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Le Venezuela se vend au gaz de schiste et à Halliburton

Allez ! Je ne doute pas une seconde que M.Mélenchon nous expliquera combien il est utile et nécessaire de combattre les gaz de schiste en France au moment où ses amis vénézuéliens se lancent dans l’aventure. Il n’empêche que cela m’écœure encore un peu plus. Vous verrez plus bas que le Venezuela de l’ancien caudillo Chávez traite avec la société américaine Halliburton, qui est vraiment la lie des transnationales. Je n’entre pas dans les détails : après avoir été dirigée entre 1995 et 2000 par Dick Cheney, qui deviendrait le vice-président américain de W.Bush, Halliburton s’est fait des couilles en or en Irak après l’invasion de 2003.

Je sais. Je sais que le mot couilles est vulgaire. Mais je sais aussi qu’il s’impose pour parler de le fortune accumulée par ces excellentes personnes d’Halliburton. Pour le reste, je dois préciser que je ne suis plus écœuré : j’ai franchement envie de dégueuler.

PS : Amis, vrais amis du vrai peuple vénézuélien et de tous ses êtres vivants, combien de pots de vin ? Combien de fric étasunien discrètement exfiltré vers les banques amies des corrompus ?

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Un article paru dans Le Monde

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Le Venezuela se lance dans l’extraction et l’exploitation du gaz de schiste

Le Monde.fr avec AFP | • Mis à jour le

 Le Venezuela se lance à son tour dans l’exploitation du gaz de schiste, en partenariat avec les compagnies brésilienne Petrobras et américaine Williams International Oil & Gas, a annoncé mercredi 21 mai le ministre du pétrole, Rafael Ramirez.

Le pays importe actuellement entre 200 et 300 millions de pieds cubes de gaz par jour de la Colombie voisine. Disposant des plus importantes réserves de pétrole prouvées au monde (environ 298 milliards de barils), le Venezuela s’affiche au huitième rang mondial sur la liste des pays disposant des plus importantes réserves de gaz, selon le ministre.

« Un premier puits sera perforé dans le champ de Concepcion », dans le lac de Maracaibo (nord-ouest), par l’entreprise mixte Petrowayu, a précisé le ministre du pétrole, qui est également président de cette compagnie pétrolière publique vénézuélienne (PDVSA). Petrowayu est détenu à 60 % par PDVSA, à 36 % par Petrobras et à 4 % par Williams. PDVSA a également signé un contrat de 2 milliards de dollars avec l’entreprise américaine de services pétroliers Schlumberger, Weatherford et Halliburton.

La sécheresse fait le lit de la guerre

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 14 mai 2014

Et si la crise climatique était l’une des causes cachées du soulèvement syrien et des révolutions arabes ? Une pluie d’études montre que l’on a trop longtemps ignoré les fondements écologiques des guerres et des révolutions. Faut que ça change.

Ne plus avoir d’eau. Moins pour les hommes, plus pour les bêtes, plus pour la terre. En 2006, la Syrie connaît une première sécheresse, qui passe inaperçue. Le pays est aride – 45 % est même désertique – et dans les années « moyennes », il n’y pleut qu’entre 200 et 400 mm, contre 750 en France, avec des pointes de plus de 1100 dans une ville comme Brest.

En 2007, tout recommence, en pire. En 2008, tout recommence, en pire. Une situation qui, d’après l’ONU, n’a pas été vue depuis quarante ans. Mais entre-temps, la population est passée de 6 millions à 20, dont beaucoup, installés en ville, ont des exigences nouvelles. À la fin de l’été 2008, au moins un million de paysans et de bergers sont dans la détresse hydrique. Selon des estimations ridicules, mais officielles, 59 000 éleveurs ont perdu la totalité de leur cheptel, mort de soif. En 2009, tout recommence, en pire : 300 000 habitants de l’Est et du Nord-Est – autrefois le grenier à blé – quittent leurs terres, probablement à jamais, et s’installent à Damas, à Alep, à Deir ez Zor. En 2010, tout recommence, en pire : les exilés sont au moins 500 000. La récolte du blé passe de 4,1 millions de tonnes en 2007 – pour tout le pays – à 2,4. Or les Syriens ont besoin d’à peu près 4 millions de tonnes.

Là-dessus, la guerre civile, qui débute au printemps 2011, et une question qui tombe sous le sens : pourrait-il y avoir des liens entre sécheresse et révolte ? Le 27 janvier 2014, la chercheuse néerlandaise Francesca de Châtel publie un article éclairant dans la revue Middle Eastern Studies (1), qui permet de voir la Syrie tout autrement. Oublions un instant les djihadistes, les alaouites, les chiites, les sunnites, le Hezbollah libanais. La Syrie n’a-t-elle pas besoin avant tout d’eau ? De Châtel ne conteste pas l’existence de facteurs sociaux et politiques, mais juge que la question de l’eau les a influencés et a pu être modifiée par eux.

Comme tant d’autres ailleurs, le régime n’a rien vu venir, perdu dans ses rêveries de toute-puissance et d’expansion sans limites. Quand Assad le père – Hafez – arrive au pouvoir en 1970, 7,5 % de la surface agricole est irriguée. En 2006, on dépasse les 25 %. Dans son article, de Châtel met davantage en cause la gestion politique de la sécheresse par Damas que le phénomène lui-même. Le clan Assad, qui mise désormais sur la libéralisation à tout crin et la fin des aides publiques, aurait tout simplement laissé jouer le marché – le prix du fourrage double en quelques mois -, condamnant ses paysans les plus pauvres à l’exil intérieur.

Le dérèglement climatique expliquerait-il les sécheresses à répétition ? Le scénario est conforme aux prévisions régionales, mais de Châtel s’y intéresse d’autant moins que Bachar, le maître de Damas, tente de tout mettre sur le dos du climat, qui serait le seul responsable du désastre. Un autre travail passionnant permet en revanche de poser de nouvelles questions sur l’éventuelle dialectique entre changement climatique et le phénomène connu sous le nom de « révolutions arabes ». Publiée en février 2013 par un think tank américain proche des Démocrates – le Center for American Progress (2) -, l’essai à plusieurs voix ouvre sur un monde inconnu.

On connaît la vulgate répétée de télé en radio depuis des années. Un vendeur ambulant tunisien, Mohamed (Tarek) Bouazizi, s’immole par le feu le 17 décembre 2010 dans la petite ville de Sidi Bouzid. De proche en proche, magnifiée par les réseaux sociaux, la révolte gagne toute la Tunisie et plusieurs pays arabes, dont l’Égypte. Mais n’a-t-on pas oublié en route l’importance décisive du climat et de l’alimentation ?

Les auteurs ne font pas plus dans le simplisme que de Châtel. Les changements en cours du climat ne sauraient être la cause des changements de régime, mais leurs conséquences peuvent avoir allumé la mèche, faite des causes habituelles. Et ils reprennent à leur compte l’expression « threat multiplier » : la crise climatique serait un multiplicateur de menaces. L’extrême sécheresse de 2010 en Chine, qui a renchéri le prix du blé sur le marché mondial, a évidemment eu des répercussions sur l’Égypte, plus grand importateur de blé de la planète. D’une manière générale, les pays arabes sont fragiles, car ils disposent de peu de terres cultivables et de peu de ressources en eau, ce qui contraint la plupart à devoir importer entre 25 % et 50 % de leur consommation de céréales. En pointant des relations auxquelles le regard n’est pas habitué, comme celle entre la place Tahrir et la place Tienanmen, on court le risque d’être chahuté, voire ridiculisé par les chercheurs plus classiques, de loin les plus nombreux.

Et il est vrai qu’aucune preuve, au sens scientifique comme au sens policier, ne peut être apportée. Deux des rédacteurs de ce travail, Sarah Johnstone et Jeffrey Mazo concluent par ces mots : « Le printemps arabe se serait probablement produit d’une manière ou d’une autre, mais le contexte dans lequel il s’est produit n’est pas sans conséquences. Le réchauffement climatique n’a peut-être pas provoqué le Printemps arabe, mais il peut l’avoir fait arriver plus tôt ».

Ce n’est pas la première fois que des chercheurs – encore rares – s’intéressent aux liens pourtant puissants entre conditions écologiques et crises humaines paroxystiques. Aux Amériques, l’universitaire canadien Thomas Homer-Dixon – très connu, il a dirigé différents instituts traitant ce sujet – publie le 31 janvier 1992 (dans le New York Times) un article que beaucoup tiennent là-bas pour pionnier. Clinton vient d’être élu pour un premier mandat, et Homer-Dixon l’invite à agir au plus vite. S’appuyant sur les exemples du Bangladesh, de la Chine, des Philippines, d’Afrique du Sud, du Sénégal, de la Mauritanie, du Pérou, d’Haïti, il constate que « les pénuries de ressources renouvelables contribuent déjà à des conflits violents dans de nombreuses parties du monde en développement ». Et il ajoute plus loin : « Nous comprenons maintenant que [ces pénuries] produisent souvent des effets sociaux cachés et cumulatifs, comme les grandes migrations et des troubles économiques. Ces événements peuvent entraîner des affrontements entre groupes ethniques ainsi que des conflits civils et insurrectionnels ».

Dix ans plus tard, la guerre civile du Darfour semble bien lui donner raison. En 2003 commence dans l’ouest du Soudan – le Darfour – une guerre atroce entre les Janjawids et des tribus comme les Four, Massalit et Zaghawa. Les premiers sont des miliciens noirs arabisés, souvent nomades, les seconds des paysans sédentaires, noirs eux aussi.

La guerre devient si démentielle que, dès 2004, le Congrès américain la désigne comme un génocide, ce qui demeure contesté. Le fait est que le climat a changé entre le Nil et le lac Tchad. Le chercheur Jérôme Tubiana résume ainsi (3) l’état des lieux : « Au cours des quarante dernières années, [la région] a connu des vagues intenses de sécheresse, des précipitations de plus en plus variables et une diminution générale de la durée de la saison des pluies. On estime qu’au Darfour les températures ont déjà augmenté de 0,7°C entre 1990 et 2005 ».

En 2007 (le 16 juin), le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon se paie une tribune retentissante dans le Washington Post. « Si la violence a éclaté au Darfour pendant la sécheresse, écrit-il, ce n’est nullement par hasard. Jusque-là, les bergers nomades vivaient tranquillement au contact des agriculteurs sédentaires. Un récent article décrit la manière paisible dont les agriculteurs partageaient leurs puits et accueillaient les éleveurs qui sillonnaient le pays en faisant paître leurs chameaux. Mais quand les pluies ont cessé, les agriculteurs ont clôturé leurs terres de peur qu’elles ne soient ravagées par les troupeaux ».

Est-ce aussi clair que semble le penser Ban Ki-moon ? Le Darfour a donné lieu, dans les marges, à des débats de grande qualité. Ainsi cet article inspiré du chercheur Marc Lavergne (CNRS, Groupe d’études et de recherches sur la Méditerranée et le Moyen-Orient), publié dans Revue Tiers Monde (Le réchauffement climatique à l’origine de la crise du Darfour ?). S’interrogeant sur les liens entre déplacés et mouvements de population d’une part, dérèglement climatique d’autre part, il note : « Le réchauffement climatique fait (…) office de facteur déterminant d’explication de ces mouvements de population. Cette « récupération » (…) peut conduire à des schématisations outrancières, voire à des erreurs permettant d’évacuer les responsabilités des acteurs effectivement à l’origine des crises ou des conflits ».

De fait, les autorités de Khartoum – la capitale soudanaise – ont surabondamment exploité l’explication « climatique ». Car non seulement elle masque leurs écrasantes responsabilités, mais elle fait retomber la faute historique sur les sociétés du Nord, qui sont bel et bien le déclencheur de la crise climatique. Mais malgré l’excellence des autres arguments avancés par Lavergne, il ne fait pas de doute que le climat devient une question politique majeure, au Darfour comme ailleurs.

La revue bien connue Science publiait le 1er août 2013 une méta-analyse portant sur 60 études publiées et 45 conflits (4). Le résultat – controversé – montre une corrélation évidente entre des événements climatiques parfois mineurs et l’irruption de conflit. À toutes les échelles spatiales et temporelles. On passe des violences domestiques à cause d’une canicule aux meurtres sur fond de sécheresse, des révoltes paysannes à l’effondrement de civilisations comme celles de Mésopotamie ou des Indiens mayas. Une fois encore, les auteurs – Solomon Hsiang, Marshall Burke, Edward Miguel – insistent sur les limites de leur travail. Le climat, en toute hypothèse, viendrait se surajouter à des causes plus coutumières, et ne serait pas nécessairement la cause principale des affrontements entre humains.

Corrélation ne veut pas dire explication. Mais le chantier qui vient de s’ouvrir ne fermera pas de sitôt. Selon des extrapolations tirées de cette dernière publication, le risque de guerre civile pourrait augmenter de 50 % dans un grand nombre de pays au cours des prochaines décennies.

(1) The Role of Drought and Climate Change in the Syrian Uprising: Untangling the Triggers of the Revolution
(2) The Arab Spring and Climate Change
(3) In « Darfour-Tchad : s’agit-il de la première guerre du climat ? »
(4) Quantifying the Influence of Climate on Human Conflict

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Entre récoltes et génocide

Faut-il ajouter le climat aux autres facteurs expliquant le génocide rwandais de 1994 ? En 1984 et surtout 1989, des sécheresses graves ont en tout cas frappé le pays et provoqué des famines. Avec entre les deux, les pluies surabondantes de 1987, détruisant les cultures de pommes de terre, de haricots et de maïs.

La suite n’est pas plus réjouissante. Dans un article publié en 1996 (Climat et crise rwandaise), l’agrométéorologue de la FAO René Gommes rapproche les conditions climatiques locales et la tenue des massacres. À l’automne 1993, quelques mois avant le début des tueries, « les pluies de septembre et d’octobre sont très faibles et conduisent à une réduction notables des rendements et des surfaces plantées. La première récolte de haricots est perdue, et les pluies insuffisantes ne permettent pas de replanter ». En mars 1994, quelques semaines avant l’embrasement, c’est pire, car des centaines de milliers de réfugiés du Burundi aggravent une situation alimentaire devenue critique. « Dans le nord, le déficit de production est du à la sécheresse et à des déplacements massifs de population (…)  Le sud a été particulièrement affecté par la sécheresse et la population est confrontée à des déficits alimentaires de proportions très inhabituelles. On signale des morts dus à la famine ».

Une autre question, totalement ignorée, pourrait avoir joué un rôle : l’érosion des sols. Dès 1992, l’agronome allemand Dieter König alerte sur la disparition du sol arable sous l’action des pluies : « Au Rwanda, écrit-il, les dégâts d’érosion peuvent être observés partout. La plupart des collines sont complètement déboisées et intensément cultivées ». 100 tonnes de sol par hectare, selon König, disparaissaient chaque année, à jamais. Rappelons que le Rwanda est un pays de 26 000 km2 – la Bretagne en fait 34 000 -, dont la population est passée de 1 830 000 habitants en 1949 à 6 750 000 en 1990, soit près de quatre fois plus. Juste avant le génocide, la densité de population pouvait atteindre 500 habitants par km2 à la campagne, conduisant les paysans à défricher toujours davantage. Un cercle vicieux menant à l’épuisement accéléré des sols et donc à une baisse des rendements de cultures vitales pour l’alimentation, comme le sorgho, les petits pois ou les haricots.

Pour le Rwanda comme pour d’autres pays, l’évocation de causes autres que politiques, sociales, économiques peut hérisser le poil. Le livre de l’Américain Jared Diamond « Effondrement » (Gallimard, 2006) concentre les critiques, car l’auteur y écrit notamment : « La population rwandaise a augmenté à un taux moyen de plus de 3 % l’an (doublement en moins de 24 ans). Le développement économique du Rwanda fut stoppé par la sécheresse et l’accumulation de problèmes environnementaux. Le pourcentage de la population consommant moins de 1600 calories par jour (niveau en dessous de celui de la famine) était de 9 % en 1982, 40 % en 1990. D’où le génocide en 1994. Il n’est pas rare, depuis, d’entendre des Rwandais soutenir qu’une guerre était nécessaire pour diminuer une population en excès et pour la ramener au niveau des ressources en terre disponibles. »

Alerte rouge pour les Indiens de Sarayaku

Je me fais le messager, car il y a urgence. J’ai consacré deux articles au sort des Indiens de Sarayaku, en Équateur (ici le premier, et surtout le second). L’Équateur est dirigé par Rafael Correa, grand ami de Mélenchon, qui le soutient toutes les trois phrases. Vérité en France, grand désastre en Équateur. Vous trouverez ci-dessous un appel des Indiens, qui redoutent – j’espère qu’il ne s’agit que d’une fausse alerte – une intervention des ganaches de gauche contre leur splendide territoire. Rude début de journée.

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Le triomphe du prix Nobel Jean-Marie Lehn

Jean-Marie Lehn. Prix Nobel de chimie 1987. Un immense scientiste qui se croit pourtant un maître de la vie. Un grand scientifique, il est vrai, doté de qualités intellectuelles indiscutables, grâce auxquelles il ne croit plus nécessaire de se soumettre aux règles communes. Ce sentiment absurde et si fort de toute-puissance est, on le sait, celui des gosses. Quand il perdure chez un Lehn, salué par toutes les gazettes et une bonne part de la société, il est avant tout terrifiant. C’est le syndrome bien connu du docteur Folamour. Mais avant de revenir à Lehn – vous comprendrez aisément pourquoi -, un mot sur la nouvelle du jour.

Deux biologistes américains, Denis A. Malyshev et Floyd Romesberg, ont créé une chimère de plus, mais différente des autres. Car il s’agit d’un organisme vivant dont le patrimoine génétique n’avait jamais existé auparavant (ici). C’est la consécration d’un nouveau terrain d’aventure (ici) appelé « biologie de synthèse ». Pour sommes-nous à ce point inertes, pour ne pas dire complices ? Pourquoi n’avons-nous pas la force élémentaire de nous révolter, quitte à tout casser ? Je vous laisse répondre.

Pour en revenir à Lehn, je vous propose de regarder avec moi ce qui s’est passé le 5 mai 2009. Ce jour-là, il participe au premier rang d’un colloque organisé conjointement par le prestigieux Collège de France, créé en 1530, et l’entreprise Solvay, transnationale belge de la chimie. Thème de la rencontre sponsorisée : « De la chimie de synthèse à la biologie de synthèse ». L’enthousiasme, palpable, est général. L’intervention de Lehn, qui dure une trentaine de minutes, évite tout jargon et se révèle éclairante. Car le prix Nobel est transporté fort loin. La synthèse chimique est comparée à une partition, à un jeu d’échecs aussi raffiné qu’élégant.

Dans sa conclusion, le professeur Lehn cite pour commencer cette phrase de Leonardo da Vinci, grand peintre, grand ingénieur, grand scientifique mort il y a près de 500 ans : «…Dove la natura finisce di produrre le sue spezie, l’uomo quivi comincia con le cose naturali, con l’aiutorio di essa natura, a  creare infinite spezie… ».  Et Lehn d’enchérir sans gêne sur Leonardo : « L’homme créera de nouvelles espèces, non-vivantes et  j’en suis convaincu, vivantes ». Ainsi parlait notre prix Nobel le 5 mai de l’année 2009 : la chimie officielle ne demande qu’à créer sur Terre chimères et dragons, hydres et griffons, Gorgones et harpies, sans oublier Charybde et Scylla. La chimie doit créer – et créera si les Lehn l’emportent – des organismes vivants sortis de l’imagination des spécialistes. Ça vient de commencer.

Le moustique était changé de l’intérieur

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 23 avril 2014

C’est parti mon kiki. Au Brésil, on va lâcher dans les villes et les campagnes un moustique génétiquement modifié, OX513A. Officiellement, pour éradiquer la dengue. Mais en réalité, pour soutenir le chiffre d’affaires de Syngenta, le tireur de ficelles.

On n’a pas fini d’applaudir. Les rusés garçons qui tentent d’imposer partout des OGM ont remporté une belle victoire. Une commission officielle brésilienne, la CTNBio, vient d’approuver le lâcher et la commercialisation de moustiques génétiquement manipulés. À la différence de notre consultatif  Haut Conseil des biotechnologies (HCB), la CTNBio décide, et on voit mal ce qui pourrait encore arrêter l’aventure : OX513A devrait bientôt voler dans les airs des grandes villes, de Rio à Bahia, de São Paulo à Recife.

OX513A est un moustique mâle Aedes aegypti dans lequel on a  injecté deux gènes qui modifient son ADN. Relâché par millions, il devrait, selon le plan, s’accoupler à des femelles traditionnelles et peu à peu réduire drastiquement la descendance. Car il est réputé stérile, ou près de l’être, et transmettrait son incapacité à sa progéniture.

Avant de cogner comme un bûcheron sur cette énième aventure industrielle, précisons que tout repose sur la trouille inspirée par la dengue, une maladie infectieuse on ne peut plus réelle. Virale, elle est transmise dans les pays tropicaux par les moustiques Aedes, et provoque maux de tête, douleurs musculaires et articulaires, nausées, vomissements, etc. L’une des formes les plus sévères, la dengue hémorragique, s’étend à grande vitesse, et au total, plusieurs millions d’humains seraient infectés chaque année, dont 21 000 sont morts en 2011.

N’est-ce pas génial ? Le tableau ne saurait être plus favorable pour les expérimentateurs : une maladie lourde qui frapperait 120 000 Brésiliens chaque année, un « progrès » à portée de main, un coût dérisoire comparé aux dépenses de santé occasionnées par le virus. Mais comme à l’époque des villages Potemkine – des trompe-l’œil destinés à bercer Catherine II de Russie -, il faut passer de l’autre côté du décor pour comprendre ce qui se passe.

Un, le résultat des essais au Brésil – ils seraient époustouflants – n’a pas été publié. Gabriel Fernandes, responsable d’une association brésilienne pour l’agriculture familiale, AS-PTA (http://aspta.org.br) va droit au but : « Il n’existe aucune donnée montrant que ce moustique OGM réduit vraiment l’incidence de la dengue. Dans ce cas précis, la décision est bien davantage basée sur la propagande que sur des données concrètes venues d’études de terrain ».

Deux, nul ne sait ce que sera le suivi de l’affaire une fois les moustiques relâchés. Aucune autorité n’indique ce qui se passerait en cas d’effet malencontreux. On dissémine, et on compte les points. Trois, d’autres essais menés dans les îles Caïman – sur une surface évidemment restreinte – ont surtout montré les limites du projet. Pour éliminer une population ridiculement faible de 20 000 moustiques « normaux » – combien de millions pour le gigantesque Brésil ? -, il aurait fallu disposer de 7 millions de moustiques OGM par semaine.

Quatre, les conséquences sur la santé humaine et celle des écosystèmes ne sont simplement pas prises en compte. Ce n’est pas une criaillerie d’écologiste attardé. Une baisse temporaire du nombre de moustiques porteurs de la dengue pourrait avoir ce que les spécialistes appellent un effet rebond. L’immunité contre la maladie baisserait aussi, mettant en danger divers groupes en cas de retour massif du virus. Selon certaines sources, la réduction pour un temps de la contamination pourrait en outre entraîner une baisse de l’immunité croisée, qui protège contre les différents sérotypes de la dengue.

Dans tous les cas, on ne sait pas où on va, mais on y va. On ne sait pas, sauf peut-être la petite entreprise cachée dans les coulisses. Un tel scénario passe par des techniciens hautement spécialisés, en l’occurrence ceux d’Oxitec. Cette boîte britannique (www.oxitec.com) se présente évidemment comme philanthropique. Officiellement, elle est « un pionnier dans la lutte contre les insectes vecteur de maladies et ravageurs des récoltes ». Et les solutions proposées, « durables, rentables et respectueuses de l’environnement » peuvent « garder les gens en bonne santé et accroître la production alimentaire ». C’est très beau, c’est très faux.

Selon l’association anglaise GeneWatch (http://www.genewatch.org), Oxitec a « des liens étroits avec la transnationale de l’agrobusiness Syngenta ». Cette dernière a financé certains travaux d’Oxitec, et plusieurs de ses anciens dirigeants siègent au conseil d’administration d’Oxitec. Pourrait-il s’agir d’un faux-nez ? Syngenta, d’origine suisse, est un géant mondial des semences et des OGM, qui ne cesse de chercher des chevaux de Troie pour pénétrer de nouveaux marchés. Le moustique OX513A pourrait bien faire partie de la liste.

Dans cette hypothèse, on risque fort de parler tôt ou tard de moustiques transgéniques en France, car la dengue est très présente dans les Antilles françaises – Martinique et Guadeloupe -, où la grande épidémie de 2009/2010 a frappé plus de 80 000 personnes. Et les Aedes aegypti tripatouillés par Oxitec transmettent également le chikungunya, qui a dévasté la Réunion en 2005 et 2006 et se répand ces dernières semaines dans les Antilles.

Le Sud-Ouest lui-même, sur fond de dérèglement climatique, est menacé. Le 26 mai 2012, un habitant de Marmande (Lot-et-Garonne) envoie à l’administration une photo prise chez lui, en plein centre-ville, qui montre un moustique du genre Aedes, de l’espèce albopictus. Celui qu’on appelle le moustique tigre. C’est d’autant plus chiant que sa présence a été confirmée de nombreuses fois depuis, de Pessac à Talence, et qu’il transmet lui aussi la dengue et le chikungunya.

La France reste loin pour l’instant du Brésil, mais demain ? Rappelons en deux mots l’affaire du DDT, produit miracle qui n’est jamais venu à bout du paludisme, mais a niqué pour de bon d’innombrables écosystèmes. Quarante ans après les premières interdictions, on trouve la trace de ce produit cancérigène dans la plupart des analyses de sang aux Etats-Unis. Ce n’est pas la même chose, mais ça pourrait faire réfléchir les ramollos du bulbe. Peut-être.