Archives de catégorie : Développement

Edgardo et l’obsolescence programmée des ordinateurs

Disons donc Edgardo, bien que cela ne soit pas son nom. Admettons qu’il habite Maisons-Laffitte, bien que cela ne soit pas vrai. Ajoutons à ces précautions qu’il ne doit pas déclarer beaucoup ses activités, ce qui est un euphémisme. Et maintenant, allons-y. L’autre soir, traînant avec moi un lourd sac de voyage à roulettes, rembourré à l’intérieur d’un copieux oreiller, je me suis rendu chez lui. Code, vieil immeuble déglingué, cinq étages sans ascenseur. Trois portes sur le palier, dont la sienne, face à l’escalier, mais à main gauche.

Edgardo n’est pas français, et bricole, au noir. D’où ma venue. Je sors de mon sac à malices, outre ses protections et rembourrages un ordinateur acheté en 2005, IMac dans sa version 10.4.11. À l’époque préhistorique de son arrivée chez moi, c’était une sorte de Rolls-Royce dont 90 % des accessoires étaient, comment dire ? Accessoires, précisément. Je n’en avais nul besoin, mais comme ces charmants industriels – Steve Jobs, le fondateur défunt d’Apple n’a-t-il pas été constamment acclamé dans les gazettes ? – pratiquent la vente forcée, je n’avais pas le choix. Ou cet IMac, ou ballepeau.

Je me suis servi de l’appareil pendant des années, glanant ici ou là des mises à jour des logiciels qui me sont indispensables, par chance fort peu nombreux. Avec de plus en plus de difficultés. Réellement. Des messages apparaissaient avec une fréquence rapprochée sur l’écran, m’avertissant que bientôt, les versions utilisées ne serviraient plus à rien, ou presque. Or, comme dans un ballet chorégraphié, je me heurtais à un mur de plus en plus haut, sachant bien qu’il ne pourrait pas être franchi. Il me fallait « moderniser » mes logiciels, mais je ne le pouvais plus avec un appareil de cette puissance-là. Un Mac 10.4.11 est en effet, en ce mois de novembre 2013, une vieillerie, qu’on exposera bientôt dans les musées de leur monde délétère.

Il devenait ardu de télécharger au format PDF certains documents, ou d’ouvrir des textes Word trop récents. D’une façon générale, tout me poussait à acheter un nouvel ordinateur, dont les derniers-nés atteignent la hauteur 10.9. Une vague rumeur m’est parvenue, selon laquelle Apple vend désormais des machines dont le système d’exploitation commande – comme c’est pratique – de nouvelles machines. En bref, je crois pouvoir dire que j’étais coincé. J’allais devoir acheter, moi qui achète si peu. Ce n’est certes pas la somme qui me préoccupait le plus, malgré sa rondeur, mais plutôt la victoire proclamée de l’industrie dans ma petite vie de chaque jour.

Et puis Edgardo. À qui je raconte au téléphone ce qui se passe. Qui me suggère d’abord d’acheter une barrette de mémoire pour ma vieille bique d’ordinateur. Ce que je fais aussitôt, pour un prix de 29 euros. Qui me propose ensuite – Edgardo, bien sûr -, d’apporter mon ordinateur chez lui, ce que je fais, déballant devant lui, comme on a vu plus haut, mon vaste sac noir à roulettes. Edgardo devant sortir, il m’engage à revenir le lendemain. Et le lendemain, me voici de retour, intéressé, intrigué, déjà satisfait de n’avoir pas été tout à fait inerte.

Cette fois, j’y suis. L’opération du Saint-Esprit est terminée, et mon ordinateur, allumé, n’affiche plus 10.4.11, mais 10.6.8, ce qui le relance pour des années au moins dans la course folle au gigantisme électronique. La totalité du contenu est intact, Edgardo m’a ajouté une version 2011 de Word, le fonctionnement est incomparablement plus aisé, plus rapide, et le tout m’aura coûté 80 euros. 30 pour la mémoire, 50 pour Edgardo.

Morale de cette historiette ? L’industrie est par essence voleuse et gaspilleuse. S’entendre avec elle, comme veulent le faire tant de prétendus écologistes, est simplement bouffon. L’esprit public est à ce point à terre que nul ne voit, apparemment du moins, ce qui crève les yeux. Une société qui produirait des biens en fonction de l’intérêt général, pour ne pas dire universel, se comporterait évidemment d’une autre manière. Un ordinateur n’a aucune raison valable de mourir. Sa coque acier-plastique peut durer des siècles, et les pièces de l’intérieur pourraient facilement être numérotées de 1 à 20, ou si l’on veut compter très large, de 1 à 50. Chaque pièce, dotée d’une petite coque et de son numéro, pourrait être extraite par un enfant de six ans et changée après achat de sa remplaçante à la boutique du coin. Tout cela ne demande en vérité que des aménagements subalternes, mais mettrait à bas, il est vrai, tout l’édifice. Car la démonstration vaut pour la bagnole, la musique, la télé, le téléphone et le reste, presque tout le reste.

Avons-nous besoin de toutes ces merdes ? Non. Les achetons-nous ? Oui. Tel que délimité, voilà un gigantesque territoire politique, pratiquement neuf, qui nous permettrait, à condition d’y prendre pied, d’enfin mener de vrais combats d’avenir, prometteurs, émancipateurs. Il ne vous aura pas échappé qu’aucune force ne pose même la question des objets, de leur utilité, de leur usage, de l’aliénation massive qu’ils provoquent, du malheur et de la frustration qui accompagnent si souvent leur convoitise ou leur possession. Aucune force politique ne s’intéresse à ce qui serait pourtant un considérable levier pour commencer d’entrevoir une façon nouvelle d’habiter ce monde. Aucune.

À ce stade, que saurais-je ajouter ? Il faut inventer. Des formes neuves et des actions différentes. Ou des actions neuves et des formes différentes, dans le sens que vous voudrez. Je ne souhaite pas insister, mais vous, amis lecteurs, qui confiez vos espoirs à tel ou tel parti, pourquoi diable, alors qu’à l’évidence, rien ne vient ni ne viendra de ce côté-là ?

Les beaux mystères de l’écotaxe

Ce texte a été publié par Charlie Hebdo le 30 octobre passé. Mais il a été écrit le 24 du même mois, soit voici deux semaines. À cette date, pour ce que je sais en tout cas, nul ne parlait de l’un des dessous cinglés de l’affaire de l’écotaxe : la dévolution du contrat à Écomouv. C’est à cette aune, me semble-t-il, qu’il faut lire ce qui suit.

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Les paysans. Baladés par la droite, qui leur a fait miroiter formica, bagnole et télé, ils sont bananés par la gauche, qui poursuit sur la même route. Dernière trouvaille : l’écotaxe. Inventée par Sarkozy, elle plonge Hollande dans la fosse à lisier.

Le bordel ne fait que commencer, car l’écotaxe prélevée sur les camtars de plus de 3,5 tonnes ne peut pas être acceptée. Autrement dit, les manifs paysannes de la semaine dernière reprendront, sous une forme ou sous une autre, si le gouvernement ne modifie pas en profondeur le dispositif du nouvel impôt. Et s’il le fait, il sera encore un peu ridicule qu’il n’est, ce qui paraît presque impossible.

Mais reprenons dans l’ordre. En 2007, le grand Sarkozy réunit sur la photo une palanquée de dupes, pour la séance « Grenelle de l’environnement ». En 2009, le Parlement à sa botte vote à la suite une loi instituant une taxe sur les camions, qui devra s’appliquer en 2011, avant d’être retardée à 2012, puis 2013, puis janvier 2014. On en est là, et le très cocasse est bien sûr que la taxe est un pur héritage de Sarkozy, qui se foutait totalement et de l’écologie, et des pedzouilles, et de l’état des routes.

La bouffonnerie ne s’arrête pas là, car Sarkozy a laissé aux socialos un deuxième cadeau : Écomouv’. Sur le papier, cette charmante société écolo est chargée par l’État de « la mise en œuvre efficace et correcte du projet », ce qui ne semble pas tout à fait gagné. Nom du proprio d’Écomouv, qui n’est jamais qu’une filiale : Autostrade per l’Italia. Cette dernière, ritale comme son nom le suggère, a construit et gère une grande part du réseau italien d’autoroutes. Depuis 1999, elle fait partie de l’empire Benetton.

Et c’est là qu’on s’autorise un pouffement, car l’écotaxe mise en musique par Écomouv’ épargne totalement les autoroutes françaises. Imaginons un gros-cul de 38 tonnes espagnol qui va livrer ses fraises frelatées au Danemark, passant par l’A9, l’A7, l’A6, l’A4. Il ne paiera pas un rond de taxe, car seules sont concernées les routes nationales et départementales. En revanche, comme cela a été calculé, le bon couillon qui va livrer ses tomates de Chailly-en-Brie (Seine-et-Marne) au marché de Rungis – la distance est de 40 kilomètres – devra banquer 15 euros. Hum, cela sent bon la grosse connerie.

En veut-on un peu plus ? Promenons-nous un trop court instant sur le site internet d’Écomouv’ (http://www.ecomouv.com). La pédagogie y est reine, et les explications sont par conséquent limpides. Par exemple, concernant la tarification : « Le réseau taxable est découpé en sections, à savoir des tronçons de route taxée compris entre deux intersections successives avec d’autres voiries publiques. Lorsque ces intersections sont très proches l’une de l’autre, les sections de tarification peuvent faire l’objet d’un regroupement ».

Qui paiera ? Là encore, la joie domine le tableau. La facture sera acquittée par le routier, obligé de s’équiper d’un boîtier GPS relié à Écomouv’. Mais le payeur sera à l’arrivée le donneur d’ordre, car le transporteur répercutera intégralement le montant de la taxe sur la douloureuse. Est-ce bien clair ? Le tout est censé inciter les « acteurs économiques » à privilégier le transport fluvial ou le train, ce qui est évidemment une blague grandiose, puisque dans la presque totalité des cas, nul n’a le moindre choix. En 2011, la route représentait 88,3 % des transports de marchandises, contre 2,2 % par péniches et 9,5 % par le train.

Dans ces conditions délirantes, où ira le fric collecté ? L’écotaxe pourrait rapporter 1,2 milliard d’euros par an, ce qui n’est plus une goutte d’eau. En toute certitude, ce tas d’or ne servira pas à changer de système de transport. Mais comme le fisc a horreur du vide, on peut parier qu’une partie sera donnée aux collectivités locales pour éternellement refaire le macadam. Quant au reste, il y a d’autres trous à boucher, dans le budget général cette fois. On parie ?

Un dernier point qui laisse songeur. On se rappelle peut-être la privatisation des autoroutes sous le règne Chirac-Villepin, en 2005. Le cadeau fait à Eiffage, Vinci et Abertis était si somptueux qu’à l’époque, Bayrou y avait vu un vol pur et simple. Et il avait raison. La rente que l’État pourrait toucher chaque année avec les péages est grossièrement de 1,2 milliard d’euros. Comme cette foutue écotaxe.

Encadré

L’écœurement des pedzouilles

Honneur aux ancêtres. Dans L’identité de la France, livre paru en 1986, un an après sa mort, le grand historien Fernand Braudel raconte : « Le chambardement de la France paysanne est, à mes yeux, le spectacle qui l’emporte sur tous les autres (…) La population a lâché pied, laissant tout en place, comme on évacue en temps de guerre une position que l’on ne peut plus tenir ».

C’est simple : il y avait 10 millions d’actifs agricoles en 1945, sur une population de 40 millions d’habitants. Il en reste moins d’un million pour 66 millions d’habitants. Entre les deux, une entreprise parfaite, qui a conduit des millions de pedzouilles – surtout leurs enfants – des champs à l’usine, via la banlieue. Ce qu’on appelle le progrès.
Boostée par le plan Marshall en 1947, puis la volonté de « grandeur » chère à De Gaulle, à partir de 1958, l’industrialisation a totalement remodelé les campagnes, à coup de remembrement, de pesticides et de tracteurs. Il fallait produire pour nourrir, avant de produire pour faire du fric, par exemple avec les sinistres biocarburants.

Les pedzouilles ont avalé toutes les couleuvres. Ils ont intensifié, dégueulassé les sols et les eaux, et les voilà autant à poil que l’Empereur du conte d’Andersen. La Bretagne, que Pisani avait promis en 1965 de transformer en « atelier à viande et  à lait », est proche de la faillite. On parlait d’un « miracle économique », et voilà qu’on découvre un vaste désastre écologique. Les pedzouilles sont endettés, écœurés. L’écotaxe, bâclée, jamais expliquée, est la goutte d’eau de trop. On les plaint ? Ouais, quand même, on les plaint.

Faut-il vraiment rire de la Banque mondiale ?

Je suis comme vous, du moins j’espère que vous êtes comme moi, sur un point au moins. Et c’est que j’aime rire. Comme je ne raconte pas mes Mémoires, je ne peux vous dire quand tout cela a commencé, mais c’était il y a fort longtemps. Le drame était chez moi plutôt quotidien, et si je n’avais pas souvent explosé de rire en face d’événements d’une rare tristesse, je n’aurais pas survécu. Nul n’est contraint de me croire, c’est pourtant la simple vérité.

Je ris, donc, en lisant la nouvelle suivante : un monsieur Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique, a des idées merveilleuses pour sortir le Sahel de sa dépendance aux fantaisies de la pluie. Mais avant de continuer, deux éclairages. Le premier sur le Sahel, cette bande de terre au sud du Sahara, qui court de l’Atlantique à la mer Rouge, sur environ 5500 kilomètres de longueur et 400 à 500 kilomètres de largeur. Il y pleut, du nord au sud, entre 100 et 500 mm d’eau par an, mais d’une manière affreusement irrégulière. Les orages peuvent ainsi être dévastateurs, en plus d’être imprévisibles. Il y aurait autour de 80 millions d’habitants, répartis en dizaines, voire en centaines de groupes ethniques, et selon les calculs entre 10 et 14 États, tous très pauvres bien sûr.

Quant à la Banque mondiale (ici), que vous dire ? C’est une infernale saloperie, dont seule la disparition pourrait sembler un pas en avant. Et revenons au cas de ce monsieur Makhtar Diop. Il vient de déclarer au cours d’un colloque tenu au Sénégal, pays sahélien, que l’avenir était à…l’irrigation de l’agriculture. Pas là où il pleut, non pas. Au Sahel. Citation : « Dans notre sous-région du Sahel, nous sommes véritablement en face d’un défi de la généralisation de la maîtrise de l’eau pour l’agriculture sahélienne. (…) Aujourd’hui, peu ou prou, le Sahel compte 400.000 hectares irrigués. Faire passer ce nombre à 1 million d’hectares en 2020, c’est le défi que je nous lance à tous ». Et il ajoute – le mantra est obligatoire – que telle est la voie de la croissance. La croissance, telle que vue par la Banque mondiale, au Sahel.

Cela n’arrivera évidemment pas. L’irrigation je veux dire. Le fric mobilisé dans les années 70 pour soi-disant réaliser la même chose a disparu dans des poches anonymes, et celui qu’on trouvera peut-être finira dans des poches similaires. Bien au-delà, ces propos absurdes d’un homme ignorant nient toutes les réalités agricoles et humaines de la région. Et tournent le dos au seul avenir concevable, autour de l’agroécologie. Je n’y insiste pas.

Je souhaite en revanche dire deux mots au sujet de l’eau. De la situation réelle des ressources en eau dans tant de pays de la planète. Une parfaite occasion m’est donnée à la lecture d’une info publiée par un institut américain dont je garantis le sérieux, le World Resources Institute (WRI). Selon l’une de ses dernières études (ici), le quart de la production agricole mondiale vient de zones soumises à un stress hydrique élevé. Le stress hydrique est un indicateur signifiant le déséquilibre entre la ressource en eau disponible et la demande. Or donc, le quart de la production agricole dans des régions qui s’approchent à grand pas de la pénurie. Et dans le même temps, note le WRI, 40 % de cette même production vient de l’irrigation, dont les dégâts – c’est moi qui précise – sur la qualité et la quantité de l’eau sont l’une des causes du vaste pandémonium planétaire où nous sommes rendus.

Bref. Ce monsieur Makhtar Diop, vraisemblablement diplômé des meilleures écoles d’Occident, est un ignorant total, qui propose, sous les vivats des politiques à sa botte, une direction simplement criminelle. Arrivé à ce stade, je crois devoir formuler la question qui se trouve dans le titre : faut-il vraiment rire de la Banque mondiale ? J’avoue, malgré la forte et saine tendance qui est mienne, que j’ai quelque mal.

Deux gauches sont dans un bateau

Cet article a paru dans Charlie Hebdo

Au Brésil, c’est le bobinard. Alors que les manifs reprennent, contre la Coupe du monde de foot et le reste, deux gauche s’affrontent. Le parti de Lula contre une certaine Marina Silva.

Ça merdoie pour Dilma Rousseff, présidente du Brésil, mais grave. On se souvient des manifs monstres commencées en mars à Porto Alegre : après avoir gueulé contre le prix des tickets de bus, des millions de gens ont déferlé dans tout le pays en insultant dame Rousseff, notamment à cause des dépenses délirantes engagées pour la Coupe du monde de foot, qui devraient dépasser 10 milliards d’euros.

À distance, les Brésiliens paraissent bien moins cons que nous. Ce printemps, ils défilaient aux cris de «  Brésil réveille-toi, un professeur vaut plus que Neymar [héros du foot national] ! », et voilà qu’ils remettent le couvert. Les enseignants des écoles publiques sont en grève depuis plus de deux mois, et les manifs de soutien prennent de vives couleurs. 50 000 personnes ont défilé dans les rues de Rio le 7 octobre, relayées en fin de cortège par des servants du drapeau noir – on les nomme Black Block -, qui ont brûlé de la banque et heurté pas mal de flics.

On résume la situation générale pour les oublieux : le Brésil est depuis 2011 la sixième puissance économique mondiale, derrière nous, devant le Royaume-Uni. Si l’on s’en tient aux mesures de richesse classiques, bien sûr, qui ne veulent rien dire de vrai. N’empêche qu’une page est tournée, et que les 200 millions de Brésiliens commencent à compter autrement que pour du beurre ou de la canne à sucre.

On le sait, le pays est tenu par le Parti des travailleurs (PT) de Lula, qui a laissé sa place de président à Dilma Rousseff en 2010. Cette dernière, une ancienne de la guérilla, est une caricature de la gauche « développementiste », pour laquelle il faut des barrages hydro-électriques partout en Amazonie, et ailleurs des forages pétroliers, des centrales nucléaires, des sous-marins d’attaque, de vastes monocultures de canne à sucre – pour les biocarburants – et de soja transgénique pour doper les exportations. Sans compter de nouveaux stades de foot.

Justement, le foot. Le 8 octobre, notre Français à nous, le numéro 2 de la Fifa Jérôme Valcke, s’est fait insulter au cours d’une visite dans un stade brésilien en construction, par quelques enseignants teigneux. On aurait voulu être là, d’autant que ce Valcke est un grand homme. N’a-t-il pas déclaré en avril : « Un moindre niveau démocratique est parfois préférable pour organiser une Coupe du monde » ?

C’est dans ce contexte détendu que Marina Silva vient de décider un coup politique qui enflamme toute la presse brésilienne. Silva a été ministre de l’Environnement de Lula avant de lui claquer entre les doigts en 2008, et de faire près de 20 % des voix à l’élection présidentielle de 2010, empêchant Rousseff, qu’elle déteste, de passer au premier tour.

Silva est une vraie pauvre, née dans une famille de seringueiros, ces gueux qui récoltent le caoutchouc des hévéas. Pour comble, elle est écologiste, et s’oppose sans cesse aux grands projets industriels de Rousseff. Elle soutient par exemple les Indiens d’Amazonie qui protestent contre le méga barrage de Belo Monte et tempête contre les connivences de Rousseff avec l’agro-industrie, puissance colossale au Brésil. Le pouvoir de Brasilia a tenté toutes sortes de manœuvres pour lui interdire une nouvelle candidature à l’élection présidentielle de 2014, refusant notamment d’enregistrer officiellement son parti – Rede Sustentabilidade -, condition sine qua non d’une participation électorale. Mais Silva, qui n’est pas née de la dernière pluie, a trouvé une parade, en rejoignant à la stupéfaction générale, le petit Parti socialiste brésilien (PSB), ancien allié de Lula.

Le PSB a déjà son candidat pour la présidentielle, mais contrairement à ce qu’ont pu penser les journalistes pressés, Silva entend bien lui contester l’investiture de son parti. Ce qui veut dire très simplement que l’élection de 2014 est désormais ouverte en grand. Dans les sondages, Rousseff a vingt points d’avance sur Silva, mais vu le bordel ambiant et la gnaque de Marina Silva (1), le Parti des Travailleurs de Lula-Rousseff a très chaud au cul.

(1)  Elle est aussi évangéliste – protestante, donc – et réclame un référendum sur l’avortement, après avoir longtemps défendu son interdiction. Mais ceci est une autre histoire.

L’éternel retour des gaz de schiste

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 16 octobre 2013

Le Conseil constitutionnel valide la loi sur l’interdiction de la fracturation hydraulique. Derrière cette « victoire » à la Pyrrhus, tout est prêt, chez les socialos comme à droite, pour le grand voyage vers l’Eldorado.

Vendredi passé, le Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d’État après d’une plainte de l’industriel américain Schuepbach, a validé toute la loi de 2011 sur l’interdiction des gaz de schiste. C’est donc fini, et les cocoricos n’ont pas manqué de s’élever dans le ciel tricolore, de José Bové au ministre de l’Écologie, Philippe Martin. Encore une victoire française !

La décision du Conseil, heureuse à n’en pas douter, cache au passage son lot de très mauvaises surprises. Rappelons pour commencer le contexte du vote de la loi de 2011. À l’extrême fin de l’année 2010, le mouvement contre les gaz de schiste commence ses manifestations, qui font rapidement craindre une jacquerie générale dans les régions les plus concernées, de l’Ardèche à l’Aveyron, en passant par les Cévennes. Le printemps 2011 fait flipper tous les politiques, qui comptabilisent les centaines d’élus locaux, maires en tête, qui montent au front. Sarkozy, déjà lancé dans la campagne de 2012, ne veut pas de bordel dans ses meetings électoraux, et décide de calmer le jeu. De leur côté, les socialos de Hollande pensent tenir un levier supplémentaire en surfant sur la colère du sud de la France.

La loi de 2011 sera votée pratiquement à l’unanimité, mais sur la base d’une incompréhension totale des enjeux de l’affaire. Car le sous-sol français fait maladivement saliver les transnationales du pétrole et de la chimie. Pour la raison simple que les estimations des réserves de gaz et de pétrole de schiste – il y a les deux – sont franchement foldingues, même si elles ont souvent été faites au doigt mouillé. L’Institut français du pétrole, public, parlait en 2011 d’un Eldorado de pétrole de schiste sous le Bassin parisien : de quoi assurer entre 70 et 120 années de production d’un pays comme le Koweït.

La droite, qui s’est ressaisie, cassera à coup sûr la loi en cas de retour au pouvoir. Mais la gauche, pour le moment coincée par ses engagements solennels, attend le moment favorable pour ouvrir les vannes. Ce qui dépendra de l’état des lieux mondial et notamment des prix du pétrole et du gaz. Il se murmure raisonnablement fort que le sujet est suivi par Hollande, qui a une ligne directe avec le patron de Total, Christophe de Margerie, via son cousin par alliance Jean-Pierre Jouyet, très vieux pote de notre président et patron de la surpuissante Caisse des dépôts et consignations.

Comme le note Sylvain Lapoix sur le site Reporterre, l’industrie française est prête à bondir sur la moindre occase. Et elle a d’ailleurs commencé. Total a injecté la bagatelle de 2,32 milliards de dollars dans l’entreprise Chesapeake, deuxième producteur américain de gaz de schiste. Vallourec, notre « leader mondial des solutions tubulaires » fournit outre-Atlantique une part croissante des tuyaux nécessaires à la fracturation, et vient d’ouvrir sur place une usine à plus de 1 milliard de dollars. Lafarge, qui refile plein de fric au WWF, fournit une partie du ciment destiné au bétonnage des puits de forage.

Question formatage des esprits, tout se met également en place. Anne Lauvergeon, socialo-compatible virée d’Areva, s’occupe pour le compte de Hollande d’une pittoresque Commission pour l’innovation. Il fallait l’entendre sur France-Info, le 11 octobre, insistant sur l’importance des recherches et explorations du gaz de schiste, pour mieux comprendre ce qui se profile. Jetons ensemble un œil sur une photo officielle publiée en avril par notre beau gouvernement. On y voit de gauche à droite, annonçant du haut d’une tribune la création de la Commission, Fleur Pellerin, Geneviève Fioraso, Jean-Marc Ayrault, Anne Lauvergeon et Arnaud Montebourg. Une brochette de scientistes militants, sertie d’au moins un(e) complet(e) nigaud(e). Saurez-vous le (la) reconnaître ?

Montebourg a réclamé sans rire une « exploitation écologique » des gaz de schiste. Pellerin a défendu à mort les ondes électromagnétiques des portables, tumeurs comprises. Fioraso est une croisée des nanotechnologies et même de la biologie de synthèse. Lauvergeon a dirigé le nucléaire français. Et Ayrault est Ayrault. On ira. On y va.