Michel Rocard est un (vieux) branleur. De la même façon que Sarkozy, plus jeune que lui d’une génération (voir ici). Avant de laisser tomber votre lecture, deux précisions. La première, c’est que dans l’acception que je retiens, branleur veut dire : « Personne qui emploie une partie significative de son temps à ne rien faire d’utile ». La seconde : je vous demande de considérer que Rocard a été le Premier ministre de la France, et qu’il a bien failli être président de la République. On ne présente plus Sarkozy. Et en tout cas, ou j’insulte pour mon seul plaisir onaniste deux hautes personnalités; ou bien notre pays est malade, qui hisse au sommet des hommes incapables d’une œuvre utile aux autres. Ou, ou, ce qui s’appelle une alternative.
Vous lirez plus bas le long entretien que Rocard a accordé au journal Le Monde, dans lequel il déclare de façon burlesque : « Avec le gaz de schiste, la France est bénie des dieux ». Il y proclame son extraordinaire ignorance de tout. Ainsi dit-il avec aplomb que les gisements de gaz de Lacq (Pyrénées-Atlantiques) auraient été exploités par fracturation hydraulique – le procédé utilisé pour les gaz de schiste – sans nul problème. Je suis convaincu qu’il croit ce qu’il dit, oubliant même que cette technique n’a jamais été utilisée à Lacq (ici). Et au passage ce qui distingue radicalement la récupération des gaz conventionnels de ceux stockés dans les couches sédimentaires.
Parmi les évidentes différences, je pense spontanément à deux d’entre elles. Un, le gaz conventionnel est en règle très générale concentré dans des zone délimitées, ce qui exclut donc de dévaster des régions entières, sur des dizaines ou centaines de kilomètres. Deux, si l’on utilise – à tort d’ailleurs – l’expression gaz de schiste pour évoquer le gaz non conventionnel, c’est que celui-ci est piégé dans des roches sédimentaires, jusqu’à quatre ou cinq kilomètres de profondeur. La perméabilité de ces roches profondes est incomparablement moindre que celle de roches comme celles de Lacq. Le gaz des roches profondes se trouve dans des pores mille fois plus petits que ceux par exemple du grès, roche qu’on rencontre souvent dans les réservoirs traditionnels. Et c’est bien pourquoi, quand on veut exploiter du « gaz de schiste », il faut exploser les couches sédimentaires profondes par fracturation hydraulique pour espérer récupérer un gaz s’étendant sur de vastes surfaces souterraines. Avec des conséquences que l’industrie ne maîtrise pas.
J’espère ne pas avoir été trop chiant. J’ajoute que je suis tout, sauf un spécialiste, et que je ne serais aucunement vexé d’être repris sur tel ou tel point. Mais moi, au moins, je me renseigne. Pas ce pauvre Rocard. Pas lui ! Il dit n’importe quoi sur les gaz de schiste, et les journalistes politiques du Monde – responsables et coupables à mes yeux – le laissent déblatérer, d’autant plus aisément qu’ils sont aussi ignares que lui. Je n’ai pas fini. Oh non ! Cet imbécile de Rocard se présente dans l’entretien ainsi : « Sur ce sujet, étant très écolo, je me suis longtemps abstenu ». Il serait donc écolo. Pourquoi pas ? Jean-Vincent Placé prétend bien l’être. Et ma foi, ne l’est-il pas ?
Le 13 mars 2009, Sarkozy – voyez qu’il n’est pas loin – nomme Rocard « ambassadeur de France chargé des négociations internationales relatives aux pôles Arctique et Antarctique ». On se doute que la disparition accélérée de la banquise arctique est la question la plus urgente à étudier. En juillet de la même année, François Fillon demande à ce même Rocard, qui flirte alors avec les 80 ans, de présider une conférence d’experts sur le climat, laquelle remettra peu après un rapport impeccable sur le sujet, directement jeté à la broyeuse. Or donc, il est manifeste que Rocard est un expert de la question climatique, et un gigantesque « écolo ». Qui n’est pas même foutu de considérer deux éléments qui se contredisent totalement.
D’abord, la loi Énergie de juillet 2005 oblige la France à diminuer de 80 % ses – nos – émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. Pour atteindre un objectif aussi colossal, il va de soi que nous devrions commencer maintenant. Plus exactement, nous devrions avoir diminué notablement nos émissions. Ce n’est pas le cas, et malgré divers subterfuges à destination des gogos, elles augmentent. Deuxième élément, contradictoire : exploiter le gaz de schiste se trouvant en France augmenterait dans des proportions géantes nos émissions. D’une manière parfaite et mécanique. Ce qui signifie que Rocard, dans son entretien au Monde et avec la bénédiction de ses journalistes, suggère de violer la loi de son pays. Je note avec vous qu’il n’est pas en taule.
Allons un peu plus loin. Rocard se fout du climat avec une gourmandise qui laisse rêveur, mais cela ne date pas d’hier. Le 8 janvier 2010, l’AFP, noble agence de presse, écrit de Rocard qu’il « travaille de longue date sur la question du réchauffement climatique, de la mise en place – lorsqu’il était à Matignon – de la Mission de l’effet de serre à ses travaux récents sur la taxe carbone ». Voyez-vous, le vrai tragique est que c’est vrai. Dans l’insondable vide qui occupe nos politiciens, il y a de la place pour des gestes, quantité de gestes qui ne seront jamais des actes. Rocard a bien accumulé des gestes, sans rien d’autre derrière.
Poursuivons. Cette dépêche de l’AFP arrive après une déclaration fantastique de notre excellent ami sur France-Inter, le 29 juillet 2009. Repérez cette date : à ce moment de sa drolatique histoire, Rocard est censé présider une Commission sur le climat. Et il en profite pour faire de la pédagogie à propos de l’effet de serre. Ce qui donne, en un saisissant verbatim : « Le principe, c’est que la Terre est protégée des radiations excessives du soleil par l’effet de serre, c’est à dire une espèce de protection nuageuse, enfin protection gazeuse qui dans l’atmosphère est relativement opaque aux rayons du soleil. Et quand nous émettons du gaz carbonique ou du méthane ou du protoxyde d’azote, un truc qu’il y a dans les engrais agricoles, on attaque ces gaz, on diminue la protection de l’effet de serre et la planète se transforme lentement en poêle à frire. Le résultat serait que les arrière-petits-enfants de nos arrière-petits-enfants ne pourront plus vivre. La vie s’éteindra à sept huit générations, ce qui est complètement terrifiant. »
Je ne ferai pas l’exégèse de ce grand document. Tout est déconnant à la racine. J’ai beaucoup ri en pensant à ces gaz – hilarants ? – qui attaquent d’autres gaz. C’est une bien jolie pignolade, et elle démontre que Rocard ne sait rien. Rien. Mais qu’il parle pourtant au nom de tous. Est-ce grave ? Chacun jugera en conscience. Sachez du moins que, lorsqu’il sort des inepties sur les gaz de schiste, il ne fait que poursuivre sur une route déjà encombrée. Par ailleurs, si vous voulez avoir une idée de la lamentable carrière politique de Michel Rocard, qui aura raté dans ce domaine toutes ses entreprises, jusqu’à devenir le petit télégraphiste de Mitterrand, qui le méprisait tant, vous pouvez lire un mien article, qui date de près de trois ans.
Sur ce, je vais lire quelque chose qui me plaira. Peut-être Ferdynand Ossendowski, auteur de récits magiques sur la Sibérie sauvage, entre 1898 et 1905.
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Michel Rocard : « Avec le gaz de schiste, la France est bénie des dieux »
LE MONDE |
L’ancien premier ministre Michel Rocard, vendredi 9 novembre à Paris. | Philip Provily pour Le Monde
Il a accepté l’entretien bien volontiers, même s’il s’amuse qu’on soit venu le voir alors qu’il n’est plus, comme il dit, « en service actif ». A 82 ans, pourtant, c’est un Michel Rocard en pleine forme qui reçoit Le Monde dans son bureau des Champs-Elysées où trône une immense photo de lui emmitouflé dans le froid, qui rappelle qu’il est depuis 2009 ambassadeur chargé des négociations internationales relatives aux pôles Arctique et Antarctique.Fidèle à ce qu’il a toujours été, enchaînant les phrases à rallonge sans jamais perdre le fil de raisonnements truffés de digressions, l’ancien premier ministre parle avec liberté et une pointe de badinerie. Sauf quand il évoque la crise, pour laquelle il va chercher dans une liasse de papiers une caricature qui illustre son état d’esprit : on y voit un paquebot au bord d’une chute d’eau, dont un membre de l’équipage dit : « Peut-être faudrait-il songer à changer de cap. »
Partagez-vous le diagnostic de Louis Gallois, dans son rapport sur la compétitivité, sur le « décrochage » français ?
Absolument. Nous vivons en France une étrange situation. Il y a d’abord l’influence du mouvement mondial (on l’appelle crise mais c’est une mutation), c’est-à-dire un gros ralentissement de la croissance, la montée généralisée de la précarité au travail, l’empêchement de la baisse du chômage et la réapparition d’une vraie pauvreté qui touche 3 %, 4 %, 5 % de la population et qui avait disparu dans les années de la grande croissance. Tout cela, c’est la crise, et elle dure depuis vingt ans.
De l’épisode 2007-2008, il reste, outre la disparition de plusieurs centaines d’établissements financiers, une situation d’inhibition des banques devant le crédit interbancaire et le financement des entreprises. Le tout donne l’entrée en stagnation que nous subissons. A cela s’ajoute en France l’effondrement soudain de notre appareil de production. Ce diagnostic-là, posé par Louis Gallois, est essentiel. Il appelle une conscience de l’urgence et une réponse forte.
Les conclusions tirées par le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, sont-elles à la hauteur ?
L’économie n’est pas une science exacte. Mais ce qui est à la hauteur du défi qui nous est posé, c’est l’action conjointe du gouvernement et du patronat pour mettre l’économie française en état de redémarrer. Il y aura des gens pour dire que l’effort fiscal de 20 milliards d’euros n’est pas suffisant, et qu’il aurait fallu 50 ou 60 milliards d’euros, comme en Allemagne et aux Pays-Bas. Mais la vingtaine, c’est probablement le maximum possible aujourd’hui. Et c’est l’une des plus grosses frappes conjoncturelles des gouvernements de la République française qu’on ait vu faire depuis des décennies. C’est à la fois courageux et pertinent.
M. Ayrault a décidé d’augmenter la TVA. Qu’en pensez-vous ?
J’aurais accepté une augmentation de la CSG , même si je sais que cet impôt – parce qu’il est proportionnel au premier euro, général et à peu près sans niches – est brutal et même cruel. Mais j’y étais prêt car c’était une garantie d’un allégement massif des charges des entreprises. Alors bien sûr, on aurait dit : ‘Comment ? Mais le pouvoir d’achat est déjà stagnant !’ Il fallait répondre fermement : le danger, c’est un million de chômeurs de plus et rapidement. Mieux vaut donc partager la charge entre les ménages pour contribuer à remettre notre système productif en route.
Le gouvernement a-t-il eu raison de ne pas suivre M. Gallois sur le gaz de schiste ?
Sur ce sujet, étant très écolo, je me suis longtemps abstenu. Mais je n’ai rien lu qui soit complètement convaincant. On a un réflexe fantasmé un peu du même type que face aux OGM. Quand on sait que le gaz de Lacq était extrait par fracturation hydraulique sans dégâts sur place, on s’interroge. Or la France est bénie des dieux. Pour l’Europe, elle serait au gaz de schiste ce que le Qatar est au pétrole. Peut-on s’en priver ? Je ne le crois pas.
Comment avez-vous vécu les premiers mois du retour de la gauche au pouvoir ?
Je ressentais un petit malaise. Après tout, le président, le gouvernement, ce sont mes copains, mon monde ! Mais j’avais trouvé dangereux que le PS fasse campagne en tenant pour acquis qu’on aurait chaque année une croissance de 2,5 %. C’était évidemment impossible et je croyais dommageable – je le lui ai dit – que François Hollande ait repris cette antienne…
Du coup, nous venons de vivre six mois pendant lesquels ceux qui produisent, les entreprises et leurs patrons, se sont sentis les boucs émissaires de la nouvelle majorité. Or dans la crise actuelle, nous n’avons qu’un instrument de défense : notre appareil productif. M. Gallois le dit, je l’avais dit aussi à ma manière : il faut d’urgence signaler au monde de l’entreprise qu’on sait qu’il est là, qu’on veut qu’il tienne le coup et qu’on va l’y aider. Ce signal a été donné cette semaine. Il était temps.
L’automne a été dominé par les discussions sur les 3 % de déficit du produit intérieur brut (PIB) dès 2013. Que pensez-vous de cet objectif ?
Les gouvernements d’Europe restent trop monétaristes. Ils pensent que les marchés s’auto-équilibrent et que moins l’Etat s’occupe d’économie, mieux l’on se porte. On le voit dans la priorité donnée à l’équilibre des finances publiques et dans le traité budgétaire européen. Or la crise a montré la fausseté de cette analyse, et ce n’est pas un hasard si depuis quinze ans, le jury du prix Nobel couronne des néokeynésiens, comme Armartya Sen, Joseph Stiglitz ou Paul Krugman. Je pense qu’ils ont raison, qu’il vaut mieux payer ce que l’on peut de ses dettes mais que la dépense publique est l’un des moteurs de l’activité. La freiner trop pousse à la récession. La brutalité des 3 % peut être dangereuse.
Il y a de toute façon une bataille pour l’Europe dans les règles actuelles, 3 % compris. Puis il faudra mener et gagner une deuxième bataille de doctrine économique, sur ‘comment vivre avec de la dette sans entrer en récession’.
L’Allemagne peut-elle entendre ce discours ?
L’Allemagne est certes fondamentalement monétariste, mais elle sait depuis la crise des dettes souveraines que la solution pour l’Europe passe par plus de fédéralisme. En outre, elle est en stagnation, sinon en récession. Elle a donc évolué. De son côté, le Royaume-Uni, qui bloque tout progrès de l’intégration européenne depuis 1972, s’est mis à l’écart de la zone euro. Profitons-en. Cette double situation offre la perspective de repartir vers la construction européenne. Ce doit être la priorité du gouvernement français.
La France s’éloigne-t-elle trop de l’Allemagne en ce moment ?
Probablement. La relance européenne ne peut partir qu’avec les Allemands. Il ne faut jamais l’oublier.
M. Hollande va faire sa première conférence de presse mardi. Qu’attendez-vous de lui ?
C’est toute la France qui attend d’y comprendre quelque chose. On a besoin de savoir si François Hollande pense toujours que la croissance peut revenir assez vite, ou s’il admet que nous sommes dans une crise plus profonde. On attend qu’il parle de l’Europe et qu’il reconnaisse que le commandement est allemand, tout en menant campagne contre le monétarisme ambiant.