Mon Dieu, quelle souffrance ! Quel spectacle ! Je veux parler de la passation de pouvoir entre Bruno Le Maire, ci-devant ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique d’une part, et son successeur Antoine Armand, jeunot de 33 ans, et dents probablement.
Ces gens-là couchent ensemble, métaphoriquement parlant, et j’extrais en me pinçant le nez ces échanges entre les deux hommes. Armand : « Ce ministère a porté parmi les plus grandes réussites de la dernière décennie et je veux, évidemment, saluer l’action de Bruno Le Maire, ton action ; cher Bruno. Tu es resté sept ans à Bercy. Grâce à ton travail et à ta détermination, le chômage est au plus bas depuis quarante ans […], les impôts des ménages et des entreprises ont baissé de 60 milliards d’euros, la France est devenue le pays le plus attractif d’Europe et notre croissance est supérieure à celle de l’Allemagne. » Puis, le même : « Face à de telles réussites, je sais que j’ai de la chance d’hériter d’un tel bilan. »
Le Maire lui offre aussitôt un bâton de marche basque appelé makila – j’en ai un depuis des décennies – en l’assurant qu’il lui permettra de « franchir les cols et d’affronter les périls ». Voyez-vous, Le Maire est un poète, et quantité de journalistes de cour s’extasient à chacun de ses livres, tous tenus pour être ceux d’un écrivain.
Bon. Le Maire a eu tous les pouvoirs économiques de l’État entre les mains pendant sept ans, prodigieuse durée dans le monde qui est le sien. Il ne pouvait donc que réussir ce qu’il promettait depuis si longtemps, mais crotte, non. La France a une dette publique de 3150 milliards d’euros, dont un bon tiers a été creusé sous son règne. Et le bilan laisse en ruines des pans entiers du cœur même du pacte social : la santé, les hostos, l’éducation, les services publics en général. Dans un monde plus éveillé, Le Maire serait jugé. Et condamné. Non à la prison, à quoi bon ? Mais au moins à l’exécration publique, celle-ci l’empêchant de revenir par la fenêtre après avoir été chassé par la porte. Il reviendra, soyez-en sûr. Certain. Il reviendra, car la place ne manquera jamais aux jean-foutre de la politique.
Encore un mot sur l’écologie. En 2016, Le Maire s’est présenté à la primaire de la droite, qui devait conduire à la désignation de François Fillon pour l’élection présidentielle de 2017. Il avait pour l’occasion mis en ligne un programme de 1000 pages, pas une de moins. Si. En fait, 1012 pages. Ce monument a disparu d’internet, mais comme j’en ai une copie, voici ce que je tire de cette œuvre d’art :
« L’assouplissement des normes d’hébergement » pour les saisonniers agricoles venus du Maroc, de Pologne ou de Roumanie, car elles sont « trop contraignantes » ;
La réduction des dépenses publiques ;
La retraite à 65 ans dès 2020 ;
10 000 places de prison supplémentaires ;
L’augmentation des prélèvements en eau de l’agriculture industrielle ;
« Évacuer la ZAD de “Notre-Dame-des-Landes” par une opération d’envergure » ;
« Durcir drastiquement les conditions du regroupement familial » ;
« Accroître le délai de rétention administrative [des migrants] jusqu’à 120 jours » ;
« Faire primer les accords d’entreprise » sur tous les autres, contrat de travail inclus. Etc, etc.
Notre Génie national ne trouvait pas alors la place – en 2016 ! – de parler de la crise écologique qui ravage le monde, France comprise. Sur les 281 entrées que j’ai comptées une à une, pas une sur le dérèglement climatique qui menace de dislocation toutes les sociétés humaines. Pas une sur la sixième crise d’extinction des espèces, la pire depuis au moins 65 millions d’années, au temps de la disparition des dinosaures. Mais des odes à la bagnole et au nucléaire.
Que dire qui garde encore un sens ? Je souhaite bien du courage à quiconque essaiera.
Jamais je ne serai patriotard. Jamais je ne serai nationaliste, cette folie humaine ordinaire qui conduit si souvent à la guerre. Le 16 mai 1971, lors que j’avais encore 15 ans, je manifestais dans Paris pour le centième anniversaire de la Commune de Paris. Et je criais, et je crierai toujours : « Les frontières, on s’en fout ».
Je déteste en bloc – et pire encore – la droite fasciste ou simili qui se développe tant en Europe. Mais aujourd’hui, je pense surtout à nos sœurs du Sud : l’Espagne, l’Italie, la Grèce. Cette dernière, c’est Athènes bien sûr, cette formidable Antiquité qui nous a tant inspirés. L’Italie, au-delà des imbéciles et criminelles conquêtes des légions romaines, nous a légué la langue latine dont nous venons tous, tant de poètes, tant de visions. Et l’Espagne d’Al Andalus, malgré tant d’horreurs accumulées, a rêvé pendant des siècles la cohabitation paisible entre juifs, chrétiens et musulmans. Je n’oublie pas Francisco Gómez de Quevedo Villegas y Santibáñez Cevallos, Miguel de Cervantes, Lope de Vega, Luis de Góngora y Argote et plus près de nous Federico García Lorca ou Juan Goytisolo Gay.
Quelque chose se passe sous les yeux des crétins nationalistes de là-bas. Le pays qu’ils prétendent chérir plus que tout disparaît à grande vitesse sous la forme qu’ils ont eu pendant des millénaires. Et ils s’en contrefoutent. Ceux de Vox – nostalgique de la canaille Franco – en Espagne; ceux de Fratelli d’Italia, du côté de Giorgia Meloni; ceux d’Aube dorée en Grèce. Tous excitent la haine de l’étranger et tous sont climatosceptiques. Comme ils sont grands.
L’Italie devient un pays tropical. Début juillet, l’édition française du National Geographic se penchait sur un phénomène inouï : « Les collines ondulantes de la Sicile qui abritaient autrefois des plantations d’agrumes et d’oliviers, font depuis bien longtemps partie intégrante du paysage agricole italien. »
Un nombre croissant de paysans de la péninsule – au sud en tout cas – se tournent vers la papaye, la mangue, l’avocat, la…banane. Déjà, la production d’huile d’olive baisse, mais aussi celle du raisin ou du blé. Si l’on ne trouve pas rapidement des variétés de ce dernier plus résistantes au dérèglement climatique en cours, on pourrait – on pourrait – voir à terme disparaître peu à peu le blé de l’Italie. Le blé. La pasta – les pâtes -, la pizza.
Nouvel extrait : « Face à la raréfaction des précipitations et l’augmentation constante des températures, de plus en plus de plantes se dégradent, voire meurent, et laissent ainsi apparaître une couche de terre brute, érodée par le vent et emportée par les pluies occasionnelles. Au fil du temps, ces sols deviennent de moins en moins fertiles, un processus connu sous le nom de désertification. »
Environ 70% de la surface de la Sicile est en train de devenir un désert. Christian Mulder, professeur à l’université de Catane : « C’est comme si 70 % de notre corps était recouvert de brûlures au troisième degré : un tel état serait fatal pour un être humain ».
Le désert. En Espagne, l’agriculture industrielle tape chaque jour un peu plus dans des nappes qui ne peuvent se renouveler à l’échelle de la vie humaine. Et l’Andalousie, cœur nucléaire de ce modèle condamné, fournit fruits et légumes à toute l’Europe. À bas prix, car ce sont les esclaves roumaines, polonaises, marocaines, équatoriennes qui triment sous les serres, enveloppés de nuages de pesticides. Selon l’ONU, 74% de l’Espagne est frappée par des formes diverses de désertification.
Quant à la Grèce, sachez que 159 000 hectares, notamment de forêts, ont brûlé en 2013. En cette toute fin d’été, le bilan est supérieur de 50%. L’Attique, que se disputèrent Poseidon et Athena, l’Attique qui abrite Athènes, devient un désert. La Grèce flambe et sombre, tandis que les touristes envahissent le moindre lieu. La Grèce, bon dieu !
Je sais que parler – écrire – ne sert à rien, ou à si peu. Faut-il arrêter de radoter ? J’avoue que j’y pense. Oh oui ! Mais il est vrai que je ne sais rien faire d’autre. En tout cas, ces bouffons nationalistes – chez nous, de Le Pen à Zemmour, ils ne manquent pas – ne peuvent cacher à mes yeux ce qu’ils sont. Ils n’aiment pas leur pays, non. Ils aiment hurler, détester, bastonner.
J’espère que Le Monde me pardonnera la publication d’un article de ce jour, qui lui appartient donc. Vous lirez l’étendue des mensonges qui disent cette vérité profonde : ils s’en moquent intégralement. Eux, tous, y compris les partis de gauche bien sûr. La crise écologique infernale est reléguée dans les oubliettes de leur monde de pure pacotille.
Je ne me lasserai jamais de prêcher la révolte. Contre eux, tous, y compris les partis de gauche bien sûr.
L’article du Monde
Transition écologique : sans boussole, l’Etat navigue à vue
Le Secrétariat général à la planification écologique est maintenu à Matignon, mais s’interroge sur sa capacité à peser sur les arbitrages du futur gouvernement alors que son influence est en berne depuis le début de l’année.
Le secrétaire général à la planification écologique, Antoine Pellion, lors d’une séance de questions au gouvernement, à l’Assemblée nationale, le 5 juin 2024. XOSE BOUZAS / HANS LUCAS
Fin août, une fois de plus, les mines sont sombres et les rires jaunes au Secrétariat général à la planification écologique (SGPE). La « lettre plafond », envoyée par Matignon au ministère de la transition écologique pour fixer son budget 2025, prévoit des baisses de crédits dans plusieurs secteurs. Au sein de cet organisme, placé sous l’autorité du premier ministre et chargé d’impulser et de coordonner les politiques « vertes » du gouvernement, l’impression prévaut de s’être « fait rouler dessus », alors que la transition implique d’accroître – et considérablement – l’enveloppe. Et l’on digère mal d’avoir étéprévenu au dernier moment. Une énième crispation, dans une structure qui traverse une crise existentielle.
Depuis l’été, quatre membres, dont deux des secrétaires généraux adjoints, sur une trentaine d’équivalents temps plein, sont partis ou sur le départ. Selon plusieurs sources, une demi-douzaine d’autres hésitent à quitter la structure, créée en juillet 2022 par décret présidentiel. Ces départs se sont concrétisés au milieu d’une période de « temps suspendu » pour le SGPE, selon les termes polis d’un de ses membres. Les scrutins électoraux ont gelé la publication de documents importants, soupesés depuis des mois, comme la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la nouvelle stratégie nationale bas carbone (SNBC) et le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc).
Le 5 septembre, l’annonce de la nomination de Michel Barnier a plongé le SGPE un peu plus dans le flou. Après Gabriel Attal, hermétique aux sujets climatiques, le nouveau premier ministre aura-t-il la volonté de s’emparer de ce dossier tentaculaire ? Le Savoyard est, certes, un ancien ministre de l’environnement (1993-1995), mais il est aussi issu du parti Les Républicains, une famille politique accrochée au technosolutionnisme et opposée aux dépenses alors que le déficit de la France s’élève à 5,6 % du produit intérieur brut.
Le lendemain, Antoine Pellion, le secrétaire général à la planification écologique, a partagé sur le réseau social X une vidéo datant de septembre 2023 où M. Barnier discutait avec lui et se félicitait que la planification écologique soit rattachée à Matignon. Mais, lors de cette table ronde au Nice Climate Summit, le futur chef du gouvernement critiquait aussi l’excès de normes et de réglementations. « Il faut se méfier de cet emballement techno. (…) Je dis ça très franchement, quand les bureaucrates prennent le pouvoir, ce qui arrive très souvent, c’est que les hommes politiques leur ont laissé le pouvoir », disait-il en se tournant vers M. Pellion. Pas franchement de bon augure pour la suite.
« Gabriel Attal se fichait de nos sujets »
Selon les informations du Monde, le SGPE a eu la confirmation d’être maintenu par Matignon. En revanche, M. Pellion, ancien conseiller à l’Elysée et macroniste de la première heure, va sans doute quitter le cabinet du premier ministre, dans lequel il exerçait aussi la fonction de conseiller écologie. Et même si les départs du SGPE doivent être remplacés « fin septembre, début octobre », la structure, un « ovni » à la frontière entre l’administration et l’arène politique, cherche toujours sa place.
Peut-elle rester la tour de contrôle chargée d’aiguiller l’ensemble des politiques publiques vers le respect des objectifs climatiques, en tranchant entre les ministères ? Ou se transformer lentement en cabinet de conseil, davantage tourné vers l’analyse ?
Ces doutes et ces questionnements sont en réalité bien antérieurs à la dissolution de l’Assemblée nationale. Ils remontent plus précisément au mois de janvier, lorsque M. Attal succède à Elisabeth Borne comme premier ministre. « A partir de là, on n’a plus gagné le moindre arbitrage. Gabriel Attal se fichait de nos sujets, ne nous demandait plus rien. Depuis neuf mois, on tourne un peu à vide », témoigne un des membres du SGPE, qui, comme les autres, souhaite rester anonyme.
Entre 2022 et 2024, la double casquette de M. Pellion avait pourtant été utile. Rare conseiller à tutoyer la cheffe du gouvernement, il lui parlait presque tous les jours. Le 22 mai 2023, Mme Borne présente elle-même, devant le conseil national de la transition écologique, le plan de décarbonation concocté par le SGPE. Soutenus, M. Pellion et son équipe pèsent lors des réunions interministérielles, qui aboutissent au plan eau, au plan vélo et surtout à la nette augmentation de budget à l’automne 2023 : + 7 milliards d’euros de crédits, + 10 milliards d’autorisations d’engagement… Un travail salué par l’ensemble des acteurs de la transition.
La crise agricole, un « désastre »
Délaissé par Gabriel Attal et Emmanuel Macron, très rétifs à prendre des coups sur ce sujet, le SGPE perd rapidement son influence face aux ministères, notamment Bercy et l’agriculture.
Début 2024, la crise agricole est vécue comme un « désastre » au sein du secrétariat. Assouplissement des normes sur les haies, sur les jachères, sur les pesticides, coups de canif dans le droit de l’environnement… « Au moment de la crise agricole, la question, ce n’était plus ce qu’on pouvait gagner, mais ce qu’on pouvait sauver », témoigne un de ses membres. Même la hausse du budget 2024 laisse un goût amer. En février, l’enveloppe est rabotée ; 1 milliard d’euros amputés à MaPrimeRénov’, 400 millions d’euros de moins pour le fonds vert.
Au fur et à mesure des coups de fièvre politiques et du resserrement de l’étau budgétaire, le SGPE perd une partie de sa raison d’être. Dans sa conception d’origine, il est censé faire survivre les dossiers en dépit des crises et, même, des alternances. Un peu comme son frère aîné, le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), qui tient la ligne européenne de la France entre les différents ministères.
Mais les récents soubresauts ont montré que l’écologie restait une variable d’ajustement soumise aux crises politiques, à la conjoncture économique et à la personnalité du couple exécutif. « Pendant les deux premières années, nous avons établi un plan de transition secteur par secteur, sans se limiter à la décarbonation,défend cependant M. Pellion. Nous avons obtenu des moyens financiers et inscrit la culture de la planification dans le gouvernement. Tout ça n’était pas gagné. Maintenant, il faut accélérer la mise en œuvre des décisions et que tous les acteurs fassent leur part. »
« Le SGPE s’est égaré »
Petit à petit, certains des membres critiquent un glissement dans le rôle du SGPE. De moins en moins dans la transformation et la coordination des politiques publiques, davantage dans une logique de conseil, à grand renfort de PowerPoint. Une culture dont est issue une part croissante de l’équipe et dont les méthodes de travail s’opposent à celles des hauts fonctionnaires sur le départ, comme les deux secrétaires généraux adjoints, Cécilia Berthaud et Frédéric Glanois.
« Le SGPE s’est égaré », juge Pierre Cannet, à la tête des politiques publiques de l’ONG ClientEarth, estimant que la structure établit maintenant des diagnostics et des chiffrages déjà réalisés par d’autres, tels l’Agence de la transition écologique (Ademe), le Commissariat général au développement durable ou France Stratégie. « Le SGPE doit demander des comptes à chaque ministère sur la transition, choisir les politiques publiques, les obligations, les moyens budgétaires, bref décider. Pas animer », rappelle-t-il, alors que certains dossiers – l’agriculture, l’économie circulaire, la stratégie biodiversité – ont été laissés en souffrance, selon certains membres, et quela SNBC n’est pas achevée au-delà de 2030.
« L’heure n’est plus aux grands arbitrages. Il faut agir dans les territoires grâce aux COP régionales tout en continuant à publier des plans ambitieux », affirme, de son côté, M. Pellion.
Pour le SGPE, les semaines à venir seront décisives. Le nouveau gouvernement aura-t-il la tentation de détricoter la PPE, la SNBC et le Pnacc ? Le prochain projet de loi de finances sera aussi un immense test. Le secrétariat général arrivera-t-il à peser sur les arbitrages en imposant à Bercy de revenir sur lerabotage de 1,5 milliard d’euros sur le fonds vert qui est prévu ?
M. Pellion voudrait encore faire monter en puissance le financement de la transition écologique ou, au moins, revenir sur les coupes, en proposant au premier ministre des recettes supplémentaires, par exemple en revoyant les critères du malus sur les voitures ou en explorant la piste d’une modification de la taxe de solidarité sur les billets d’avion. Eloigné du cabinet,il se dit aussi que le SGPE sera moins soumis à une stricte solidarité gouvernementale. Jusqu’à s’exprimer ouvertement dans la sphère publique en cas de désaccord ? « Nous allons avoir besoin d’alliés », a-t-il glissé à plusieurs personnes, ces dernières semaines. Encore faudra-t-il en trouver dans ce futur gouvernement hétéroclite.
On apprend donc que le parti socialiste a proposé au poste de premier ministre une certaine Laurence Tubiana, dont je suis les activités proprement industrielles depuis fort longtemps ici. Ci-dessous, un extrait de mon livre Le grand sabotage climatique, que nos bouffons politiques – ils le sont tous – ne liront bien entendu jamais.
L’extrait
[Hollande] sort de sa torpeur – seulement d’un œil – à partir de 2015, car en novembre-décembre de cette année-là doit se tenir la COP21 en France, et il s’agit pour lui et ses équipes qu’elle soit historique. Mais il se contentera pourtant d’enfiler un nombre conséquent de perles, sans jamais aborder les questions concrètes, ce qui est bien plus prudent. Déjà le quatrième ambassadeur ? Ce sera une ambassadrice : Laurence Tubiana prend les rênes en 2014.
C’est une femme de gauche, ancien membre de la Ligue Communiste Révolutionnaire dans les années 70. Elle croise dès 1977 un certain Lionel Jospin, alors professeur dans un IUT, et devient son assistante. Elle deviendra sa conseillère pour le climat vingt ans plus tard quand Jospin sera Premier ministre. Après avoir obtenu un doctorat d’économie, et d’autres diplômes, elle devient enseignante à Sciences Po.
Elle ne quittera plus la question climatique, et sera par exemple en 2009, cheffe-adjointe de la délégation française à la calamiteuse COP de Copenhague. Mais son heure de gloire sera la préparation de la COP21 de Paris, en 2015. Aucun doute sur le sujet : elle a beaucoup travaillé, consulté, tenté de convaincre. À en croire le barnum publicitaire mis en place par le gouvernement français – Hollande-Fabius-Royal -, c’est un triomphe. Le climat est sauvé, car les 193 pays représentés, plus l’Union européenne, sont tombés d’accord pour limiter si possible à 1,5° l’augmentation moyenne de la température par rapport à l’ère pré-industrielle. Au pire, au-dessous de 2°. Labiche et son « Embrassons-nous, Folleville » n’auraient pas fait mieux.
La farce grandiose des Accords de Paris
C’est une farce, et elle est sinistre. Le Fonds mondial des fonds de pension – un comble – en tire aussitôt ce bilan : « l’objectif théorique de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’engage en rien les États-membres des Nations unies – tous signataires de l’Accord de Paris sur le climat. Les gros émetteurs de CO2, États-Unis, Chine, Inde, Brésil, Canada et Russie, qui représentent à eux seuls plus de la moitié des émissions, sont censés réduire délibérément, par eux-mêmes, leur pollution carbone sans qu’aucun mécanisme de mesure efficace ne soit mis en place, et sans le moindre incitatif financier contraignant du type taxe carbone. En somme, un accord “juridique” sans obligation, qui pose pour postulat que l’objectif recherché par les signataires sera atteint : ce que les juristes romains appelaient une pétition de principe ».
Les États-Unis ont signé, mais Trump enverra les Accords aux pelotes en 2017. La Chine a signé, mais émet en 2021 le tiers des émissions mondiales. Elles étaient de 18,7% en 2005, et de 26,4% en 2019. Il faudrait diviser nos émissions, partout, et elles augmentent, partout. Nul ne sait exactement ce que sera la trajectoire, mais les scénarios s’accumulent, scientifiques, faut-il le préciser ? D’abord, l’objectif des Accords de Paris s’écrit déjà au passé. En fonction des politiques menées, l’augmentation de la température moyenne du globe atteindra 3° en 2100, ou 5°, ou 7°, ou même pour certains 13°. Une abomination.
Les efforts de madame Tubiana seraient-ils parfaitement inutiles ? Ce n’est évidemment pas ce qu’elle pense, et comme à chaque fois, à l’instar des autres membres de la si petite tribu climatique, elle continuera à penser et à dire que la COP21 a été une réussite. Faut-il insister ? Oui, rapidement. Madame Tubiana situe sa pensée et ses efforts dans un cadre qui interdit toute amélioration. On ne parle jamais, elle ne parle jamais de la prolifération des objets, du commerce mondial, du rôle délétère de la Chine, et l’on va comprendre pourquoi.
Premier arrêt en 2001, au moment de la création de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), que madame Tubiana présidera jusqu’en 2014. À cette date, elle conseille le Premier ministre Lionel Jospin, son ami, et l’on ne sait pas ce qu’elle lui aura suggéré au sujet du climat, mais en tout cas, aucune décision se sera prise entre 1997 et 2002. Qui trouve-t-on dans le collège des fondateurs de l’IDDRI, représentée aujourd’hui par madame Claire Tutenuit ? Un machin discret qui n’apparaît que sous le sigle anodin EpE, qui signifie Entreprises pour l’environnement. En font partie des amis déclarés du climat : TotalÉnergies, Solvay, Bayer, BASF, Airbus, Plastic Omnium, Lafarge, des banques bien sûr, qui financent allègrement les projets d’exploration pétrolière. Ah ! EpE est sans surprise correspondante en France du World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), le vaste lobby patronal imaginé par Stephan Schmidheiny.
Madame Tubiana conseillère de la dictature chinoise
Et c’est évidemment logique et imparable, comme l’explique très bien madame Tubiana dans un entretien de 2015 avec le magazine Elle : « Il y a quand même une prise de conscience aujourd’hui et l’écologie est devenue un argument politique. Les gros trusts sont entrés dans la boucle. Ce n’est plus seulement une attitude de façade. C’est même devenu une source d’opportunités économiques pour certaines grandes entreprises. Et on n’obtiendra pas de changement sans discuter avec les grands groupes ».
Plus tard, Madame Tubiana deviendra présidente de l’Agence française de développement (AFD), héritière en ligne directe de décennies de Françafrique. Elle n’est pas responsable ? Elle ne l’est pas. Mais quand on préside un machin pareil, il me semble qu’on engage sa réputation, d’autant que le « développement » vu par l’AFD n’a vraiment rien à voir avec la lutte résolue contre le dérèglement climatique. Enfin, et c’est encore plus grave selon moi, elle est devenue sans le claironner sur les toits une conseillère officielle du gouvernement totalitaire chinois, précisément le China Council for International Cooperation on Environment and Development (CCICED).
J’en ai déjà parlé, car de nombreux hauts-cadres onusiens des négociations climatiques – Inger Andersen, Achim Steiner, Erik Solheim – en font partie aussi. Notons que Marco Lambertini, chef du WWF-International, en est aussi, ainsi que Peter Bakker, qui préside à la suite de Schmidheiny le WBCSD. J’imagine que la place est bonne, et qu’on en oublierait presque que le CCICED est présidé par le vice-premier ministre chinois Han Zheng.
Je n’insiste pas sur l’Apocalypse écologique de la Chine actuelle, déjà présentée dans un autre chapitre. Ses dizaines de milliers – ce sont des chiffres officiels – de cours d’eau asséchés par le « développement » cher au cœur de madame Tubiana. Les villages du cancer. L’avancée du désert aux portes de Pékin pour cause de déforestation cinglée. L’air des villes devenu mortel. Les barrages partout, détruisant des écosystèmes uniques et chassant les habitants par millions. Comme si cela ne suffisait pas, la Chine pille comme jamais les ressources naturelles de continents entiers. Le pétrole, le gaz, les terres d’Afrique. Les forêts extraordinaires du Laos ou du Cambodge. La main-mise sur le grand Mékong, etc, etc, etc. Je ne sais aucun autre exemple de destruction écologique aussi concentrée dans l’histoire des hommes.
Et bien sûr, le climat. Les dirigeants communistes chinois, qui ont d’autres choses dans la tête que faire plaisir à madame Tubiana, ont grossièrement truqué leurs chiffres sur la consommation du charbon. Le New-York Times l’annonce le 4 novembre 2015, quelques jours avant la triomphale COP21 si minutieusement préparée par madame Tubiana. En réalité, cette consommation était supérieure d’environ 17 % à ce qui était annoncé. Pour la seule année 2012, l’arnaque se montait à 600 millions de tonnes oubliées en route. Et les sources du journal sont officielles, car elles proviennent du gouvernement chinois lui-même !