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Je me répète : tous sur le pont contre l’aéroport

Amis, lecteurs, simples curieux, je vous rappelle que samedi 8 octobre, des dizaines de milliers de braves se retrouvent à Notre-Dame-des-Landes, pour un énième rassemblement contre le projet d’aéroport. Je gage que celui-ci aura une importance considérable.

Moi, je suis heureux d’avoir évoqué cette abominable affaire il y a bientôt…neuf ans. Ici même. Oui, alors que je commençais Planète sans visa, et que personne en France ne s’intéressait encore au sujet, j’ai publié un article dont je dois dire que je n’ai rien à retrancher. Je crois que j’avais vu clair. Voici la reproduction exacte.


Nantes, cinq minutes d’arrêt (ou plus)

Publié le 26 décembre 2007

Voler ne mène nulle part. Et je ne veux pas parler ici de l’art du voleur, qui conduit parfois – voyez le cas Darien, et son inoubliable roman – au chef-d’œuvre. Non, je pense plutôt aux avions et au bien nommé trafic aérien. Selon les chiffres réfrigérants de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), ce dernier devrait doubler, au plan mondial, dans les vingt ans à venir. Encore faut-il préciser, à l’aide d’un texte quasi officiel, et en français, du gouvernement américain (http://usinfo.state.gov).

Les mouvements d’avion ont quadruplé dans le monde entre 1960 et 1970. Ils ont triplé entre 1970 et 1980, doublé entre 1980 et 1990, doublé entre 1990 et 2 000. Si l’on prend en compte le nombre de passagers transportés chaque année, le trafic aérien mondial devrait encore doubler entre 2000 et 2010 et probablement doubler une nouvelle fois entre 2010 et 2020. N’est-ce pas directement fou ?

Les deux estimations, la française et l’américaine, semblent divergentes, mais pour une raison simple : les chifres changent selon qu’on considère le trafic brut – le nombre d’avions – ou le trafic réel, basé sur le nombre de passagers. Or, comme vous le savez sans doute, la taille des avions augmente sans cesse. Notre joyau à nous, l’A380, pourra emporter, selon les configurations, entre 555 et 853 voyageurs. Sa seule (dé)raison d’être, c’est l’augmentation sans fin des rotations d’avions.

Ces derniers n’emportent plus seulement les vieillards cacochymes de New York vers la Floride. Ou nos splendides seniors à nous vers les Antilles, la Thaïlande et la Tunisie. Non pas. Le progrès est pour tout le monde. Les nouveaux riches chinois débarquent désormais à Orly et Roissy, comme tous autres clampins, en compagnie des ingénieurs high tech de Delhi et Bombay. La mondialisation heureuse, chère au coeur d’Alain Minc, donc au quotidien de référence Le Monde lui-même – Minc préside toujours son conseil de surveillance -, cette mondialisation triomphe.

Où sont les limites ? Mais vous divaguez ! Mais vous êtes un anarchiste, pis, un nihiliste ! Vade retro, Satanas ! Bon, tout ça pour vous parler du projet de nouvel aéroport appelé Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes. Je ne vous embêterai pas avec des détails techniques ou des chiffres. Sachez que pour les édiles, de droite comme de gauche, sachez que pour la glorieuse Chambre de commerce et d’industrie (CCI) locale, c’est une question de vie ou de mort. Ou Nantes fait le choix de ce maxi-aéroport, ou elle sombre dans le déclin, à jamais probablement.

Aïe ! Quel drame ! Selon la CCI justement, l’aéroport de Nantes pourrait devoir accueillir 9 millions de personnes par an à l’horizon 2050. Contre probablement 2,7 millions en 2007. Dans ces conditions, il n’y a pas à hésiter, il faut foncer, et détruire. Des terres agricoles, du bien-être humain, du climat, des combustibles fossiles, que sais-je au juste ? Il faut détruire.

La chose infiniment plaisante, et qui résume notre monde davantage qu’aucun autre événement, c’est que l’union sacrée est déjà une réalité. l’Union sacrée, pour ceux qui ne connaissent pas, c’est le son du canon et de La Marseillaise unis à jamais. C’est la gauche appelant en septembre 1914 à bouter le Boche hors de France après avoir clamé l’unité des prolétaires d’Europe. L’Union sacrée, c’est le dégoût universel.

L’avion a reconstitué cette ligue jamais tout à fait dissoute. Dans un article du journal Le Monde précité (http://www.lemonde.fr), on apprend dans un éclat de rire morose que le maire socialiste de Nantes, le grand, l’inaltérable Jean-Marc Ayrault, flippe. Il flippe, ou plutôt flippait, car il craignait que le Grenelle de l’Environnement – ohé, valeureux de Greenpeace, du WWF, de la Fondation Hulot, de FNE – n’empêche la construction d’un nouvel aéroport à Nantes. Il est vrai que l’esprit du Grenelle, sinon tout à fait sa lettre, condamne désormais ce genre de calembredaine.

Il est vrai. Mais il est surtout faux. Notre immense ami Ayrault se sera inquiété pour rien. Un, croisant le Premier ministre François Fillon, le maire de Nantes s’est entendu répondre : « Il n’est pas question de revenir en arrière. Ce projet, on y tient, on le fera ». Deux, Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux Transports, a confirmé tout l’intérêt que la France officielle portait au projet, assurant au passage qu’il serait réalisé.

Et nous en sommes là, précisément là. À un point de passage, qui est aussi un point de rupture. Derrière les guirlandes de Noël, le noyau dur du développement sans rivages. Certes, c’est plus ennuyeux pour les écologistes à cocardes et médailles, maintenant majoritaires, que les coupes de champagne en compagnie de madame Kosciusko-Morizet et monsieur Borloo. Je n’en disconviens pas, c’est moins plaisant.

Mais. Mais. Toutes les décisions qui sont prises aujourd’hui, en matière d’aviation, contraignent notre avenir commun pour des décennies. Et la moindre de nos lâchetés d’aujourd’hui se paiera au prix le plus fort demain, après-demain, et jusqu’à la Saint-Glin-Glin. Cette affaire ouvre la plaie, purulente à n’en pas douter, des relations entre notre mouvement et l’État. Pour être sur la photo aujourd’hui, certains renoncent d’ores et déjà à changer le cadre dans vingt ou trente ans. Ce n’est pas une anecdote, c’est un total renoncement. Je dois dire que la question de l’avion – j’y reviendrai par force – pose de façon tragique le problème de la liberté individuelle sur une planète minuscule;

Ne croyez pas, par pitié ne croyez pas, ceux qui prétendent qu’il n’y a pas d’urgence. Ceux-là – tous – seront les premiers à réclamer des mesures infâmes contre les autres, quand il sera clair que nous sommes tout au bout de l’impasse. Qui ne les connaît ? Ils sont de tout temps, de tout régime, ils sont immortels. Quand la question de la mobilité des personnes sera devenue une question politique essentielle, vous verrez qu’ils auront tous disparu. Moi, je plaide pour l’ouverture du débat. Car il est (peut-être) encore temps d’agir. Ensemble, à visage découvert, dans la lumière de la liberté et de la démocratie. Peut-être.

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Le grand succès du référendum (de NDDL)

Il n’y a décidément pas de quoi pleurer. La moitié des électeurs de Loire-Atlantique ont participé au référendum bouffon de nos princes de comédie, et 55 % ont donc dit oui à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Soit environ le quart des électeurs inscrits sur les listes. Et ce, malgré l’union désormais sacrée entre le PS  – Valls, Hollande, Ayrault et compagnie d’un côté – et la droite de Sarkozy, ce pauvre Fillon, ancien de la région, compris. Et ce, malgré le soutien enthousiaste des structures et des puissances, depuis la Chambre de commerce et d’industrie jusqu’à Vinci le bétonneur en chef, passant par une bonne partie de la presse.

Ce résultat, croyez-en mon vieux regard, est un camouflet pour le pouvoir socialiste, lui qui rêvait d’un plébiscite justifiant toutes les aventures dans le bocage préméditées par Valls. Le référendum, calculé au plus juste pour l’emporter – ni la Bretagne, ni Pays de la Loire, pourtant cofinanceurs du projet d’aéroport n’ont été consultés – montre surtout qu’une partie croissante de l’opinion ne croit plus aux fables sur la bagnole, l’avion, le « développement » – synonyme de destruction – la vitesse, les pantomimes coutumières. Laurent Fournier m’envoie depuis l’Inde des informations qui semblent montrer que ce pays envoie finalement promener Dassault, Hollande et leurs funestes Rafale, dont la vente supposée avait déclenché tant de bravos.

On verra ce qu’il en est, mais mon point de vue est limpide : nous assistons à un recul historique des forces coalisées qui souhaitent la poursuite mortifère du même. Nous tous, nous nous cherchons encore, et nous devrons assister encore à beaucoup d’épisodes déprimants de régression et de décomposition. Mais mon reste d’optimisme me fait penser que la culture profonde – la hiérarchie des valeurs, les buts, les méthodes, l’exercice du pouvoir, le rapport aux autres, aux bêtes, aux plantes – est en train de changer. C’est peut-être affaire d’accomodation. Nous ne regardons pas comme il faut ce qui se passe réellement. Je vous rappelle que le sous-titre de Planète sans visa est : Une autre façon de voir la même chose.

Évidemment, on ne lâche rien. On se tient prêts à fondre par dizaines de milliers sur le bocage en cas d’urgence. À pied, à cheval, en bœufs attelés, en montgolfières, en ULM, à l’aide de catapultes ou de canons à eau. Préparez les 9 et 10 juillet, le prochain rassemblement national. Ils ne sont pas encore passés, et ils ne passeront pas.

J’ai grand besoin de vous (et c’est vrai)

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Pour répondre à cet appel : nicolino.fabrice1@orange.fr

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Chers lecteurs, j’ai réellement besoin de vous. Je me lance – je me lance peut-être – dans une enquête au long cours. Sur un événement cataclysmique dont à peu près personne ne semble avoir la moindre conscience. Je veux parler de la disparition de la simple nature chez nous, en France.

Nous n’allons pas ici chipoter sur les chiffres qui, de toute manière, resteront indicatifs. On estime que la moitié des oiseaux qui habitaient à un moment ou un autre chez nous au cours d’une année ont disparu. Depuis à peu près 1960. Que nous avons perdu environ la moitié de nos si chers papillons en seulement trente ans. Je vous fais grâce des amphibiens, des abeilles, des lucioles, des coquelicots, des saumons, de tant d’autres merveilles jadis omniprésentes dans la moindre campagne.

Ce qui nous manque, c’est le regard susceptible d’embrasser l’ensemble. Et c’est pourquoi je sollicite avec force – et un peu d’appréhension – votre aide. Je recherche des témoignages, directs ou non; des personnes bien sûr; des lieux évidemment; des histoires aussi. Bref, tout ce qui pourrait documenter cette formidable régression dont tous les aménageurs – si seulement il n’y avait qu’eux ! – se contrefoutent.

Je pense, je crois pouvoir vous assurer que toute information fiable venant de vous me serait et vous serait finalement d’une grande utilité. Je dis bien : toute, y compris un bout de film super8, un carnet déchiré au fond d’une malle, une photo sépia. On se comprend ? J’en suis certain.

Vous pouvez et vous allez répondre sur cette adresse : nicolino.fabrice1@orange.fr

Frédéric Wolff n’aime pas non plus les aéroports

 

On le croyait différé sine die, emporté par le flot – devenu le flop – de la COP21… Il n’était qu’en dormance. L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes fait un retour de haut vol dans l’actualité. Ses bons soldats changent d’armes et de visages. La nouvelle pilule à gogos ? Le référendum !
Quelle sera la question ? Voulez-vous des « djizhadistes » qui sèment la terreur près de chez vous ? Tenez-vous vraiment à l’enclavement du Grand Ouest et à son effondrement économique ? Souhaitez-vous revenir au temps des flèches, des arcs et des cabanes ? Etes-vous pour le réchauffement climatique ? Pour le saccage des zones humides ? Pour la qualité de l’eau ? Pour la mise en pièces de la biodiversité ? Pour le bétonnage des terres agricoles ? Pour la pollution de l’air ?
Qui sera consulté ? Les habitants des communes limitrophes ? Du département ? De la région ? De la nation ? Du monde ?
Quels seront les arguments des casseurs de bocage ? J’imagine…

Cher peuple,
L’heure est grave. La France manque cruellement d’aéroports : 475. Une misère. Seulement 3 fois plus que le Royaume-Uni, 6 fois plus que l’Italie et 12 fois plus que l’Allemagne. Quant à la planète, elle commence à être en manque de CO2. Et quoi ? Des zadistes voudraient s’opposer au réchauffement climatique, alors que des sans-abris meurent tous les ans à cause du froid ? Ils prétendraient protéger un bocage qui nuit gravement à la laideur des paysages ? Ils contesteraient le carnage des terres agricoles, à l’heure où le bêton est gravement menacé de disparaître de nos contrées ? Ils appelleraient à une utilisation économe des deniers publics, alors que notre pays est paralysé par les excédents budgétaires… Ces individus sont irresponsables.
Croyez-nous sur parole : cet aéroport sera une avancée majeure pour la grande cause de l’écologie si chère à notre cœur. Il sera labellisé Haute Qualité Environnementale, il proposera des paniers bios du terroir et des galeries marchandes éclairées par des panneaux photovoltaïques…

Bref, au stade où nous en sommes, nous pouvons tout imaginer.
Après avoir envoyé l’armée pour déloger les défenseurs de la terre et des espèces protégées, après avoir manipulé les chiffres, après avoir créé une commission du dialogue à coups de grenades, les saboteurs de zones humides ont trouvé une arme plus présentable et plus redoutable encore, à quelques mois des élections présidentielles : la consultation populaire.
« Ce coup de poignard dans le dos des opposants à l’aéroport » valait bien trois cadeaux offerts à des ténors ou des anciens d’EELV. Une place dans un gouvernement qui œuvre tant pour l’écologie, ça ne se refuse pas. Trois petits tours et puis s’en vont les misérables convictions ; trois promotions et garde-à-vous, génuflexions, le petit doigt sur la couture du pantalon. Petites carrières, petites personnes et grands désastres.
On nous avait servi l’argument légaliste : l’attente des procédures judiciaires en cours et, pour les pires, comme de Rugy, – « le cocu magnifique » (sic) – le vomissement des zadistes. Voici venu le temps des manœuvres électoralistes, en toute innocence, n’est-ce pas. Qu’un sondage secret, réalisé en novembre dernier, révèle que 59% des personnes interrogées seraient favorables à l’aéroport, n’est que pure coïncidence.
Coup de grâce, coup de maître ? Sacrée trouvaille, en vérité, et avec la caution du parti écologiste autoproclamé. Chapeau l’artiste. Il n’y a pas que les aéroports qui soient nuisibles. Ça, nous le savions. Une nouvelle fois, nous en avons la confirmation magistrale.

Vous allez voir, la suite. Vous allez l’entendre, le chœur des bien-pensants : Mais enfin, comment peut-on être contre la voix du peuple ? Comment est-il possible de réfuter la démocratie ? Nous y voilà. Deux mots à ce propos. De quoi parlons-nous précisément ? De démocratie ou de manipulation grossière ? Et quand bien même. Le suffrage des masses peut-il tout justifier ? Si le oui devait l’emporter en faveur d’un projet nuisible, celui-ci deviendrait-il vertueux par la grâce de la majorité ? Y-a-t-il, oui ou non, des limites à poser à nos actes ?
C’est à cette question que nous confronte l’écologie, à titre individuel et collectif. Cette question, trop souvent, nous la fuyons, aussi bien dans nos vies que dans nos sociétés. Nous préférons les droits aux devoirs, le présent au futur, la technique à la sagesse, la démesure à la sobriété. Les démagogues le savent bien et ce n’est pas pour rien que le dogme de la croissance est à ce point enraciné.
Cette logique est suicidaire, pire que ça : criminelle. Penser les conséquences de ses actes, vivre en conscience, c’est aussi de cela qu’il est question, à Notre-Dame-des-Landes. C’est en cela que ce combat est crucial, universel.
Car ce n’est pas seulement le bocage nantais qui est à défendre. Ce ne sont pas que des cabanes, des maisons et des habitats naturels qui risquent d’être anéantis. C’est notre maison commune. Ce sont des expériences d’autonomie, des tentatives de vivre en harmonie avec le monde vivant. C’est un avenir possible pour notre humanité enfin réconciliée avec les sources de la vie et de la joie, avec ses propres limites.
Mais ça, ils n’en veulent pas, les psychopathes de la croissance. Ce qu’ils honorent ? La mise sous tutelle, les existences low-cost qui tiennent à coups d’antalgiques de l’âme, les parkings, les rocades, l’agitation permanente, tout ce qui fait écran avec le monde sensible. Aux nuages d’oiseaux, ils préfèrent les vapeurs de kérosène. Les Zones A Défendre leur donnent la nausée. Ils ne jurent que par les Zones A Détruire, mais pas d’inquiétude. Ils compenseront par une mare et quelques arbres convertibles en euros, ils spéculeront sur le prix du vivant si ce mot a encore un sens. Raser, exterminer, gérer, marchander, ils ne comprennent que ça. La beauté du monde, ils la méprisent, tout comme la valeur inestimable de chaque vie. Ce qu’ils bâtissent ? Des prisons et des miradors. Des unités de soins palliatifs et des cimetières.

D’un côté, la terre de nos jardins, encore imprégnée de pluie et d’hiver. Par instants, se dessine le visage d’un potager, d’un champ de blés anciens, d’un arbre qui va se couvrir de feuilles. Les sachets de graines sont là, sur la table. On imagine les planches de légumes et de fleurs, on guette les premières éclaircies.
D’un autre côté, prosternés devant leurs colonnes de chiffres, les bétonneurs, occupés à dresser leur plan de bataille. Leur horizon ? Une terre brûlée tout juste bonne au bitume, aux fermes verticales hors sol, à la suffocation marchande. Un monde où nous sommes étrangers à nous-mêmes.
D’un côté la vie, de l’autre la mort. Jamais, sans doute, le choix n’a été aussi clair.

Frédéric Wolff n’aime pas l’intelligence des compteurs électriques

Ci-dessous, un message de Frédéric Wolff, que je salue au passage

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Les collectifs contre les compteurs « communicants » s’organisent. Des communes rejettent cette technologie nuisible, coûteuse et déshumanisante, des individus refusent d’être pollués et fliqués. La propagande d’Etat n’endort plus grand monde, à part peut-être les techno-fanatiques.

Y aurait-il de l’eau dans le Gazpar et le Linky ? Le vent serait-il en train de tourner ?

Pour que le vent tourne effectivement, il conviendrait de ne pas en rester là.

Parce qu’enfin, les raisons invoquées pour décliner ces mouchards à domicile sont, à peu de choses près, les mêmes qui devraient nous conduire à bazarder nos smartphones, nos objets connectés et, plus largement, nos mille et une collaborations à la grande machine à détruire.

Alors Linky, smartphone, objets connectés et mode de vie, même combat ?

Toxiques, les compteurs « intelligents » ? Ils le sont, oui, 24 heures sur 24. Ils émettent des radiofréquences dans le circuit électrique des habitations dont les câbles – non blindés dans la grande majorité des cas – ne sont pas prévus pour cet usage. Les compteurs seront également une source de pollution électromagnétique, ainsi que les antennes qui seront installées pour transmettre les index au fournisseur d’électricité via le réseau de téléphonie mobile. Pour mémoire, ces ondes sont déclarées cancérigènes possibles par l’OMS et des centaines d’études ont prouvé leur nocivité (lire ou relire les rapports Bio-Initiative et l’appel de Fribourg, entre autres).

Nos chers portables seraient-ils toxiques, eux aussi ? A plus d’un titre, oui. Les ondes, inhérentes – faut-il le rappeler ? –  à leur fonctionnement, polluent leurs utilisateurs et pas seulement. Tout le vivant est affecté. Les électro-hypersensibles – partie émergée de l’iceberg – subissent une torture quotidienne qui, parait-il, est abolie dans les pays modernes. Pas pour tout le monde, assurément. Il en va de même pour le wifi et les téléphones fixes sans fil. Grâce à eux, on peut irradier tout un quartier et rendre le monde inhabitable, particulièrement pour les personnes, de plus en plus nombreuses, rendues malades à en mourir, parfois.

Mais la pollution de nos smartphones adorés ne s’arrête pas là. Les mines de coltan et autres métaux rares, qui servent à leur fabrication, polluent les terres, les nappes et les rivières ; les déchets de toutes nos quincailleries électroniques empoisonnent aux métaux lourds les sacrifié(e)s de nos petites commodités. Comment peut-on justifier ça ?

Intrusifs, les compteurs connectés ? Et pas qu’un peu. Même la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) s’en émeut : « Une analyse approfondie des courbes de consommation pourrait permettre de déduire un grand nombre d’informations sur les habitudes de vie des occupants d’une habitation : heures de lever et de coucher, heures ou périodes d’absence, la présence d’invités dans le logement, les prises de douche, etc. » Les voleurs se frottent les mains. Merci qui ? Merci l’Etat et les industriels !

Et nos smartphones idolâtrés, nos réseaux sociaux adulés ? Pire que des indics : des mouchards renseignés par nous-mêmes ! Même la Stasi n’aurait pas osé imaginer ça dans ses rêves les plus fous. Y aurait-il une forme de flicage plus supportable qu’une autre ? Apparemment oui, pour les exaltés de la connexion numérique.

Déshumanisants, les compteurs électroniques ? Aussi ahurissant que cela puisse paraître, c’est l’objectif principal : se passer des releveurs pour récupérer les index en temps réel, pour couper l’électricité à distance en cas d’impayé, pour éteindre certains appareils et lisser les pics de consommation…

Et l’invasion des écrans dans nos vies, le remplacement des humains par les machines ? Un grand progrès pour l’humanité ? Et l’école numérique – en wifi ou en filaire -, une avancée vers la construction de l’humain sans humains, vers des classes sans professeur et des enfants rivés à leurs tablettes pendant les cours et à leurs smarphones durant la récréation ? Et les esclaves de Foxconn où se fabriquent nos cellulaires plébiscités ? Et les puces RFID, la planète intelligente nous réduisant à des données, des flux qu’il faut optimiser, contrôler, piloter. Qui, mieux qu’une machine peut assurer l’efficacité optimale du bétail que nous sommes ? Dans ce monde, l’erreur est humaine ou plutôt, l’erreur est l’humain.

Fragiles, les compteurs innovants ? Incendies, pannes, les préjudices de ce type s’accumulent, les câbles, fils et appareils électriques n’étant pas conçus pour transporter des radiofréquences. Comme ERDF dégage toute responsabilité, comme les assurances excluent des garanties les dommages causés par les champs électromagnétiques, la facture sera payée par les victimes elles-mêmes. C’est nouveau, c’est moderne : la double peine pour les sinistrés, l’impunité pour les coupables ! Quant au risque de piratage, sans doute que nos gouvernants comptent sur la déchéance de nationalité et les assignations à résidence pour dissuader les terroristes de procéder à des black-out – un jeu d’enfant, apparemment – sur notre territoire.

Et la numérisation du monde, l’internet des objets ? Quid en cas de panne électrique, de tempête solaire, de dysfonctionnement technique, de cyber-terrorisme… ? Jamais nos sociétés n’ont été aussi fragiles. Mais qu’importe. Droit devant, telle est la devise de nos capitaines de Titanic, pardon, du numérique.

Favorables aux économies d’énergie, les compteurs branchés ? A ce stade, l’imposture est à son comble. Il ne s’agit en aucun cas de réduire notre consommation électrique, mais de rationaliser la distribution d’électricité pour répondre à la croissance des gadgets connectés, des data centers, des voitures électriques, de la maison et de la ville « intelligentes »… Bienvenue dans « l’enfer vert », cher aux technocrates de l‘« écologie » rebelles et tais-toi.

Concernant les smartphones et particulièrement internet dont la consommation d’énergie explose et dépasse celle de l’aviation au niveau mondial, même logique de dilapidation, mêmes mensonges éhontés. Le numérique dématérialise tout : l’humain, le réel et l’énergie qu’il gaspille pour une finalité unique : accélérer la marchandisation, la « servicisation » et la croissance sans limite.

Le numérique, dont les smartphones et internet font partie, est un accélérateur de nuisances. Le « bon usage », la neutralité de la technologie relèvent de l’enfumage. Le bon et le mauvais côté sont indissociables et comment prétendre séparer le bon grain de l’ivraie dans un « système technicien » (Jacques Ellul) qui dicte sa loi ? D’ailleurs, de quoi parle-t-on quand on évoque le « bon » côté ? La logique de ces machines est de se substituer, à plus ou moins long terme, au monde réel et vivant, à l’imprévu, et in fine, aux humains.

En résumé : Pourquoi faut-il refuser Linky ? Pourquoi faut-il rejeter les smartphones et les objets connectés ? Pour les mêmes raisons. Alors, on va jusqu’au bout de la logique ? Chiche !

Retour sur la terre. La contestation s’étendra-t-elle ? Les contempteurs de Linky iront-ils plus loin que la signature d’une cyber-pétition et, pour les plus acharnés, qu’une lettre à leur maire ou qu’un refus du compteur chez eux ? Questionneront-ils leur mode de vie et ses conséquences ? Renonceront-ils à leur quincaille électronique « de destruction massive » ?

Personnellement, j’en doute, au risque de froisser quelques susceptibilités militantes. Pourquoi cela ?

Parce qu’il est plus facile de défiler contre une antenne près de chez soi ou du Linky dans sa maison que de renoncer à son mobile et à son hyper-connexion. Plus largement, parce que, et c’est bien pratique, le capitaliste, c’est l’autre : le banquier, le trader, « la classe de Davos », « les maîtres du monde », « les responsables de la crise », – « leur crise » -, pour reprendre la phraséologie de Susan George, présidente d’honneur d’Attac. Ainsi, il suffirait de mettre hors d’état de nuire ces « maîtres de l’univers » ; ainsi, nous pourrions concilier expansion industrielle, croissance verte et lutte contre le saccage du climat et de la vie sur terre ; ainsi, « nous continuerons à fabriquer des produits résolument complexes, non locaux et de grande dimension, des avions par exemple qu’il faut espérer propulsés à l’hydrogène et respectueux de l’environnement » (Susan George, toujours, cité par Pierre Thiesset). On croirait presque du Mélenchon dans le texte ou, au choix, des suppôts de l’écologie industrielle !

On se sent tout de suite beaucoup mieux, non ? Nous, les 99% de victimes, extérieures au monde industriel et technicien, nous aurions trouvé les boucs émissaires et la solution ultime, entre les mains des ingénieurs et des économistes. On dégage les 1% d’« affreux » et ça roule ! Décroissants, adeptes de la simplicité et de l’autonomie, passez votre chemin, notre mode de vie n’est pas négociable.

Parce que, de tous ces gadgets connectés en tous lieux et à toute heure, nous n’avons pas vraiment envie de nous priver. Dans notre cœur, la balance penche du côté des bénéfices, jamais de celui des coûts ou très rarement. Les nuisances occasionnées, plus ou moins, nous les connaissons, nous y collaborons. Mais surtout, ne pas se prendre la tête. Ne pas interroger notre conscience. Ne jamais poser la question en termes moraux. La morale, c’est réactionnaire, c’est accusatoire. Coûte que coûte, il faut être progressiste. Revendiquer toujours plus de droits, jamais de devoirs ni de limites. Tant pis pour les torturés des ondes, tant pis pour les empoisonnés de nos déchets électroniques, pour les esclaves de nos gadgets, pour les morts des guerres menées afin de contrôler les ressources rares, tant pis pour les derniers gorilles, pour les eaux et les terres saccagées par les ravages miniers, tant pis pour nos vies soumises à la tyrannie des machines…

Parce que, dans nos existences hors sol, déconnectées des saisons, des arbres, du monde réel, des autres de chair et parole, de nos besoins profonds, nous cherchons des ersatz de connexions via les écrans qui nous déconnectent toujours plus de la vie.

Tout cela pour dire quoi ? Que le combat est à mener dans nos vies, avant tout. Que nous n’aurons rien réglé si nous nous contentons de faire dans l’incantation – « Stop Linky » et, dans le genre pathétique s’il en est, « Pour une école numérique sans wifi », « Pas d’antenne près de chez nous, mais nous ne sommes pas contre les portables, hein ! » -, tout en continuant à collaborer ardemment à la machine à dévaster le monde par notre travail, notre consommation, notre style de vie et les technologies que nous chérissons.

Nous avons à reconsidérer nos besoins et à cesser de nous mentir. Nous sommes partie prenante du système capitaliste et technicien. Notre premier devoir devrait être de nous en extraire le plus possible. Il nous faut mener un effort sans précédent de lucidité. Il nous faut prendre conscience de nos dissonances et en tirer des conséquences, essayer au moins, ne pas nous tenir quittes. C’est une épreuve, sans doute. Elle peut donner lieu à bien des tempêtes à surmonter. Enfin, pas de quoi mettre non plus notre vie en péril, comme ont pu le faire les résistants en d’autres temps.

Je ne prétends pas avoir accompli les changements que j’appelle de mes vœux. Qui, d’ailleurs, pourrait revendiquer une telle prouesse ? J’en suis loin. Mais je ne me considère pas libéré de ce devoir : nommer et tenter l’épreuve du réel.

Sinon quoi ? Qu’y a-t-il à espérer sans cette étape, sans changements radicaux dans nos modes de vie ? De quel partage, de quelles solidarités pouvons-nous nous réclamer, quelles valeurs morales peuvent nourrir nos pensées et nos actes, si nous en restons à l’écume des choses ?