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Gustav et les banquiers de Wall Street

Redite et radotage : le dérèglement climatique en cours augmente le nombre et l’intensité de certains phénomènes comme les ouragans (ici). La saison 2008 n’est pas encore finie – elle devrait s’achever en novembre – et déjà neuf tempêtes tropicales ont eu lieu. Chaque année en moyenne, entre 1900 et 1930, six tempêtes et ouragans – ce n’est pas la même chose – étaient recensés. Sur la période 1995-2005, la moyenne est passée à 15. Ike, le dernier cyclone en date, a ravagé ces tous derniers jours le Texas.

On a peu parlé de Cuba. J’ai vu sur des sites internet outrageusement favorables à Castro que l’île caraïbe, grâce à son organisation, avait vaillamment résisté aux ouragans Gustav, puis Ike. J’aurais aimé, je vous le jure bien. Non pour le régime, mais pour le peuple cubain, bien sûr. Ce n’est pas le cas. Certes, Cuba n’a rien à voir avec Haïti. Le gouvernement, aussi despotique qu’il soit, protège du moins la population civile, autant qu’il peut. Mais jusqu’où ? Le quotidien espagnol El País dispose à La Havane d’un excellent correspondant, Mauricio Vincent. Et il s’est rendu il y a quelques jours dans la ville de Los Palacios, au sud-ouest de La Havane (ici, en espagnol).

Rude destinée que celle de Los Palacios. Le 31 août, Gustav frappe  (ici une vidéo). Un anénomètre de l’Institut météo est arraché après avoir enregistré une rafale de vent de 340 km/heure. Le 9 septembre, alors que les habitants rafistolent, Ike arrive. Cette fois, même pour des Cubains qui en ont tant vu, c’est trop.Vincent décrit des gens désespérés, sans maison, sans électricité, sans téléphone, sans travail. L’un d’eux lui dit : « Nous allons avoir faim à Cuba ». Et le journaliste commence son article de la sorte : « Le gouvernement cubain a reconnu son incapacité à faire face à la dévastation, par manque de moyens ».

Voyez-vous, cela m’atteint. Oui, je me sens atteint. Car cette situation nouvelle dit bien où nous en sommes. Un pays du Sud, mais doté d’infrastructures et de volonté – Cuba -, avoue l’évidence qu’il est dépassé par les événements. Dépassé. Et ce n’est hélas qu’un début. Que se passera-t-il demain, et après-demain ?

Pensant à ce drame lointain, je l’ai rapproché de la débâcle financière en cours dans notre monde à nous. J’ai lu des articles du Figaro, de Libération, des Échos sur la stupéfaction des salariés de Lehman Brothers. Du jour au lendemain, la banque qu’ils croyaient solide comme le roc s’effondre. Ils se retrouvent fétus jetés au vent. L’un d’eux, Anglais : « La vie de milliers de gens a été anéantie du jour au lendemain. Ils doivent payer pour leur maison, l’école des enfants, la vie à Londres. En plus, retrouver un emploi va être très difficile : des milliers de personnes vont se retrouver en même temps sur le marché de l’emploi  ! ».

Certes, il vaut mieux être un chômeur de luxe en Europe que sans toit ni avenir à Los Palacios. Mais comment mieux dire que les échéances se rapprochent pour tous ?

PS : Nous vivons dans un système admirable. Le dernier exemple date de cette nuit (en Europe). L’État américain, celui de Bush et des ultralibéraux, vient de nationaliser de fait l’assureur AIG. 85 milliards de dollars d’argent public dans ce fleuron privé. En somme, business as usual. Les gains et profits pour les propriétaires. Les pertes pour la société tout entière.

Beau comme un jury anglais (neuf femmes, trois hommes)

Celle-là est aussi incroyable que superbe. Si incroyable qu’on se pince. Et si belle qu’on relit trois fois le même article (ici, mais en anglais). Voilà en quelques mots : un tribunal anglais vient de donner raison à des ecowarriors, des écoguerriers aussi décidés que valeureux. Le mieux est que je vous raconte le contexte, comme on dit.

Le voici : la centrale thermique de Kingsnorth, située dans le Kent, a été construite entre 1963 et 1973. Elle peut fonctionner au fuel, mais dans la réalité, elle aura essentiellement utilisé du charbon, combustible désastreux du point de vue climatique. Les émissions de gaz carbonique de ces vieilles centrales sont en effet colossales. Celle-là devrait arrêter ses activités en 2015, mais dès 2012, l’opérateur E.ON UK prévoit de lancer sur le site deux nouvelles centrales au charbon, les premières ouvertes en Grande-Bretagne depuis 1986. À croire la propagande officielle, ces installations permettraient évidemment de réduire les émissions de CO2 de manière miraculeuse.

La suite ? Cela devient marrant. Une coalition se forme contre Kingsnorth 2, qui regroupe à la fois des groupes écologistes – Greenpeace, par exemple – et chrétiens, comme Christian Aid. Le 8 octobre 2007, 5 de Greenpeace se changent en alpinistes qu’ils sont, et se mettent à escalader la cheminée de Kingsnorth 1, qui fait tout de même 200 mètres de haut. Je vous donne leur nom, car ils le méritent : Huw Williams, 41 ans; Ben Stewart, 34 ans; Kevin Drake, 44 ans; Will Rose, 29 ans; Emily Hall, 34 ans.

Arrivés là-haut, ils se mettent à peindre. Leur intention est d’écrire sans détour : « Gordon, bin it ! » en lettres géantes. Soit : « Gordon, jette-la à la poubelle ». Gordon, c’est le prénom du pauvre gars qui a remplacé Tony Blair 10 Downing Street, le Premier ministre, quoi. La poubelle désigne le lieu où doivent être placées les centrales à charbon. Mais les écologistes sont rattrapés en pleine action par une cruelle injonction de la Haute Cour, et descendent avant d’avoir terminé. Un seul mot a été peint, qui peut paraître bizarre, surtout vu de loin : « Gordon ».

La suite est attendue : la direction de Kingsnorth porte plainte, et réclame aux hooligans 35 000 livres, soit environ 42 000 euros, pour les frais de nettoyage de sa cheminée. Le procès, qui aura duré huit jours, vient de se dérouler en grande pompe, et sa conclusion est, elle, stupéfiante. James Hansen, l’un des meilleurs spécialistes mondiaux de la crise climatique, est en effet venu des États-Unis pour apporter un soutien enthousiaste et raisonné aux barbouilleurs. L’homme, qui a eu maille à partir pendant des années avec l’administration Bush, avait au préalable déclaré : « En face de telles menaces [ liées au changement climatique ], c’est une folie de proposer une nouvelle génération de centrales basées sur l’usage du charbon, qui est le plus polluant, le plus sale de tous les combustibles fossiles. Nous avons besoin d’un moratoire sur la construction de ces centrales, et devons parvenir à fermer les anciennes au cours des deux prochaines décennies ».

Pas si mal, non ? J’abrège. D’autres témoins sont venus soutenir les peintres du dimanche dont le directeur de The Ecologist, Zac Goldsmith, et le tribunal, en son immense sagesse, a décidé de relaxer purement et simplement les prévenus. Au nom, accrochez-vous au bord extrême de ce blog, d’un droit supérieur à celui de la propriété. Les cinq voyous, ont estimé les juges avaient a lawful excuse pour agir comme ils l’ont fait. C’est-à-dire une excuse légitime ! La menace de chaos climatique justifiait, au yeux du jury – 9 femmes, trois hommes – une action décidée contre l’entreprise.

Vous imaginez, je pense, les cris d’orfraie des officiels du ministère de l’Énergie et des responsables de la centrale. Et de Gordon, qui se fout bien davantage du climat que des mauvais sondages actuels, qui l’enterrent vivant. Je ne dirai pas que c’est une incitation à la désobéissance tous azimuts, mais d’un autre côté, cela y ressemblerait presque. Voilà qui peut donner quelques idées, pour sûr. Il y a tant à faire par chez nous.

Dansons joue contre joue (Pékin sous la brume)

Vous pensez bien, je l’espère, que je ne regarderai pas une seule image des JO, qui commencent aujourd’hui à Pékin. Si notre monde n’était affublé de ridicules lunettes qui lui font voir la vie comme il aimerait qu’elle soit, il verrait fatalement autre chose. Je reconnais que je ne suis pas allé chercher cela très loin. Au cours des deux derniers jours, malgré les flics par centaines de milliers, malgré l’interdiction d’une grande part de la circulation automobile, malgré la fermeture d’un nombre incalculable d’usines, malgré des mesures administratives qui n’avaient encore jamais été prises sur terre à cette échelle, où que ce soit, la brume a régné sur la capitale chinoise.

Je n’ai, pour ma part, besoin d’aucune autre image. Bien entendu, pour les autorités bureaucratiques, c’est normal. La chaleur et  l’humidité produisent de la brume. Bien entendu. Je note deux compléments. Un, hier matin en tout cas, le Nid d’oiseau, inventif petit nom donné au grand Stade national, était invisible depuis les routes qui l’encerclent. Deux, et pour l’histoire, tant c’est drôle, cette phrase du président du Comité international olympique (CIO), Jacques Rogge : « Il se peut qu’il y ait de la pollution ». Coluche pas mort.

PS : pourquoi danser joue contre joue ? Mais pour se voir, tiens !

Un pays fait pour les marins-pêcheurs et les routiers

Nous sommes au début de 2007, à Caracas, Venezuela. Le camarade – Our Great Leader Chairman – Hugo Rafael Chávez Frías vient de prendre une décision historique : le prix de l’essence vendu aux particuliers va être augmenté. Non ! Si. Dans son émission à la télé qui s’appelle Aló, Presidente – un interminable onanisme en direct, à la Castro -, Chávez annonce qu’il a demandé à son ministre de l’énergie de préparer la grande mesure. Il faudra que la hausse ne touche pas les plus pauvres, et qu’elle ne crée pas d’inflation.

Rude tâche, mais quand le camarade-président commande, il faut obéir. Un rappel sur le pétrole du Venezuela. Quel que soit le mode de calcul retenu, ce dernier est l’un des plus riches États pétroliers de la planète. Dans les estimations basses et contestées de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les réserves vénézueliennes ne dépasseraient pas 78 milliards de barils. Mais la question du pétrole extra-lourd situé dans la ceinture de l’Orénoque – la Faja del Orinoco – demeure ouverte. Pour Chávez, cette promesse autorise à parler de 315 milliards de barils de réserves, soit 20 % du total mondial. Bien plus que l’Arabie Saoudite. Dans tous les cas, un Eldorado.

Revenons aux péroraisons de Chávez, en janvier 2007. Il promet donc. À ce moment, l’essence vendue aux Vénézuéliens coûte 14,4 fois moins cher que dans la Colombie voisine. Et 16,6 fois moins qu’aux États-Unis. On imagine peut-être le flux de contrebande entre le Venezuela et la Colombie. Et les pertes pour le budget, y compris social, vénézuélien. Chávez promet donc de changer la situation, mais l’incantation se perdra dans les sables saturés de pétrole.

En juin 2008, l’essence vendue à Caracas vaut 4,3 bolivars pour un solide plein de 45 litres, soit un peu plus d’un euro (ici). C’est quatre fois moins qu’en Arabie Saoudite. Dix fois moins qu’une bouteille d’eau minérale. À peu près le prix d’un bon gros sandwich. Et cela coûte plus de dix milliards de dollars par an à l’État, seulement pour le super. Car il y a aussi le diesel, et le gaz naturel. Le pays du « socialisme bolivarien » devrait proposer l’asile politique aux marins-pêcheurs et aux routiers français.

Dans cette contrée où la voiture est, en fait, plus puissante que le Jefe, les automobilistes font bien entendu la loi. Selon une estimation, 20 % des habitants de Caracas occupent à eux seuls 80 % des voies publiques. C’est beau, le socialisme. Croyez-vous que les paysans pauvres de la province, ou les habitants des barrios de la capitale, soient invités à la fête ? Pensez-vous qu’on trouve de l’argent pour les transports publics ? Imaginez-vous qu’on parle aux Vénézuéliens de réchauffement climatique, et de cette nécessité absolument vitale de changer de modèle en quelques décennies au plus ?

Non, bien sûr que non. El Jefe est bien trop heureux de parader à la télévision publique, et de reprendre sur tous les tons l’obscène invite de son régime : Socialismo o Muerte. Je n’ai pas le temps de développer ce que signifie à mes yeux le tréfonds culturel et politique d’une partie de la gauche dite radicale d’Amérique latine, qui mêle avec force morbidité, culte du héros, machisme et abjecte soumission à l’autorité suprême. Du reste, vous n’êtes pas là pour lire mes propres divagations.

Où veux-je en venir ? Pas si loin que cela. Ce qui précède est une illustration parfaite de ce qu’est un paradigme. Cette expression désormais banale désigne un cadre de la pensée, une sorte de schéma global, explicatif, auquel on se réfère constamment sans seulement y penser. Nos sociétés sont par exemple encore dominées par le paradigme des Lumières et du progrès, malgré la crise actuelle. Et les marxismes, qui contestaient l’ordre social, n’étaient en réalité qu’une pointe avancée de ce progressisme-là. Défendant l’idée de révolution au nom même du paradigme.

Je ne fais aucun procès en écrivant ces mots. Je regarde. Et je vois bien que Chávez est l’héritier marginal, mais indiscutable, d’un mode de pensée qui nous empêche d’avancer. Il dirige le Venezuela depuis près de dix ans, tentant d’imposer des chimères à un peuple qui n’en veut pas, s’appuyant massivement sur une manne pétrolière qui finira, comme de juste, par s’épuiser. Et il n’aura pas préparé son peuple au choc qui vient. Car il est un homme du passé. Le paradigme écologique, qui sera fatalement, que cela plaise ou non, celui de l’avenir, reste un chantier. Je ne vois aucun travail intellectuel plus décisif que celui-là.

Vive la grande république populaire de Chine !

Un petit mot sur la Chine. Le paradis mondial des bureaucrates va de mieux en mieux. Formés à la noble école stalinienne, « améliorés » encore par l’art maoïste du mensonge et de la manipulation, les gérontes du Parti Communiste chinois sont en train de détruire à la racine une civilisation vieille de plusieurs milliers d’années. Les dernières nouvelles du front sont les suivantes : la Chine est le plus gros émetteur de gaz à effet de serre de la planète, et cette place ne lui sera contestée par personne au cours des prochaines années (ici) ). À lui seul, ce pays serait le responsable de 24 % des émissions mondiales.

Nul, sur cette terre, n’est aujourd’hui capable de rassembler l’information pourtant indispensable sur le krach écologique à venir. J’ai écrit il y a des années que la Chine serait probablement le théâtre du premier grand krach écologique mondial, et je le maintiens. Non qu’il n’y en ait eu dans le passé. Mais ce qui arrive désormais à grands pas est totalement moderne. C’est-à-dire global, écosystémique, démesuré en fait.

Au fond, c’est tragiquement simple : la Chine ne peut pas. Elle compte environ 200 millions de mingong, ces déracinés de la campagne qui errent de chantier urbain en halls de gare. Elle n’a pratiquement plus de rivières au sens où nous entendons ce mot. Elle se couvre de milliers de décharges. Elle engloutit les forêts de toute l’Asie, qu’elle considère comme l’hinterland de son miracle économique. Elle sacrifie sans seulement y penser la colonne vertébrale de son univers mental et vital : la paysannerie.

Comme cela ne peut pas durer, cela ne durera pas. Mais même dix ou vingt ans de ce régime nous rapprocheraient d’une zone de vrai danger planétaire. N’importe : l’Occident se couche devant les assassins de leur(s) peuple(s), et Sarkozy applaudit à des JO de la honte, aussi honteux que ceux de Berlin en 1936.

Un rappel : combien sont-ils ? Oui, combien de responsables français, dans la presse, la politique, la littérature sont-ils d’anciens maoïstes ? Si je pose la question, c’est parce qu’ils sont nombreux à avoir encensé cette dictature infâme au moment de la « Révolution culturelle », quand Mao tirait les ficelles de toute une jeunesse pour rester au pouvoir.

Un homme, Simon Leys, a eu le douteux mérite de tout comprendre, et de tout écrire. En 1971, il publie un livre admirable, Les habits neufs du président Mao (Champ Libre). Il y rapporte la vérité en temps réel, ce qui est prodige. Sinologue, homme libre ô combien, il montre que la « Révolution culturelle » n’est que mise en scène bureaucratique, lutte entre factions, horrible manoeuvre d’appareil.

Mais à l’époque, la maolatrie est telle qu’il est traité d’agent de la CIA, et de salaud dans le meilleur des cas. Ne croyez pas ceux qui vous diraient avoir lu Leys à cette époque, en tout cas montrez-vous sceptique. Car les lecteurs de cet homme d’exception ne furent alors qu’une poignée. Philippe Sollers, Serge July, André Glucksmann et Jean-Paul Sartre donnaient le là de ces années désespérantes pour la pensée. Nous leur devons en partie d’être à ce point aveugles aujourd’hui. Encore merci.