Archives de catégorie : Climat

Quand l’eau ne coule plus au parc de la Doñana

Il y a des années et des années, j’ai passé du temps dans l’un des lieux les plus beaux de ma vie : le parc national de la Doñana. 122 000 hectares au total, dont 54 000, moins protégés, appartiennent à ce qu’on nomme en Espagne un parque natural. Comment expliquer ? Le lieu est l’ancien delta du Guadalquivir, avec Séville au nord, Huelva à l’ouest, et Sanlúcar à l’est. En Andalousie comme ailleurs, la ville pousse de tous côtés.

J’y ai vu des flamants roses, bien sûr, qui passent ici par dizaines de milliers. J’y ai vu l’aigle impérial ibérique, une espèce endémique, qu’on ne trouve donc pas ailleurs. Je n’ai pas vu, mais j’a croisé grâce à un garde les traces du lynx ibérique, dans les dunes boisées au ras de l’Atlantique. Je crois que je pourrais écrire sans m’arrêter sur ces cuvettes sans limites apparentes, creusée de trous d’eau, de rigoles, de fossés, de petits étangs et dépressions. On les appelle selon les cas ojos, lucios, caños, qui forment la contrée des marismas, ces marais mélangeant eaux douces et saumâtres où la vie explose. Six millions d’oiseaux migrateurs y font une halte sur leur chemin aller ou retour.

Doñana a connu bien des attaques au cours des siècles, et connu quantité de menaces. Mais ce qui se passe désormais est d’un ordre différent, car cela s’appelle la mort. Il y a la sécheresse, bien sûr, qui transforme d’année en année l’Espagne en désert. En ce moment, au moins 30 000 hectares devraient être sous l’eau. À peine 300 le sont. Mais il y a aussi l’agriculture, qui pompe en Espagne 80% de l’eau chaque année. Et elle est surtout intensive en Andalousie, qui produit légumes et fruits pour toute l’Europe, dans un univers dantesque de serres plastiques entretenues par des semi-esclaves – surtout des femmes – venus du Maroc, de Pologne, de Roumanie, voire du lointain Équateur.

Les fraises surtout, celles qui arrivent en France dès février – parfois avant – volent à Doñana une grande part de l’eau qui lui manque tant. De nombreux « exploitants » – riches, au demeurant – sont aux limites du parc et pompent tant qu’ils peuvent dans une nappe qui ne se recharge plus. Par un phénomène connu de tous, il faut creuser de plus en plus profondément, pour en sortir toujours moins d’eau. Un reportage du quotidien El País montre ce que la situation a de désespérée (1). Le biologiste Eloy Revilla, directeur de la Station biologique de Doñana : « On est en train de perdre les lagunes, et la question est de savoir si on pourra les retrouver ». À côté du scientifique, un chêne-liège monumental de trois siècles, qui a traversé toutes les épreuves, et cette fois rend l’âme. Au moins 60% des lagunes ont déjà disparu.

Il y a les puits légaux, plus ou moins contrôlés, mais surtout les puits non déclarés, qui se comptent en centaines. Beaucoup ont été régularisés en 2014 – par la gauche -, mais bien sûr, cela n’a pas de fin. La cour européenne de justice à condamné l’Espagne en 2021 pour n’avoir pas su protéger le parc national, mais en Espagne, on pisse aussi bien dans un violon qu’ici. D’autant que la politique la plus vile s’en mêle. Des élections municipales ont lieu le 28 mai 2023, et en Andalousie, une coalition faite du Parti populaire – la droite – et de Vox, parti défendant l’héritage franquiste, dirige la région.

Les deux larrons, avec l’aval du gouvernement andalou, mitonnent une loi qui prévoit d’élargir la zone irrigable au nord de Doñana, malgré les menaces de lourdes amendes de l’Union européenne. Avec un peu de chance pour ces crapules, la loi devrait être votée à la moitié de ce mois. Et la plupart des puits illégaux du périmètre en seraient régularisés une nouvelle fois.
Je préfère me souvenir un instant de ce jour de bonheur passé en compagnie d’un gars appelé Juan Valladolid. Nous étions montés sur le point culminant du parc – 35 mètres de haut – appelé le Cerro de los Ánsares, la colline aux oies. Des milliers d’oies cendrées sont passées juste au-dessus de nos têtes. C’était un flot, une folie de plumes, ce que les Espagnols appellent algarabía. Une langue aussi somptueuse qu’incompréhensible.

(1)https://elpais.com/clima-y-medio-ambiente/2023-04-16/teresa-ribera-lo-de-donana-es-un-engano-no-va-a-haber-agua.html

La malheureuse piscine de M. et Mme Sarkozy

Magouilleur, je te plains (un tout petit peu), car tu vas te faire choper (beaucoup). Le fisc, utilisant l’arme torve de l’intelligence artificielle, va débusquer, après analyse de photos aériennes, les piscines qui n’auront pas été déclarées. On parle de 100 000 contrevenants et de 50 millions d’euros de redressement. Par ailleurs, et dans un nombre croissant de départements, il est interdit de remplir sa piscine. On annonce même des amendes qui vont sûrement dissuader les ultrariches du cap Bénat ou du cap Nègre, là où le couple Bruni-Sarkozy adore barboter dans une piscine installée à trois centimètres et demi de la mer. La première fois qu’on trichera, 1500 euros. La seconde, 3000 euros.

Le magazine Capital pose la question qui brûle les lèvres (1) : la crise de l’eau et les mesures de restriction vont-elles faire chuter le prix d’un bien immobilier ? Eh bien, je n’ai pas la réponse, car le reste de cet article si prometteur était payant, et je suis passé à autre chose. Il me semble avoir subodoré que cela pourrait bien advenir si les choses s’aggravent. En attendant, la surcote d’une maison atteint 20% quand elle dispose d’une piscine. Ça fait rêver.

Et sinon ? Au cours des deux décennies, 80 métropoles du monde entier ont connu des limitations de consommation de l’eau, à cause des sécheresses, mais aussi d’un gaspillage phénoménal de la ressource. Le Cap (Afrique du Sud) est passé très près de la panne sèche en 2018, et semble être parvenue depuis à réduire sa consommation. Mais comme on va le voir, rien n’est réglé pour autant. Une équipe de l’université suédoise d’Uppsala (2) s’est justement intéressée de près au Cap, s’appuyant sur un recensement de 2020 qui divise la population en cinq segments. Un classement qui rend un son un peu étrange à nos oreilles, nous pauvres pékins de France, mais passons. D’abord, ces supposées « élites ». Dans le cas du Cap, elles forment 1,4% de la population ; puis ceux disposants d’un revenu moyen-supérieur ; suivis des revenus moyens-inférieurs, et des faibles revenus : enfin le vaste secteur des informels.

Les habitants du Cap disposant d’une vraie maison avec jardin et piscine – les deux catégories les plus riches du tableau – ne rassemblent ensemble que14% de la population, mais consomment déjà 51% de l’eau. Les gueux – les deux catégories les plus « basses » -, ces pauvres ratés qui doivent gagner leur pain chaque jour, forment environ 62% de la population, mais n’ont droit qu’à 27% de l’eau distribuée.

Le modèle utilisé – il y a toujours un modèle informatique qui traîne – estime que chaque foyer de « l’élite » consommerait chaque jour 2 161 litres d’eau, et chaque ménage de la « classe moyenne supérieure », 988 litres. À l’autre bout, en moyenne – 61,5% de la population -, 188 litres.

Mais revenons aux piscines, ça nous rafraîchira le poil. Les piscinistes – le nom officiel de ceux qui te vendent ces saloperies -, ne sont pas du tout contents. Y a plus d’eau ? Et alors ? Lisons ensemble ce reposant storytelling (3) – l’art de raconter des salades – du président de l’Association Française des Pisciniers et Piscinistes, Thierry d’Auzers : « Une fuite de robinet, c’est 18 mètres-cubes par an, quand une piscine consomme 10 mètres-cubes par an ». Et aussi, et c’est admirable : « Aujourd’hui, on montre du doigt les propriétaires de piscines qui seraient des vilains petits canards. Il faut juste remettre l’église au centre du village : aujourd’hui, et ça n’a pas bougé depuis des dizaines d’années, on a des fuites sur les canalisations d’eau qui représentent à peu près pour la France un milliard de mètres-cubes ».

On n’a visiblement pas prévenu le monsieur que l’accaparement privé d’un bien commun pose des questions de principe. Il y aurait 3,2 millions de piscines privées en France, et notre pays est dans ce si beau domaine le leader européen. En 2021, les Français altruistes ont fait construire 244 000 piscines nouvelles, et le chiffre d’affaires du secteur a augmenté de 32% sur un an. Joie.

(1)https://www.capital.fr/immobilier/les-restrictions-deau-peuvent-elles-faire-chuter-les-prix-des-maisons-equipees-dune-piscine-1464468

(2)https://www.nature.com/articles/s41893-023-01100-0

(3)https://www.francebleu.fr/infos/environnement/journee-mondiale-de-l-eau-faut-il-limiter-le-remplissage-des-piscines-privees-pour-preserver-la-ressource-5258212

L’hydrogène, cette énergie qui leur va si bien

Revenons sur cette belle et grande nouvelle : Chemours va investir 200 millions de dollars (185 millions d’euros) pour une nouvelle usine chez nous, dans l’Oise. N’entrons pas dans la technique, et retenons que cela servira à fabriquer de l’hydrogène. Une courte précision : Chemours, c’est anciennement DuPont, une entreprise de la chimie exemplaire. On lui doit – la liste réelle est sans fin – la moitié de la poudre utilisée pendant la guerre de Sécession américaine, à peine moins pendant la Première guerre mondiale – côté américain -, la mise au point de nombreux plastiques, dont le Nylon et le Teflon, de pesticides, le plomb ajouté au bagnoles avec Exxon et General Motors – des millions de morts -, la première bombe atomique, avec quelques autres acteurs.

Or donc, d’excellentes personnes, attentifs au sort commun. Qu’en est-il à propos de l’hydrogène ? L’une des cheffes de Chemours, Denise Dignam, nous dit tout : « [nous avons] choisi d’investir 200 millions de dollars en France car nous avons senti un véritable alignement entre ce que nous voulons faire et ce que le gouvernement français veut faire ». Elle veut parler du vaste plan hydrogène lancé par Macron et ses petits amis, qui ont décidé d’injecter 2,1 milliards d’euros dans cette nouvelle filière. Lemaire, qui aime tant les mots qui ne veulent rien dire, promet que la France sera le « leader européen de l’hydrogène décarboné en 2030 ».

Il est dur d’écrire d’aussi grands personnages que ce sont des charlatans, mais enfin, c’est vrai. On ne détaillera pas ici pourquoi l’hydrogène est la plus belle opération de désinformation depuis des lustres, car il y faudrait un livre. Concentrons nos binocles sur un point : comment produit-on de l’hydrogène ? C’est bête comme chou, mais il y faut de l’énergie. Dans le monde, 96% de la production d’hydrogène est obtenue à partir des fossiles habituels : gaz surtout, mais aussi pétrole ou charbon (1). C’est de très loin le moins cher.

Autrement exprimé, et pour des décennies pourtant décisives pour le climat, produire de l’hydrogène aggravera le dérèglement en cours. Tout repose sur une arnaque sémantique qui rappelle de nombreux artifices passés de l’industrie mondiale. Comme par exemple le « développement durable », l’« écoresponsabilité », la « compensation carbone », l’« économie circulaire », la « transition écologique », les taxe et crédit carbone, etc. Autant d’expressions visant à continuer comme avant – le « développement durable », c’est le développement qui va durer – en habillant l’opération de jolies plumes multicolores dans le cul. Il ne s’est jamais agi de tailler dans la consommation d’énergie et la prolifération des objets matériels, mais en l’occurrence, de décarboner. C’est-à-dire d’utiliser un hydrogène qui n’émet pas de carbone, en effet, en laissant tout l’honneur aux énergies fossiles qui l’auront fabriqué.

En France, et les zécolos officiels et de pacotille s’en foutent bien, l’hydrogène sera massivement produit à partir de l’électricité nucléaire. La garantie que les EPR seront bel et bien construits, malgré le désastre de leurs chantiers en France et en Finlande. L’hydrogène, c’est le nucléaire pour aujourd’hui, demain et après-demain. Une dernière avant de se quitter : la farce macabre du Gaz naturel liquéfié (GNL). C’est leur nouvelle coqueluche. Total vient de mettre en service son terminal d’importation de GNL en Allemagne, sur la Baltique. Pour contourner les risques géopolitiques des gazoducs, on fait venir du GNL par bateau depuis le Qatar ou les États-Unis. Ce GNL, dont on rappelle qu’il sert à fabriquer de l’hydrogène, émet deux fois et demi plus de CO2 que celui des gazoducs et les États-Unis ont multiplié par trois son exportation vers l’Europe. Or, le GNL américain vient essentiellement du gaz de schiste, qu’on imaginait banni de France. Et c’est ainsi que, par l’opération du Saint-Esprit, l’hydrogène apparaît comme le sauveur de leur monde en perdition. Abracadabra.

(1) https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/production-de-lhydrogene

———————————————————

L’homme qui aimait (tant) l’oiseau.

Inutile de mentir, c’est (aussi) du copinage. Je m’honore de connaître Michel Munier, et son fils, l’immense photographe Vincent. Mais cela ne suffirait pas, de loin, à parler, de son livre extraordinaire sur le Grand Tétras, ce Grand coq de bruyère qui est en train de mourir dans les Vosges, patrie définitive de Michel. Ce bel oiseau est une relique des dernières glaciations, un survivant achevé par le tourisme et le dérèglement climatique.

Un jour de l’hiver 1969, «  équipé de mes longs skis, je m’engage (…) dans le sous-bois, glissant dans une poudreuse qui nous absorbe parfois jusqu’aux genoux. Le silence m’impressionne, lourd, étouffé, comme dans une grosse bulle ouatée, loin des hommes. Dans cette blancheur infinie, seule une partie des troncs des grands arbres marque notre horizon de bandes verticales. Nous faisons une pause, quand un bruit soudain, sourd, brise le silence. À moins de vingt mètres de nous jaillit une masse noire. Elle plonge vers le bas de la pente abrupte en glissant adroitement entre les troncs. La neige des branches secouées par cette fuite continue de tomber une fois la silhouette évanouie. Nous restons silencieux, le regard fixé sur les cimes. Georges me dit : « C’est un coq de bruyère. »
Un coq de bruyère ? Ce nom m’est inconnu ».

Il ne va pas le rester. Le coq deviendra l’épicentre de sa vie, qui lui fera passer des centaines de nuits en forêt, couché en plein hiver dans son sac de couchage, sous un sapin, à attendre le signe. Pas une heure ou deux, mais six, mais huit, mais dix, mais dix-huit. Ce n’est pas une rencontre, c’est une absorption. De Michel par le Grand Tétras. Au printemps 1973, il assiste ébahi à la première parade nuptiale : « Le chanteur le plus proche de moi accélère la cadence de son chant et, soudain, dans une déchirure de ce brouillard ténébreux, il se dévoile: fantôme des brumes! Son corps sombre et trapu est rehaussé par de longues et nombreuses rectrices, les grandes plumes de sa queue, dressées en forme de roue ».

La suite est dans ce grand livre. Qui fait pleurer, je vous en préviens, car il marque la fin d’une somptueuse féérie. Il reste moins de dix Grands Tétras dans les Vosges.

L’oiseau-forêt, par Michel Munier, avec photos. Éditions Kobalann, hélas un prix élevé de 35 euros.

————————————-

Lueur de brin de paille au Brésil*

Un brin d’espoir au Brésil ? On a tant envie d’y croire qu’on y croit. Lula, revenu au pouvoir après la chute de Bolsonaro, a comme l’on sait pris deux décisions magnifiques : la nomination de Marina Silva à la tête d’un vaste ministère de l’Environnement et du changement climatique, et celle de Sonia Guajajara une Indienne, comme ministre des Peuples autochtones.

L’eau semble – semble – avoir coulé sous les ponts depuis que le Lula de 2010 soutenait l’élevage industriel, les bio nécrocarburants et les barrages hydro-électriques en pleine Amazonie. Les deux femmes étaient alors aux avant-postes du combat écologiste. Sur le papier pour le moment, c’est un sans-faute. L’objectif, dont ne déviera pas Marina, est de parvenir à la fin de la déforestation d’ici 203O, et nul doute qu’elle démissionnera – elle l’avait déjà fait en 2008 – si Lula change de cap.

La ministre vient de déclarer au journal Folha de S. Paulo (1) que certains émeutiers fascistes qui ont envahi le Palais présidentiel le 6 janvier viennent de « secteurs liés à la déforestation, à l’accaparement des terres, au trafic de bois, à la pêche illégale, à l’exploitation minière illégale ».

Faut-il le rappeler ? Des dizaines de défenseurs de la Grande forêt sont assassinés chaque année au Brésil, profitant d’une impunité quasi-générale, et pas seulement sous le règne maudit de Bolsonaro. Est-ce que cela peut changer ? Marina le croit, qui assure sur son compte Twitter : «  C’est le Brésil qui sort de la condition humiliante de paria devant le monde ».

*L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable (Verlaine)

(1) https://www1.folha.uol.com.br/ambiente/2023/01/turba-enfurecida-em-brasilia-esta-ligada-a-crimes-na-amazonia-afirma-marina-silva.shtml

Les aventures sans l’ombre d’un intérêt de François de Rugy

Pour Nicolas L.

Les Amis de Planète sans visa savent que ce lieu a été imaginé et animé depuis 2007 par moi, Fabrice Nicolino. Environ 1500 articles exclusivement écrits pour ce rendez-vous restent disponibles depuis. J’ai comme disparu depuis le mois d’octobre, car j’ai rencontré de très grands soucis dont je n’entends pas parler ici. Mais comme l’étau se desserre (un peu), je reprends possession du clavier.

Je commence très moderato, pour les mêmes raisons que celles que je ne souhaite évoquer, et comme une historiette a réussi à me faire sourire hier, je m’empresse de la partager avec vous. Elle concerne un défunt qui n’est pas mort, puisqu’il bouge encore. François de Rugy, ci-devant Great Leader d’Europe-Écologie-Les Verts (EELV), puis traître absolu, puis lèche-bottines de Macron, puis président de l’Assemblée Nationale d’icelui, puis ministre de l’Écologie du même, puis…attendons la suite.

Quiconque en aura l’envie pourra constater – grâce au petit moteur de recherche en haut et à droite – que j’ai souvent parlé de lui, surtout, au départ, parce qu’il vomissait avec beaucoup de bile les zadistes de Notre-Dame-des-Landes. Sauf erreur, mon premier article sur lui date de 2012, et le relisant tout à l’heure, j’ai eu un court accès de satisfaction, car enfin, il se trouve que c’était plutôt lucide (ici).

Je ne souhaite pas revisiter une carrière d’une telle médiocrité – sa trahison au moment de la primaire de la gauche de janvier 2017, à laquelle, mais oui, il participait, son brusque reniement de son « engagement antinucléaire », qui lui ouvre les portes de la présidence de l’Assemblée, ses goûteux homards de l’hôtel de Lassay, siège de la dite, son bref passage au ministère de l’Écologie et son éjection sans appel, etc. Le pauvre garçon n’avait plus aucun avenir en politique, sauf peut-être celui de conseiller municipal d’opposition à Nantes, Saint-Nazaire ou Couëron. Et en mars de cette année, annonçait dans l’indifférence générale qu’il se retirait de la vie dite politique.

Pourquoi s’acharner sur pareil personnage ? Eh bien, ce n’est pas de l’acharnement. Car il y a une morale finale qui nous concerne tous. Un peu, n’exagérons rien. Le Figaro annonce que Rugy a enfin trouvé un point de chute : « De président de l’Assemblée nationale au monde de la finance il n’y a qu’un pas. François de Rugy le prouve : l’ancien député de Loire-Atlantique, et ancienne figure des Verts a rejoint la banque d’affaires Alantra ». Citation du modeste héros : « J’avais envie de faire autre chose et d’agir pour l’écologie dans le domaine économique et auprès des entreprises ».

Où diable se cache donc la morale ? Je reconnais qu’il faut chercher, mais voici ce que je propose : comment se fait-il que tant de responsables estampillés EELV, soient à ce point « écologistes » ? De Guy Cambot dans les années 80 à Jean-Vincent Placé dans les années 2000 et 2010, les principaux n’avaient visiblement que foutre du dérèglement climatique, de la chute de la biodiversité, de l’omniprésence nucléaire en France. Mais pourquoi donc ? Vous trouverez sans aucun doute votre propre réponse.

Bien content d’être de retour.

Un certain Thierry Lentz

Qui est-ce ? Thierry Lentz est un historien catho, grand amoureux transi de Napoléon : il est d’ailleurs directeur de la fondation Napoléon depuis l’an 2000. Laquelle fondation, sans grande surprise, existe pour faire briller la mémoire du serial killer appelé Bonaparte. Avouons de suite que je ne sais rien de plus de Lentz, mais une chronique parue dans l’hebdomadaire Le Point a attiré mon œil quelques courtes secondes. Elle est consacrée au dérèglement climatique et s’interroge sur les libertés individuelles.

En voici les premières lignes : « Cet hiver, nous avons eu quelques jours de grand froid, moins que d’habitude, il est vrai. Cet été a été particulièrement chaud et sec. Ne remettant en cause ni le dérèglement climatique ni la nécessité de s’en préoccuper, nous ne pouvons qu’être surpris que, concernant l’impact de l’homme sur le réchauffement et la relation entre climat et météo, la peur et la culpabilisation remplacent la raison ».

Cela n’a l’air de rien, mais c’est un chef-d’œuvre, que je ne peux décortiquer en totalité, faute de temps. Notons vite l’essentiel. D’abord, la température. Monsieur Lentz aime visiblement les figures de rhétorique, car il en use et abuse. Je laisse à plus avisé le soin de dire ce qu’il préfère de la litote, de l’euphémisme ou de l’antiphrase. Mais quand il écrit à propos du froid de ce faux hiver qu’on l’aura vu « moins que d’habitude, il est vrai », il utilise une forme d’atténuation du réel qui n’est pas à son honneur. De même, l’été aurait été « particulièrement chaud et sec ». Eh non ! Nous avons connu en Europe la sécheresse la pire depuis au moins 500 ans. Donc, non.

Le reste est à l’avenant. Il faudrait se « préoccuper » du dérèglement, 40 ans après les premiers rapports indiscutés sur le sujet. On a vu plus alarmé. Et surtout, air connu chez les libéraux de son espèce, « la peur et la culpabilisation remplacent la raison ». Mais où diable veut-il en venir ? Sans souci polémique, je crois pouvoir écrire que monsieur Lentz entend relativiser. Il ne le dit pas explicitement, mais le suggère de mille manières : on a déjà vu ça ! S’appuyant sur l’historien Leroy-Ladurie – dont j’ai lu plus d’un livre -, il rappelle que sécheresses et canicules n’ont pas manqué au programme. La belle affaire ! Tout homme sérieusement informé – et j’en suis – sait bien que la stabilité du climat a toujours été relative. Et qu’au cours des 10 000 années passées, bien des épisodes climatiques extrêmes ont eu lieu.

Très visiblement, monsieur Lentz ne sait rien des innombrables études scientifiques parues depuis disons 1979. Lui ne veut entendre parler que d’un livre paru en 2006, et voilà tout. Sa trouvaille, si on peut appeler ainsi pareille couillonnerie, c’est qu’avec le « dérèglement climatique, on a trouvé la peur par excellence, la peur de long terme, la peur vitale pour des générations entières. C’est une peur en or qui permet tout et qui, un jour ou l’autre, aura des conséquences sur les libertés individuelles ». Si je comprends bien, les pouvoirs en place joueraient donc d’un phénomène déjà vu pour museler les libertés. M.Macron en manipulateur suprême, vraiment ? Est-on si loin d’une forme dérivée de complotisme ?

Inutile de se gêner plus avant. Selon lui, « pour certains, comme les Verts et les ONG les plus diverses, c’est même devenu une obligation, quitte à sacrifier tous les progrès humains (et les humains avec) ». Bien sûr, monsieur Lentz serait bien en peine, si on le lui demandait, de nous prouver que les écologistes souhaitent « sacrifier tous les progrès humains (et les humains avec) ». Mais qui le lui demanderait ? Le journal Le Point a été dans les années 80 et 90 le navire-amiral du climatoscepticisme. Dans son édition du 8 mai 1995, Claude Allègre, chroniqueur comme l’est aujourd’hui Lentz, y publia un texte sous le titre : « Effet de serre : fausse alerte ». Le dérèglement climatique aurait été inventé par des « lobbys d’origine scientifique qui défendent avec acharnement leur source de crédits ».

Le Point, qui se pique si souvent de défendre la science – une science en vérité imaginaire – aura contribué plus que d’autres à désorienter la société par une désinformation constante sur la question la plus importante de toutes. Et il continue. Certes d’une manière plus empruntée, car nul n’ose plus nier le drame en cours. Mais il continue de désarmer, car comme le scorpion de la fable, c’est dans sa nature. On attend toujours, et on attendra encore, les excuses du Point pour ses innombrables mensonges sur la question climatique.