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Le pape est avec nous (une Encyclique miraculeuse)

À Dominique Lang

C’est un très grand jour. Celui de la publication de l’Encyclique du pape François, appelée Laudato si – Loué sois-tu -, « sur la sauvegarde de la maison commune ». Qu’est-ce qu’une Encyclique ? Un texte souverain qui engage le pape, et derrière lui, en théorie du moins, toute l’Église et le 1,2 milliard de catholiques de la planète. Or cette Encyclique-là, par quelque miracle que je ne prétends pas expliquer, est écologiste.

Vous avez bien lu : écologiste. Je sais bien que l’on peut y trouver toutes les limites que l’on veut, mais avec ce texte, le pape François fait un mouvement prodigieux dans notre direction. Vous lirez les quelques extraits saisis au vol – désolé, non, je n’ai pas eu le temps de tout lire – et vous comprendrez pourquoi je considère dès ce jour François comme un formidable allié dans l’immense combat en cours pour la défense de la vie.

J’imagine que certains d’entre vous se récrieront. Comment ? Se prosterner devant le calotin des calotins ? J’assume sans aucune gêne. Je sais que bien des questions forment un vaste fossé entre lui et moi. Et de même entre la hiérarchie catholique et des mécréants de mon espèce. Mais ceux qui ne voient pas le changement venir risquent de finir bien seuls, ce que je ne leur souhaite pas.

Ma position est claire : il faut bâtir des alliances autour de valeurs, ce qui exclut beaucoup de monde, il est vrai. Dans le temps qui reste avant les vraies dislocations, il est inconcevable que nous puissions convaincre assez de monde pour renverser la table. Notez que ce serait ma préférence. Renverser la table, je veux dire, et donner la leçon qu’ils méritent à tous les médiocres salopards qui tiennent si mal les rênes de nos affaires communes.

Nous n’avons plus le temps. Et nous avons donc un besoin immédiat de renfort, d’aide, de compréhension, de mouvement, et j’ose le mot, d’amour. L’Église Catholique a beaucoup de choses à se faire pardonner – parmi lesquelles de grands massacres -, mais elle est toujours debout. Nous ne savons parler aux grandes masses humaines qu’elle influence et parfois guide. Son virage écologiste, s’il se maintient, sera un fabuleux accélérateur de conscience.

L’accélération est un moteur, qui comme son nom latin – m?tor – l’indique, remue. En l’occurrence, les esprits et les cœurs. Les paroles, d’évidence sincères, de François, sont désormais à la portée de tous. Rien ne sera plus comme avant. Je sais ce bout de phrase usé jusqu’à la corde, mais c’est bien cela que je veux dire. Rien ne sera jamais plus comme avant, car nul ne pourra effacer ce qu’une grande conscience humaine a pu un jour écrire. Chaque homme sur cette Terre pourra désormais s’appuyer, quoi qu’il arrive, sur cette immense et majestueuse tirade.

Malgré ma radicalité résolument totale, je ne crois pas être un sectaire. À la fin de 2008, j’ai lancé avec mon ami Dominique Lang – un prêtre catholique – une revue nommée Les Cahiers de Saint-Lambert (Ensemble face la crise écologique). Vous en saurez plus ici. Pour des raisons absurdes, cette revue a cessé de paraître à l’été 2011, mais elle avait le vent en poupe, croyez-moi. Elle matérialisait la nécessaire rencontre entre catholiques – Dominique – et écologistes – moi. Dominique était le directeur, Olivier Duron l’excellentissime directeur artistique, et moi le rédacteur-en-chef. Je vous le dis sans trépigner : je suis fier des dix numéros parus, dont vous trouverez le PDF du dernier ici.pdf.

Je me répète, mais la cause est la bonne : ce jour est historique, et je m’endors dans un bonheur simple et vrai. Et toutes mes excuses à ceux qui n’aimeront pas, que je crois assez nombreux.

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EXTRAITS DE L’ENCYCLIQUE DU PAPE FRANÇOIS (je le répète, je n’ai pas lu le texte dans sa totalité, de loin)

La poésie

Si nous prenons en compte la complexité de la crise écologique et ses multiples causes, nous devrons reconnaître que les solutions ne peuvent pas venir d’une manière unique d’interpréter et de transformer la réalité. Il est nécessaire d’avoir aussi recours aux diverses richesses culturelles des peuples, à l’art et à la poésie, à la vie intérieure et à la spiritualité.

La propriété privée

Par conséquent, toute approche écologique doit incorporer une perspective sociale qui prenne en compte les droits fondamentaux des plus défavorisés. Le principe de subordination de la propriété privée à la destination universelle des biens et, par conséquent, le droit universel à leur usage, est une ‘‘règle d’or’’ du comportement social, et « le premier principe de tout l’ordre éthico-social ». La tradition chrétienne n’a jamais reconnu comme absolu ou intouchable le droit à la propriété privée.

La richesse de la culture

Il ne s’agit pas de détruire, ni de créer de nouvelles villes soi-disant plus écologiques, où il ne fait pas toujours bon vivre. Il faut prendre en compte l’histoire, la culture et l’architecture d’un lieu, en maintenant son identité originale. Voilà pourquoi l’écologie suppose aussi la préservation des richesses culturelles de l’humanité au sens le plus large du terme.

Sur les écologistes

Le mouvement écologique mondial a déjà fait un long parcours, enrichi par les efforts de nombreuses organisations de la société civile. Il n’est pas possible ici de les mentionner toutes, ni de retracer l’histoire de leurs apports. Mais grâce à un fort engagement, les questions environnementales ont été de plus en plus présentes dans l’agenda public et sont devenues une invitation constante à penser à long terme.

Des points de rupture

Il suffit de regarder la réalité avec sincérité pour constater qu’il y a une grande détérioration de notre maison commune. L’espérance nous invite à reconnaître qu’il y a toujours une voie de sortie, que nous pouvons toujours repréciser le cap, que nous pouvons toujours faire quelque chose pour résoudre les problèmes. Cependant, des symptômes d’un point de rupture semblent s’observer, à cause de la rapidité des changements et de la dégradation, qui se manifestent tant dans des catastrophes naturelles régionales que dans des crises sociales ou même financières, étant donné que les problèmes du monde ne peuvent pas être analysés ni s’expliquer de façon isolée. Certaines régions sont déjà particulièrement en danger et, indépendamment de toute prévision catastrophiste, il est certain que l’actuel système mondial est insoutenable de divers points de vue, parce que nous avons cessé de penser aux fins de l’action humaine.

L’anthropocentrisme

Les Évêques d’Allemagne ont enseigné au sujet des autres créatures qu’« on pourrait parler de la priorité de l’être sur le fait d’être utile »42. Le Catéchisme remet en cause, de manière très directe et insistante, ce qui serait un anthropocentrisme déviant : « Chaque créature possède sa bonté et sa perfection propres […] Les différentes créatures, voulues en leur être propre, reflètent, chacune à sa façon, un rayon de la sagesse et de la bonté infinies de Dieu. C’est pour cela que l’homme doit respecter la bonté propre de chaque créature pour éviter un usage désordonné des choses ».

Le dérèglement climatique

Le changement climatique est un problème global aux graves répercussions environnementales, sociales, économiques, distributives ainsi que politiques, et constitue l’un des principaux défis actuels pour l’humanité. Les pires conséquences retomberont probablement au cours des prochaines décennies sur les pays en développement. Beaucoup de pauvres vivent dans des endroits particulièrement affectés par des phénomènes liés au réchauffement, et leurs moyens de subsistance dépendent fortement des réserves naturelles et des services de l’écosystème, comme l’agriculture, la pêche et les ressources forestières. Ils n’ont pas d’autres activités financières ni d’autres ressources qui leur permettent de s’adapter aux impacts climatiques, ni de faire face à des situations catastrophiques, et ils ont peu d’accès aux services sociaux et à la protection. Par exemple, les changements du climat provoquent des migrations d’animaux et de végétaux qui ne peuvent pas toujours s’adapter, et cela affecte à leur tour les moyens de production des plus pauvres, qui se voient aussi obligés d’émigrer avec une grande incertitude pour leur avenir et pour l’avenir de leurs enfants.

Une solidarité universelle

Malheureusement, beaucoup d’efforts pour chercher des solutions concrètes à la crise environnementale échouent souvent, non seulement à cause de l’opposition des puissants, mais aussi par manque d’intérêt de la part des autres. Les attitudes qui obstruent les chemins de solutions, même parmi les croyants, vont de la négation du problème jusqu’à l’indifférence, la résignation facile, ou la confiance aveugle dans les solutions techniques. Il nous faut une nouvelle solidarité universelle.

Alan Rusbridger, un journaliste qui mérite attention

Dans mon article précédent, je vous parlais du rédacteur-en-chef du quotidien The Guardian, Alan Rusbridger. Le Monde, et j’en suis ravi, a recueilli l’interview qui suit, très éclairante.

Quant à moi, je ne vais ni mieux ni pire. Le plâtre qui m’empêche de marcher m’a joué de tels tours que j’ai dû, sans autorisation médicale problématique, le scier sur une petite portion. La première fois avant de me coucher. La seconde en pleine nuit, grâce à la modeste scie de mon inséparable couteau suisse. Mais ça va mieux.

—————————————–L’ARTICLE DU MONDE

« Il n’y a pas de sujet plus sérieux que le climat »

LE MONDE | • Mis à jour le | Propos recueillis par Simon Roger et Stéphane Foucart

Alan Rusbridger, directeur du «?Guardian?», au siège londonien du quotidien britannique, le 15 avril.

Le quotidien britannique The Guardian est associé depuis mars avec l’ONG 350.org dans la campagne « Keep it in the Ground » (« Laissez-le sous terre »), visant au « désinvestissement » dans les énergies fossiles. Le Guardian Media Group, qui dispose de 1,1 milliard d’euros d’actifs, a lui-même annoncé début avril qu’il commençait à se débarrasser de ses participations dans l’industrie des combustibles fossiles. Alan Rusbridger, le directeur du Guardian, qui quittera le quotidien cet été pour prendre la présidence du trust propriétaire du titre, détaille au Monde la genèse de cet engagement.

Pour quelles raisons « The Guardian » mène-t-il campagne pour renoncer à l’exploitation des réserves d’énergies fossiles ?

Tout a débuté à Noël 2014, lorsque j’ai réalisé que j’allais quitter mes fonctions. Quand vous vous apprêtez à partir d’une institution incroyable comme le journal The Guardian, après deux décennies passées à sa tête, vous vous demandez ce que vous avez raté. Non que je regrette la couverture que nous avons faite jusqu’ici de l’environnement. Mais si l’on pense à ce qui restera dans l’Histoire, le changement climatique est la plus grande « story » de notre époque. Or jusqu’à présent, elle n’avait fait que très rarement la « une » du Guardian.

J’ai été frappé aussi par ma rencontre avec Bill McKibben [fondateur du mouvement 350.org]. Il m’a fait prendre conscience que les médias étaient englués dans un traitement environnemental et scientifique du climat alors que c’est une question politique et économique. En abordant le sujet dans la rédaction, nous nous sommes mis à parler également de santé, de culture… Cela a créé une énergie entre nous. C’était le moment d’impliquer l’ensemble du journal sur ce sujet.

Comment avez-vous organisé cette mobilisation du journal ?

Une partie de la rédaction est partie avec moi une semaine en Autriche pour planifier cette campagne. Il est bon de temps en temps de quitter le bureau et de couper le portable. Nous avons enregistré chaque mot de nos discussions et une partie de ces échanges ont été publiés sous forme de podcasts, sur le site du journal. C’était aussi une manière de montrer à nos lecteurs comment un journal fonctionne. Les entreprises de presse devraient être plus démocratiques. Je n’aime pas les journaux construits autour d’une figure très imposante.

L’une des premières choses dites pendant notre séminaire, c’était que nous ne pouvions pas lancer une telle campagne sans avoir nous-mêmes décidé de quelle énergie nous voulions pour remplacer les combustibles fossiles. La discussion s’est notamment focalisée sur le nucléaire. J’ai demandé que l’on ne cherche pas à trancher ce débat. Car si nous élargissons trop le sujet, les gens risquent de perdre de vue le sens de notre campagne.

Pourquoi avoir pris pour cible des fonds financiers impliqués dans le secteur des énergies fossiles ?

Quels vont être les faits marquants en 2015 sur le climat ? Tout le monde à la rédaction est d’accord pour dire que la Conférence de Paris sur le climat (COP 21) sera le grand événement de l’année, mais ce n’est pas le sujet que l’on a le plus envie de lire. On s’est dit, ensuite, pourrait-on persuader des investisseurs de changer d’avis sur les énergies fossiles, responsables d’une majeure partie des émissions polluantes ? Nous avons par exemple lancé le 7 mars une pétition en direction des fondations philanthropiques telles que le Wellcome Trust et la Bill & Melinda Gates Foundation [180 000 signataires au 17 avril]. Nous n’allons pas en faire des ennemis, mais comme elles gèrent des gros portefeuilles d’actifs, elles peuvent prendre la tête du mouvement de désinvestissement.

Avez-vous rencontré des réticences dans la rédaction à propos de cette campagne ?

Seuls quelques-uns étaient inquiets de cette démarche. Je l’étais moi-même. Durant ces vingt ans comme directeur du Guardian, je n’avais jamais lancé un appel comme celui-ci. Il s’agit d’un sujet complexe, c’était un peu risqué de plonger le journal dans cette complexité. Ce qui m’a convaincu, c’est l’importance de l’enjeu. C’est très différent des OGM, sur lesquels on peut tirer des conclusions divergentes. Là, l’écrasante majorité de la communauté scientifique s’accorde à dire qu’il y a urgence à agir. Il n’y a pas de sujet plus sérieux que le réchauffement climatique.

Pourtant, près de 40 % des Britanniques se disent sceptiques face au réchauffement climatique. Ne craignez-vous pas de perdre une partie de votre lectorat ?

Si vous vous levez chaque matin en vous demandant si vous allez perdre du lectorat, c’est une très mauvaise façon de construire un journal ! Le renoncement aux énergies fossiles est une cause morale, bien sûr, mais aussi une mesure de bonne gestion. Je ne m’attendais pas à ce que le Guardian Media Group (GMG) décide aussi vite de désinvestir. En voyant ce qu’il a fait, le monde de la finance a commencé à en parler. Aujourd’hui, notre propre conseiller financier nous dit : « J’ai observé les chiffres sur les dix dernières années, les énergies fossiles sont devenues de mauvais investissements, qui sous-performent. »

« Keep it in the Ground » n’est-il pas également un formidable coup de pub pour votre journal ?

Au cours de ces cinq dernières années, The Guardian a sorti les dossiers WikiLeaks, le Tax Gap [vaste enquête sur les manœuvres d’évitement fiscal des entreprises britanniques], l’affaire Snowden… Maintenant, nous faisons campagne sur le changement climatique. Si l’on entreprend ce travail d’investigation journalistique, ce n’est pas pour s’assurer des records d’audience, mais pour être à la hauteur de notre réputation. Les gens se rendent compte qu’on est prêt à faire des choix courageux, à dépenser de l’argent quand c’est nécessaire.

A vous entendre, les journaux devraient remplir une mission de service public…

Ce que nous faisons doit servir l’intérêt général. Au cours des dix dernières années, l’industrie de la presse s’est fracturée, elle est devenue peureuse. On regarde en permanence nos chiffres de ventes, nos nombres de lecteurs et d’abonnés. Cela a mené certains à faire des choses idiotes. Si vous voulez faire du journalisme, il faut garder l’intérêt général comme moteur. Et je ne vois pas de plus grand intérêt général que d’aider à la prise de conscience sur le dérèglement climatique. Il est irresponsable de la part des journalistes de ne pas réfléchir davantage à la manière de couvrir cette grande question.

Comment concilier le traitement de l’actualité et une réflexion de long terme sur le climat ?

Le journalisme est très efficace pour raconter ce qu’il s’est passé hier, il l’est beaucoup moins pour faire le récit de ce qui va se produire dans dix ans. Pourtant, cela reste du journalisme, car les décisions que nous prenons aujourd’hui auront des conséquences dans les dix prochaines années et au-delà. Il faut trouver le moyen de faire réfléchir nos concitoyens car la classe politique ou les marchés ne sauront pas le faire. Les investisseurs, en revanche, sont capables d’un tel effort : ça les intéresse de savoir ce qui va se passer dans les dix ou les vingt prochaines années.

La nature des relations entre les journalistes du « Guardian » et les entreprises pétrolières a-t-elle changé ?

Non. Nous avons par exemple un rubricard énergie pour qui les compagnies ont beaucoup de respect. A un moment, Exxon a refusé de répondre à certaines de nos questions, estimant que nous n’étions pas impartiaux. Qu’une compagnie qui pèse 300 milliards de dollars [278 milliards d’euros] refuse de nous répondre en dit davantage sur elle-même que sur le Guardian.

Acceptez-vous toujours les publicités des compagnies pétrolières ?

Oui, nous acceptons et, j’en conviens, c’est une vraie question. Je considère que la publicité est la publicité, l’éditorial est l’éditorial. Ce sont deux choses complètement séparées. Au moment où vous commencez à former un jugement sur la publicité, vous franchissez cette ligne de démarcation.

En lançant cette campagne, pensiez-vous être rejoints par d’autres journaux ?

Nos concurrents sont tous focalisés sur les élections législatives du 7 mai. Jusqu’à présent, je n’ai vu aucune réaction de leur part. Au Royaume-Uni, les journaux se vivent comme des adversaires et ils détestent faire des choses ensemble.

Des nouvelles du front intérieur

Beaucoup d’entre vous le savent : j’ai reçu plusieurs balles au cours de la Grande Tuerie de Charlie Hebdo, le 7 janvier passé. Plus le temps passe, et plus mon énergie diminue. Cela me semble étrange, mais je n’y peux rien. En fait, le blues recouvre mon quotidien, fait de bien peu de choses. Je ne réponds que sporadiquement à ceux qui me souhaitent pourtant le meilleur, et j’attends. D’ici quelques jours, je serai hospitalisé une nouvelle fois, pour subir deux opérations, dont l’une conditionne ma capacité à marcher normalement. Entendons-nous : je ne pleure pas, je suis seulement d’une pesante tristesse. Je pense évidemment aux miens, morts dans l’attaque. Je pense aux blessés, dont Simon, à qui je reviens si souvent.

Je ne suis pas en état pour alimenter Planète sans visa. Je vous remets ci-dessous une chronique parue le 4 novembre 1999 dans l’hebdomadaire Politis. Il y a plus de quinze ans. Quelques mois avant la fumeuse Conférence de Paris sur le climat, cela fait réfléchir. Non ?

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(In Politis, 4 novembre 1999)

Bonn, mais franchement mauvaise

L’écologie contre la démocratie ? Peut-être. Il devient chaque jour plus manifeste que notre système politique usuel ne permet pas d’affronter les menaces globales qui pèsent sur les grands équilibres naturels. En témoigne de façon caricaturale la conférence de Bonn  sur le changement climatique. À l’heure où cette chronique est écrite, elle est loin d’être terminée, mais on peut déjà en parler sans grand risque d’être démenti.

Les États-Unis et l’Europe s’y opposent dans un pesant jeu de ruse médiatique et de faux-semblants. À main gauche, les Américains, qui refusent toute mesure contraignante, notamment contre la sainte-bagnole, et entendent tout régler par le marché, la Bourse, l’argent. À main droite, une Union européenne qui profite de cet épouvantail pour nous faire croire qu’elle au moins est décidée à tenir les engagements pris à Kyoto voici deux ans, soit une diminution de 8 % des émissions de gaz à effet de serre en 2010 par rapport à 1990.

La vérité est tout autre : selon l’Onu elle-même, l’augmentation des émissions continue et pourrait atteindre 18 % en 2010 par rapport à 1990. Dans ces conditions, le sabotage américain et l’inertie européenne se rejoignent dans ce qu’il faudra bien un jour appeler un crime contre l’humanité.

La démocratie dans tout cela ? Le protocole signé à Kyoto n’est toujours pas appliqué pour une raison simple : seule une poignée de pays a voté sa ratification. Aux États-Unis, le congrès bloque et bloquera tant que ses dispositions “dures” n’auront pas été au moins tournées. Puis, comme on est entré en période électorale, chacun sait ce que cela veut dire : il faudra attendre, pour que le dossier soit seulement considéré, le printemps 2001.

L’Europe ne vaut guère mieux : imagine-t-on un Jospin – ne parlons pas de Chirac ! – prendre la tête d’une croisade contre la croissance et ses inévitables corollaires, alors que 2002 se profile à l’horizon ? Il faudra bien que le débat sur les impasses tragiques de nos modèles dits démocratiques voie le jour. Et il serait plus sage qu’il soit lancé par des démocrates et des amis de l’homme plutôt que par quelque brute dopée par les malheurs à venir, désormais si probables.

Inondations à tous les étages

(Vos mots, si chers amis, sont un aliment, comme le pain. Le vin, je n’y ai pas droit. Hélas. Je viens de passer des jours difficiles, à la suite d’une deuxième opération. Et j’ai faim, de ce formidable aliment que vous servez si bien)

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, jour de la Grande Tuerie.

En avant, vers les débordements de rivières et la submersion marine ! Ceux qui s’en foutent font leurs habituels plans sur la Comète, à coup de SDAGE et de PGRI. Les autres font les comptes : les flots flambent, ce qui s’appelle un oxymoron.

Ne pas se fier à l’hiver, c’est un truand de taille. Il fait le mort pour mieux surgir, armé de son gourdin, mais il peut aussi disparaître sans prévenir. Bientôt les coulées de boue et les inondations ? En tout cas, une vaste consultation vient de commencer, qui s’achèvera le 18 juin 2015. Il s’agit, amis plongeurs, de réviser les « schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) ainsi que des plans de gestion des risques d’inondation (PGRI) ». Eh ben, on va se marrer.

D’abord la mer, cette grande saleté. Le jugement de décembre condamnant l’ancien maire de la Faute-sur-mer (Vendée) à quatre ans de cabane fait flipper des milliers d’élus du littoral. Car nombre ont accepté des permis de construire  dans des zones inondables en cas de fortes tempêtes, or justement, ces dernières se multiplient sur fond de dérèglement climatique. Trop bête. Ensuite, les rivières. On a conchié le savoir ancien – par exemple ne pas bâtir dans le lit majeur d’un cours d’eau – et l’on commence à en payer le prix. Parmi les causes dont on ne parle jamais, les pesticides.

Dans la vaste plaine qui s’étend au nord de Montpellier, là où nos amis ont infesté leurs vignes de produits chimiques, tout meurt dans le même temps que les villes sont dévastées par les flots. Les vers de terre pourtant, dont le beau monde se tape, creusent gratuitement jusqu’à 5 000 kilomètres de galeries par hectare de sous-sol. Ce qui, affirme le spécialiste mondial des vers de terre Marcel Bouché, « permet une percolation de l’eau dans le sol très rapide. Autour de Montpellier, 160 mm d’eau de pluie peuvent s’écouler en seulement une heure de temps grâce à ces galeries (1) ».

Le drôle est que les assureurs disent vrai depuis longtemps. Dès les années 90, le grand réassureur mondial Munich Re – 45,5 milliards d’euros de primes encaissées en 2010 – alertait sur les risques financiers du changement climatique. Avant que de répéter d’année en année la même litanie. En 2012, Munich Re publiait un rapport portant sur la période 1980-2011. Selon ses chiffres, les catastrophes climatiques ont été multipliées par cinq en Amérique du Nord pendant la période considérée, coûtant au total 1 000 milliards de dollars.

En France, idem. Des centaines de villes et villages ont connu une, deux, parfois trois inondations – surtout dans le Var, le Gard, l’Hérault, l’Aude et les Pyrénées-Orientales – , ce qui commence à faire beaucoup. Juste avant Noël, l’Association française de l’assurance (AFA) a tenté d’estimer la note globale pour les 11 premiers mois de l’année 2014. Tempêtes, grêle et surtout inondations ont entraîné le remboursement de 1,8 milliard d’euros de dégâts matériels, largement au-dessus de la moyenne annuelle pour la période 1988-2007. Commentaire avisé des assureurs : « Ce coût moyen pourrait être amené à progresser fortement si aucune mesure de prévention n’était prise ».

Mais comment faire, ô braves gens qui voulez tant continuer comme avant ? La planète entière est secouée en ce début d’année par des inondations délirantes, du Sri Lanka à la Californie, de la Malaisie au Maroc, et il faudrait donc continuer à s’apitoyer sur qui voit partir à l’eau démontée son écran plasma ? Ben non.

Le Bangladesh, pour ne prendre qu’un exemple, est un pays de 152 millions d’habitants, surtout des pedzouilles, installés à la hauteur de la mer, dans un delta plat comme la main. Ils ont si peu contribué au dérèglement climatique qu’on peut les tenir pour innocents. Mais les eaux montent quand même, bouffant inexorablement des terres agricoles ancestrales.

On peut, pour chialer un coup, se rapporter à un cliché du photographe hollandais Kadir van Lohuizen (2). On y voit le vrai drame : des pégreleux installés sur une digue attaquée par l’eau, couverts de paille et de mauvaises couvertures. Pour quelque temps, la véritable inondation est encore pour les autres.

(1) Terre Sauvage, octobre 2004.
(2) l’article du New York Times, cité par Stéphane Foucart dans Le Monde.

François Hollande en comique troupier du climat

Il s’agit de comique involontaire, ce qui ne l’empêche pas d’être dévastateur. Notre président – désormais au rabais – a parlé ce jeudi à la troisième Conférence environnementale de son piteux quinquennat. Je n’entre pas dans les détails ridicules de son propos (voir ici). Référendums locaux, promesse de « faire en sorte » que cessent les subventions européennes aux énergies fossiles, etc. C’est tellement rien que même les très accommodants responsables de France Nature Environnement (FNE), qui encensaient jadis le Nicolas Sarkozy du Grenelle de l’Environnement, ont refusé de faire semblant.

Le pire : comme il est à terre, comme le monde entier rit de lui, de ses échecs et de ses reniements, Hollande s’accroche aux bouées encore en vue. Et l’une des plus prometteuses, à ses yeux épuisés, s’appelle la Conférence mondiale sur le climat, qui se tiendra entre le 30 novembre et le 11 décembre 2015 à Paris, précisément au Bourget (ici). Dans le jargon de la petite bande de spécialistes autoproclamés, cela s’appelle la COP 21. COP veut dire « Conférence des Parties signataires de la Convention Climat », et comme cette énième réunion existe depuis 1995, il s’agira de la vingt-et-unième édition. Et donc, COP 21.

Tout un peuple d’experts, s’étreignant et s’embrassant sans cesse, vit de ces discussions sans queue ni tête. J’en citerai trois, car je les ai tous trois moqués ici, sur Planète sans visa. D’abord madame Laurence Tubiana, qui jouera le grand rôle au nom des socialistes, dont elle est. La dame est dans ce domaine imbattable (ici)? Du côté de la droite sarkozyste, on est bien obligé de citer Brice Lalonde, qui aura tout vu et tout fait au long d’une carrière médiocre, mais instructive (ici). Enfin, il me faut évoquer un cadre historique – est-il encore membre ?- des Verts, l’inoxydable Pierre Radanne (ici).

Tous trois, et une armée mexicaine faite de discoureurs, vont encombrer l’espace public jusqu’à la « COP » de 2015, et ils nous diront jusqu’à plus soif que les efforts consentis ou à consentir permettent d’espérer vaincre la crise climatique en cours. Il serait imprudent – rires nerveux – de leur faire confiance, car ils disent la même chose depuis vingt ans, et rien n’a été fait. Rien ne le sera demain, sauf si la société, qui n’en prend pas le chemin, considérait enfin cette affaire comme politique, en plus d’être fondamentale. Bouchez-vous les oreilles, car les propos sans intérêt vont crépiter partout où ces gens pourront porter leur dérisoire parole. Et ce sera partout, faites-moi confiance.

Il y a un quart de siècle, devisant avec mon ami breton Jean-Claude Pierre, j’ai compris grâce à lui une notion essentielle. Il me parlait de la Comptabilité nationale et de l’absurdité qu’il y avait à considérer comme richesse ce qui n’était jamais que destruction. Il me semble, mais je ne suis pas sûr, qu’il pensait entre autres aux marées noires. Depuis cette date, qui n’a pas réfléchi au calcul de la richesse ? Qui n’a compris que l’économie, cette folle furieuse, nous jure chaque matin que nous sommes plus riches d’être de plus en plus menacés d’engloutissement ? Qui ne saisit que le Produit intérieur brut (PIB) est avant tout autre chose un mensonge global ?

Qui ? Mais Hollande bien sûr, qui ne songe qu’à augmenter encore la production industrielle. Que lui importe ? Il y a quelques jours, il visitait le Canada et y vantait l’exploitation scandaleuse des sables bitumineux par Total (ici). Le même promet pour l’an prochain un « accord historique » sur le climat, qui ne se produira évidemment pas. Pour cet homme-là, dans l’intérieur de son crâne façonné par des années vide, la non-construction du barrage de Sivens signifie fatalement une perte, fût-elle infinitésimale, du fameux PIB, son Graal à lui. Sa construction, en revanche, ainsi que la vente de pesticides, les coupes claires dans le bassin amazonien, l’aide alimentaire aux peuples dévastés, TF1 et le téléphone portable, les accidents de la route, l’explosion des cancers et d’Alzheimer, sont autant de dopants de l’activité. Je ne sais pas bien ce que signifie le mot intelligence. Mais il ne fait aucun doute à mes yeux que Hollande, et avant lui Sarkozy, sont des hommes stupides.