Amis, lecteurs, je dois tout de même vous dire que Le Monde de ce soir publie une tribune que j’ai écrite sur le climat. Je crois devoir attendre demain après-midi pour la mettre en ligne ici.
Archives de catégorie : Climat
Le savoureux mystère des chiffres truqués
C’est le troisième article publié par Charlie le 25novembre 2015
De plus en plus goûteux : voilà qu’on apprend que la France oublie de déclarer 50 % de ses émissions de gaz à effet de serre. Et qu’elle se prétend du même coup vertueuse. La COP 21 de décembre commence et finira dans le mensonge tous azimuts.
Suite d’il y a 15jours (Farces et Attrapes de la COP21). En résumé, la conférence climatique de décembre est une foutaise. Et voilà qu’on découvre l’étonnant travail du Commissariat général au développement durable (CGDD), un machin d’État entre les mains d’ingénieurs des Ponts, des Mines ou du Génie rural. Sous le titre « Les émissions cachées » (1), les auteurs ridiculisent, torpillent et coulent toute la politique française en matière de dérèglement climatique.
Chaque État est censé livrer un inventaire annuel de ses émissions de gaz à effet de serre, destiné à la Convention-Cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). La France comme le Malawi, la Syrie comme l’Irak, Le Japon comme le Luxembourg. Telle est la base de toutes les discussions sur le sujet. Au cours des 20 COP qui ont précédé celle de la fin du mois, les maquignons du climat ont discutaillé en promettant telle ou telle réduction sur le montant de leurs additions.
Or, écrit le CGDD avec des mots choisis, la France bidonne dans les grandes largeurs. Le chiffre remis à l’ONU pour l’année analysée – 2012 – est de 460 millions de tonnes d’équivalent C02 (le gaz carbonique). Et c’est génial, car tous les politiciens en poste depuis dix ans – Kosciusko-Morizet, Borloo, Batho, Martin, Royal – ont pu répéter en boucle que la politique française, exemplaire, avait permis une baisse régulière sur une vingtaine d’années. Environ 15 % en moins sur la période 1990/2012.
Le malheur est que notre cher pays est un gros arnaqueur, car il oublie opportunément les « émissions cachées » qui, elles, ne cessent d’augmenter. Pourquoi ? Parce qu’elles représentent les émissions de gaz à effet de serre importées en même temps que les jolis produits bariolés venus des colonies et autres plaisantes contrées. Quand tu achètes un t-shirt fabriqué en Inde, ami lecteur, ou un ordinateur assemblé en Chine, tu achètes aussi, même si c’est invisible, les gaz que leur production a fatalement émis là-bas. Ben oui, tout a un prix écologique.
Et comme la France se désindustrialise depuis 35 ans et qu’elle ne s’emmerde plus à fabriquer de joujoux, de lingerie, de téléphones portables, de meubles ou de médicaments, elle importe de plus en plus massivement. Entre 1990 et 2012, les émissions de gaz made in France ont donc baissé – cocorico ! –, mais celles liées à nos importations ont elles augmenté de 54 %. Au total, il faudrait ajouter aux 460 millions de tonnes déclarées la bagatelle de 211 millions de tonnes importées, soit 671 millions de tonnes au total. Tout bien considéré, les émissions de gaz à effet de serre de la France ont augmenté et continuent d’augmenter. Mais cela, aucun journaliste en cour, aucun journal télévisé ne le dira, laissant le champ libre au bon gros mensonge gouvernemental.
Résumons : la France accueille une vaste foire climatique au cours de laquelle elle jurera ses grands dieux que ses nobles efforts ont fini par payer. Mais ce sera intégralement faux, car rien n’ayant été tenté pour limiter le commerce mondial de choses inutiles, la situation s’aggrave. Et que dire en ce cas des autres pays, tout aussi truqueurs, sinon plus ? Le bel exemple nous vient de Chine, où les autorités totalitaires en place viennent pour quelque obscure raison de réviser par la dynamite leurs propres statistiques. En 2013, sans que personne ne s’en soit apparemment rendu compte, l’Empire bureaucratique a cramé 600 millions de tonnes de charbon de plus qu’annoncé. Soit un milliard de tonnes de CO2, qu’il faudrait aussitôt rajouter au bilan mondial si l’on était sérieux.Mais ainsi qu’on sait, ces gens sont de redoutables bouffons.
Dans ces conditions ridicules, faut-il participer, fût-ce loin, à l’immense pantomime qui commence le 30 novembre au Bourget ? Faut-il accepter d’animer les sempiternels ateliers alternatifs et altermondialistes qui fleuriront en marge de la COP21 ? On préférera envoyer se faire foutre les braves organisateurs et leurs amis des médias. À la bonne franquette.
(1) www.developpement-durable.gouv.fr/L-empreinte-carbone-les-emissions.html
20 ans pour rien et le Fuck Off de l’Amérique
Le deuxième article publié le 25 novembre 2015 par Charlie
Ami lecteur, si tu n’as rien compris à la COP21, rassure-toi, car c’est le cas de tous et de chacun. Commençons par quelques points d’histoire. En 1988 naît le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ouvert à tous les pays membres de l’ONU. Parallèlement à ses travaux scientifiques, le GIEC publie de lourds rapports censés exprimer une sorte de consensus de base. En tout, cinq.
Le premier, celui de 1990, s’en tient à un constat : les émissions de gaz liées aux activités humaines flambent, provoquant une augmentation de l’effet de serre. Mais le texte contient plus de « convictions » que de « certitudes ». Le cinquième, très ferme dans ses conclusions, est publié entre 2013 et 2014. Il affirme qu’il faut réduire les émissions d’origine humaine de 40 à 70 % entre 2010 et 2050. Faute de quoi les dégâts seront «graves, étendus et irréversibles».
Comment négocier ? À partir de 1995, tous les pays – plus d’une centaine – qui ont signé la Convention de Rio, en 1992, sont réunis chaque année par l’ONU pour une Conférence des parties, ou COP. On en est donc à la vingt-et-unième édition. Avance-t-on ? Bien sûr que non, puisqu’il faudrait pour cela remettre en cause le commerce mondial de marchandises et l’hyperconsommation, qui sont au fondement de l’organisation sociale.
Qui dirige la discussion depuis les débuts ? La caste des experts – négociateurs, diplomates, lobbyistes -, qui marche main dans la main avec l’industrie transnationale (voir Charlie 1215). Les peuples, totalement absents des discussions, entendent parler une novlangue dont ils ne savent rien : NDC/CPDN, AAU, CMP, différenciation, atténuation, parties par millions, permis d’émission négociable d’une tonne équivalent C02, etc.
Dernière facétie : le secrétaire d’État américain John Kerry a prévenu que les Etats-Unis ne signeraient pas un accord juridiquement contraignant, ce qui pulvérise les rêveries de Fabius et Hollande. On rappellera que l’Amérique n’a jamais ratifié le fameux protocole sur le climat signé en grande pompe à Kyoto (Japon) en 1997. Et que George Bush le père, quand il était président – 1989-1993 – a proprement envoyé chier le premier Sommet de la Terre de Rio (1992), déclarant : « The American way of life is not up for negotiation ». En français insultant : « L’American way of life n’est pas négociable ».
Ce qui (ne) va (pas) se passer à Paris
Le premier de trois articles publiés par Charlie le 25 novembre 2015
Ce qu’on appelle un effet d’aubaine : s’appuyant sur le climat sécuritaire en cours, Hollande et Valls ont décidé que les gueulards de la COP21 ne défileraient pas dans Paris. Réunie dans une fédération provisoire de 130 associations (http://coalitionclimat21.org), la galaxie altermondialiste entendait mener une très grosse manifestation le 29 novembre à Paris, et une autre le 12 décembre, à la fin de la COP21. Les deux sont désormais interdites.
Reste au programme, pour l’essentiel, un « village mondial des alternatives », qui se tient à Montreuil les 5 à 6 décembre (https://alternatiba.eu/village-mondial-alternatives). On y entendra des concerts, on trinquera avec des potes, on laissera les gosses dans l’espace réservé aux jeux, et on discutera climat et politique. L’organisateur en chef, Alternatiba, a réussi cet été un stupéfiant tour de France à vélo, qui a mobilisé les jeunes – et beaucoup moins jeunes – par dizaines de milliers.
Quant à la conférence officielle, elle est comme de juste face à un grave problème de propagande. Tous les gens sérieux, ou presque, annoncent un échec, mais il faudra le masquer coûte que coûte par des images, des embrassades, quelques engagements présentés comme sans précédent. Le père Hollande joue d’autant plus lourd que les attentats du 13 novembre lui assurent pour le moment un très net regain de popularité. La COP21 ne peut donc pas être un échec. Faisons confiance aux communicants : ce sera un triomphe.
Farces et attrapes de la COP21
Cet article a été publié dans le numéro 1215 de Charlie-Hebdo.
Hollande, à peine rentré de Chine, jure qu’il a convaincu Pékin de lutter contre le dérèglement climatique. Mais il oublie opportunément de parler des exportations, du charbon, des objectifs bidon de la Conférence de Paris et d’un certain Maurice Strong. Les bouffons du climat sont de sortie.
Pour comprendre la délectable COP21 de décembre, tout oublier du bruit, et regarder de près trois questions vraiment majeures. La première concerne ce pauvre garçon – notre président François Hollande – à peine rentré d’une visite officielle en Chine. La version des communicants est que Hollande-les-petits-bras a convaincu un Empire de faire un geste pour le climat.
Ravalons un rire nerveux, et passons aux choses sérieuses (1). Si la Chine fait tellement peur aux gouvernements du Nord, ce n’est pas parce qu’elle est devenue le plus grand émetteur de gaz à effet de serre de la planète. Non, ce qui les angoisse, c’est la baisse de sa croissance, qui ne devrait pas atteindre 7 % cette année, contre 10 % les années fastes.
Cette simple annonce a plongé la Bourse et ses amis au pouvoir dans la déprime, car qui peut acheter nos turbines, nos centrales nucléaires et nos avions ? Au tout premier rang, la Chine. Il faut que son économie croisse de manière démentielle pour que nos usines à détruire le monde tournent à plein régime. Est-ce bien compatible avec une vraie lutte contre lé dérèglement climatique ? Ben non, ballot.
Non, car la Chine ne se contente pas d’importer : elle vend aussi au monde entier, et bientôt des bagnoles made in China, sans quoi elle ne pourrait pas acheter. Les échanges commerciaux entre la Chine et la France sont une cata, avec un déficit annuel qui dépasse les 25 milliards d’euros. On vend 15, on achète 40. Mais on continue, comme on continuera encore et toujours auprès des pays dits émergents, car nos grands hommes ne voient pas d’autre issue que de fourguer le plus vite et le plus cher possible.
Comment fait la Chine, les petits amis ? Eh bien, elle s’appuie massivement sur le charbon de ses entrailles pour continuer sa course folle : elle consomme à elle seule autant de charbon que le reste du monde. Quelque chose comme 3,5 milliards de tonnes l’an. Et une centrale au charbon y ouvre tous les dix jours. Au plan mondial, la tendance est sans appel : demain au plus tard – dans deux ans, dans trois ? -, le charbon sera l’énergie la plus utilisée, devant le pétrole. Or qui l’ignore ? Le charbon émet 1,3 plus de C02 que le pétrole et 1,7 que le gaz. Ses émissions de gaz à effet de serre représentent 44 % de toutes celles provenant de l’énergie, contre 35 % pour le pétrole.
Hollande est donc venu demander un coup de main aux Chinois tout en les suppliant de ne rien en faire. Ce qu’on appelle une situation de double contrainte, qui n’est guère éloignée de la schizophrénie. Les Chinois, qui connaissent la chanson, réduiront d’autant moins leurs émissions qu’ils redoutent plus que tout une révolte massive de la société, pour le moment comme muselée par les télés plasma, les six périphériques de Pékin et les 20 000 chantiers permanents de Shanghai. Comme il faut produire de plus en plus massivement, il faut de plus en plus de charbon. Et comme on crame de plus en plus de charbon, on aggrave chaque jour un peu plus la crise climatique. Ajoutons pour les sourds et les malentendants que le commerce mondial est le grand moteur à explosion de la crise climatique. En vertu de quoi l’Europe et les États-Unis négocient le traité transatlantique (Tafta) qui vise à multiplier la production et les échanges.
La deuxième question concerne le grand bluff de la COP21, qui mise tout sur la limitation du réchauffement à deux degrés en moyenne annuelle. En dessous, ça irait encore. D’où vient ce chiffrage ? Pas très loin du trou du cul d’un négociateur anonyme (2). Ne reposant sur aucune base scientifique, il a été savamment mis en scène par des politiques, de manière à défendre des engagements « réalistes ». D’autant plus baroque que des effets non-linéaires sont attendus dès 1,5 degré d’augmentation. Non-linéaires, c’est-à-dire non proportionnels, et même non prévisibles. Un emballement général devient possible. Pourquoi une telle imbécillité ? Parce qu’il faut produire (voir plus haut).
La troisième question oubliée fait penser à la célèbre Lettre volée, cette grandiose nouvelle de Poe. Les roussins – la police – cherchent pendant des semaines un document qui se trouve nécessairement dans un appartement, sans le trouver. Pardi ! il est sur une table, bien en évidence. Mutatis mutandis, tout est à disposition à propos du système onusien de « lutte » contre le dérèglement climatique. Ceux qui veulent savoir le peuvent. Qui a organisé le tout premier des Sommets de la Terre, celui de Stockholm en 1972 ? Maurice Strong.
Qui a créé puis dirigé le Programme des nations unies pour l’environnement (Pnue) ? Maurice Strong. Qui a organisé le Sommet de la Terre de Rio, édition 1992 ? Maurice Strong ? Qui est devenu sous-secrétaire général de l’ONU ? Maurice Strong. Qui a ouvert ès qualité la première conférence mondiale sur le climat, celle de Kyoto, en 1997 ? Maurice Strong (www.mauricestrong.net/index.php/kyoto-conference-introduction).
Mais qui est-il donc ? Sans détour, un homme des transnationales. Et quelles ! Strong, né en 1929 au Canada, a dirigé ou présidé un nombre impressionnant d’entreprises dégueulasses, souvent fondées sur l’exploitation d’énergies fossiles comme Dome Petroleum, Caltex (groupe Chevron), Norcen Resources, PetroCanada. Quelquefois dans le même temps qu’il parlait pour le compte de l’ONU ! On a confié les clés à quelqu’un qui avait un intérêt direct à ne pas limiter les émissions de gaz !
Et ce n’est pas tout. Bras droit de Strong pour Rio-1992 ? Stephan Schmidheiny, ancien patron de la société Éternit, spécialiste de l’amiante. Le tribunal de Turin (Italie) l’a condamné à 18 ans de prison ferme en 2013 pour sa responsabilité écrasante dans la mort de 3000 prolos italiens (3).
Et chez nous ? Brice Lalonde, nommé Ambassadeur en charge des négociations climatiques par Sarkozy en 2007, a été cadre très supérieur de l’ultralibérale OCDE. Jadis écolo « de gauche », il est devenu partisan des gaz de schiste, considérables émetteurs de gaz à effet de serre. Comme de juste, il est devenu l’organisateur en chef du deuxième Sommet de la Terre de Rio, en 2012.
Reste le cas grotesque de Laurence Tubiana. Nommée par Hollande représentante de la France pour la COP21, cette sympathique techno de choc a surtout créé et longtemps dirigé un monstre, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Parmi les membres fondateurs, on trouve la très grande industrie, dont les célèbres amis du climat et des abeilles, Bayer et BASF.
En résumé express, les transnationales tiennent la « négociation » en cours : on parie que la COP21 prépare déjà un triomphal communiqué de clôture ?
(1) La Chine vient d’admettre qu’elle avait grossièrement menti sur sa consommation de charbon. Il faudrait ajouter aux chiffres officiels la bagatelle de 600 millions de tonnes par an.
(2) Stéphane Foucart, in Le Monde, 5 juin 2015
(3) Jugement cassé pour cause de prescription