Archives de catégorie : Développement

Montebourg, le Picsou de la mine de Salsigne

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 16 juillet 2014

Salsigne, dans l’Aude, est pourri jusqu’à la moelle par un siècle d’extraction d’or. Les habitants de la vallée ne peuvent plus boire l’eau, mais le ministre Montebourg envisage la réouverture de la mine, fermée depuis 2004. Un délire.

Chut ! Le grand Montebourg prépare une loi sur la croissance pour la rentrée. La croissance. Le mirage. Mais Montebourg n’est pas seulement un comique troupier, façon Gaston Ouvrard et sa rate qui se dilate. Car il a des idées. Dont la réouverture de Salsigne (Aude). Deux philanthropes de la société « Or & Vintage », Olivier Bernard et Sébastien d’Arrigo, bien introduits chez les socialos, veulent en effet exploiter de nouveau cette mine d’or. Montebourg, qui pleure de joie dès qu’on parle de destruction, vient de promettre au député PS du coin, Jean-Claude Perez, une étude de faisabilité.

Salsigne, au nord de Carcassonne, est un lieu maudit depuis des lustres. On y a extrait du plomb, du cuivre, du fer, de l’argent depuis l’Antiquité, mais le vrai grand délire a commencé en 1892, quand on y a découvert de l’or. Salsigne produira 120 tonnes de cette arme de destruction massive jusqu’à sa fermeture en 2004.Un siècle d’épouvantables pollutions à l’arsenic et aux métaux lourds, qui a fait de la zone le site le plus pollué de France selon un grand nombre d’études plus officielles les unes que les autres.

Extrait du rapport Barthélémy de 1998 : « Les activités exercées sur le site de Salsigne ont laissé de grandes quantités de déchets. Il n’est pas possible d’en faire un inventaire complet car des masses importantes de déchets ne sont pas visibles (…) La découverte récente de plus d’un million de tonnes de scories et autres déchets (…) en est un exemple mais il y en a d’autres ». On parle désormais de près de 12 millions de tonnes de résidus pollués.

Ces montagnes, sur lesquelles rien ne pousse, sont farcies d’arsenic et de merdes comme le cadmium, le plomb, le mercure, ou encore le bismuth, très toxique. Mais il faut y ajouter des fossés remplis d’une eau empoisonnée et des réservoirs qui débordent, déversant dans la rivière Orbiel et sa vallée des polluants qui s’accumulent dans les sols et les sédiments. Visitant les lieux en 1984, le toxicologue décédé Henri Pézerat notait : « C’est ainsi que naquirent (…) d’énormes bassins dont on rehausse de temps à autre les parois de terre, remplis d’une boue constituée d’une fine poudre de minéraux riches en arsenic. Ces dernières années se sont accumulés ainsi dans le haut des vallées dominant Carcassonne 500 000 tonnes par an d’une boue qui dévalera un jour ou l’autre à l’occasion d’une tornade ou de pluies torrentielles pour polluer les vallées pour des décennies et des décennies ».

Qui a gagné le pompon ? Les industriels qui ont piqué l’or et se sont tirés avec. Qui paie la note ? La société, via des plans de réhabilitation de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), qui auront dépassé trente-cinq millions d’euros sans servir à rien. Au total, selon un rapport de la Cour des comptes de 2003, la gabegie aurait coûté 125 millions d’euros à l’État. Dans le même temps, cancers respiratoires pour les hommes et cancers digestifs pour les femmes de la vallée de l’Orbiel, qui compte 10 000 habitants. L’eau n’est pas buvable et les jardins donnent des fruits pourris.

C’est dans ce contexte guilleret que Montebourg a envoyé sa lettre à Perez, le député. Certes, rien n’est encore fait, mais ça sent très mauvais, car il resterait 30 tonnes d’or dans le sous-sol de Salsigne. Olivier Bernard et Sébastien d’Arrigo, les deux « courtiers en métaux précieux » derrière nouveau projet, jurent leurs grands dieux que l’exploitation serait propre. Comme celle des gaz de schistes revue par Total. On n’extrairait plus l’or par cyanuration – la vieille méthode -, mais par chloruration, un procédé qui vient de sortir. On y croit très fort.

Socialo depuis 1945, le département de l’Aude est aux petits soins pour les martyrs de Salsigne. Les élus du conseil général cherchent en effet à imposer depuis des années une décharge à Lassac, en aval de Salsigne, malgré huit décisions contraires du tribunal administratif et une plainte pour faux et usage de faux, à l’instruction depuis…2006. La vallée de l’Orbiel, une pourriture pour l’éternité.

Les dégueulis de la guerre sont éternels

Publié par Charlie Hebdo le 18 juin 2014

Des millions d’obus et de bombes sont planqués dans le paysage français. Saurez-vous les retrouver sans vous faire sauter le caisson ? On retrouve chaque jour ou presque des explosifs venant des guerres de 1870, 14-18, 39-45. Vivement la prochaine !

Coucou, la guerre. On fête cette année deux splendides anniversaires. Un, les cent ans des débuts de 14-18, cette grande bagarre virile. Et deux, les 70 ans du grand Débarquement sur les côtes normandes, qui a permis le 6 juin dernier une belote entre Hollande, Merkel, Obama et Poutine.

C’est bien joli, mais qu’est-ce qu’on fait de celle de 1870 ? Ne surtout pas croire qu’elle a disparu, car ce serait une abominable offense à la mémoire. Le 23 mars 2012, des démineurs repêchent dans la Seine, non loin de notre bonne vieille Samaritaine, un obus rempli de poudre noir, en pleine forme, sous 6 mètres de vase. Un coup des Uhlans de Bismarck ? Voui. Des engins de la guerre de 70, on en trouve encore chaque mois, parfois chaque semaine, et beaucoup sont capables d’arracher une jambe ou de niquer un bras.

L’association Robin des Bois (http://www.robindesbois.org) vient de publier un inventaire – après déjà bien d’autres – des déchets de guerre retrouvés dans six régions de la façade Manche-Atlantique. Mes aïeux, on croirait pas. En seulement six ans, de 2008 à 2013 inclus, 95 000 personnes ont été évacuées de chez elles pour cause de munitions dangereuses. En tout, on a retrouvé 14 000 de ces dernières, qui ont réussi à buter un type et à blesser quatre couillons.

Est-ce bien étonnant ? 600 000 tonnes de bombes ont été larguées sur 1700 communes françaises entre 1940 et 1945, et une partie de ces petites chéries restent bloquées dans les fondations d’immeubles, sous des autoroutes, dans des marais, au milieu des champs, et bien sûr au bord des plages. Une équipe de géologues américains a analysé des échantillons de sable collectés en 1998, à Omaha Beach, en Normandie, et y a retrouvé de minuscules éclats métalliques de 0,06 à 1 mm de diamètre, indiscernables à l’œil.

Encore faut-il compter avec les décharges sous-marines de bombes et obus, dont certains sont chimiques. Selon Robin des Bois, il y aurait entre Normandie et Aquitaine 62 dépôts sous l’eau, où nos belles armées ont englouti tout ce qui les gênait à terre. Exemple entre mille : que sont devenus les gigantesques stocks nazis abandonnés à Lorient, Saint-Nazaire, Brest, Cherbourg ?

Il va de soi que l’eau érode et finit par tout éventrer. Qui contrôle ? Personne. Les mines explosent au hasard des courants, le mercure, le plomb, l’antimoine, l’arsenic et une infinité de poisons se répandent doucement sans que personne ne s’en rende compte. Sauf les poissons, le plancton, les mammifères marins.

La guerre précédente, celle des Poilus, a laissé le Nord et l’Est de la France sous un océan de métal. On pense que dans ces régions, un milliard d’obus ont été tirés entre 1914 et 1918, ce qui correspondrait à environ 15 millions de tonnes. Un quart des engins, dont 6 % contenaient des gaz de combat, n’ont pas explosé. Où sont-ils ? Comme les autres, dans les prés et les champs, dans les forêts, dans les villages, dans les villes. Les sols et sous-sols, les lacs et rivières, les canaux, sont pollués. Au total, entre 500 et 800 tonnes de munitions anciennes, toutes guerres confondues, sont retrouvées chaque année en France. Une seule certitude : trinitrotoluène – TNT -, nitrobenzène, nitrophénol, nitro-anisol et nitronaphtalène, qui sont les principaux composés des munitions conventionnelles des deux guerres mondiales, forment en se dégradant des sous-produits très toxiques. Qui ont nécessairement gagné pour partie l’eau dite potable.

Que fait la France éternelle, celle de Dunkerque à Tamanrasset ? Rien. Aucune enquête publique n’a été menée, ce qui semble le plus prudent compte tenu de l’énormité des enjeux. Robin des Bois se plaint depuis des années de l’absence d’une filière d’élimination « propre » des explosifs découverts, qui finissent le plus souvent explosés dans des carrières ou des terrains militaires, provoquant inévitablement des pollutions. On attend depuis des lustres la création d’un centre spécialisé dans l’élimination des munitions chimiques, à Mailly-le-Camp, dans l’Aube. Et l’on attendra encore longtemps, car on prépare surtout la prochaine, la plus belle, la der des ders.

Comment ne surtout pas voter une loi

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 11 juin 2014

La blague est féroce : depuis deux ans, les socialos promettent une loi de « transition énergétique », repoussée trois fois et désormais renvoyée aux calendes grecques. L’explication est simple : le nucléaire et le pétrole sont cent fois plus puissants que le gouvernement.

Le gouvernement est tombé si bas qu’il vient une nouvelle fois d’envoyer aux pelotes la loi de transition énergétique, pourtant annoncée comme un phare du quinquennat Hollande. En deux mots, il s’agit de s’entendre sur l’avenir énergétique en fixant des objectifs pour le nucléaire, le gaz, le pétrole, les énergies renouvelables. D’ici 2030. Tous les lobbyistes, tous les grands patrons, à commencer par ceux de Total – Christophe de Margerie – et d’EDF – Henri Proglio – passent la moitié de leur temps à saboter les mesures susceptibles de gêner leurs belles affaires.

En janvier 2013, notre splendide président annonce un « grand débat ouvert et citoyen » sur le sujet au cours du printemps. Doit suivre une synthèse, puis une loi, au plus tard en octobre. Rien n’arrive d’autre que la réunion d’une Commission Tartempion. Y aurait-il blocage ? Les amis, cela n’a rien d’impossible.

Entre-temps, Philippe Martin a été nommé ministre de l’Écologie, et il se ramasse veste sur veste dans les arbitrages. Lui, c’est lui, c’est-à-dire une crotte de nez. Eux, c’est eux, les gros lourds du gouvernement d’avant le remaniement : Montebourg, Moscovici, Ayrault, Cazeneuve et Hollande bien sûr. Montebourg veut ouvrir des mines partout en France, Moscovici lèche le fion de l’industrie, Ayrault ne rêve que croissance et aéroport dans le bocage, Cazeneuve a gagné à Cherbourg le surnom de député-Cogema (nucléaire), Hollande lit longuement L’Équipe avant de commencer ses journées. Bref. Martin est humilié, et perdu pour perdu, il décide de bluffer. Le 14 février 2014, il annonce contre l’évidence : « Les travaux sur la loi de transition énergétique avancent bien et les délais seront tenus ».

À ce stade bouffon, une loi est annoncée pour juin, au pire septembre 2014. Ségolène Royal, qui a hérité de l’abominable avorton après sa nomination au ministère de l’Écologie, sait qu’elle risque de planter ses séances photo en acceptant les diktats de l’Élysée. On en arrive ainsi, fort logiquement, à l’annonce de ces derniers jours : on repousse à la Saint Glin-Glin la loi, tout en jurant qu’elle sera discutée au printemps 2015, si. Si Hollande trouve du fric, ce qui fait déjà rigoler les plus lucides. Royal réclame en tout cas une grande rallonge pour associer son nom à un plan sérieux de rénovation thermique des logements.

On en reparlera, pour sûr, mais en attendant, une courte visite chez nos amis du Medef est nécessaire. Dès juin 2013, Gattaz et ses potes de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), de l’Union professionnelle artisanale et de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) –  oui, tous ces gens couchent ensemble – envoyaient chier le gouvernement. Et depuis, leur position n’a cessé de se renforcer. Ils clament haut et fort qu’ils ont besoin d’une énergie abondante et bon marché, de gaz de schiste made in France, de nucléaire, de bâtiments neufs, de routes nouvelles. Le 3 juin 2014, pour bien enfoncer le clou, le Medef Rhône-Alpes, cornaqué par Pierre Gattaz, a présenté ses propres propositions. Le début : « La première proposition consiste à faire de la compétitivité des entreprises l’objectif de la transition énergétique (Lyon Capitale, 4 juin) ».

Y a-t-il une issue ? Apparemment, non. Le gouvernement socialo – 6% des inscrits aux élections européennes – mise tout ce qui lui reste sur le pacte de responsabilité et ses 50 milliards d’économies. Faut-il le préciser ? Le patronat tient papa Hollande par les couilles, et il n’est donc pas question pour lui d’accepter une loi qui freinerait pour de bon la gabegie énergétique.

Y a-t-il une issue ? Peut-être, quoique non. Il faudrait monter en six mois une coalition sans précédent, regroupant tous ceux qui pensent au-delà de l’année prochaine. Capable d’ouvrir les yeux sur le désastre écologique planétaire, la crise climatique, le risque désormais évident de dislocation des sociétés humaines. On voit qu’il ne faut pas compter sur la politique classique pour avancer. Une seule solution, la révolution. C’est pas gagné.

Dans les migrations, tout est bon

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 11 juin 2014

Il y aurait 232 millions de migrants dans le monde, et leur nombre explose. Mais l’Organisation mondiale du travail, un machin de l’ONU où siègent de curieux syndicalistes, juge l’exil forcé excellent « pour la croissance et le développement ». Demain, des esclaves au coin de la rue ?

« Nous sommes tous d’accord que les migrations peuvent contribuer dans une très large mesure à la croissance et au développement ». Qui a dit cette sombre connerie ? Un syndicaliste, Dieu du ciel éternel. Le Britannique Guy Rider a fait carrière dans les trade-unions d’outre-Manche avant de devenir directeur du bastringue mondial appelé Organisation mondiale du travail, ou OIT. Créée en 1919, devenue agence de l’ONU en 1946, l’OIT réunit 185 États membres, des patrons, et de grands syndicalistes mais oui. Bernard Thibault, l’ancien ponte de la CGT, vient d’entrer à son conseil d’administration, très prisé. Officiellement, il s’agit du bien à ces pauvres prolos. Officiellement.

En réalité, la 103e conférence internationale de l’OIT, qui vient de se terminer, a permis à ce Ryder de sortir ce qu’un négrier n’oserait jamais dire à propos des « migrations internationales » (1). La thèse de Ryder, énoncée dans son discours d’ouverture, est limpide : c’est génial. 232 millions d’humains – le nombre est de lui – vivent loin de chez eux en 2013, mais c’est génial. Des millions de peigne-culs se font dépouiller, tabasser, surexploiter, emprisonner, mais c’est génial.

Attention, ne pas prendre Ryder pour plus salaud qu’il n’est : notre syndicaliste de combat note au passage que le discours raciste et les mauvaises conditions de travail – notamment – sont une bien mauvaise action. L’OIT va s’en occuper, exactement comme elle le fait depuis bientôt 100 ans. Lentement. D’ailleurs, le rapport qui accompagne le discours du chef précise : « Selon une estimation, une augmentation de 3 % du nombre de travailleurs migrants des pays en développement vers les pays à revenu élevé se traduirait en 2025 par des gains de 356 milliards de dollars [262 milliards d’euros] pour l’économie mondiale, soit une progression de 0,6 % du revenu mondial ».

C’est dit : l’envoi de jeunes mecs et de jeunes nanas pour vider le pot de chambre de nos mémés ou embarquer nos sacs d’ordures est une excellente nouvelle pour la crapule du Nord abonnée à Canal Plus et à Bouygues Telecom. Du reste, l’OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques -, un grand machin ultralibéral, est d’accord avec l’OIT. Dans une étude parue ces derniers jours (Migration Policy Debates, mai 2014), elle note après beaucoup d’autres que « dans la plupart des pays, les immigrés contribuent bien plus par l’impôt et les contributions sociales qu’ils ne reçoivent d’avantages ».

Ce n’est pas seulement répugnant, c’est aussi instructif. Voilà comment les patrons et les syndicalistes qui leur ressemblent voient l’avenir. De plus en plus de pauvres quitteraient leur masure pour aller vers le bonheur d’un monde plein de wifi et de téléviseurs à écran plasma. Ne surtout pas leur parler, en plus, de la crise écologique. Un rapport publié en 2007 (2) chiffrait déjà à 163 millions le nombre de pégreleux chassés de chez eux par les changements climatiques, les beaux projets de « développement » comme les barrages, les mines, les biocarburants, ou encore les guerres. Demain 500 millions, demain un milliard ?

Deux ans avant, en 2005, un autre truc de l’ONU – l’Institut pour la sécurité environnementale et humaine – assurait : « Il y a des craintes bien fondées selon lesquelles les populations fuyant des conditions environnementales invivables pourraient croître de façon exponentielle au cours des prochaines années, alors que la planète subit des effets du changement climatique et d’autres phénomènes comme la désertification ».

Question à la con : que deviendront le Bangladesh et ses 150 millions d’habitants en cas de submersion ? Pour cause de dérèglement climatique, la mer monte partout et ce pays plat comme la main risque à terme l’engloutissement. Où iront les pedzouilles ? Madame Royal – authentique – prépare pour 2015 un statut de « déplacé environnemental ». L’OIT n’est donc pas seule dans son grand combat.

(1)    http://www.ilo.org/ilc/ILCSessions/103/reports/reports-to-the-conference/WCMS_243544/lang–fr/index.htm (en français)

(2)    en anglais seulement : http://www.christianaid.org.uk/images/human-tide.pdf

Total éventre la Patagonie argentine

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 28 mai 2014

Notre transnationale du pétrole bousille une réserve naturelle à la recherche de gaz de schiste, fracturation hydraulique en prime. Pendant que Margerie fait ici des risettes télévisées, ses engins s’en prennent là bas aux Indiens et aux pumas.

Avant de dire tout le mal nécessaire de Christophe de Margerie et de Total, sa pauvre chose, deux mots sur le génial Guillermo Enrique Hudson, appelé en anglais William Henry Hudson. Né en 1841, Hudson a décrit la pampa d’Argentine, jusqu’à la Patagonie, comme aucun autre (1). Avis autorisé de Joseph Conrad : « Il écrit comme l’herbe pousse ».

La Patagonie reste un lieu à part. Une immensité de steppes, de pampas, de montagnes, de glaciers, d’archipels. Une beauté insupportable pour la transnationale conjuration du gaz de schiste. Car voilà où nous en sommes : tandis que l’entreprise Total joue ici le fabliau du « développement durable » et de la « responsabilité environnementale », elle est en train de dévaster là-bas la Patagonie argentine.

Voyons l’insupportable détail. Total est présent en Argentine depuis 1978, au travers de sa filiale Total Austral S.A, et produisait entre 2009 et  2012 30 % du gaz argentin. Mais il s’agissait encore de gaz conventionnel alors que les réserves estimées de gaz de schiste désignent le pays comme un des principaux producteurs mondiaux de demain, juste derrière les États-Unis et la Chine.

On se souvient sans doute qu’une loi votée en quelques semaines, à l’été 2011, interdit en France l’usage de la fracturation hydraulique, qui oblige à injecter dans le sous-sol de grosses quantités d’eau sous pression, surchargée de dizaines, voire de centaines de produits chimiques toxiques. Sans ce cocktail de la mort, pas de « fracking », pas d’explosion de la roche, pas de libération du gaz.

Total a mis la main sur une zone longtemps oubliée de tous, dans la province de Neuquén, au nord-ouest de la Patagonie, tout contre la cordillère des Andes. Les Indiens y ont été gaiement massacrés au cours de la « Conquête du désert » de 1879, et il ne reste sur place que des Mapuche, dont tout le monde se contrefout.

Parmi les concessions accordées à Total, une attire fatalement l’œil, car elle est située dans une réserve naturelle en théorie protégée, Auca Mahuida. Un premier puits, Pampa las Yeguas X1, a déjà été percé. La zone est pourtant un territoire mapuche très riche en mammifères sauvages, au point que des biologistes la considèrent représentative de la « steppe patagonienne ». On y on trouve des guanacos – sortes de lamas -, des pumas, des maras – des rongeurs -, des grands tatous velus, des furets de Patagonie, et même des condors. Mais que comptent ces crétins en face des grandioses perspectives d’extraction ?

Tout autour de la réserve, 11 permis ont été accordés à Total, et le bal tragique des foreuses et des camions a déjà commencé autour de certains puits. Exemplaire, l’association Les Amis de la Terre vient de pondre un rapport très documenté (http://www.amisdelaterre.org/rapportargentine.html) qui ne laisse place à aucun doute sur le scrupuleux respect, par Total, de ses hautes valeurs morales. Carolina Garcia, ingénieure et militante locale, y raconte par ailleurs : « Le puits Pampa las Yeguas et les infrastructures qui y sont liées menacent [une] réserve de biodiversité, notamment des espèces telles que le nandou choique [ressemblant à une autruche], le condor, le guanaco ou le chat andin… Au-delà de cette aire, nous sommes mobilisés avec de nombreux habitants et communautés de la province, mais l’unique réponse des autorités est la répression et le déploiement d’une campagne de propagande pour soutenir l’industrie pétrolière  ».

Comme il se doit, Total jure que tout est en règle, et que toutes les autorisations ont été données. Qui ignore encore les paroles de cette chanson du business ? Margerie, le patron à moustache, est au mieux chez nous avec Hollande, qu’il rencontre quand il veut grâce à son cousin par alliance Jean-Pierre Jouyet, Secrétaire général de l’Élysée. Interdite chez nous à cause des désastres écologiques qu’elle provoque, la fracturation hydraulique est employée en Argentine contre les Mapuche, les condors, les pumas. Total, entreprise citoyenne.

(1) Voir par exemple Un flâneur en Patagonie et Sous le vent de la pampa (Petite bibliothèque Payot)