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La Chine, Hollande et Le Monde de Natalie Nougayrède

Un mot pour remercier tous ceux qui ont envoyé ici – ou sur ma boîte de courrier électronique personnelle – des commentaires. J’en ai été profondément touché, bien plus que je ne saurais l’exprimer. Je n’ai pour autant pas pris de décision concernant l’avenir de Planète sans visa. Ce n’est certes pas pour obtenir encore davantage de soutien. Je crois que j’en ai assez. Seulement, je réfléchis, ce qui prend du temps.

Je vous laisse ci-dessous un mot concernant la visite que François Hollande mène en Chine en compagnie de huit ministres et de patrons. Je ne saurais trouver meilleure illustration du sous-titre de Planète sans visa – « une autre façon de voir la même chose » – que cet événement, qui fait comme de juste délirer les commentateurs. Tous ne rêvent que d’une chose : fourguer massivement à la Chine tout ce que nos usines peuvent fabriquer d’un peu compliqué. Et coûteux. Ainsi, pensent-ils, la balance commerciale retrouvera des couleurs. Ainsi, imaginent ces benêts, le chômage arrêtera peut-être ses bonds ce cabris.

Je laisse de côté une critique pourtant nécessaire de ces folles perspectives, préférant vous dire deux mots de la Chine réelle. L’industrialisation de l’Occident, qui fut le plus grand désastre humain de tous les temps – les crimes de masse sont une autre affaire, quoique -, disposait d’un hinterland. Un immense arrière-pays appelé Amérique, appelé Afrique, appelé Océanie, et même, dans une moindre mesure, appelé Asie. Sans ces espaces, sans les ressources en apparence infinies de ces continents, croyez-vous sérieusement que nous aurions de rutilantes voitures et des vacances à la neige ?

Ce monde de la profusion n’existe plus. Et la Chine – ses 1 milliard et 400 millions d’habitants – s’est jetée il y a trente ans dans un remake qui ne peut que conduire au collapsus écologique global. Ses besoins en terres, en eau, en bois, en pétrole, en acier, en gaz, sont simplement démesurés. La liste n’est évidemment pas exhaustive. Seul le charbon est présent massivement dans le sous-sol chinois, ainsi que les terres rares, enjeu stratégique il est vrai. Pour l’essentiel, la fantastique croissance chinoise en cours ne peut exister sans un siphonnage stupéfiant par son ampleur des ressources d’autres pays, conquis par la diplomatie, la corruption, la politique, souvent les trois.

Je crois que très peu de gens en France ont conscience que le « miracle » chinois sur lequel glosent politiques, journaleux galonnés et patrons signifie en réalité la destruction accélérée du monde. Je ne vous accablerai pas de chiffres, non. Ils existent, soyez-en certains, et ils sont implacables, inouïs par certains aspects, mais il me faudrait la moitié d’un livre pour les présenter comme il le faudrait.

La Chine signifie la destruction du monde, je me répète volontairement. Et il n’est pas indifférent que l’ancien Premier ministre de droite Raffarin – il accompagne Hollande en Chine -, tous ses amis de l’UMP bien sûr, le PS en totalité évidemment, ne voient dans la dictature postmaoïste que la possibilité de conclure des contrats. Même mon si notable ami Mélenchon a pour Pékin les yeux aveugles de Chimène (ici). Faut-il ajouter que Le Pen en ayant le moyen, elle ferait exactement ce que tente Hollande en ce moment ? Autrement dit, notre misérable classe politique, incapable de voir la Lettre volée, celle d’Edgar Poe, bien en évidence sur la table, est globalement d’accord pour profiter de l’infernale croissance chinoise, espérant en retirer quelques menus avantages.

Mais la Chine, amis lecteurs, et j’y reviens pour la troisième fois, détruit ce qui reste du monde à une vitesse sans précédent. Ce qu’elle réalise en quelques années, ni les Pionniers de la Frontière américaine, ni les soldats de Sa si Gracieuse Majesté en Inde, ni les colons français en Afrique n’auraient pu y prétendre. Ils en auraient eu la volonté, assurément, mais les moyens, non. Car le machinisme radical – pensez aux machines géantes à dessoucher les arbres les mieux plantés – a transformé les activités humaines en un pur et simple massacre de la vie. Si vous avez l’occasion de vous rendre au Cambodge, au Laos, en Sibérie, au Guyana, au Liberia, et dans quantité d’autres pays que j’ignore, vous verrez, avec un peu de curiosité, ce que la demande chinoise laisse de forêts jadis sublimes.

Les missi dominici chinois sont en Afrique, où ils pompent le pétrole du Soudan, du Gabon, de l’Angola, du Cameroun, du Nigeria, du Congo, en se foutant on ne peut davantage de la bombe climatique qu’ils contribuent si magnifiquement à amorcer. Ils accaparent partout où c’est possible des terres agricoles – elles sont trop rares chez eux – pour que leurs petits-bourgeois, qui découvrent la viande, puissent continuer à bouffer du bœuf. Ils s’emparent de même de millions d’hectares, peu à peu transformés en biocarburants destinés à leurs putains de bagnoles. La Chine n’est-elle pas devenue le plus grand marché automobile de la planète ? Le salon de Shanghai, qui a ouvert ses portes le 21 avril, n’a pas assez de place pour accueillir les constructeurs occidentaux, ces imbéciles accourus la langue pantelante. Citation du journal La Croix (ici) : « Le président du constructeur américain General Motors, Bob Socia, est encore plus optimiste. Selon lui, le marché automobile chinois, déjà le premier du monde, devrait peser entre 30 et 35 millions de véhicules par an en 2022. « La croissance dans ce pays est tout simplement sans précédent. C’est très compétitif et chacun veut sa part du gâteau, a-t-il déclaré ».

Or tout se paie, quand on parle d’écologie, car tout se tient de manière définitive. La moitié des fleuves – parmi eux le Fleuve jaune ! – ne parviennent plus à la mer une partie de l’année, pour cause de surexploitation. Commentaire du ministre des Ressources en eau, Wang Shucheng, en 2004 : « Là où il y a une rivière, elle est à sec; là où il y a de l’eau, elle est polluée ». L’air des villes est devenu si dangereux que les chiffres des enquêtes sont un secret d’État. De même que l’Atlas des cancers, qui montrerait sans doute avec trop de clarté comment des millions de citoyens sont destinés à la mort pour cause d’industrialisation. Ne parlons pas des pâturages, qui deviennent poussière. Ne parlons pas du désert, aux portes de Pékin. La Chine est une Apocalypse.

Je pensais tout à l’heure à un affreux éditorial du journal Le Monde, signé par la nouvelle directrice, Natalie Nougayrède. Vous le trouverez ci-dessous, et même s’il est réservé aux abonnés, je prends sur moi ce modeste écart de conduite, car il le mérite. Sous le titre absurde Le XXIe siècle se joue en Asie – qui aurait imaginé en 1913 les totalitarismes, les guerres mondiales, la décolonisation, la bombe nucléaire ? -, madame Nougayrède joue les Pythies. C’est affreux à chaque ligne. Vous lirez par vous même. En tout cas, et alors qu’il est question de la Chine tout de même, pas un mot sur le cataclysme planétaire en cours, pourtant provoqué par la folie économique des bureaucrates au pouvoir. Cela n’existe pas. Dans l’univers de madame Nougayrède, la crise écologique n’existe pas. Et du même coup, son auguste quotidien se met au service du faux, cette vaste entreprise qui consiste à prétendre qu’il fait jour à minuit.

Preuve s’il en était besoin du destin du Monde : le 29 avril, dans quelques jours donc, les pages Planète du journal vont disparaître, comme avant elles, celle du New York Times (ici). Voici quelques lignes écrites par les journalistes de ce service : « À partir du lundi 29 avril, il n’y aura plus de pages quotidiennes Planète dans Le Monde. Cet espace dédié permettait, depuis 2008, de traiter des sujets majeurs – climat, transition énergétique, démographie, urbanisation, santé et environnement, alimentation, biodiversité, etc. – dont les déclinaisons régionales et nationales sont innombrables (…)  L’équipe de Planète (…) considère que la disparition de ces pages quotidiennes dédiées, qui constituaient un espace original par rapport à l’offre des autres médias, est en totale contradiction avec la volonté affirmée de vouloir faire un journal qui se distingue de sa concurrence ».

J’ajoute que cette disparition est cohérente avec l’aveuglement total, et légèrement pitoyable, des nombreuses oligarchies coalisées qui mènent notre société. Politiques, journalistes, économistes, patrons sont de la race de ceux qui menèrent les peuples au désastre en 1914 et en 1939. Ne rêvons pas, nous sommes dans ces mains-là.

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L’éditorial de Nathalie Nougayrède

Le XXIe siècle se joue en Asie

• Mis à jour le

En mars, le dernier char d’assaut américain a quitté l’Allemagne. Le premier était arrivé en 1944. Se clôt ainsi, comme l’a fait remarquer la revue Stars and Stripes de l’armée américaine, « tout un chapitre d’histoire ». Le 25 avril, François Hollande entame sa première visite en Chine, avec comme principal objectif, semble-t-il, une quête de réassurances économiques.

Quel rapport entre ces deux faits ? Le basculement d’une époque. La fin d’un monde, celui du XXe siècle et de ses ombres portées sur l’agencement des puissances. Se poursuit le reflux américain d’Europe, suite logique du « pivot » (réorientation) vers l’Asie-Pacifique voulu par le président Obama. Se poursuivent aussi les affres européennes, dans le lancinant sentiment de déclassement lié à la crise. Voilà que le président d’une France agitée de turbulences politiques et de débats sociétaux acharnés, au coeur d’une Europe saisie de doutes identitaires et monétaires, donne l’impression de solliciter quelque réconfort auprès d’une nouvelle direction chinoise dont les intentions, sur la scène mondiale, restent, à ce stade, assez énigmatiques.

La Chine a la particularité d’offrir depuis deux décennies le spectacle de transformations économiques d’une dimension et d’un rythme sans précédents dans l’histoire de l’humanité. Tout en s’en tenant, sur le plan politique, et avec une régularité de métronome, à un changement de casting à la tête de l’Etat et du parti tous les dix ans environ – pas plus. M. Hollande est à Pékin avec des préoccupations d’investissements et de commerce. Cela n’étonnera personne en ces temps où la quête des marchés et des capitaux chinois bat son plein. C’est à peine si la presse britannique, en l’occurrence le Financial Times, relève le « traitement tapis rouge » réservé par les dignitaires chinois au chef d’Etat français, alors que David Cameron se trouve mis à l’index par ce même régime pour avoir osé, en 2012, réserver bon accueil au dalaï-lama.

La Chine suit de très près les tourments des Européens, la fragilité de la monnaie unique et d’une Union au projet politique en panne. Elle suit tout aussi attentivement la façon dont pourrait se former un nouveau canevas transatlantique dédié au libre-échange. On veut parler, ici, du projet d’accord Etats-Unis – Union européenne sur la création d’un grand ensemble tarifaire et normatif, que le président Barack Obama a décidé de placer parmi ses priorités internationales sitôt réélu. Un projet annoncé lors de son discours sur l’état de l’Union, en février, et qui mériterait plus de débat public en Europe..

Ce grand ensemble de libre-échange regrouperait 50 % du PIB mondial, aiderait la croissance, et consoliderait Américains et Européens face au grand défi chinois du XXIe siècle. La logique est la suivante : si l’ensemble transatlantique ne s’organise pas mieux, la Chine ne finira-t-elle pas, un jour, par imposer ses normes en arguant de son poids de deuxième économie mondiale ?

M. Hollande, qui avance à pas de loup sur ce terrain comme sur d’autres, n’a pas placé la France en force motrice de ce projet. Sans, non plus, chercher à s’en démarquer ostensiblement.

Les états d’âme français bien connus s’agissant d' »exception culturelle » ou de questions agricoles, bref, la réticence à s’aligner sur les conceptions américaines, n’auront certainement pas échappé à Pékin. Le pouvoir chinois sait bien que, même si l’accord de libre-échange est négocié avec Washington par la Commission de Bruxelles, les sensibilités nationales figurent inévitablement au tableau.

En matière commerciale, plus le projet est ambitieux, plus le diable se niche dans les détails. Le risque d’un trop grand effacement français sur ce « front »-là est que la chancelière allemande, Angela Merkel, prenne les devants et fasse la pluie et le beau temps dans cette négociation, en ligne directe avec les Américains, qui aimeraient que les choses aboutissent au pas de charge : en deux ans. On imagine cependant les tiraillements outre-Rhin, où la viande américaine aux hormones n’est pas exactement populaire, et où s’impose surtout une réalité nouvelle : depuis 2012, le premier partenaire commercial de l’Allemagne est la Chine.

Les responsables chinois ont tiré un trait depuis belle lurette sur les terrifiantes chimères du maoïsme, mais ils entretiennent, s’agissant de la France, une nostalgie marquée pour les années 1960, quand de Gaulle se démarqua des Américains en reconnaissant la Chine populaire. Le Général qualifiait sans hésiter le régime de Pékin de « dictature », mais fixait du regard les horizons larges et l’histoire des nations – « la Chine de toujours », disait-il. La stratégie de la France et de l’Europe face au « pivot » est inexistante. Le regard plutôt tourné vers leur nombril, les Européens laissent les Etats-Unis déployer seuls un jeu compliqué, qui hésite entre engagement et endiguement, face à l’ascension chinoise.

On peut évaluer politiquement l’accord de libre-échange qu’ambitionne Barack Obama : une relance de la relation transatlantique un peu moribonde pendant son premier mandat, avec, comme pendant, la création d’un autre ensemble de libre-échange, « transpacifique », que le Japon vient de rejoindre. Un bloc euro-atlantico-asiatique face à la Chine ? Pas si simple. Washington a fait savoir que si la Chine acceptait d’entrer dans un système de règles communes, la porte lui serait ouverte.

L’enjeu est de trouver la manière dont la puissance chinoise pourra être insérée dans un ordre mondial en transition. Le commerce et la sécurité vont de pair. La France, pas plus que l’Europe, n’a les moyens d’être acteur stratégique de poids en Asie-Pacifique. Mais elle doit afficher un choix clair. Pour accroître les chances de renouer avec la croissance, pour afficher un ancrage dans un grand ensemble où, derrière les questions tarifaires, se forgeront rien de moins que l’architecture et les normes du monde de demain, la France de François Hollande doit s’engager de plain-pied. Elle doit soutenir avec détermination ce projet. Le voyage à Pékin est l’occasion à ne pas rater pour sortir des ambiguïtés. Le XXIe siècle se joue en Asie.

Natalie Nougayrède

Comment et pourquoi lutter contre la biologie de synthèse (par PMO)

Je viens de recevoir un texte assurément important du groupe grenoblois appelé Pièces et main-d’œuvre (PMO), engagé dans une franche critique sociale. Ce texte porte sur la biologie de synthèse, folle invention qui fait fantasmer les bataillons technophiles les plus avancés. Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, est pour notre malheur l’une des plus enragées, du moins dans le champ politique. Nous avons la chance – toute relative – de n’en être qu’au lancement de cette mortelle aventure. Sur le papier, il est encore temps de s’opposer. Mais qui se soucie réellement de ce futur en germe dans notre présent de synthèse ? Bonne lecture.

Le texte de PMO.pdf

Médicaments et armes de destruction massive (Cahuzac and co)

Publié dans Charlie Hebdo le 27 mars 2013, avant bien entendu l’annonce des aveux de Cahuzac

Les labos pharmaceutiques s’en branlent. De nous. De tout. Avec l’ami Cahuzac – soupçonné – et l’Agence du médicament – mise en examen -, il vaut mieux de toute urgence rester en bonne santé.

Est-ce que le cher Cahuzac a touché du fric de laboratoires pharmaceutiques ? On n’en sait rien, mais le soupçon qui pèse sur lui éclaire des mœurs bel et bien répandues. L’information judiciaire ouverte au sujet de l’ancien ministre s’interroge, entre autres, sur la « perception par un membre d’une profession médicale d’avantages procurés par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la sécurité sociale ». Cela ne vaut pas Rimbaud, mais dans son genre, pas mal.

En 1988, Cahuzac devient conseiller du socialo Claude Évin au ministère de la Santé. Il y reste jusqu’en 1991, après avoir été, pendant trois ans, chargé de la politique du médicament. Un poste un chouïa particulier compte tenu des enjeux financiers de ce secteur. Sortant du cabinet de Claude Évin, Cahuzac, qui est chirurgien, ouvre avec sa femme dermato une clinique spécialisée dans les implants capillaires. Il ramasse du blé, mais pas assez visiblement. En 1993, notre moralement irréprochable lance « Cahuzac Conseil », une boîte qui ne travaillera qu’avec les labos pharmaceutiques. Et dont le bénéfice cumulé aurait atteint plusieurs millions d’euros.

Disposant depuis son passage chez Évin d’un beau carnet d’adresses, Cahuzac en fait profiter ses nouveaux amis. C’est certainement dégueulasse, mais à ce stade, c’est légal. Et cela le restera sauf si Cahuzac a refilé aux labos des combines permettant d’obtenir des Autorisations de mise sur le marché (AMM) de leurs produits, qui valent de l’or. Autre menu souci pour l’heure virtuel : a-t-il déclaré le fric gagné, ou l’a-t-il envoyé sous d’autres cieux sans payer un rond au fisc ? Pour un défunt ministre du Budget, ce serait au moins rigolo.

Mais passons à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), qui est encore un plus gros morceau. Cette dernière vient de ramasser une infamante mise en examen pour « homicide involontaire et blessures involontaires ». L’agence publique est accusée d’avoir regardé ailleurs – entre 1995 et 2009, le temps d’un clin d’oeil – pendant que s’installait douillettement le scandale connu sous le nom de Mediator.

N’insistons pas sur les dimensions du crime social : environ cinq millions d’utilisateurs jusqu’à l’interdiction de 2009, peut-être 2 000 morts pour des complications cardiaques dont on connaissait le risque depuis près de quinze ans, et un laboratoire qui a ramassé au passage un trésor. Jacques Servier, le proprio, possède 3,8 milliards d’euros, ce qui fait de lui la neuvième fortune de France (en 2009).

Comble de l’humiliation, l’Agence a été placée sous contrôle judiciaire, et obligée de verser une caution de 100 000 euros. Mais ne s’agit-il pas d’une terrible injustice ? Hum. Il y a un peu plus d’un mois, deux anciens salariés de l’Agence du médicament ont été eux aussi mis en examen. Le premier, Jean-Michel Alexandre, est un gentil professeur de pharmacologie. Entre 1980 et 2000, il régnait sur tous les médicaments mis sur le marché, au point d’avoir été notamment le président de la Commission d’autorisation. Avant de devenir juste après, de 2001à 2009, consultant chez Servier.

Le deuxième mis en examen, Éric Abadie, est entré à l’Agence en 1994, après avoir bossé huit ans pour le Syndicat national de l’industrie pharmaceutique. Une référence morale. Enfin, il faut citer la haute figure de Jean-Pol Tassin, neurobiologiste, directeur de recherche à l’Inserm. En décembre 2011, quand Servier en prenait enfin plein la gueule, ses avocats ont produit devant les juges une lettre de Tassin qui volait au secours de ses « arguments » « scientifiques » (1).

Pour ceux qui croient au hasard, précisons que le cigarettier Philip Morris a largement financé des travaux de Tassin entre 1989 et avril 2000. Pourquoi jusqu’en avril 2000 ? Parce qu’après, Tassin est devenu président du conseil scientifique de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT). La vie est une hallucination.

(1) Voir notamment La fabrique du mensonge, par Stéphane Foucart (Denoël, 2013), un livre important dont on reparlera.

Halte au feu dans le bois de Tronçay

Une nouvelle vraiment formidable : la destruction du bois de Tronçay (ici) est arrêtée. Rien n’est réglé, tout reprendra peut-être, mais pour l’heure, champagne !

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Communiqué de presse

Mardi 5 mars 2013

Bois de Tronçay : les associations arrêtent les tronçonneuses

Alors que la justice a suspendu une première fois l’arrêté préfectoral autorisant la destruction d’espèces protégées pour la réalisation d’un pôle industriel de sciage, de cogénération et granulés de bois dans la zone d’activités du Tronçay à Sardy-lès-Epiry (Nièvre), le tribunal administratif de Dijon vient de suspendre le nouvel arrêté pris par madame la préfète de la Nièvre le 31 janvier 2013 et qui autorisait le défrichement d’une partie du bois de Tronçay.

Une affaire aux multiples rebondissements

Le Conseil National de Protection de la Nature (CNPN), instance consultative chargée de rendre un avis à la ministre de l’Écologie sur les dérogations à la protection d’espèces sauvages de faune et de flore, avait émis plusieurs avis défavorables à ce projet en raison notamment de l’insuffisance des inventaires de la faune protégée du secteur et surtout au motif que ce projet de cogénération ne répondait pas à des raisons impératives d’intérêt public majeur.

En dépit de ces avis, l’administration préfectorale avait autorisé une première fois la destruction des espèces protégées. Les associations locales et FNE avaient saisi la justice et avaient obtenu le 2 octobre 2012 la suspension de l’arrêté qui portait dérogation à la protection des espèces, arguant que le projet ne relevait pas de raisons impératives d’intérêt public majeur.

Mais le 31 janvier 2013, faisant fi de cette décision de justice, la préfète de la Nièvre délivre un nouvel arrêté autorisant la destruction des espèces protégées. FNE, DECAPIVEC et Loire Vivante Allier Cher ont sollicité en urgence le tribunal administratif de Dijon. Celui-ci, le 27 février 2013, a suspendu l’arrêté préfectoral, le temps de rendre une décision évitant la destruction des espèces protégées, notamment les amphibiens présents dans ce bois humide.

Une détermination associative payante

Bien qu’il convienne d’attendre le jugement au fond, les associations accueillent favorablement la décision du tribunal. « La justice a retenu dans son ordonnance que ce projet de cogénération à partir de bois ne répondait pas à des raisons impératives d’intérêt public majeur, ce qu’avaient déjà relevé nos associations ainsi que le CNPN », indique Dominique Py, administratrice de FNE en charge du dossier Faune sauvage. « Le juge vient rappeler utilement qu’il n’est possible de porter atteinte à des espèces protégées que dans le cas où le projet se révèle indispensable et où aucune autre solution d’implantation ne convient. S’il se réalise dans le bois de Tronçay, ce projet va entraîner la destruction d’une forêt humide de 100 hectares » précise Raymond Léost, en charge du réseau juridique de FNE.

L’élevage industriel, combien de morts ?

Publié dans Charlie Hebdo du 27 février 2013

Ne pas se laisser impressionner par la propagande, qui a découvert un joli bouc émissaire dans le scandale de la bidoche. Derrière le rideau de scène, le vrai responsable du massacre est l’élevage concentrationnaire.

C’est un peu Au théâtre ce soir, défunte émission de la télé où les décors étaient de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell. Le scandale en cours de la bidoche de cheval fait revivre les belles heures du théâtre Marigny, mais en plus ringardos, ce qui n’est pas à la portée du premier metteur en scène venu.

Dans le rôle du gogol, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture. Dès  le 11 février, alors que le feu gagne la plaine, il déclare sans s’étouffer : « Je découvre la complexité des circuits et de ce système de jeux de trading entre grossistes à l’échelle européenne ». Le gars est petit-fils de paysan breton, il a un BTS agricole et il a même enseigné plus tard l’économie dans un lycée agricole. Mais il ne sait pas que la viande circule d’un pays à l’autre. Stéphane, même pas drôle.

Mais changeons plutôt de sujet, car on se contrefout que des marlous aient décidé de mettre du cheval dans un plat de bœuf. Dans un monde où Findus appartient à un fonds de pension qui exige 8 à 10 % de rentabilité financière par an, tous les maillons de la chaîne sont appelés à truander pour remplir leurs obligations. Parlons plutôt de ce qui est planqué dessous le sang des bêtes. Pour bien comprendre ce qui va suivre, il faut commencer par un point d’Histoire.

En 1961, Edgard Pisani devient le ministre de l’Agriculture du général de Gaulle. Dans le droit-fil du comité Rueff-Armand, qui entend dynamiter le cadre économique ancien – le libéralisme, déjà – une poignée de technocrates, soutenus par Pisani, décident en toute simplicité une révolution de l’élevage.

L’idée est de profiter de l’avantage comparatif français – 20 millions de bovins et de grandes surfaces de pâturages – pour produire massivement de la viande, laquelle sera exportée dans le Marché commun naissant, et permettra en retour d’investir dans des industries d’avenir. Le plus con, c’est que ce projet va marcher. En février 1965, Pisani est en Bretagne, et sous les vivats, il annonce que la région doit devenir « l’atelier à viande et à lait » de la France. En 1966, une grande loi sur l’Élevage est votée, et tout le monde s’embrasse sur la bouche : l’animal est pleinement devenu une marchandise.

Mais un produit industriel est là pour cracher du flouze, par pour faire plaisir aux amis des animaux. Un système se met en place, à coup de sélection génétique, d’alimentation « scientifique » – une partie viendra des Amériques sous la forme de soja -, de hangars concentrationnaires, de barres métalliques de contention pour interdire au capital de bouger son cul, et bien sûr de produits chimiques. La chimie est au cœur de l’aventure industrielle de la viande.

Vaccins, anabolisants, hormones de croissance, antiparasitaires, neuroleptiques pour calmer les nerfs des prisonniers, et bien entendu antibiotiques sont utilisés chaque jour. Les antibiotiques, dans la logique industrielle, ne sont pas là pour soigner, ou si peu : on a découvert dans les années Cinquante qu’en gavant les animaux avec ces médicaments, on obtenait comme par magie une croissance accélérée de leur poids, et donc des profits.

L’utilisation d’antibiotiques comme facteurs de croissance a été interdite en Europe en janvier 2006, mais cela n’a pas changé grand-chose au programme des réjouissances chimiques. La liste officielle des médicaments vétérinaires autorisés (1) contient des dizaines de substances dont aucune autorité ne connaît les effets combinés. La seule certitude, c’est que certains sont violemment toxiques et rémanents. Ce qui veut dire qu’ils sont stables longtemps, et peuvent, pour certains, entrer dans la chaîne alimentaire.

Par ailleurs, signalons que des études (2) montrent que des restes de médicaments vétérinaires sont retrouvés dans la viande de petits pots destinés aux bébés. C’est affreux ? D’autant que la toxicologie connaît ces temps-ci un ébouriffant changement de paradigme. Pour de multiples raisons impossibles à résumer, il devient hautement probable que d’infimes doses de résidus peuvent avoir un effet délétère sur la santé humaine. Et des mioches encore plus.

Autre folie consubstantielle à l’élevage industriel : les antibiotiques. Au plan mondial, la moitié des antibiotiques produits seraient utilisés dans l’élevage. On ne peut plus s’en passer si l’on veut faire du chiffre. Mais les conséquences sont lourdes, car les bactéries que flinguent les antibiotiques font de la résistance. Au bout de quelques années, elles mutent, et ne sont plus éliminées par l’antibiotique. L’antibiorésistance fait flipper tous les spécialistes, car on ne parvient plus à découvrir de nouveaux antibiotiques au même rythme que mutent les bactéries. Résultat : ça meurt, mais grave. Les infections nosocomiales, celles qu’on chope dans les hostos, font des milliers de morts chaque année en France.

Et l’élevage réclame sa part dans le bilan. Un article hallucinant publié fin 2007 dans le New York Times (3) rapporte que 19 000 Américains sont morts en 2005 d’une infection au SARM (Staphylocoque doré résistant à la méticilline). Plus que le sida, sans déconner. Le SARM compte plusieurs souches, dont une est animale, et prospère dans les élevages industriels de porcs. Elle touche nombre d’éleveurs, ainsi que des vétérinaires. Comme les autorités n’ont pas envie d’un nouveau scandale du sang contaminé, elles ont gentiment diligenté une enquête européenne, en 2008, sur le SARM animal, sous la forme CC398 qu’on retrouve dans les porcheries.

Le résultat des courses fait plaisir à voir. L’Allemagne a retrouvé le CC398 dans 43, 5 % des échantillons analysés. La Belgique dans 40 %. L’Espagne, dans 46 %. L’Italie dans 14 %. Autrement résumé, la France est entourée de voisins chez qui le SARM animal est une grave menace. Mais la France n’annonce que 1,9 % des échantillons contaminés.

On est loin de la viande de cheval ? Très près, au contraire. Tandis qu’on anime le spectacle d’un côté, on compte les morts de l’autre. Vive l’élevage industriel !

(1)    http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000432020&dateTexte=&categorieLien=id
(2)     Food Chemistry, 15 juin 2012, Pages 2171–2180
(3)    http://www.nytimes.com/2007/12/16/magazine/16wwln-lede-t.html?_r=0