Ah là là, ne me parlez plus d’éoliennes, les amis. J’ai écrit l’article qui suit, paru dans Charlie Hebdo voici trois semaines, et j’ai reçu pas mal de plaintes en retour. Pour être juste, également des mots de soutien, à peu près aussi nombreux. Mais il me reste un goût d’amertume, car enfin,j’aieu la vilaine impression d’un pénible remake de ces années où il fallait appartenir à un camp. Nombre de mes critiques me reprochent explicitement d’être passé de je ne sais quel côté de je ne sais quelle barricade. Extrait représentatif : « Je te tutoie car nous avons mené des combats communs et j’avais l’impression que nous étions du même camp ».
Je mentirais en disant que cela ne m’atteint pas. Mais je suis décidé à continuer, car quel crime ai-je commis ? D’abord, ainsi que je l’ai expliqué à un de mes contempteurs, Claudio, qui s’exprime quelquefois ici, je suis parti d’une info du Syndicat des énergies renouvelables (SER), que j’ai estimée fausse. Et elle l’est. Ensuite, j’ai fait un court papier dans lequel j’ai présenté une facette de l’éolien que ses défenseurs refusent de voir : la place grandissante de l’industrie la plus lourde et les magouilles dont sont les victimes de simples gens souvent sans défense. Lesquels sont soutenus par une Fédération Environnement Durable (FED), de droite, avec laquelle je ne dois guère partager grand-chose. Ai-je écrit qu’ils étaient merveilleux, et que je les soutenais de tout cœur ? Nullement. J’ai écrit que ses 1057 associations avaient des histoires extraordinaire à raconter, qui disent comment circule le pouvoir réel, et au détriment de qui.
C’était déjà trop. J’aurais dû, d’emblée, écrire au feutre rouge que FED est un rassemblement de salopards et que les éoliennes sont notre bel avenir à tous. Seulement non, on aura frappé à une mauvaise porte. Le soutien de certains aux éoliennes me semble un avatar de l’idéologie progressiste qui aura tant fait de mal. Puisqu’elles sont mues par le vent, elles tournent le dos au nucléaire et nous prépare un monde heureux où les énergies renouvelables seront reines. Et que dans ces conditions, il faut serrer les rangs, malgré qu’on en ait. Mais il se trouve que je ne crois plus aux contes de fée.
En résumé, on peut soutenir l’idée des éoliennes – c’est mon cas, sans réserve – et critiquer durement la manière dont leur développement se fait. La place d’Alstom, d’EDF et d’Areva dans le tableau dit bien que l’on assiste à une expropriation en bonne et due forme. Il ne s’agit plus, s’il s’est jamais agi, de défendre une énergie décentralisée, adaptée aux besoins modestes de petites communautés humaines, mais de remplir les poches des Grands de l’énergie en augmentant encore leur puissance. Je prends le pari : l’essor prodigieux des éoliennes ne permettra en aucune façon de réduire notre consommation énergétique, manière pourtant essentielle de lutte contre le dérèglement climatique. Tout au contraire, cet essor permettra d’offrir aux pauvres couillons que nous resterons tous, davantage de possibilités de gaspiller l’électricité. Nous assistons déjà à un empilement de nucléaire, de pétrole, de gaz, d’hydroélectricité, de solaire et de…vent. Non ?En bref, l’énergie éolienne est aussi un rapport social et ce que promeut le modèle actuel signifie toujours plus de contrôle et toujours moins de liberté pour chacun d’entre nous.
J’ajoute encore deux détails. Il y a 25 ans, j’ai mouillé ma chemise, au-delà du raisonnable, pour les riverains de l’infernale décharge de Montchanin, en Saône-et-Loire.Tous les pouvoirs étaient coalisés contre les victimes d’un cauchemar. Le ministre de l’Environnement était un certain Brice Lalonde, que j’ai eu la joie de pouvoir malmener au cours d’une réunion publique houleuse. La petite ville était socialiste depuis 1906, et le maire avait pourtant imposé au pied des jardins une décharge industrielle ultradangereuse où étaient entassées, quand je m’y suis rendu en 1989, la bagatelle d’un million de tonnes d’ordures. J’ai vite compris que l’association locale était tenue par des gens de droite, dont mon si cher Pierre Barrellon. Était-ce une raison pour les laisser crever sur place ? Je n’ai jamais eu avec eux la moindre discussion politique générale, et c’est tant mieux. Ils étaient formidables, ils se battaient, ils avaient raison. Je pense que c’est la même chose dans beaucoup d’endroits où des truands de l’énergie tentent d’imposer à des communautés tranquilles la cohabitation avec des mâts de 130 mètres de haut.
Bien sûr, Claudio Rumolino, bien sûr qu’il existe des PME de l’éolien qui ne partagent pas nécessairement les vues du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Mais leur silence devant la main-mise en cours me paraît devoir les disqualifier.
PS : J’ajoute, et franchement, cela me fait sourire, que mes nombreux critiques attaquent un texte riquiqui qui n’a jamais prétendu faire un point général sur les éoliennes. Ce n’était qu’un maigre article, mais il m’aura appris beaucoup. Et voilà donc ce papier, paru dans Charlie :
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Les éoliennes ? On est très loin des rêves de Reiser il y a quarante ans. Au lieu de l’autonomie énergétique pour tous, Areva, EDF, Total, Alstom ont fait main basse sur le pactole. Ça rapporte et ça ment. Beaucoup.
C’est pas tout à fait du vent, mais ça rafraîchit. Selon un audacieux communiqué de Syndicat des énergies renouvelables (SER), « la France vient de franchir le cap des 10 000 mégawatts éoliens raccordés au réseau (…) Le parc éolien français permet d’alimenter en électricité un peu plus de 6 millions de foyers, soit plus que (…) la population de la région Ile-de-France ».
Les communicants du SER sont d’habiles filous, car tout est vrai, bien que tout soit faux. Le premier mouvement est simpliste, mais permet d’entuber le journaliste feignasse : 10 000 mégawatts, mazette, c’est du lourd ! Le deuxième est là pour achever le gogo : 6 millions de foyers, c’est au moins 13 millions de personnes ! Rien à dire, sauf que c’est bidon. En 2014, la production électrique nette, en France, a atteint 540,6 Terawattheure (TWh), dont 17 TWh grâce aux éoliennes. 3,1 % du total.
Sans entrer dans les détails, il faut ajouter qu’aucun foyer n’est alimenté directement par les éoliennes, car des problèmes techniques – à commencer par les facéties du vent – interdisent une production en continu. Dans l’état actuel, l’électricité éolienne est donc un tout petit complément. Ben alors, pourquoi ce grand bluff du SER ? Parce qu’il lui faut épater le monde, et chaque jour un peu plus. Tu vas voir, ami lecteur, ça vaut le dérangement. Les éoliennes, même si ça ne ressemble pas, c’est comme une vache à lait. Le marché atteint environ trois milliards d’euros par an et le parc installé dépasse 5 000 grosses éoliennes, chiffre qui pourrait doubler d’ici quelques années seulement. Qui dirige le SER ? Jean-Louis Bal, qui a fait ses nobles classes dans le public – il dirigeait le service des Énergies renouvelables à l’ADEME, l’Agence de l’environnement – avant de mettre son carnet d’adresses au service de l’industrie.
Et quelle industrie ! On trouve au conseil d’administration du SER une magnifique bande de philanthropes : EDF et Areva, mais aussi Alstom – les turbines du délirant barrage des Trois Gorges, c’est elle -, la Compagnie nationale du Rhône – les gros barrages dégueu de chez nous – , Total et Sofiprotéol-Avril pour les nécrocarburants. Ce très puissant lobby a comme on se doute de nombreux amis dans les ministères de gauche comme de droite. Et il a réussi un tour de force qui n’est pas à la portée d’un débutant. Via une obscure « contribution au service public de l’électricité » (CSPE), ponctionnée sur les factures d’électricité, EDF achète sur ordre la production éolienne à un prix deux fois supérieur à celui du marché. Qui paie pour la grande industrie ? Nous, patate. Compter 5 ou 6 milliards d’euros chaque année selon les grands teigneux de la Fédération environnement durable (FED).
Cette dernière (http://environnementdurable.net) est peut-être bien de droite et elle a le grand malheur d’être soutenue par le vieux Giscard, ce qui est bien chiant. Mais ses 1057 associations ont souvent des histoires hallucinantes à raconter. Notamment à propos de ces armées de commerciaux déchaînés par l’appât du gain, qui font le tour de France en toutes saisons pour appâter de nouveaux candidats. Et il s’en trouve aisément, car les mieux organisés de ceux qui louent leurs terrains peuvent empocher jusqu’à 100 000 euros par an. Hum.
On reviendra sur ce dossier démentiel, mais il faut encore parler de la corruption, qui accompagne gentiment les installations de mâts pouvant atteindre 130 mètres de haut. Dans son rapport de 2013 publié à l’été 2014, le Service central de prévention de la corruption (SCPC) notait sans emphase : « Le développement de l’activité éolienne semble s’accompagner de nombreux cas de prise illégale d’intérêts impliquant des élus locaux ». La combine est simple : un maire rural fait voter le principe d’un parc éolien, et comme par extraordinaire, on le retrouve ensuite sur des terrains appartenant à lui-même ou à ses proches. Depuis dix ans, les condamnations d’élus pleuvent, mais tout le monde s’en fout. C’est si bon, le fric.
Je t’entends mal ? L’écologie, dans tout ça ? Avec Alstom, Areva et Total ? Je vois que tu es blagueur.
Je n’attends plus que le goudron et les plumes. Ou la bouse et et les cornes, faudra voir. Car je vais publier le 17 septembre un livre qui ne plaira guère à l’agriculture industrielle. Oh que non ! Son titre : « Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture », aux éditions Les Échappés. La couverture s’orne d’un dessin de mon cher vieil Honoré, flingué le 7 janvier passé par les frères Kouachi. Et cela n’a rien d’un hasard, car Les Échappés sont la maison d’édition de Charlie.
Ce livre, je l’avais écrit l’an passé, et il devait sortir en janvier 2015. Et puis il s’est passé que mes amis sont morts, que d’autres ont été charcutés par les balles. J’ai pour ma part reçu trois balles, et je prends encore de la morphine. Le livre, bien que sorti de l’imprimerie, est resté en carafe jusqu’à aujourd’hui. Or vous savez que demain est le grand jour du débarquement. 1000 ou 1500 tracteurs vont bloquer le périphérique parisien pour obtenir des aides encore plus massives que celles qui sont déjà accordées aux éleveurs. Il va sans dire que je comprends le désespoir des paysans acculés, endettés, souvent conspués. Je les comprends, mais pardi, je ne partage aucun de leurs points de vue. Je vais donc, une fois de plus, me faire mal voir. Très.
Vous trouverez ci-dessous deux choses. D’abord un extrait de mon livre, qui vous fera envie, je l’espère, d’en savoir plus. Je compte évidemment sur vous pour faire connaître son arrivée. Tous les moyens peuvent être utilisés, du simple carnet d’adresses aux désormais fameux réseaux sociaux. Donc, un extrait, suivi d’un papier publié par Charlie au début du mois passé.
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L’EXTRAIT (un morceau du chapitre 7)
(J’évoque ci-dessous les ingénieurs du génie rural et des eaux et forêts (Igref), structure qui, sous un nom ou un autre, commande)
Je ne peux pas tout te raconter ici, mais je suis sûr que dans ton village ou autour, tu as entendu parler de leurs prouesses. Toute l’architecture du ministère de l’Agriculture – et en partie de celui de l’Environnement, créé en 1971 -, c’est eux. Toutes les administrations centrales, presque toutes les directions départementales de l’agriculture (DDA), l’Office national de forêts (ONF), et un nombre proprement incalculable de trucs et machins publics ou parapublics ont été, sont ou seront dirigés par cette « noblesse d’État » analysée par Pierre Bourdieu dans un livre du même nom. Ils survivent à tous les changements de régime, guerres et révolutions comprises. Comment ne mépriseraient-ils pas ces ministres qui viennent se pavaner un an ou deux sous des ors dont ils ne savent rien, quand les ingénieurs ont tout pensé, planifié et réalisé depuis des dizaines d’années, sinon des siècles ?
Pour en revenir à ton cas personnel, Raymond, je n’aurai qu’un mot, celui de remembrement. Celui-là, je suis certain que tu le connais. Pour les ingénieurs, pour les politiques, pour les « syndicalistes » paysans, pour les chercheurs de l’Inra, il fallait faire exploser le cadre foncier hérité de 1000 ans d’histoire. Je vais te dire : comme c’était chiant ! Comme le lacis des propriétés agricoles était compliqué ! Les héritages et leurs infernales règles, les spoliations, les expropriations, les révolutions avaient transformé la carte du monde paysan en un labyrinthe dépourvu du moindre fil d’Ariane.
Je me souviens d’une discussion d’il y a vingt ans avec Bernard Gérard, alors délégué en Bretagne du Conservatoire du Littoral. Il cherchait à acheter en notre nom à tous des propriétés situées près de la pointe du Raz, dans le Finistère. Et il m’avait montré sur la carte combien c’était difficile. On y voyait les marques du passé, sous la forme de bandelettes de terre de quelques dizaines de mètres de largeur, sur peut-être 200 mètres de longueur. Pour chaque bande, un héritier. C’est ainsi que les familles paysannes réglaient le sort de leur bien. En le divisant sans cesse et sans fin entre les héritiers de la maison, jusqu’à rendre l’avenir impossible.
Ce jour-là, j’ai compris que les campagnes pouvaient, devaient être changées. Aucune structure ne doit rester trop longtemps dans la poussière du temps. J’en suis bien d’accord. Mais fallait-il vraiment ravager ? Fallait-il imposer la loi abstraite des machines et du fric à ce qui était tout de même une fabuleuse manière de vivre ? Qui étaient ces Igref pour oser détruire le sens d’une présence millénaire, le nom des buttes et des champs et des chemins creux et des rus ?
On trouve dans un article de Jean Roche, Inspecteur général du Génie rural, paru en 1951 (Les aspects essentiels du remembrement rural en France) la teneur, et même la saveur de ce qui allait se passer. Citant Henry Pattulo, auteur d’un livre sur l’état de l’agriculture, en 1758, Roche, 200 ans plus tard, note : « Le remembrement des terres n’est pas, en France, un problème nouveau ; les conséquences néfastes pour la culture du parcellement des exploitations ont été dénoncées depuis fort longtemps (…) Que dirait aujourd’hui Pattullo, en voyant des tracteurs condamnés à évoluer sur nos parcelles de culture actuelles dont la surface moyenne est voisine de 75 ares ? ».
Oui, Raymond, qu’aurait dit ce Pattulo que l’on convoquait ainsi près de deux siècles après sa mort ? L’horrible situation ne pouvait durer plus longtemps : les machines devaient pouvoir passer librement sans tous ces repères dans le paysage – autant d’obstacles – que les hommes avaient imaginés pendant ce si long apprivoisement des terres de France.
Et passant sans entrave, elles feraient des miracles, ainsi que le précisait un peu plus loin, dans le même article, l’Inspecteur Jean Roche : « On conçoit donc que les avantages directs du remembrement, qui sont considérables, ont fait l’objet de nombreuses études et l’on peut traduire d’une manière simple en indiquant qu’en moyenne l’augmentation de rendement peut atteindre 15 % et la diminution des frais d’exploitation 30 %. Mais le remembrement ne peut donner son plein effort que s’il tend, à l’intérieur d’une exploitation déterminée, à donner une structure d’accueil convenable à la traction mécanique ».
Le remembrement avait pu exister et remodeler au passage quelques centaines de milliers d’hectares, mais ce qui commence dans les années Cinquante est une révolution des paysages et un incroyable hold-up sur les terres. Je suis bien certain que tu as vu cela de près, et je serai donc rapide, Raymond. Soit une commune quelconque. Un proprio a l’intuition qu’il a tout à gagner d’une nouvelle répartition des terres. Il envoie une demande au préfet, qui réunit une Commission Communale d’Aménagement Foncier (CCAF). Celle-ci est pleine de proprios triés sur le volet, d’un juge, de trois envoyés de la Chambre d’agriculture, eux aussi triés sur le volet, et de deux représentants de la direction départementale de l’agriculture (DDA), aux mains des Igref. Dans cette sinistre comédie, les Igref sont le moteur et l’accélérateur, car ils ont dans leur tête le schéma d’ensemble : place au neuf !
En théorie, il s’agit d’un échange. Monsieur A donne à monsieur B un bout de terre et reçoit en échange un autre bout de valeur agronomique équivalente. À terme, la carte agricole est redessinée, les propriétés rassemblées, agrandies, et la sacrosainte productivité explose. Une association foncière achève le boulot sous la forme de nouveaux chemins agricoles, de « recalibrage » de ruisseaux, tous travaux sur lesquels les Igref touchent des « indemnités compensatoires ». C’est l’une des clés de la construction. Ils touchent. Sur les installations d’irrigation pour les terres trop sèches, sur le drainage des terres trop humides, sur le moindre arrachage d’une haie ou d’un arbre. Tout le monde est content, sauf les innombrables victimes du changement, auxquelles ce dernier est imposé par la loi. Impossible de dire non ! Inutile !
L’histoire de ce colossal désastre technocratique reste à écrire, et ne le sera peut-être jamais. Où sont les sources ? Mortes sans laisser la moindre adresse à ceux de l’avenir. À l’arrivée, 17 millions d’hectares – 170 000 km2 ! – sur 29,5 millions d’hectares de Surface agricole utile (SAU) ont été remembrés. Sur les cartes les plus fines, celles au 1/25 000, le tracé des parcelles est méconnaissable. Bien sûr ! bien sûr, le remembrement a aussi, au passage, amélioré quantité de situations injustes, parfois infernales. Ce n’est pas le principe du mouvement qui est en cause, mais ses objectifs et son déroulement en Blitzkrieg. Prenons l’exemple affreux de Geffosses, dans la Manche. En octobre 1983 – car cela a duré et dure encore -, Georges Lebreuilly, petit paysan, apprend qu’un remembrement est prévu. Jusqu’ici père peinard, avec ses 25 vaches et ses 20 hectares de prairies naturelles, il va se transformer en activiste.
La réunion de lancement ? Sous la conduite de la DDA bien sûr, et donc des Igref, en présence de propriétaires qui sont aussi conseillers municipaux, le grand chambardement est programmé. Une bataille au couteau commence, qui voit Lebreuilly devenir maire, qui voit Lebreuilly se jeter sous les chenilles des bulldozers, pour sauver un chemin creux. 160 gendarmes rétablissent l’ordre officiel, et pour finir, après la découverte par Lebreuilly de singulières pratiques concernant les travaux « publics », un armistice est conclu. D’un côté, l’essentiel du remembrement est fait, avec par exemple le bétonnage de l’ancien chemin-rivière où Georges allait se promener le dimanche. De l’autre, 80 km de haies ont été sauvés in extremis. Il aurait fallu 10 000 de ce Georges Lebreuilly, qui fit élever sur place, en 1994, un monument aux victimes du remembrement. On y peut lire : « C’est parce qu’ils sont subi la tyrannie du système administratif que des hommes ont édifié ce monument. Opprimés mais debout pour défendre la liberté et les droits de l’homme ».
Je te parlais plus tôt du monument aux morts de Cazalrenoux, et comme tu le vois, il y a bien des manières de mourir. On peut même être vivant et transporter avec soi le souvenir de morts anciennes. Il y a huit ans, j’ai rencontré en Bretagne Bruno Bargain, qui est l’un de nos grands ornithologues. Il passe une partie de chacun de ses étés dans la baie d’Audierne, à baguer des piafs de 12 grammes en partance pour l’Afrique tropicale. C’est aussi un Breton, qui fut un gosse du bocage, quand ce mot désignait un équilibre déroutant entre les ressources du lieu, bêtes comprises, et ses fragiles habitants humains.
À Plonéour-Lanvern, alors que nous étions arrêtés devant une morne étendue, il m’avait dit : « On ne peut pas se rendre compte. La blessure est si profonde ! Est-ce que tu vois ce champ tout au loin, dont le bout touche le clocher ? Dans mon enfance, il y avait à la place dix parcelles, peut-être plus. Avec des centaines de rangées d’arbres dans tous les sens, qui créaient une sorte de mystère. Qu’y avait-il derrière le talus ? ».
Le dimanche de Pâques, Bruno se levait et partait à pied avec son grand-père, passant d’un champ de patates à un carré de luzerne, suivant un chemin creux, poussant la porte d’une haie dense, qui ouvrait sur un nouveau petit pays. Le but du voyage était de ramener dans la casquette des œufs de merle ou de grive, pour préparer à la maison la grande omelette du jour de fête. Bruno : « Il y avait des nids partout, à profusion. Chaque parcelle abritait sa compagnie de perdrix grises ». Et question oiseaux, je répète qu’il sait de quoi il parle.
Ainsi disparut la Bretagne. Selon les estimations de Jean-Claude Lefeuvre, un universitaire de réputation mondiale, 280 000 kilomètres de haies et de talus boisés auraient été arasés dans cette région entre 1950 et 1985. 280 000 km. Soit 7 fois le tour de la Terre. Pour la seule Bretagne.
C’est à pleurer, et je te jure bien que certains soirs, pensant à ce merdier si désespérant, je n’en suis pas bien loin. Mais au fait, ces Igref dont je te rebats les oreilles, que sont-ils devenus dans la tourmente ? Précisons tout de suite que, malgré leur pouvoir immense, ils n’ont jamais été plus de 1500 en activité. Mais quelle activité ! En 2009, l’imagination bureaucratique au pouvoir décide de fusionner le corps des Igref avec celui des Ponts et Chaussées, ce qui donnera une énorme boursouflure techno appelée corps des Ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts (Ipef).
Les ingénieurs des Ponts sont une caste voisine, née en 1716, entièrement vouée à la révolution industrielle. Ses ingénieurs – un peu plus de 1500 en 2009, année de la fusion – ont démembré la France comme bien peu. On leur doit canaux et rivières « rectifiées », équipements touristiques et barrages, routes et autoroutes, ports et aéroports, châteaux d’eau et ronds-points, et même un peu de nucléaire sur les bords. Inutile de dire que l’alliance des Igref et des Ponts nous prépare de nouvelles surprises, dont les nanotechnologies ne sont que l’un des nombreux hors d’œuvres. La droite avant 2012 avait dans ses premiers rangs des Igref de poids, comme Nathalie Kosciusko-Morizet. La gauche, après 2012, aussi. On ne parle pas encore beaucoup de Diane Szynkier, animatrice du pôle écologique du candidat François Hollande. Cela viendra certainement. Elle est jeune, compétente, Igref. Son heure viendra donc.
Raymond, ne va surtout pas croire que je ricane en mon for intérieur d’avoir ainsi ferraillé contre tous ces si braves gens. Même si je rigole un peu, c’est pour mieux cacher le reste. Allons, n’en restons pas là. Le philosophe Paul Ricœur a donné au journal Le Monde, dans son édition du 29 octobre 1991 un entretien dont j’extrais ceci : « Il ne s’agit pas de nier l’existence de domaines où des compétences juridiques, financières ou socio-économiques très spécialisées sont nécessaires pour saisir les problèmes. Mais il s’agit de rappeler aussi, et très fermement, que, sur le choix des enjeux globaux, les experts n’en savent pas plus que chacun d’entre nous. Il faut retrouver la simplicité des choix fondamentaux derrière ces faux mystères ». C’est pas si mal résumé.
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LE PAPIER PUBLIÉ PAR CHARLIE LE MOIS PASSÉ
Veaux, vaches, cochons et tueurs
Les éleveurs de bidoche refusent de nommer le vrai responsable de cette énième crise. Car il s’agit de leur système : l’industrialisation de l’élevage et la mondialisation ont conduit droit au chaos. Et les vraies grandes victimes sont les bêtes. Avant ceux qui les mènent à l’abattoir.
On a déjà vu la scène, mais cette fois, c’est la grosse peignée. L’éleveur de charolais étripe le vigile d’Auchan avant d’étrangler le vétérinaire de l’abattoir. Ce que voyant, le charmant porcher industriel attaque à la grenade la sous-préfecture et chourave 28 tonnes d’hormones de croissance pour doper sa production. Sûr qu’il faudrait faire quelque chose pour ces ploucs qui triment au cul de leurs bêtes robotisées. Mais quoi ? Commençons par dire la vérité.
Premier point : ce système délirant est le leur. Celui de Le Foll et Hollande, celui de la FNSEA, ce syndicat qui assassine ses membres depuis 70 ans, celui des éleveurs eux-mêmes. Au jeu de piste appelé mondialisation, il y aura toujours plus de perdants que de gagnants. On sait ainsi les causes vraies de la crise perpétuelle du cochon : dès qu’un marché nouveau apparaît, les porchers s’empressent de produire à tout va de la merde rose. Tel a été le cas avec la Russie, la Chine, et même l’Union européenne après le grand désastre de la peste porcine aux Pays-Bas, en 1997. Et puis tout se referme pour la raison que Chinois, Russes ou Bataves ne sont pas manchots. Au bout de quelques années, ils produisent sur place, ou consomment moins de charcutaille française.
Deuxième point : cette grandiose folie a une histoire, qui s’appelle industrialisation. Imaginée dès l’après-guerre dans les laboratoires de l’Inra par des zootechniciens fous d’Amérique, elle est réellement lancée sous De Gaulle, après 1958. En février 1965, visitant le grand Ouest, le ministre de l’Agriculture gaulliste Edgard Pisani lâche : « La Bretagne doit devenir un immense atelier de production de lait et de viande ». Le triomphe sera total. L’animal devient une chose, soumise à sélection génétique, insémination artificielle, alimentation industrielle, abattage quasi-automatisé. Le maïs-fourrage s’étend, des ports comme Lorient se spécialisent peu à peu dans l’importation massive de soja. Un soja destiné aux animaux, qui ne tardera pas à être transgénique.
Troisième point : il était imparablement logique, dans ces conditions, d’en arriver à des « fermes » de 1 000 vaches, en attendant 10 000. Rappelons que dans la Somme, près d’Abbeville, un industriel du BTP – Michel Ramery – a décidé de construire une usine à lait où les vaches sont parquées en attendant la lame du coutelas. Le plaisant de l’affaire, c’est que les éleveurs locaux, frères jumeaux de ceux qui hurlent aujourd’hui, n’ont strictement rien branlé. Pendant que la Confédération paysanne prenait tous les risques sur le terrain, démontant une partie des bâtiments, la FNSEA gardait le silence. On ne dira jamais assez de mal de ce « syndicat », qui cogère les dossiers agricoles depuis 70 ans. S’il ne devait y avoir qu’un responsable du merdier en cours, ce serait elle. Mais Hollande, qui croit pouvoir s’en servir, adore le monstre.
Quatrième point : la consommation de bidoche baisse inexorablement. Entre 1960 et 1980, elle a nettement augmenté dans un pays qui découvrait les Trente Glorieuses et l’hyperconsommation. Et puis moins jusqu’en 1992. Depuis cette date, c’est la cata. On boulotte environ 89 kilos de viande par an et par habitant, contre 100 kilos il y a 25 ans. Bien que les explications soient complexes, il faudrait être niais pour oublier le veau aux hormones, la vache folle, le poulet à la dioxine ou la grippe porcine. Cela tombe bien, car le modèle est condamné. D’abord parce qu’il occupe des surfaces géantes au détriment des céréales, seules capables de nourrir dix milliards d’humains. Ensuite parce que l’élevage est responsable de près de 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Lutter contre le dérèglement climatique, c’est lutter contre l’élevage industriel.
Cinquième point : où sont passés les animaux ? Dans cette histoire, nul ne pense aux millions de porcs, poulets, pintades, oies, canards, bovins encabanés et piquousés de partout. Resplendissants dans les panthéons de l’Antiquité, ils ne sont plus que des ombres dans cet immense pandémonium où grouillent les tueurs. En 2007, un milliard 46 millions et 562 000 animaux ont été butés dans des abattoirs français estampillés. Depuis, le chiffre ne bouge guère. Leur vie, c’est la mort.
Ce n’est pas démentiel, puisque c’est vrai. On apprend aujourd’hui qu’un aéroport à 200 km au sud de Madrid vient d’être acheté aux enchères 10 000 euros. Par des Chinois. Ciudad Real devait devenir le grand aéroport de Madrid, mais les vents contraires qui découragent l’investissement en ont décidé autrement. Malgré les centaines de millions d’euros d’argent public jetés aux poubelles, le désastre est total. Prévu pour plusieurs millions de voyageurs chaque année, il n’aura accueilli que 100 000 visiteurs en cinq ans. Cette gabegie est évidemment un crime, mais le code pénal ne peut rien contre les vrais grands brigands qui ont lancé ce projet.
Lesquels étaient socialistes, comme un certain Jean-Marc Ayrault, l’ancien maire de Nantes qui veut tant l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Comme je n’ai pas beaucoup d’énergie, je vous envoie ci-dessous des copies. D’abord, un article paru ce dimanche dans Le Point. Et puis des miens papiers de Planète sans visa. Où vous verrez qu’il ne sert à rien d’avoir raison contre le monde entier. Le monde entier sauf vous, cela va de soi.
LE POINT.
Un aéroport à 450 millions d’euros bradé aux enchères à 10 000 euros
L’aéroport de Ciudad Real, près de Madrid, abandonné à la suite de sa faillite en 2014, a été racheté aux enchères pour une bouchée de pain par un groupe chinois.
En cette période de soldes, c’est une très bonne affaire. La SARL d’investissement chinoise Tzaneen international est sur le point d’acquérir l’aéroport Ciudad Real pour la modique somme de… 10 000 euros ! Le complexe avait coûté 450 millions d’euros aux contribuables espagnols. En quatre ans, moins de 100 000 voyageurs ont emprunté les longues allées de ce terminal de 28 000 m2 et d’une capacité de 5 millions de passagers.
Bulle financière et plan de sauvetage espagnol
Premier aéroport privé d’Espagne et symbole de la bulle immobilière des années 2000, l’aéroport de Ciudad Real était destiné à devenir l’aéroport du sud de Madrid, dont il est pourtant éloigné de 200 kilomètres. L’infrastructure a fait faillite en 2010. Elle est en partie responsable du premier sauvetage bancaire du pays, celui de la Caisse d’épargne Caja Castilla-La Mancha, qui avait investi 300 millions d’euros dans ce projet pharaonique.
« Porte d’entrée de l’Europe » à la chinoise
L’acquéreur compte investir entre 60 et 100 millions d’euros prochainement afin de remettre en service l’aéroport, les pistes et le terminal afin d’en faire une « porte d’entrée de l’Europe » à la chinoise. Estimées à 40 millions d’euros, les infrastructures vendues aux enchères le 17 juillet seront-elles définitivement adjugées au mystérieux groupe chinois ? Cela dépendra des contre-offres. Le tribunal s’est donné jusqu’au 15 septembre pour trancher.
Résumé des épisodes précédents. Jean-Marc Ayrault fut, comme on le sait, député-maire socialiste de Nantes pendant quelque trois siècles. Avant son départ précipité, il avait, dans un geste ultime de philanthropie, offert à sa ville la perspective grandiose et futuriste d’un nouvel aéroport à la campagne, sur les terres chouannes de Notre-Dame-des-Landes ( lire le résumé ici). On le sait, l’ingratitude du petit peuple est sans limites, et les paysans au front bas du bocage, poussés vers l’émeute par une chienlit écologiste, monta un jour à l’assaut de l’hôtel de ville de Nantes, fourches au poing, hurlant des obscénités sur le compte pourtant valeureux de monsieur Jean-Marc Ayrault. N’entendit-on pas ces criminels ensabotés, crottés jusqu’aux narines, hurler : « Ayrault, fumier, tu serviras d’engrais » ? Si. Ils le firent.
Alors, comme vous vous en souvenez tous, le maire fut contraint au départ, n’emportant qu’une maigre valise, embarquant in extremis à bord d’un antique Avion III créé par Clément Ader, doté de tiges de bambou, barbes en toile et papier de Chine. Pendant 120 ans environ, le sort de Jean-Marc Ayrault est demeuré inconnu, et je ne suis pas peu fier, aujourd’hui, de vous livrer en exclusivité un scoop de derrière les fagots, qu’on ne trouve pas sous le sabot d’un cheval, dont on parlera dans Landerneau, digne des meilleurs professionnels.
Ayrault a réussi à refaire sa vie en Espagne, sous un faux nom naturellement. Visiblement bien introduit sur place, il est parvenu en peu de temps à tenir une place aussi enviable que celle qu’il occupait chez nous. Car il est en effet président – socialiste toujours – de la région chère au cœur de l’Ingenioso Hidalgo Don Quijote de la Mancha, autrement dit Castille-La Manche. Mais se refait-on jamais ? Connu en Espagne sous le nom de José Maria Barreda, Ayrault a décidé, financé, soutenu de toutes ses vives forces un aéroport international appelé Ciudad Real. ll ne peut s’agir que d’un clin d’œil au formidable humour que l’on prête à Miguel de Cervantes. Car autant vous le dire, Ciudad Real signifie, comme vous ne l’ignoriez sûrement pas, Ville Réelle. Ville Royale d’abord, mais aussi Ville Réelle.
Mais quel facétieux, cet Ayrault-Barreda ! Après investissement de 500 millions d’euros – ce n’est qu’un début, une mise en bouche – et construction de pistes de 4 kilomètres de long pouvant accueillir des Airbus 380, l’aéroport est prêt à recevoir ses 2,5 millions de passagers par an ( lire ici). Beau travail, Jean-Marc (tu permets que je t’appelle Jean-Marc ?) ! Beau travail. Des centaines d’emplois ont été créés, et des entreprises ont installé des bureaux à prix cassés par les aides publiques. Normal : le TGV doit relier Madrid en moins de cinquante minutes, les autoroutes sont innombrables, et l’emprise directe au sol – 1250 hectares – permet d’envisager des agrandissements à répétition.
Bien sûr, il reste à régler quelques détails. Après le départ de la compagnie Air Berlin, l’Irlandaise Ryanair occupe à elle seule l’aéroport international, retenue au moment où elle pliait bagage par une subvention publique. En somme, tout est désert, fantasma. Les 24 comptoirs d’enregistrement sont fermés toute la sainte journée, on ne croise ni hôtesse ni passagers, mais tout de même quelques-uns des 300 employés chargés de l’entretien et de la gestion. Car il faut bien gérer, non ? La passerelle prévue pour relier l’aéroport à la ligne de train Madrid-Séville s’achève au-dessus du vide. On peut toujours sauter.
La réussite est complète. Deux ans après son inauguration, le bel oiseau a déjà creusé un trou de 300 millions d’euros, entraînant la faillite de la Caisse d’épargne de Castille-La Manche (CCM), obligeant la région de mon ami Jean-Marc-José à créer de toute urgence une société publique capable de financer les pertes astronomiques. Et c’est là, je vous le demande personnellement, que nous devons tous nous lever pour applaudir. Je vous en prie, faites-moi confiance au moins une fois dans votre vie. Standing ovation ! N’écoutant que son courage de grand élu socialiste, Ayrault-Barreda refuse de baisser les bras.
Fin mai, notre homme double s’est à nouveau engagé, en hidalgo : « El presidente de Castilla-La Mancha, José María Barreda , aseguró que el Gobierno regional hará todo lo posible, dentro de la legalidad, para que el proyecto del aeropuerto privado de Ciudad Real tenga viabilidad en el futuro y “pueda despegar definitivamente”». Vous pourrez lire le texte intégral (ici ), ou vous en tenir à mon court résumé. Ayrault-Barreda veut davantage de fric pour que Ciudad Real « pueda despegar definitivamente ». Pour qu’il puisse « décoller définitivement ». J’espère que vous goûtez comme moi, et à nouveau, l’humour noir de Janus. Décoller. Définitivement. Cela ouvre bien des perspectives.
Dans un autre entretien, Ayrault-Barreda a finement présenté les deux termes de l’alternative. Ou l’argent public coule à nouveau, ou l’on abandonne. Et si l’on abandonne, il ne faudra pas s’étonner que « crezca la hierba en la pista de aterrizaje y se estropeen las instalaciones ». Il y en a pour trembler, comme dit un vieil homme de ma connaissance. L’herbe pousserait alors sur les pistes, et les magnifiques installations rouilleraient peu à peu, avant de disparaître dans la poussière de Rocinante. Rossinante, quoi.
Et maintenant, avant de rendre l’antenne, deux post-scriptum.
Le premier : l’Espagne est en train de sombrer. Il est plaisant qu’un olibrius comme moi ait pu le dire si longtemps avant les commentateurs appointés (lire ici, ici encore, et là). Elle sombre. Un million de logements y sont en vente. 40 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage. La spéculation et la corruption de masse ont détruit un pays. Telle est la réalité. Extrait de l’article cité tout en haut de cette page : « Surtout, au lieu de construire 800 000 logements chaque année, l’Espagne va se limiter à 100 000 pendant plusieurs années. Avec un impact terrible sur la croissance et sur l’emploi : “Il faut réinventer 18 % du PIB”, résume un économiste ». Oui, c’est à eux, aux économistes, aux politiques responsables de ce désastre biblique qu’on demande de réinventer du PIB. PIB ! Paltoquets, Imbéciles, Branlotins. Nous en sommes là, au point zéro d’une histoire à recommencer.
Le second : la dette des régions d’Espagne atteint 95 milliards d’euros, une somme inouïe. Le siège luxueux des braves gens aux commandes, les ronds-points, les subventions à l’agriculture industrielle, aux barrages, aux transferts d’eau vers le Sud à sec, les aides aux villes fantômes du littoral, tout cela coûte cher. Au fait, Ségolène Royal ne se faisait-elle pas appeler la Zapatera, nom dérivé de celui de José Luis Rodríguez Zapatero, le cornichon socialiste en place à Madrid, qui achève de dynamiter ce qui reste ? le Figaro rapporte une visite de Royal à Madrid en octobre 2007. Elle vient donc de perdre face à Sarkozy. Et voici l’extrait du journal, qu’il faut savourer à la petite cuiller : « Zapatero aurait chaleureusement encouragé Ségolène Royal à se présenter à la prochaine élection présidentielle. “Je me sens très proche de Zapatero et de cette gauche pragmatique”, a commenté celle que l’on dénomme ici “la Zapatera francesa”. Enchantée de porter ce surnom, Royal a estimé qu’elle avait plusieurs points communs avec Zapatero : “Au départ, Zapatero n’était pas forcément le favori au sein de son parti. Il était jugé trop jeune, inexpérimenté ou sans stature, mais il a réussi à prouver le contraire…” ».
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Vous trouverez ci-dessous un choix de quelques articles que j’ai consacrés à l’Espagne. Vous y verrez, si vous avez le temps, qu’il était possible de voir autrement les mêmes choses. Quand Ségolène Royal encensait le Premier ministre Zapatero – coquette en diable, ne se laissait-elle pas appeler la Zapatera ? -, d’autres, dont je fais partie, racontaient le dessous des cartes. Après relecture, cela reste intéressant. Il me semble.
Avouons que ce papier s’adresse d’abord à ceux qui croient encore dans la politique. Je veux dire la politique ancienne, celle qui émet les signaux que nous connaissons tous, celle de madame Royal, de monsieur Sarkozy. Celle venue en droite ligne de 200 ans d’histoire tourmentée.
On le sait, ou l’on finira par le savoir, je ne porte plus guère attention aux acteurs de ce jeu de rôles, mais je ne cherche pas à convaincre. Je ne fais qu’exprimer un point de vue. Et voici pour ce jour : j’aimerais vous parler d’Andrés Martínez de Azagra Paredes. Un Espagnol. Cet ingénieur, également professeur d’hydraulique, propose un néologisme : oasificación. Pour nous, Français, ce n’est pas très difficile à comprendre : il s’agit de créer des oasis. Martínez est un homme très inquiet de l’avenir de son pays, menacé par des phénomènes de désertification dont nous n’avons pas idée. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà, comme aurait dit Montaigne. Mais nous avons grand tort, en l’occurrence, de ne pas tendre l’oreille.
Martínez, en tout cas, a des solutions ( attention, en espagnol : www.oasification.com). Cela consiste, sommairement résumé, à récupérer l’eau, de pluie surtout, et à restaurer un couvert végétal là où il a disparu. En mêlant savoirs ancestraux et technologies nouvelles. J’avoue ne pas en savoir bien plus. Est-ce efficace ? Peut-être.
Mais la vraie question est autre : l’Espagne devient un désert. Bien entendu, il est plus que probable que nous ne serons plus là pour admirer le résultat final. Le processus est pourtant en route (afp.google.com) : le tiers du pays est atteint par des formes sévères de désertification, et le climat comme la flore et la faune seront bientôt – à la noble échelle du temps écologique – africains. J’ai eu le bonheur, il n’y a guère, de me balader sur les flancs de la Sierra Nevada, cette montagne andalouse au-dessus de la mer. Je me dois de rappeler que nevada veut dire enneigée. De la neige, en ce mois de novembre 2005, il n’y en avait plus.
Pourquoi cette avancée spectaculaire du désert en Europe continentale ? Je ne me hasarderai pas dans les détails, mais de nombreux spécialistes pensent que le dérèglement climatique en cours frappe davantage l’Espagne que ses voisins. Et comme le climat se dégrade aussi en Afrique, notamment du nord, il va de soi que les humains qui ont tant de mal à survivre là-bas ont tendance à se déplacer plus au nord, au risque de leur vie quand ils tentent la traversée vers les Canaries ou le continent.
Et que fait le gouvernement socialiste en place ? Eh bien, avec un courage qui frise la témérité, il vient de décider la création d’un Plan national contre la désertification. Tremblez, agents de la dégradation écologique ! Je ne vous surprendrai pas en écrivant que les choix faits depuis 50 ans n’ont jamais qu’aggravé les choses. La surexploitation des ressources en eau, la déforestation, l’agriculture intensive et l’urbanisation sont les points les plus saillants d’une politique d’autant plus efficace qu’elle est évidente, et rassemble tous les courants qui se sont succédé au pouvoir.
Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?
Donc, Zapatero. Il me fait penser à DSK. Ou à Moscovici. Ou à Delanoé. Ou à tout autre, cela n’a pas la moindre importance. Il se vante donc de l’état de l’économie sous son règne, espérant bien remporter les élections générales du 9 mars prochain. Comme je m’en moque bien ! Car il y a tout de même un peu plus important. Certes, le socialistes locaux ont stoppé – pour combien de temps ? – le démentiel Plan hydrologique national de la droite, qui entendait détourner une partie des eaux de l’Èbre – fleuve du Nord qui a donné son nom à la péninsule – jusque vers l’extrême sud et les côtes touristiques.
Certes. Mais la soi-disant bonne santé du pays repose, pour l’essentiel, sur la construction. Qui n’est bien entendu que destruction. Jusqu’à la crise des subprimes, ces damnés crédits immobiliers américains, l’Espagne était considérée comme un modèle (www.lemonde.fr) à suivre partout en Europe. Écoutez donc cette nouvelle chanson, dans la bouche de Patrick Artus, gourou financier bien connu : « La crise récente risque de montrer qu’il s’agissait de “faux modèles” à ne pas suivre. Que reste-t-il du dynamisme de ces pays, une fois enlevés l’expansion des services financiers et de la construction, qui y représentaient 50 % à 80 % des créations d’emplois ? ».
Zapatero est un grossier imbécile. Je vous le dis, vous pouvez le répéter. Imbécile, je pense que cela va de soi. Grossier, car dans le même temps que sa ministre de l’Environnement faisait semblant d’agir contre l’avancée du désert, on apprenait la teneur de quelques chiffres officiels. L’an passé – de juin 2006 à juin 2007 -, les mairies du littoral espagnol reconnaissaient l’existence de projets immobiliers plus nombreux que jamais. Soit 2 999 743 nouveaux logements, 202 250 lits dans l’hôtellerie, 316 terrains de golf et 112 installations portuaires avec 38 389 places neuves pour les jolis bateaux. Sans compter 90 cas de corruption établis, impliquant 350 responsables publics (attention, en espagnol : www.glocalia.com).
Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.
Je souhaite ardemment que personne ne vienne prendre leur défense, ici tout au moins. Car ailleurs, je sais combien ils sont choyés, aimés, cajolés. Madame Ségolène Royal – dite la Zapatera – ne s’est-elle pas excusée il y a quelques jours, au nom de nous tous, auprès de son si cher ami José Luis Rodríguez Zapatero, Premier ministre espagnol en titre ? Ne lui a-t-elle pas demandé de pardonner des propos prêtés à notre Sarkozy national (ici) ? Si.
Or que font donc les socialistes espagnols ? Ils détruisent avec frénésie ce qui reste de ce pays de légende. En janvier 2008, avant donc l’annonce de la crise économique que vous savez, j’ai écrit (ici) sur quoi reposait le soi-disant miracle espagnol, avec ces taux de croissance admirés d’un bout à l’autre de notre Europe si malade. Tenez, je me cite : « Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?
Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.
Pourquoi ce rappel ? Mais parce que les socialistes au pouvoir à Madrid s’attaquent aujourd’hui au grand joyau ornithologique de la péninsule, l’Estrémadure. Je connais ce lieu, qui est rude au regard et au corps. Froide l’hiver, brûlante l’été, la région abrite une sorte de savane arborée méditerranéenne, la dehesa. Comme un compromis entre la nature et l’homme, immémorial, sur fond de chênes verts, d’oliviers sauvages, de genêts, d’arbousiers et de troupeaux. C’est aussi le pays des oiseaux. Des grandes outardes. Des vautours fauves, moines, percnoptères. Des grues. Des oies. Des canards. L’Éstrémadure est si pauvre que les bureaucrates madrilènes l’ont laissée en paix, tout occupés qu’ils étaient à ronger les côtes sublimes du pays.
Fini. Le gouvernement vient de décider une série de mesures scélérates au dernier degré. La plus extravagante est peut-être le cadeau fait à une transnationale étasunienne, Florida Power and Light (ici), qui pourra construire deux usines solaires cette année à Casas de Hito, en Estrémadure. 600 millions d’euros d’investissement – on ne sait rien d’autres arrangements éventuels, qui peuvent se produire néanmoins – et 100 emplois à la clé. 100 emplois en échange d’un paradis des oiseaux. En 2007, on a dénombré à Casas de Hito 11 325 grues. Et sept espèces d’oies, et 140 000 canards hivernant à trois kilomètres, sur le lac de barrage de Sierra Brava. Je dois vous avouer que je n’ai pas regardé de près les dangers que feront peser sur les oiseaux sauvages ces installations. Et vous renvoie à une pétition des naturalistes espagnols de SEO (ici). Ils sont déprimés. Moi aussi.
D’autres projets simplement criminels menacent l’Estrémadure. Une raffinerie de pétrole à Tierra de Barros, des centrales électriques, des parcs éoliens lancés dans des conditions douteuses de légalité, et qui sont apparemment dangereux pour des oiseaux comme les vautours. Lesquels sont magnifiques, à la différence de ceux qui traînent dans les bureaux des promoteurs d’Ibérie comme de France.
Je vois bien que naît sous nos yeux encore ébahis un capitalisme vert censé nous clouer le bec. Si vous avez le moindre doute, jetez un œil ici, je crois que nous nous comprendrons. Eh bien ? Au risque flagrant de me répéter, il n’est pas question de considérer ces gens-là, qui incluent évidemment nos socialistes comme de vagues cousins un (long) temps égarés. Ce sont des adversaires. Ce sont des ennemis. Et je vous jure que je les exècre. Zapatero, Zapatera, toutes ces camarillas, tous ces sbires, tous ces fifres et sous-fifres, tous ces petits marquis, ces Dray, Mélenchon, Royal, Hollande, Fabius, Weber, Bartolone, Aubry, Rebsamen, Le Guen, Hamon, Delanoé, Désir, Bloche, ad nauseam. J’ai pris le parti des oiseaux et du vol libre au-dessus des cimes, celui des migrations, celui de Nils Holgersson, celui de la beauté. J’ai pris le parti du soleil, de la lune, de la pluie et des arbres. Et ce n’est pas le leur.
Après la Grèce, l’Espagne ? Je n’ai pas le temps, hélas, de rechercher quelques perles égrenées par nos économistes-en-chef, nos politiques princiers, de droite et de gauche bien sûr. Il y a une poignée d’années, l’Espagne était LE modèle que nos élites proposaient à une France jugée malade, en tout cas assoupie. Son taux de croissance faisait chavirer le cœur de tous les abrutis qui croient penser, quand ils ne font que braire. Le problème est que tout reposait sur un château de cartes, un lointain château en Espagne que personne ne possèderait un jour.
La politique criminelle des élites espagnoles tient en peu de mots : corruption de masse, destruction de la nature, délire immobilier. On a détruit là-bas ce qui restait de rivage après la stupéfiante flambée franquiste des années soixante du siècle passé. Et construit, souvent au bord de l’eau, mais aussi dans d’improbables banlieues, des milliers de programmes immobiliers qui jamais ne trouveront acquéreurs. Jamais. Certains sont achevés, mais sans aucune adduction. D’autres sont commencés, et se trouvent à divers stades. Mais le cochon de client s’est évaporé. Il s’agissait d’une chaîne de Ponzi, la même pyramide que celle qui a conduit l’escroc Madoff en taule. Tant que les gogos achètent et que d’autres gogos se lancent à leur suite, tout marche à la perfection. Mais dès que le doute s’installe, c’est l’effondrement.
Cela fait longtemps que j’ennuie mon entourage en répétant que l’Espagne est d’une fragilité de verre. On conspue aujourd’hui les gouvernements grecs dans les rues d’Athènes. Il n’est pas exclu que l’on fasse pire demain avec ceux du Parti populaire (PP) espagnol et du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Car ils ont mené la même politique et créé les conditions du chaos. Je vous, je nous le demande : qui paiera pour ces appartements morts-nés ? Qui paiera le prix de la corruption et de la dévastation écologique ? N’oubliez pas que des banques ont massivement prêté aux margoulins pour faire leurs galipettes monétaires. Je vous l’annonce, pour le cas où vous ne le sauriez pas : celles de France sont plombées par le désastre immobilier espagnol. Pas toutes, non, et pas à la même échelle. Mais si mes informations sont bonnes, on peut s’attendre à des surprises. Et elles seront mauvaises.
Je ne suis pas en grande forme. Et même pas du tout. Je ne peux, je ne veux vous parler en détail de mes blessures, mais elles sont là. En permanence.
Comme je ne peux guère écrire comme je le souhaiterais, je remets en ligne, ci-dessous, un texte de 2008. Qui est Laurence Tubiana ? Elle est, et j’ouvre les guillemets, « représentante spéciale du gouvernement français pour la conférence Paris Climat 2015 ». C’est elle qui prépare le terrain pour la grande conférence de décembre prochain. Eh bien, les choses sont merveilleusement bien parties, ainsi que vous lirez peut-être. Entre de telles mains, la Conférence est déjà un immense succès planétaire. Je vous salue tous.
Je n’ai jamais rencontré madame Laurence Tubiana, et je dois avouer que cela ne m’a pas trop manqué. Qui est-elle ? Qui n’est-elle pas, plutôt. La totalité de ses titres, auxquels elle semble tenir avec fermeté, dépasse le cadre de cet article. Choisissons, élaguons : elle est la directrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), prof à Sciences Po et siège dans un grand nombre de commissions et de conseils d’administration divers et variés.
Elle serait de gauche que je n’en serais pas autrement étonné. Elle a en effet été conseillère de notre excellent Jospin quand il était Premier ministre de la France, ce que des insolents comme moi finissent par oublier. Qu’il a été Premier ministre, je veux dire. Et de gauche, bien sûr. En somme, Laurence Tubiana est une considérable personne, au confluent de la politique, de l’économie, de l’écologie et des relations internationales.
Venons-en aux faits. Cela faisait un moment que l’Iddri et madame Tubiana, ce qui est bien leur droit, préparaient le terrain pour un machin de plus. Un machin sur la biodiversité. Un truc international, sur le modèle plus ou moins fidèle du Giec, ce groupe d’experts sur le climat qui a reçu le Prix Nobel de la paix. C’est vrai, quoi, il n’y a pas que le climat, tout de même. Et les éléphants, et les baleines, et les forêts tropicales ? Pour être complet, l’idée a été exprimée la première fois au cours de la farce grandiose organisée par Jacques Chirac à l’Unesco, en janvier 2005. Je vous en rappelle l’immortel intitulé : « Biodiversité, science et gouvernance ».
Donc, un lobbying intense autant que durable. Parallèlement, un Borloo et une Kosciusko-Morizet, ministre et secrétaire d’État chargés de l’écologie et du développement durables. Mal en point depuis qu’il apparaît cette évidence que le Grenelle de l’environnement fut une mise en scène dépourvue du moindre acte, ce qui est toujours fâcheux au théâtre.
Des lobbyistes, des ministres en mal de reconnaissance, une idée qui ne mange pas de pain : l’étincelle ne pouvait être très loin. Le résultat des courses s’appelle IMoSEB. Je vous jure que je n’invente pas : l’IMoSEB est né, alleluia ! Il s’agit de l’acronyme anglais de Mécanisme mondial d’expertise scientifique sur la biodiversité. Je ne galèje pas davantage. Tel est notre petit nouveau.
Je ne doute pas qu’il grossira, car toutes les occasions sont bonnes de réunir son monde et de voyager pour la bonne cause. Madame Valérie Pécresse, ministre de la Recherche, a en tout cas confié à madame Tubiana une mission décisive de « pilotage et de coordination ». On verra ce qu’on verra. Dès 2009, l’IMoSEB devra être « opérationnel ». Pour cela, madame Tubiana aura pour tâche, comme l’indique sa fort sérieuse lettre de mission, « d’organiser la contribution de la recherche française au projet d’expertise » et de préparer « les négociations au plus haut niveau avec les gouvernements, les partenaires institutionnels et les ONG ».
Où est le problème ? Je vous le demande. Et j’y réponds dans la foulée. Au moment même où était annoncée cette (petite mais réelle) loufoquerie, on apprenait le résultat d’une étude du Muséum sur l’état des espèces protégées en France. 200 espèces animales et 100 espèces végétales, légalement protégées je le rappelle, ont été étudiées, ainsi que 132 espaces naturels.
Le résultat est simplement fou. 36 % de ces espaces sont dans le rouge, statut dit « défavorable mauvais ». Les espèces qui y vivent voient leur avenir compromis. 29 % sont dans l’orange, statut « défavorable inadéquat », inquiétant mais réversible. Le comble de tout est que le loup est l’un des seuls animaux à sortir son épingle du jeu. Le loup, qui vient de revenir seul chez nous, sans demander son avis à aucune commission !
Je résume et synthéthise : l’état réel de la biodiversité ordinaire d’un pays comme le nôtre est lamentable. Et parmi les causes les plus évidentes, il faut citer, sans surprise, l’agriculture intensive et les projets industriels. Voilà pourquoi il était si urgent de confier une mission à madame Tubiana.
Et en effet ! Le 19 octobre dernier, l’Iddri qu’elle dirige invitait à Paris, pour une conférence, Blairo Borges Maggi, gouverneur de l’Etat du Mato Grosso (Brésil). Titre de la conférence : « Production agricole, commerce et environnement, le cas de l’État du Mato Grosso ». Maggi, directeur du Groupe Amaggi, est considéré comme le roi du soja. Son empereur même. C’est dans son État que sont en train de mourir, encerclés par le soja transgénique, les Enawene Nawe, un minuscule peuple indien de la forêt défunte. Maggi est aussi et fatalement l’un des défenseurs les plus acharnés de la route BR-163, longue de près de 1700 km, qui permet l’acheminement du soja jusqu’à Santarém, un port du fleuve Amazone, via la forêt tropicale. Faut-il être plus explicite encore ? Je doute.
Bien sûr, l’Iddri de madame Tubiana a le droit d’inviter qui elle veut, même des coupables de crimes écologiques. Bien sûr. De même que l’Idri a bien le droit de compter dans son conseil d’administration le cimentier Lafarge, Véolia Environnement, et même Coca-Cola, Arcelor-Mittal, EDF, Rhodia, Dupont de Nemours, Solvay, Renault, Sanofi-Aventis, etc, etc.
Mais oui, je vous le dis : madame Tubiana a tous les droits. Dont celui de faire croire qu’elle luttera efficacement pour la biodiversité sans jamais toucher à l’industrie – qui finance gentiment ses activités – ou à l’agriculture industrielle. Quant à moi, je me réserve le droit des bras d’honneur, et du rire dévastateur, en attendant mieux. L’écologie officielle, celle des salons dorés et des conférences endimanchées, je vous la laisse volontiers, madame.
PS : dans la série Rions un peu sait-on jamais, je vous signale ce compte-rendu (involontairement) hilarant d’une réunion au cours de laquelle madame Tubiana estime que « la biodiversité est un concept difficile à saisir » (www.lapeniche.net).
Hosto, piscine, kiné, béquilles et frites ce midi. Je vous salue tous. À commencer par Didier, infirmier ici, avec qui je viens de papoter agréablement dans le couloir.
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Vous allez voir, il y a un rapport. Avec la crise écologique, dois-je préciser pour les étourdis qui n’auraient pas saisi le message obsessionnel de Planète sans visa. Peut-être avez-vous entendu passer l’information, et en ce cas, vous auriez dû l’arrêter, car elle vaut la peine. Une étude (ici) menée par Microsoft – oui, le monstre créé par Bill Gates et Paul Allen, et ses 63 milliards d’euros de chiffre d’affaires – assure que nous nous concentrons moins, en moyenne, qu’un poisson rouge. Lui tient 9 secondes avant de passer à autre chose, et nous 8. Or c’était 12 il y a une quinzaine d’années.
Il y a donc baisse, et même dégringolade. Mais que se passe-t-il donc ? Avant de répondre, je passe d’abord par la conclusion de l’étude, qui devait obligatoirement se terminer de manière positive, car qui a payé, dites-moi ? Microsoft n’est pas là pour faire flipper, mais pour vendre d’innombrables produits. Dans ces conditions, la baisse d’attention des humains est une bonne chose, car il peut ainsi plus facilement zapper d’un machin à un autre.
Et je reviens à l’explication du phénomène. En résumé express, c’est la faute aux écrans. À tous les écrans coalisés contre le droit imprescriptible à mener une vraie vie. Les téléphones portables, Internet, la télé. Moi, je vois bien que la télé a été le premier grand désastre. Bien que personne n’ait évidemment voulu ou programmé cette révolution totale, la télé aura servi de sas vers le reste, le pire. Des millions, des milliards de cobayes ont progressivement appris à tenir des guignolades et des publicités pour plus importantes que les êtres autour de la table. La télé comme arme de destruction massive des relations humaines. La télé comme déréalisation du monde. La télé comme accélérateur neutronique de l’individualisme. La télé comme étendard de la consommation de biens inutiles.
La suite en a été grandement facilitée. L’illusion de la liberté – car la vraie, c’est celle des marchands – a entraîné un peuple entier, du haut en bas de l’édifice social, à se précipiter sur les si fameuses « nouvelles technologies ». Le téléphone portatif est devenu une came de forte intensité, qui tue les neurones et flingue aussi sur les routes, quand un neuneu préfère annoncer dans le micro qu’il va arriver dans huit minutes plutôt que de regarder la voiture qui lui arrive pleine face. Et le Net a presque aussitôt exprimé, comme sans doute jamais dans l’histoire des humains, le terrifiant plaisir qu’il y a à devenir esclave. Esclave volontaire.
Les écrans donnent à imaginer – un tout petit peu, à peine – ce que pourra être demain une société totalitaire maîtresse des images et des écrans. Il est tout de même singulier de voir un peuple en partie libre, éduqué, vivant, préparer avec autant de bonne volonté son écrasement. Tout est déjà entre les mains des organes suprêmes, qu’ils s’appellent transnationales, États ou services secrets plus ou moins autonomisés. Des jeunes – et moins jeunes – gens en apparence sains d’esprit se battent pour donner plus encore de renseignements intimes sur leur vie, leurs pensées, leurs croyances, sachant pourtant que l’impressionnant Moloch informatique n’oublie ni ne jette absolument rien. Facebook, c’est déjà demain.
Cette soumission est sans conteste l’un des phénomènes politiques les plus marquants des 70 dernières années. Même quand est publiée une étude estampillée – Microsoft, dans l’esprit des journalistes qui relaient, c’est sérieux ! -, qui montre l’étendue de la catastrophe, on arrive encore à se rassurer. On zappe au bout de 8 secondes ? Oui, mais c’est pour se précipiter sur un autre écran encore plus décérébrant. Commentaire de France Info : « L’usage intensif des écrans permettrait de développer des capacités nouvelles comme l’aptitude à faire plusieurs choses en même temps, le « multitâche » comme les ordinateurs. Par exemple, 79% des personnes interrogées utilisent leur portable tout en regardant la télévision. Sans surprise, les jeunes (18-24 ans) sont les premiers concernés. Ils avouent à 77% que la première chose qu’ils font lorsqu’ils s’ennuient c’est d’attraper leur portable. La moitié consulte un smartphone toutes les 30 minutes ».
Et le rapport avec la crise écologique promis au début ? Voyons, mais c’est évident. La multiplication d’humains incapables de se concentrer rend les choses bien plus compliquées. Car la crise écologique, précisément, est d’une affreuse complexité. Il faut accepter de lire, de réfléchir, d’être lent dans cet art si hasardeux de l’esprit. J’en sais quelque chose : mon dernier livre, Un empoisonnement universel, contient des informations capitales sur la contamination chimique planétaire. Il se sera au total bien vendu, surtout compte tenu de la crise de l’édition et de la lecture. Mais nettement moins que d’autres publiés depuis 2007. Des amis proches, des écologistes sincères n’ont fait que l’ouvrir, découragés par les 440 pages du texte. Et même des militants de premier plan, directement concernés, s’en sont détournés aussitôt. Pourtant, je le jure bien, j’ai proscrit tout jargon et pour l’essentiel, je n’ai fait que présenter des histoires et des personnages. Peine perdue.
Je vous rassure : je ne suis pas dans l’amertume. Je savais dès l’avance que je faisais un livre difficile et sombre. Dans un monde où la paillette, le confetti et la légèreté priment, cela n’est nullement étonnant. Pour en revenir à nos oignons, mon point de vue est arrêté : Internet – dont je me sers pourtant -, les téléphones portables et la télévision sont des ennemis de l’homme, et devraient être traités comme tels. Notre monde exténué n’a pas besoin de machines, mais de qualités morales.