ai rien contre sa personne. Je ne le connais pas, je ne l’ai jamais vu. Lisons ensemble : « Mais il est incontestable que Laurent Fabius, président de cette COP, dont tout le monde a salué l’implication depuis un an et demi, a remporté son pari. La planète des hommes n’est pas guérie de son addiction mortifère aux énergies carbonées, loin de là. Mais sans jouer les béni oui-oui de service, on peut dire que cette fois, elle s’est mis sérieusement sur le chemin de l’être ».

Gonzague n’est certes pas le plus délirant des optimistes de la place. Il ne manque pas de prendre de petites précautions, car on ne sait jamais. Mais enfin, le tout est simplement délirant. Ce garçon de 36 ans s’occupe à l’Obs des questions d’éducation. Qui a jugé bon de le déplacer soudain pour suivre le déroulement de la COP21 ? Je ne sais et je m’en moque bien, mais c’est pleinement ridicule. Il ne sait rien de la crise climatique, et de la sorte, se trouve être la personne rêvée à qui faire avaler ce que les politiques souhaitent lire et entendre. N’insistons pas. Le triomphe était programmé, il est là.

Moi, qui suis de près les questions climatiques depuis un quart de siècle, ne peux que ricaner – ou pleurer, c’est égal – à l’écoute des réactions imbéciles et si mal informées d’Emmanuelle Cosse, responsable d’Europe Écologie-Les Verts, ou de Pascal Canfin, ci-devant ministre devenu ces derniers jours le directeur-général du WWF-France. Vous chercherez par vous -même et penserez par vous-même. Le sentiment général est celui d’une déroute complète de toute pensée critique. Notez que je ne demande à personne de suivre mon propos, radical et noir, j’en ai conscience. Mais pourquoi diable se vautrer dans des satisfecit sans queue ni tête ?

La crise climatique impose des choix politiques et économiques tels qu’aucune des élites en place, ici au Nord, là-bas au Sud, n’est en mesure de les faire. Cette cour tourbillonnante, autour de Fabius, Hollande et consorts, me fait immanquablement penser à Versailles au début de l’été 1789. Le bal est éblouissant, chacun se trouve beau et plein d’avenir, les manants sont au pied, au chenil, au cachot. On sait la suite. Je sais pour ma part où est mon chemin.

Dans le journal Le Monde

 Comme promis hier, mon texte paru dans Le Monde

Cette funeste conférence climatique ne changera rien

LE MONDE | • Mis à jour le

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Devant la COP21 au Bourget le 1er décembre.

Evidemment, la COP21 sera un naufrage. Evidemment, on la présentera comme un triomphe de la société humaine. Il serait facile de moquer la petite armée planétaire des experts, adeptes enamourés d’une novlangue qu’eux seuls connaissent. Franchement, qui comprend des vocables comme QUELROs, INDC (en français loufoque : « contributions prévues déterminées au niveau national »), CPDN,AIJ ? Tous ces acronymes anglais sont le quotidien de juristes et de diplomates que nul ne connaît et qui n’ont donc aucun compte à rendre aux peuples directement concernés. Au reste, les peuples existent-ils ?

Mais bien sûr, il faut aller plus loin. Qui a créé le cadre de la supposée « négociation sur le changement climatique » ? Un nom s’impose, et c’est celui de Maurice Strong. Pratiquement inconnu en France, cet homme, né en 1929, et qui vient de mourir le 28 novembre, peut se vanter d’une vie hors du commun. Côté pile, il a été le vice-président, le président ou le PDG de firmes transnationales nord-américaines : Dome Petroleum, Caltex (groupe Chevron), Norcen Resources, Petro-Canada, Power Corporation. Au cœur, l’énergie. Au cœur, le pétrole.

Maurice Strong le 25 juillet 1997.

Côté face, Maurice Strong va incarner le tournant planétaire de l’ONU vers ce que l’on n’appelle pas encore le « développement durable ». Tour à tour, il ouvre le premier des Sommets de la Terre de Stockholm, en 1972, puis préside le Programme des Nations unies pour l’environnement, lancé dans la foulée. Tout en étant président de Petro-Canada – de 1976 à 1978 –, puis conseiller du directeur de la Banque mondiale et de Toyota, entre autres.

Evénements majeurs

Il faut insister sur deux événements majeurs. Tout d’abord, le Sommet de la Terre de Rio, en 1992. Maurice Strong, qui en est le grand organisateur officiel, choisit comme adjoint et bras droit un certain Stephan Schmidheiny. Ce dernier est l’héritier d’une dynastie industrielle – Eternit –, qui a fait sa fortune grâce à l’amiante. Le 3 juin 2013, il a été condamné à dix-huit années de prison en tant qu’ancien dirigeant d’Eternit sur décision d’une cour d’appel italienne. Peine à laquelle il échappera pour des motifs de prescription. Que lui reproche-t-on ? La mort par l’amiante de 3 000 ouvriers italiens.

Après le sommet de Rio, Schmidheiny se lance dans une nouvelle opération en créant le Conseil mondial des affaires pour le développement durable. Près de 200 sociétés industrielles en font partie, dont les grands amis du climat que sont Syngenta, BASF, Bayer, DuPont, Total, Shell, Dow. En 2002, il publie le livre Walking the Talk (BK Editions). Parmi soixante-sept autres monographies, l’une est consacrée au delta du Niger, martyr écologique s’il en est, où la Shell aurait selon l’ouvrage « une longue histoire d’assistance aux communautés auprès desquelles elle travaille ».

Deuxième rendez-vous capital : Kyoto, où se réunit en 1997 la troisième Conférence mondiale sur le climat. Maurice Strong, devenu sous-secrétaire général des Nations unies, y prononce le discours inaugural. Une seule conclusion s’impose : le système onusien est entre les mains d’industriels aux mains sales, de ceux qui vantent encore, et toujours, l’usage de combustibles fossiles qui aggravent la situation climatique.

A Kyoto, où se réunit en 1997 la troisième Conférence mondiale sur le climat, Maurice Strong, devenu sous-secrétaire général des Nations unies, y prononce le discours inaugural. Une seule conclusion s’impose : le système onusien est entre les mains d’industriels aux mains sales

Pourquoi s’acharner sur ces deux cas sidérants ? Eh bien, parce qu’ils semblent avoir montré l’exemple. Commençons par Brice Lalonde, l’un des fondateurs du mouvement de l’écologie politique en France. Devenu sur le tard un ferme soutien de la droite libérale, incarnée un temps par Alain Madelin, il aime tant l’entreprise qu’il est devenu il y a quinze ans l’un des cadres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), temple de l’industrie, où il organise à la fin des années 2000 des tables rondes auxquelles se précipitent les grands patrons de la planète.

En 2007, Nicolas Sarkozy, à peine élu, le nomme « ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique ». C’est le retour sur le devant de la scène, et pas seulement nationale. En 2010, Brice Lalonde devient le « coordonnateur exécutif » du deuxième Sommet de la Terre de Rio, qui doit avoir lieu en 2012. La même place que Maurice Strong en 1992.

Brice Lalonde ne dissimule aucunement ses choix politiques et moraux. Interrogé le 17 mars 2014 sur Europe 1, il se déclare en faveur des gaz de schiste, pourtant moyen certain de relancer l’émission de gaz à effet de serre. Avec, au passage, un argument désopilant : « Le gaz de schiste, il est bon aux Etats-Unis, pourquoi est-ce qu’il serait mauvais en France ? »

Absurde appétit de biens matériels

Reste le cas Laurence Tubiana. Inlassable participante des conférences climatiques depuis vingt ans, elle est de gauche. Le 15 mai 2014, elle est nommée « représentante spéciale du gouvernement français » pour la COP21. Le 3 juin, elle devient « ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique ». Comme Brice Lalonde ? Comme Brice Lalonde. Or, elle a tout de même créé puis dirigé l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).

L’IDDRI est un think tank de plus où l’on multiplie colloques, rapports et conférences. Comme celle organisée en octobre 2007 en l’honneur du roi du soja transgénique, le Brésilien Blairo Borges Maggi. On s’étonnera – ou pas – que parmi ses membres fondateurs se trouvent EDF, Entreprises pour l’environnement (EPE), GDF Suez, Lafarge, Saint-Gobain, Veolia Environnement. Et dans EPE, des industriels aussi responsables que ceux de Bayer, BASF, Vinci, Total, Solvay, Thales.

Où veut-on en venir ? D’abord cette précision essentielle en ces temps conspirationnistes : il n’y a évidemment pas complot. Ces faits ne sont pas cachés, même s’ils sont parfois savamment évacués. Il est possible, il est même plausible, que ces personnes aient leur part de sincérité. Mais la question de la responsabilité des transnationales dans le drame biblique en cours ne peut être esquivée. La logique de ces entreprises est de forer, d’extraire, de manufacturer et de vendre. Et ce faisant, d’entretenir comme le feu sous la soupe, le dérèglement climatique.

Il est évident que le cadre de la COP21 interdit toute vérité. Car lutter contre le dérèglement climatique impose de revoir pour de vrai notre absurde appétit de biens matériels. Lesquels sont, jusqu’à plus ample informé, le moteur – véritablement à explosion – de l’industrie et des entreprises prisées par ces quatre personnes. Par une publicité purement et simplement criminelle. Le dérèglement en cours s’explique en bonne partie par la prolifération d’objets inutiles, dont la production et l’élimination menacent de mort les principaux écosystèmes.

Arrêtons de répéter sans jamais agir qu’il faut changer notre façon de vivre et de consommer. L’heure est arrivée de mettre concrètement en cause la voiture individuelle, les écrans plats, les iPhone, le plastique, l’élevage industriel, le numérique et ses déchets électroniques, les innombrables colifichets – jouets, chaussures, cotonnades et vêtements, cafetières, meubles – venus de Chine ou d’ailleurs, les turbines, centrales, avions, TGV, vins, parfums partant dans l’autre sens.

N’est-il pas pleinement absurde de croire qu’on peut avancer en confiant la direction à ceux-là mêmes qui nous ont conduits au gouffre ?

Fabrice Nicolino est journaliste et essayiste, auteur d’Un empoisonnement universel. Comment les produits chimiques ont envahi la planète (Les Liens qui libèrent, 2014) et Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture (Les Echappés, 124 pages, 13,90 euros).

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/12/03/cette-funeste-conference-climatique-ne-changera-rien_4823377_3232.html#PIbUtfo78MWA2BfY.99