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Jean-Vincent Placé, François de Rugy et le dégoût de la politique

 Toujours à l’hosto ? Toujours. J’ai retrouvé ici deux amis de Charlie blessés avec moi. Philippe, gravement touché à la mâchoire, et Simon, frappé à la colonne vertébrale, sont bien plus à plaindre que moi. Il est question qu’on boive un verre tous les trois, dans la chambre de Simon. Ce serait bien bon.

Commençons par Placé, qui n’a jamais été écologiste et ne le sera évidemment jamais. Si j’écrivais ce que certains responsables d’EELV m’ont confié parfois sur son compte, on ne le croirait pas. Comme je n’ai pas de moyen de vérifier, je m’abstiens donc, mais j’ai ma petite idée. Commençons par un portrait de lui, paru dans le journal Le Monde du 7 décembre 2011. Un portrait. Il a accepté de recevoir la journaliste Anne-Sophie Mercier, et on peut donc penser qu’il aura souhaité lui proposer un visage disons appétissant. Or, écrit-elle, « Lui-même n’en n’est peut-être pas conscient, mais en deux heures de temps, interrogé sur son parcours et ses passions, il ne parle jamais… écologie ».

Étonnant, ou non ? La suite est presque mieux, car on apprend au passage que ce monsieur est un véritable nationaliste – il dirait sans doute patriote -, qui « doit être le seul membre de la direction d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) à avoir le drapeau tricolore dans son bureau, ainsi qu’un coffret contenant un petit soldat représentant Napoléon de retour de l’île d’Elbe ». Ce n’est plus étonnant, mais directement stupéfiant, car enfin, le drapeau ! Pour un écologiste, c’est grotesque. Pour un Placé, c’est de toute beauté. Et Napoléon, en plus. Le délirant conquérant, qui a saigné la France et une partie de l’Europe est donc, pour el Jefe, un beau personnage.

 De profundis pour Margerie

La suite, toujours sur Placé. Nous sommes le 20 octobre 2014, et le patron de Total vient de mourir dans un accident d’avion. Un écologiste comme moi tâche de ne surtout rien oublier des activités criminelles, légales ou non, de Total (ici). Mais Placé ose la phrase incroyable ci-dessous, encore en ligne sur son compte twitter. Un grand capitaine d’industrie, presque un frère de combat. C’est plus inouï encore que scandaleux. Voici :

Hommage à un grand capitaine d’industrie francais très lucide sur la situation de la planète et de l’avenir de l’ humanité

Enfin, pour conclure sur notre grand Manitou, cet extrait d’un sien article paru dans l’édition du 24 décembre 2014 du Nouvel Observateur. Il s’agit d’un hommage appuyé au coureur cycliste Thibaut Pinot. Placé est un fan de cyclisme, et comme je l’ai été entre 9 et 13 ans, je peux comprendre, un tout petit peu comprendre. Mais certainement pas ceci, sous sa plume : « Je connais beaucoup de passionnés de la petite reine. Mais je n’en connais qu’un qui voue un tel culte au tour: Christian Prudhomme, son extraordinaire directeur général, qui met sa gentillesse et son professionnalisme au service de ce , admirable chef d’orchestre de notre Tour de France, sans lequel le Tour ne serait plus le Tour. Vive le Tour et vive la France! Il ne manque plus qu’une victoire finale française… »

Quel commentaire trouver ? L’immonde foire commerciale du Tour, qui caricature les travers les plus terribles de la pub et de la manipulation, est donc un « patrimoine exceptionnel ». Tout le monde sait, et Placé lui-même – évidemment ! – que les 4 000 kilomètres du Tour de France ne peuvent exister sans des cames de plus en plus sophistiquées, qui supposent des dealers, des médecins marrons, des escrocs, des truands, des chantages, de la violence au moins psychologique. Placé s’en fout, car il rêve – décidément, une obsession – de voir flotter l’oriflamme tricolore.

Martin Bouygues est-il bien mort ?

 Voyons maintenant le cas distrayant de François de Rugy, ce député écologiste qui réclame à cor et à cris qu’on vienne à bout – policièrement parlant – des zadistes de Notre-Dame-des-Landes et d’ailleurs (ici).  Je dois avouer que c’est un excellent client de Planète sans visa. L’une de ses dernières facéties m’a fait rire aux éclats, ce qui n’est pas rien. Nous sommes le 28 février 2015 et Martin Bouygues vient de mourir. Un couple d’heures seulement, car la nouvelle, propagée par l’AFP, est fausse.

M. de Rugy, qui est si pressé d’obtenir un poste digne de son dévouement, décide, dans le très court laps de temps imparti, d’imiter grossièrement son chef bien-aimé – ou bien-détesté ? -, Jean-Vincent Placé. Ce dernier pleurait en octobre la mort de Margerie, grand capitaine d’industrie. Eh bien, n’écoutant que son grand cœur tendre, de Rugy écrit sur son compte twitter :

Bon, il est bien amusant, ce cher homme. Mais en réfléchissant, que penser de ce brevet donné à l’un des plus grands bétonneurs de la Terre ? Je dis bien : de la Terre. On doit à Bouygues, entre mille autres belles constructions, un palais des Congrès à Hong Kong, la mosquée Hassan II au Maroc, un complexe immobilier géant au Qatar, et si j’en avais le temps, je vous dirais tout le bien qu’il faut penser du fondateur, Francis, qui prétendait en son temps employer des truands un petit peu tueurs pour impressionner les récalcitrants.

La belle invention pourrie des PPP

Faut-il ajouter un mot sur TF1 Bouygues, cette gigantesque entreprise de décérébration nationale ? Je pense que  vous en avez assez, et je n’y insiste donc pas. Mais monsieur de Rugy voit loin, bien au-delà de ces mesquines considérations morales qui gênent la marche des affaires. Monsieur de Rugy est un grand admirateur des Partenariats-Public-Privé ou PPP pour les intimes. Créés par le mémorable Jean-Pierre Raffarin en 2004, quand cet athlète de la politique était Premier ministre, ils sont très simples à comprendre. Une entreprise, de préférence très grosse, réalise une construction qui intéresse le domaine public. En échange, l’État lui accorde la gestion du machin pendant des décennies et perçoit un loyer annuel.

Les PPP peuvent servir à construire des prisons, des hostos, des équipements militaires, des routes, des lignes de chemin de fer ou des canaux, etc. Le funeste projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes est lui aussi un PPP, imaginé au vaste profit de l’entreprise Vinci. Mais le Bouygues de monsieur de Rugy n’est jamais très loin des contrats, car ils sont juteux. Ainsi du projet nommé le « Pentagone français », qui vise à faire du quartier parisien de Balard un haut lieu de nos vaillantes armées. Bouygues y a gagné un chantier majeur. Je précise, parce que c’est somptueux, qu’une collectivité – l’État et tout autre structure publique – qui s’engage dans un PPP qui s’étend pourtant sur des dizaines d’années, n’a pas le droit de le remettre en question. Faut réfléchir. Faudrait.

Éloge écologiste des transnationales du BTP

Et quand je dis que monsieur de Rugy est un grand admirateur, ce n’est pas moi qui le dis, c’est lui. Dans une vidéo tournée par le très sérieux club PPP (ici) au cours de ses journées de 2012, notre parfait écologiste vante la complémentarité, maître-mot selon lui des relations entre public et privé. Et il affirme nettement la supériorité du privé quand il s’agit de bâtir un équipement public servant à plusieurs fonctions. Selon lui, les élus ne sauraient pas faire. Bouygues ou Eiffage ou Vinci si.

Monsieur de Rugy aurait-t-il été abusé par quelque ami peu regardant ? Ayant découvert la malignité des PPP et leur éminente contribution à la destruction du monde existant, peut-être aura-t-il juré qu’on ne l’y reprendrait plus. Eh bien, à la vérité, non. L’année suivant son passage aux Journées PPP, il donne un entretien au Journal des PPP numéro 23 (octobre 2013). On y taquine de très près le sublime. Comme on lui demande – à lui ! – comment faire évoluer les PPP, il répond aussitôt, avec des trémolos dans la voix qu’on ne peut qu’imaginer : « Il faut tout d’abord dépasser l’idée que privé = profit et profit = de l’argent sur le dos des élus (…) Je pense qu’il n’y a pas de fossé ni de barrière infranchissable entre les élus et les acteurs privés et qu’on peut très bien avoir différentes formes de coopération, en tout cas des projets menés en commun, au service des citoyens ». Rappelons, car c’est le rôle des emmerdeurs : des prisons, des routes et canaux, un ministère de la Défense, Notre-Dame-des-Landes.

Ma foi, qu’en pensez-vous, très sincèrement ? Vous pourrez lire ci-dessous un article – payant – paru sur le site de Mediapart en juin 2014. Nul doute que cela vous fera penser. Placé et de Rugy, grands inspirateurs du dégoût en politique.

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L’ARTICLE DE MEDIAPART

Le grand raout du lobby des partenariats public-privé

|  Par Lucie Delaporte

Le club des PPP a célébré mardi 17 juin les dix ans de l’ordonnance créant les partenariats public-privé. Alors que l’horizon s’obscurcit, l’influent lobby a tenu à raconter la belle épopée de ce « jeune outil de la commande publique » tout en proposant, sobrement, d’en changer le nom.

Il a fallu attendre près de trois longues heures de discours, avant de sabrer le champagne et d’entamer les petits fours. Ce mardi 17 juin, le club des PPP avait mis les petits plats dans les grands pour célébrer les 10 ans de l’ordonnance de 2004 portant création des partenariats public-privé (PPP) au Cercle national des armées, à Paris.

« Dix ans de l’ordonnance des contrats de partenariats, on ne voulait pas manquer la date », lance le maître de cérémonie Marc Teyssier d’Orfeuil, délégué général du club des PPP, attendri devant les dix bougies de ce jeune « outil de la commande publique » qui a permis aux majors du BTP de réaliser de bien belles opérations ces dernières années. Mais lui a aussi valu quelques-uns de ses plus récents scandales : naufrage de l’hôpital francilien (un de nos articles ici), soupçons de corruption dans l’attribution du marché du Pentagone de la défense ou du grand stade de Lille… Sans compter les nombreux rapports de la Cour des comptes soulignant combien les PPP constituent, la plupart du temps, un marché de dupes pour la puissance publique.

Ce jour-là, c’est évidemment une tout autre histoire qu’on se raconte. Celle d’une belle épopée contre l’idéologie et le conservatisme pour faire émerger d’ambitieux projets de travaux publics.

Marc Teyssier d'Orfeuil, délégué général du Club des PPPMarc Teyssier d’Orfeuil, délégué général du Club des PPP

Devant un parterre composé pour l’essentiel de représentants du BTP, mais aussi de quelques élus et de hauts fonctionnaires de Bercy, Marc Teissier d’Orfeuil appelle donc, les unes après les autres, les bonnes fées qui se sont penchées sur le berceau des PPP depuis leur création.

Jérôme Grand d’Esnon, l’un des plus actifs artisans, en coulisse, de la création des contrats de partenariats vient d’abord rappeler combien « à l’époque le projet était connoté idéologiquement » : « Au départ il y avait un contexte très violent, beaucoup d’hostilité de la gauche, il a fallu beaucoup de ténacité. » L’homme, qui fut le secrétaire général de l’association de financement de la campagne de Jacques Chirac en 1995, après avoir été directeur des affaires juridiques de la mairie de Paris à la grande époque des scandales du financement du RPR, a été celui qui a mené à Bercy la réforme des marchés publics dans le gouvernement Raffarin. Il officie désormais comme avocat conseil dans un cabinet d’affaires où il s’occupe notamment des grands contrats publics.

Autre figure inconnue du grand public, mais tout aussi essentielle dans le développement des PPP, Noël de Saint-Pulgent raconte lui aussi la dure bataille qu’il a dû mener pour faire accepter ce nouvel outil de la commande publique à la tête de la MAPP, la mission d’appui des PPP à Bercy, qui depuis l’origine est à la fois chargée de les promouvoir et de statuer sur leur bien-fondé… « Avez-vous senti ce poids de l’idéologie à ce moment-là ? » l’interroge, plein d’empathie, Marc Teyssier d’Orfeuil. « C’est effectivement un débat qui a dérapé. Il y a eu autour des PPP une passion bien française qui nous a beaucoup gênés », admet cet « X Pont » qui avait fait jusqu’alors carrière dans l’assurance et l’organisation d’événement sportifs. Noël de Saint-Pulgent, qui est par ailleurs président de l’association d’entraide des familles nobles de France, souligne aussi combien les décisions successives du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel – qui ont limité leur utilisation – ont été pénalisantes.

Le bilan de ces dix dernières années reste néanmoins positif pour lui. « On n’a pas à rougir de ce qu’on a fait. Il y a très peu d’échecs. Et puis des échecs, il y en a partout, regardez la maîtrise d’ouvrage publique, le Philharmonique ! » souligne-t-il en référence à la laborieuse construction de la salle de philharmonie à la Villette. Pourtant, reconnaît-il, le PPP a toujours mauvaise presse : « Il faut toujours travailler à son acceptabilité politique et sociale, c’est vrai. Même si les choses progressent auprès des vrais gestionnaires de gauche comme de droite d’ailleurs. »

À la tribune, le président du club des PPP – en bon communicant – enfonce le clou sur le ratage de la maîtrise d’œuvre publique. « Le philharmonique, c’est au final 300 % du prix ! L’hôpital francilien, les 80 millions supplémentaires ne représentent que 20 % du coût total. »

François Bergère, ancien directeur de la MAPPFrançois Bergère, ancien directeur de la MAPP

C’est ensuite au tour de François Bergère, autre acteur essentiel du développement des PPP en France, de dresser le bilan de la décennie écoulée. « Quel recul sur dix ans ? On pouvait difficilement aller beaucoup plus vite. » Il faut se pencher de près sur le pedigree de François Bergère pour savourer toute l’ambiguïté de ce « on ». Cet ancien directeur de la Mission d’appui des PPP à Bercy a en effet été un des plus grands lobbyistes des PPP au sein de l’administration. Aujourd’hui, en quittant la MAPP, il retourne à la Cour des comptes, son corps d’origine. Il va rejoindre la chambre chargée de contrôler notamment les sulfureux PPP de l’université de Versailles Saint-Quentin (notre enquête ici)…

L’ancien secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce, Hervé Novelli, qui avait fondé le groupe PPP à l’Assemblée nationale, est ensuite chaleureusement accueilli comme celui qui permit, grâce son projet de loi de 2007, de supprimer un certain nombre d’obstacles au recours aux PPP. Il regrette que l’État comme les collectivités locales soient encore bien timorés sur le sujet et invite à se fixer comme objectif un doublement  du nombre de PPP conclus chaque année : « Il faut passer à l’acte II des contrats de partenariats ! Il faudrait aussi que des gens réfléchissent à nouveau à tout ça », affirme-t-il, déplorant que « l’effervescence intellectuelle autour des PPP (ait) un peu disparu ».

« C’est le moment de mettre le paquet en matière de communication »

Malgré la bonne humeur un peu forcée en ce jour anniversaire, chacun sait dans l’assistance que les perspectives pour les PPP ne sont en réalité guère réjouissantes. « Les beaux jours de l’investissement public sont derrière nous », admet François Bergère. « Nous sommes dans une crise des finances publiques considérable et qui ne va pas aller en s’arrangeant », opine Noël de Saint-Pulgent.

Ce que personne ne dit à la tribune, c’est qu’en dehors d’un sérieux problème d’image, les PPP ont aussi perdu beaucoup de leur attrait auprès de la puissance publique depuis qu’un arrêté de décembre 2010 interdit d’en faire un moyen de masquer son déficit. Depuis cette date, les loyers versés doivent en effet figurer dans les comptes au titre de l’endettement.

« C’est le moment de mettre le paquet en matière de communication », annonce donc plein d’entrain Marc Teyssier d’Orfeuil, qui tutoie tous les parlementaires présents ce jour-là. Il faut dire que ce lobbyiste à la tête de l’agence Com’Publics passe beaucoup de temps auprès d’eux à des titres divers, puisqu’il dirige aussi le club des amis du cochon, le club des voitures écologiques, le club des eaux minérales naturelles…

Pour redorer le blason des PPP, son club a tout prévu. Comme l’acronyme « PPP » commence à sérieusement sentir le soufre, ce jour-là tout le monde semble s’être donné le mot : on ne parle plus que de CP (pour contrat de partenariat).

Le club des PPP a aussi commandé une série de vidéos pour vanter les mérites des PPP, « que vous pourrez présenter à vos prospects », explique le maître de cérémonie. Autant d’outils pour faire la pub des PPP « auprès des acteurs locaux », assure Marc Teyssier d’Orfeuil. Parce que « pour l’État, on s’en chargera ! », assure le lobbyiste qui devait rencontrer le 2 juillet prochain Emmanuel Macron et qui rencontrera sans doute, affirme-t-il, Jean-Pierre Jouyet.

Dans l’une des vidéos présentées, on apprendra de la bouche de Xavier Bezançon, délégué général du syndicat des entreprises de BTP (EGF BTP) – et « auteur d’une thèse sur les PPP » – que les partenariats public-privé ont toujours existé « depuis les Romains en passant par Colbert ». Plus tard, on découvrira en fait que le Stade de France aurait été l’un des premiers PPP, à moins que ce ne soit finalement la Tour Eiffel… Qu’importent ces petites approximations, l’essentiel est de raconter aux « prospects » une belle histoire. Nul besoin, surtout, de trop insister sur le fait que les PPP ont été en réalité calqués sur les PFI (Private finance initiative) britanniques, qui ont connu de tels déboires outre-Manche (corruption, malfaçons, etc.) qu’ils sont aujourd’hui pratiquement à l’arrêt.

Alors que les PPP sont nés sous le gouvernement Raffarin, et se sont réellement envolés sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le club des PPP a tenu en ce jour anniversaire à montrer qu’il dispose aussi de très bons soutiens à gauche. L’événement était d’ailleurs parrainé par le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg qui, compte tenu de son emploi du temps, n’a pu être présent mais s’est fendu d’une lettre transmise avec l’invitation par le club des PPP à tous les participants.

L’ancien maire socialiste de Grenoble, Michel Destot, ne tarit donc pas d’éloges à la tribune sur cette solution qui constitue selon lui, « une bonne réponse à la complexité ». « C’est même tout simplement du bon sens » dans la mesure où les collectivités territoriales ne peuvent faire face à ces investissements. Pour lui, un des terrains à développer, c’est le PPP dans le cadre de la politique de la ville, « pour raccourcir les délais et pour rapprocher les entreprises de BTP de ces quartiers ». « Mon bilan est qu’on n’a pas été assez allant » finit par reconnaître le député de l’Isère. Mais il en est sûr, comme beaucoup dans l’assemblée : le développement des PPP à l’international est une des conditions du rétablissement de la balance extérieure de la France.

Le député socialiste de Seine-Saint-Denis, Razzy Hamadi, qui était annoncé au programme, n’est finalement pas venu. Cet habitué du club des PPP aurait pu parler du faramineux contrat de PPP de construction de collèges signé par Claude Bartolone dans le département qu’il défend ardemment. En octobre 2013, il participait aux rencontres internationales du PPP, où les participants devaient débourser entre 7 000 et 35 000 euros pour approcher les « élus concernés » (voir la plaquette de présentation de l’événement)…

Razzy Hamadi, député socialiste de Seine-Saint-DenisRazzy Hamadi, député socialiste de Seine-Saint-Denis

Seule note dissonante de l’après-midi, celle, mezzo voce, d’André Chassaigne, le député communiste du Puy-de-Dôme qui joua gentiment sa partition de contradicteur : « Si j’ai bien compris, dans cette assemblée, je suis le méchant. » Un méchant pas trop méchant quand même, puisqu’il affirmera dès le départ connaître assez peu le sujet, auquel, « en tant qu’élu rural », il n’a jamais été confronté. Sans citer aucun exemple précis, il résume rapidement son propos : « Je pense que c’est toujours gagnant d’un côté, pas toujours de l’autre. » Un frisson parcourt bien l’assemblée lorsqu’il plaide pour un pôle public bancaire, mais Marc Teyssier d’Orfeuil reprend vite le micro pour remettre tout cela en perspective : « La vraie question dans ce que tu dis, elle est philosophique, c’est « qu’est-ce que le service public ? ». » Et de plaider pour un État qui arrête de vouloir tout faire et délègue un peu plus aux professionnels.

Pour le final, le club des PPP avait promis une « surprise ». C’est donc à un imitateur d’Alain Souchon que fut confiée la lourde tâche de conclure dans la bonne humeur la rencontre en chantant, sur l’air de la chanson « J’ai dix ans », avec des rimes étudiées : « On essaye d’être innovant/Et que tout le monde soit content…/Si tu nous crois pas, hé, t’as qu’à voir nos PPP ! » Enfin, le buffet était ouvert. Enfin, les cartes de visite allaient pouvoir s’échanger.

Inondations à tous les étages

(Vos mots, si chers amis, sont un aliment, comme le pain. Le vin, je n’y ai pas droit. Hélas. Je viens de passer des jours difficiles, à la suite d’une deuxième opération. Et j’ai faim, de ce formidable aliment que vous servez si bien)

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, jour de la Grande Tuerie.

En avant, vers les débordements de rivières et la submersion marine ! Ceux qui s’en foutent font leurs habituels plans sur la Comète, à coup de SDAGE et de PGRI. Les autres font les comptes : les flots flambent, ce qui s’appelle un oxymoron.

Ne pas se fier à l’hiver, c’est un truand de taille. Il fait le mort pour mieux surgir, armé de son gourdin, mais il peut aussi disparaître sans prévenir. Bientôt les coulées de boue et les inondations ? En tout cas, une vaste consultation vient de commencer, qui s’achèvera le 18 juin 2015. Il s’agit, amis plongeurs, de réviser les « schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) ainsi que des plans de gestion des risques d’inondation (PGRI) ». Eh ben, on va se marrer.

D’abord la mer, cette grande saleté. Le jugement de décembre condamnant l’ancien maire de la Faute-sur-mer (Vendée) à quatre ans de cabane fait flipper des milliers d’élus du littoral. Car nombre ont accepté des permis de construire  dans des zones inondables en cas de fortes tempêtes, or justement, ces dernières se multiplient sur fond de dérèglement climatique. Trop bête. Ensuite, les rivières. On a conchié le savoir ancien – par exemple ne pas bâtir dans le lit majeur d’un cours d’eau – et l’on commence à en payer le prix. Parmi les causes dont on ne parle jamais, les pesticides.

Dans la vaste plaine qui s’étend au nord de Montpellier, là où nos amis ont infesté leurs vignes de produits chimiques, tout meurt dans le même temps que les villes sont dévastées par les flots. Les vers de terre pourtant, dont le beau monde se tape, creusent gratuitement jusqu’à 5 000 kilomètres de galeries par hectare de sous-sol. Ce qui, affirme le spécialiste mondial des vers de terre Marcel Bouché, « permet une percolation de l’eau dans le sol très rapide. Autour de Montpellier, 160 mm d’eau de pluie peuvent s’écouler en seulement une heure de temps grâce à ces galeries (1) ».

Le drôle est que les assureurs disent vrai depuis longtemps. Dès les années 90, le grand réassureur mondial Munich Re – 45,5 milliards d’euros de primes encaissées en 2010 – alertait sur les risques financiers du changement climatique. Avant que de répéter d’année en année la même litanie. En 2012, Munich Re publiait un rapport portant sur la période 1980-2011. Selon ses chiffres, les catastrophes climatiques ont été multipliées par cinq en Amérique du Nord pendant la période considérée, coûtant au total 1 000 milliards de dollars.

En France, idem. Des centaines de villes et villages ont connu une, deux, parfois trois inondations – surtout dans le Var, le Gard, l’Hérault, l’Aude et les Pyrénées-Orientales – , ce qui commence à faire beaucoup. Juste avant Noël, l’Association française de l’assurance (AFA) a tenté d’estimer la note globale pour les 11 premiers mois de l’année 2014. Tempêtes, grêle et surtout inondations ont entraîné le remboursement de 1,8 milliard d’euros de dégâts matériels, largement au-dessus de la moyenne annuelle pour la période 1988-2007. Commentaire avisé des assureurs : « Ce coût moyen pourrait être amené à progresser fortement si aucune mesure de prévention n’était prise ».

Mais comment faire, ô braves gens qui voulez tant continuer comme avant ? La planète entière est secouée en ce début d’année par des inondations délirantes, du Sri Lanka à la Californie, de la Malaisie au Maroc, et il faudrait donc continuer à s’apitoyer sur qui voit partir à l’eau démontée son écran plasma ? Ben non.

Le Bangladesh, pour ne prendre qu’un exemple, est un pays de 152 millions d’habitants, surtout des pedzouilles, installés à la hauteur de la mer, dans un delta plat comme la main. Ils ont si peu contribué au dérèglement climatique qu’on peut les tenir pour innocents. Mais les eaux montent quand même, bouffant inexorablement des terres agricoles ancestrales.

On peut, pour chialer un coup, se rapporter à un cliché du photographe hollandais Kadir van Lohuizen (2). On y voit le vrai drame : des pégreleux installés sur une digue attaquée par l’eau, couverts de paille et de mauvaises couvertures. Pour quelque temps, la véritable inondation est encore pour les autres.

(1) Terre Sauvage, octobre 2004.
(2) l’article du New York Times, cité par Stéphane Foucart dans Le Monde.

Ô triste, triste était mon âme (Vallini, Hollande et consorts)

On connaît peut-être ces vers splendides de Verlaine, qui commencent par « Ô triste, triste était mon âme ». Son petit poème est somptueux, qui parle du chagrin d’amour, de la perte d’une aimée. J’ai pensé à lui ce matin en écoutant notre pauvre président de la République sur France Inter. Absurdement, je dois en convenir. Car je n’ai jamais eu ni amour ni simple affection pour François Hollande. Je le tiens pour un exceptionnel médiocre, et ses mots dérisoires à la radio ne peuvent que renforcer un sentiment déjà ancien.

Qu-a-t-il dit à propos de la tragédie écologique ? Les stupidités coutumières. Une taxe sur les transactions financières « pour le climat » d’ici 2017, quand la fameuse taxe Tobin est évoquée depuis 1972. Mais il est vrai que le PS promet le droit de vote des étrangers depuis 1980. Hollande est cet homme capable de transformer le dérèglement climatique en un simple enjeu politicien dans sa course électorale de troisième zone. C’est affreux. En ce qui concerne Notre-Dame-des-Landes, où je suis passé le 1er janvier, il a annoncé, faussement martial comme à l’accoutumée, que l’aéroport se ferait une fois les recours juridiques épuisés.

Sivens à la puissance 10 ?

Que penser ? Voici mon sentiment. Il y a au moins deux lignes au sommet de ce qui nous reste d’État. Hollande, rad-soc dans l’âme perdu au milieu des tempêtes et des drames, voudrait que l’affaire se règle toute seule. Comme il a horreur de trancher, comme il a évidemment peur d’un Sivens à la puissance 10, il aimerait bien, au fond, que les recours durent au-delà de la prochaine élection présidentielle de 2017. Ainsi, il n’aurait pas à agir. Seulement, il n’est pas seul à bord, de loin.

D’abord, il y a sa base, ce parti socialiste qui sociologiquement est aux antipodes de la France réelle. Un parti de vieux, de cadres, d’enseignants, de Blancs, qui ont tant profité des Trente Glorieuses qu’ils refusent tout vrai changement. Remettre en cause la doxa de la croissance, du BTP, de la publicité, des appareils et des objets, cela reviendrait à dire la vérité sur ce qu’ils sont. Et ce qu’ils sont, qui l’ignore ? Des gens aveugles et indifférents, qui auront soutenu de toutes leurs forces arthritiques la destruction par la bagnole et les ronds-points, les villes nouvelles et les Disneyland, l’amiante et les pesticides, le bétonnage des côtes et les canons à neige, la laideur et la puanteur. J’exagère ?

Qui dépassera jamais un André Vallini ? Président du conseil général de l’Isère, ce distrayant personnage rêvait de devenir Garde des Sceaux, mais la place étant prise, il doit se contenter d’un secrétariat d’État chargé de la réforme territoriale. Entre deux bâillements, il s’enflamme, mais pour quelle cause ? Celle de l’eau, de l’air, des sols, de la forêt, des océans, du climat ? Non, celle bien plus sacrée du BTP. Dans un bref entretien au quotidien régional Le Dauphiné Libéré (ici), il apporte son soutien empressé au projet de Centers Park de Roybon, et se plaint amèrement des lois qu’il se serait fait un plaisir d’appliquer ès qualités, déplorant « des réglementations trop lourdes et des procédures trop longues qui permettent d’entraver des projets portés par des élus du suffrage universel ».

Une France des autoroutes et des barrages

C’est déjà impressionnant, mais la suite l’est davantage, car Vallini déclare même : « Pour que la France reste la France, nous devons continuer à construire des aéroports, des barrages, des autoroutes, des lignes de TGV, des équipements de tourisme ». Nous touchons cette fois au cœur de l’imaginaire de pacotille des gens qui nous gouvernent. La France, leur France doit être détruite. Gallia delenda est ! À ce stade inouï, la tristesse radicale l’emporte sur le fou rire, et c’est un bien mauvais moment à passer. Que révèlent les mots de Vallini, que reprendraient à leur compte presque tous les socialos ? Qu’aucun accord n’est possible. Qu’une frontière infranchissable sépare les défenseurs de la vie et ces imbéciles qui ne savent pas regarder un ciel sans qu’il soit sponsorisé par l’armée de l’air, EDF ou Total.

Est-ce tout ? Pas encore. Le parti socialiste, sous les fesses de Hollande, veut la poursuite du programme si bien entamé, c’est l’évidence. Mais notre président préfèrerait, lui, que les choses s’accumulent discrètement sous le tapis. Et qu’on parle d’autres sujets plus anodins. Reste Manuel Valls. Il n’y a pas de doute que le Premier ministre souhaite l’affrontement autour de Notre-Dame-des-Landes. Il sait, tout comme moi, qu’un passage en force conduirait probablement à des morts, car les zadistes et ceux qui les soutiennent – j’en suis – n’entendent pas reculer. Ne pas croire que Valls s’en moque, tout au contraire. Il veut un choc majeur autour du chantier, suivi d’une évacuation générale. Car cela lui permettrait d’asseoir dans l’opinion l’image après laquelle il court depuis des années : celle de Clemenceau.

L’empereur des mouchards

En deux mots, Clemenceau, venu de la gauche, gagnera dans les premières années du siècle passé les surnoms de Césarion, Bête rouge, Sinistre de l’intérieur, Monstre, Empereur des mouchards. Ministre de l’Intérieur dès 1906, « premier flic de France », il envoie la troupe contre les mineurs en grève, fait arrêter des responsables syndicaux, installe pour finir 60 000 soldats – 60 000 ! – dans Paris, jusque sur les quais du métro naissant, pour mater les prolos révoltés. Il gagne, et sera plus tard président du Conseil en 1917 et décrété « Père la Victoire », installé sur les millions de cadavres de la guerre de 14-18.

Ce que veut Valls aujourd’hui, c’est le même destin. Venu de la gauche – d’une certaine gauche en tout cas -, il veut montrer à la droite qu’il ne cèdera pas à la populace, encore moins quand celle-ci a le visage plein de piercings et vit dans des cabanes au fond des bois. Il veut imposer l’ordre, avec ce si vague fumet social qui l’entoure encore. En somme, il entend incarner l’idée d’une unité nationale, comme Clemenceau l’a fait entre 1917 et 1920. Je gage qu’il parie sur une aggravation de la situation telle qu’il pourrait jouer sa carte en 2022, ou peut-être avant. Son calendrier n’est pas celui de Hollande, car un peu plus jeune, il sait devoir sauter la case 2017. En attendant, il lui faut, pour avancer sur le chemin de son grand remake, du sang et des larmes.

En aura-t-il ? Je ne suis pas devin, et Hollande n’a pas envie d’entrer dans le souvenir national sous le nom de « Boucher de l’aéroport ». Le jeu reste ouvert, et au moment où j’écris, je pense que le pouvoir préférera tergiverser et gagner du temps plutôt que de chasser les zadistes par la violence. Mais si cela devait se produire, regardez de près le comportement de Valls. Lui, il sait ce qu’il veut. Et ce qu’il veut, c’est que ça cogne.

Hollande est bien l’homme de la situation

Je vous ai dit hier ce que je pensais de Ségolène Royal. Grâce à Luce Lapin (son indispensable blog), que j’embrasse au passage, il me faut féliciter le père de ses enfants, François Hollande. Mais regardez cette image renversante, qui date d’hier.

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On voit sur cette photo hideuse notre président de gauche en entretien privé avec le dictateur du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaiev. Je vous passe les détails, que vous connaissez ou pouvez imaginer. Le pays est plein d’uranium, de pétrole, de charbon, de fer, et son taux de croissance est de 7 % par an. Nazarbaiev règne sans partage depuis 1990, soit avant même la chute définitive de cette maudite Union des républiques socialistes soviétiques. Bien entendu, il a été lui-même dirigeant du parti communiste, avant d’imposer sa dictature personnelle, qui dure depuis un quart de siècle. Chez ce brave garçon, on torture tranquillement tous ceux ce qui pourraient gêner la corruption de masse, qui fait enfler chaque jour les comptes secrets du maître et de ses valets.

Pour en revenir à Hollande, on notera – je noterai – trois choses. Un, comme la Royal, il s’exhibe sans manières avec de la fourrure. Je gage que, cette fois, il pourrait bien s’agir de loups, car on en tire beaucoup au beau pays de ces grands salauds. Deux, il est atrocement ridicule, et réussit à nous faire encore un peu plus honte.Un exploit. Trois, il se comporte comme une pute. Attention ! J’emploie ce mot à contre-cœur, piégé que je suis par l’usage de certains mots. Il va de soi que je ne vise pas celles qui vendent leur corps. C’est Hollande, que j’entends insulter. Il ne vend certes pas son corps, mais c’est pis : il a fourgué ce qui lui restait d’âme à un tortionnaire de bas étage. Pour quelques tonnes d’uranium qui seront cramées dans nos centrales nucléaires avant, peut-être, de vitrifier tout ou partie de la France. Le dégoût.

Un nouveau barrage de Sivens ?

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 26 novembre 2014

Les socialos sont impayables. À Roybon, dans l’Isère, ils soutiennent un projet touristique qui passe par la destruction d’une zone humide, exactement comme dans le Tarn. Pour mettre à la place une bulle tropicale à 29 degrés et une rivière « sauvage » en plastique bleu.

Ces enfoirés sont en train de tout saloper. Maintenant, au moment même où vous lisez Charlie. Les engins de chantier de Pierre et Vacances – on va reparler de ces amis de l’homme – travaillent le week-end, les jours fériés, la nuit, pour créer l’irréversible. Depuis le 20 octobre, le chantier du Center Parcs de Roybon (Isère) bousille, hectare après hectare, le bois des Avenières, au bord de l’immense  forêt de Chambaran. Daphné, une jeune nana, au cours d’un rassemblement sur place le 17 novembre : « On n’a plus vraiment le temps d’attendre les recours légaux, et donc, on est un peu forcés de désobéir à la loi pour ralentir et stopper ce chantier ». Le résultat des deux recours sera connu dans une dizaine de jours, et les écrabouilleurs espèrent, dans tous les cas, qu’il n’y aura plus rien à sauver.

Séance décryptage : le 4 décembre 2009, le conseil général d’Isère – socialo, comme celui du Tarn – signe un protocole d’accord avec une transnationale du tourisme de masse, Pierre et Vacances (voir encadré). On déplie le tapis rouge pour une opération officiellement destinée à « équilibrer l’activité touristique » dans la partie Ouest de l’Isère, grâce à « la réalisation d’opérations significatives, à fort impact économique ».

Dans les faits, il s’agit de fourguer 200 hectares, dont une grande partie constituée d’une zone humide forestière, d’une très grande valeur écologique. Le village de Roybon – moins de 1300 habitants en 2011 -, propriétaire des lieux, accepte de vendre, probablement appâté par une taxe locale d’équipement de 1,2 million d’euros, suivie d’une taxe foncière de 500 000 euros chaque année. Passons au magnifique projet. Il s’agit d’installer douillettement un millier de « cottages » en bois, avant de faire venir 5 000 victimes en flux tendu pour se ressourcer « en pleine nature » à la sauce Pierre et Vacances. Après avoir détruit la vraie, cette emmerdeuse de toujours. Compter quand même de 600 à 800 euros pour une semaine et quatre personnes.

La très goûteuse cerise s’appelle AquaMundo, qui est le cœur même du « village ». C’est tellement con que ça décourage la moquerie. On créerait une bulle tropicale à 29 degrés – sur place, le thermomètre peut descendre à – 20 degrés -, traversée par une « rivière sauvage » en plastique bleu, qui sinue entre piscines et bassins surmontés de palmiers. Comme le dit sur le ton juste la publicité officielle, « admirez les poissons dans le bassin aux coraux et détendez-vous dans nos Centres Health & Beauty, Nature & Spa. Et si toute cette eau vous a donné soif, l’Aqua Café est là pour vous désaltérer et vous restaurer ».

On se demande dans ces conditions idylliques-là pourquoi il y a des opposants. Toutes les associations historiques sont vent debout, à commencer par la Frapna (Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature, http://www.frapna-38.org/thematiques/center-parcs-roybon.html). Mais les opposants les plus directs se retrouvent dans Pour les Chambaran sans Center Parcs (PSCCP, http://www.pcscp.org), notamment pilotée par Stéphane Peron, un informaticien venu de la région parisienne. Dans le clair-obscur de la bataille en cours, des Camille – nom générique donné aux jeunes opposants, de Notre-Dame-des-Landes à Sivens – poussent comme autant de champignons. Des actions illégales – sabotage du piquetage du chantier – ont déjà eu lieu, mais on va probablement vers des affrontements. « Deux collectifs viennent de naître, précise pour Charlie Henri Mora, opposant de toujours. L’un sur place, l’autre à Grenoble. Ce n’est pas un secret : il y a parmi eux des illégalistes ».

Il faut dire que Pierre et Vacances s’assoit avec bonhomie sur l’enquête publique, en général sous contrôle, mais qui a tourné à l’horreur pour les amoureux des palmiers et poissons violets. Organisée du 14 avril au 28 mai, elle a recueilli 727 observations – ce qui est beaucoup – dont 60 % défavorables. Comble de tout, la commission d’enquête chargée de statuer sur le projet a publié en juillet un rapport de 25 pages dévastateur. Non contente de donner à l’unanimité un avis défavorable, elle détaille en 12 points les raisons de son opposition.

Charlie ne peut insister, et c’est dommage, car pour une fois, c’est beau (1). L’étude préalable, à la charge de l’aménageur, aura été brillantissime, car dit le texte, « la commission relève des affirmations régulières d’absences présumées d’impact avant tout inventaire ». Le principe est connu : qui ne cherche pas ne trouve rien. Autre point admirable, celui du destin des flots tropicaux. Car n’oublions jamais qu’il faut vider les chiottes, un jour ou l’autre. Or pour remplir tout AquaMundo, il faut entre 3100 et 3700 mètres cubes d’eau. Dans une région qui connaît, soit dit en passant, des sécheresses saisonnières récurrentes.

Où vidanger ? Pour des raisons sanitaires, il faut tout évacuer au moins deux fois par an. Quels produits chimiques contiendra la bouillie ? Nul ne le sait, mais en tout cas, on bazardera le tout dans un plan d’eau voisin, après avoir attendu que la température tahitienne baisse à un niveau jugé convenable. De là, le vomi gagnera un cours d’eau, puis sans doute, beaucoup plus loin, le Rhône. Et où pompera-t-on les centaines de mètres cubes – entre 613 et 1200 – nécessaires chaque jour pour abreuver les taulards des vacances ? En bref, estime la commission, « la multitude d’incertitudes, d’incohérences, voire d’incorrections, que comporte le dossier d’enquête au titre de la « loi sur l’eau » (…) confère un caractère rédhibitoire au projet en l’état ».

Malgré tout cela et tant d’autres choses, passage en force, soutenu par deux secrétaires d’État socialistes de la région : André Vallini, qui a failli devenir Garde des Sceaux, et Geneviève Fioraso, scientiste hors concours. Sivens le retour ?

(1) Le texte complet : http://www.isere.gouv.fr/content/download/20051/136634/file/Conclusions

ENCADRÉ

Les Center Parcs poussent comme des champignons

Pierre et Vacances, la transnationale derrière le projet de Roybon, pèse près d’1 milliard 500 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ce mastodonte emploie 7500 salariés et « gère » au total 231 000 « lits ». La Côte d’Azur doit beaucoup à Pierre et Vacances, l’un des plus grands bétonneurs des côtes françaises.

Créé en 1968 par le néerlandais  Sporthuis Centrum, le « concept » des Center Parcs et les villages existants ont été rachetés par Pierre et Vacances en 2001. Il existe à ce jour, en Europe, 25 Center Parcs. En France, quatre sont ouverts, deux sont plus ou moins commencés, dont celui de Roybon, et trois sont en projet dans le Jura, dans le Lot-et-Garonne et en Saône-et-Loire.

Dans ce dernier département, la bagarre a dé »jà commencé autour du collectif du Geai du Rousset (http://centerparc-le-rousset.org), qui proteste contre les 80 millions d’argent public qui pourraient être engloutis dans ce projet privé. Et réclame comme tous ceux qui vomissent les Center Parcs, « l’abandon de ces projets inutiles et coûteux ». Dans le Jura, la mobilisation a elle aussi commencé, et certains pensent déjà à une coordination nationale des opposants aux Center Parcs.

Sauf grosse surprise, Pierre et Vacances commence un long chemin de croix.