Archives de catégorie : Industrie et propagande

Le moustique était changé de l’intérieur

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 23 avril 2014

C’est parti mon kiki. Au Brésil, on va lâcher dans les villes et les campagnes un moustique génétiquement modifié, OX513A. Officiellement, pour éradiquer la dengue. Mais en réalité, pour soutenir le chiffre d’affaires de Syngenta, le tireur de ficelles.

On n’a pas fini d’applaudir. Les rusés garçons qui tentent d’imposer partout des OGM ont remporté une belle victoire. Une commission officielle brésilienne, la CTNBio, vient d’approuver le lâcher et la commercialisation de moustiques génétiquement manipulés. À la différence de notre consultatif  Haut Conseil des biotechnologies (HCB), la CTNBio décide, et on voit mal ce qui pourrait encore arrêter l’aventure : OX513A devrait bientôt voler dans les airs des grandes villes, de Rio à Bahia, de São Paulo à Recife.

OX513A est un moustique mâle Aedes aegypti dans lequel on a  injecté deux gènes qui modifient son ADN. Relâché par millions, il devrait, selon le plan, s’accoupler à des femelles traditionnelles et peu à peu réduire drastiquement la descendance. Car il est réputé stérile, ou près de l’être, et transmettrait son incapacité à sa progéniture.

Avant de cogner comme un bûcheron sur cette énième aventure industrielle, précisons que tout repose sur la trouille inspirée par la dengue, une maladie infectieuse on ne peut plus réelle. Virale, elle est transmise dans les pays tropicaux par les moustiques Aedes, et provoque maux de tête, douleurs musculaires et articulaires, nausées, vomissements, etc. L’une des formes les plus sévères, la dengue hémorragique, s’étend à grande vitesse, et au total, plusieurs millions d’humains seraient infectés chaque année, dont 21 000 sont morts en 2011.

N’est-ce pas génial ? Le tableau ne saurait être plus favorable pour les expérimentateurs : une maladie lourde qui frapperait 120 000 Brésiliens chaque année, un « progrès » à portée de main, un coût dérisoire comparé aux dépenses de santé occasionnées par le virus. Mais comme à l’époque des villages Potemkine – des trompe-l’œil destinés à bercer Catherine II de Russie -, il faut passer de l’autre côté du décor pour comprendre ce qui se passe.

Un, le résultat des essais au Brésil – ils seraient époustouflants – n’a pas été publié. Gabriel Fernandes, responsable d’une association brésilienne pour l’agriculture familiale, AS-PTA (http://aspta.org.br) va droit au but : « Il n’existe aucune donnée montrant que ce moustique OGM réduit vraiment l’incidence de la dengue. Dans ce cas précis, la décision est bien davantage basée sur la propagande que sur des données concrètes venues d’études de terrain ».

Deux, nul ne sait ce que sera le suivi de l’affaire une fois les moustiques relâchés. Aucune autorité n’indique ce qui se passerait en cas d’effet malencontreux. On dissémine, et on compte les points. Trois, d’autres essais menés dans les îles Caïman – sur une surface évidemment restreinte – ont surtout montré les limites du projet. Pour éliminer une population ridiculement faible de 20 000 moustiques « normaux » – combien de millions pour le gigantesque Brésil ? -, il aurait fallu disposer de 7 millions de moustiques OGM par semaine.

Quatre, les conséquences sur la santé humaine et celle des écosystèmes ne sont simplement pas prises en compte. Ce n’est pas une criaillerie d’écologiste attardé. Une baisse temporaire du nombre de moustiques porteurs de la dengue pourrait avoir ce que les spécialistes appellent un effet rebond. L’immunité contre la maladie baisserait aussi, mettant en danger divers groupes en cas de retour massif du virus. Selon certaines sources, la réduction pour un temps de la contamination pourrait en outre entraîner une baisse de l’immunité croisée, qui protège contre les différents sérotypes de la dengue.

Dans tous les cas, on ne sait pas où on va, mais on y va. On ne sait pas, sauf peut-être la petite entreprise cachée dans les coulisses. Un tel scénario passe par des techniciens hautement spécialisés, en l’occurrence ceux d’Oxitec. Cette boîte britannique (www.oxitec.com) se présente évidemment comme philanthropique. Officiellement, elle est « un pionnier dans la lutte contre les insectes vecteur de maladies et ravageurs des récoltes ». Et les solutions proposées, « durables, rentables et respectueuses de l’environnement » peuvent « garder les gens en bonne santé et accroître la production alimentaire ». C’est très beau, c’est très faux.

Selon l’association anglaise GeneWatch (http://www.genewatch.org), Oxitec a « des liens étroits avec la transnationale de l’agrobusiness Syngenta ». Cette dernière a financé certains travaux d’Oxitec, et plusieurs de ses anciens dirigeants siègent au conseil d’administration d’Oxitec. Pourrait-il s’agir d’un faux-nez ? Syngenta, d’origine suisse, est un géant mondial des semences et des OGM, qui ne cesse de chercher des chevaux de Troie pour pénétrer de nouveaux marchés. Le moustique OX513A pourrait bien faire partie de la liste.

Dans cette hypothèse, on risque fort de parler tôt ou tard de moustiques transgéniques en France, car la dengue est très présente dans les Antilles françaises – Martinique et Guadeloupe -, où la grande épidémie de 2009/2010 a frappé plus de 80 000 personnes. Et les Aedes aegypti tripatouillés par Oxitec transmettent également le chikungunya, qui a dévasté la Réunion en 2005 et 2006 et se répand ces dernières semaines dans les Antilles.

Le Sud-Ouest lui-même, sur fond de dérèglement climatique, est menacé. Le 26 mai 2012, un habitant de Marmande (Lot-et-Garonne) envoie à l’administration une photo prise chez lui, en plein centre-ville, qui montre un moustique du genre Aedes, de l’espèce albopictus. Celui qu’on appelle le moustique tigre. C’est d’autant plus chiant que sa présence a été confirmée de nombreuses fois depuis, de Pessac à Talence, et qu’il transmet lui aussi la dengue et le chikungunya.

La France reste loin pour l’instant du Brésil, mais demain ? Rappelons en deux mots l’affaire du DDT, produit miracle qui n’est jamais venu à bout du paludisme, mais a niqué pour de bon d’innombrables écosystèmes. Quarante ans après les premières interdictions, on trouve la trace de ce produit cancérigène dans la plupart des analyses de sang aux Etats-Unis. Ce n’est pas la même chose, mais ça pourrait faire réfléchir les ramollos du bulbe. Peut-être.

Les éoliennes aux mains d’Areva et Total

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 16 avril 2014

Un nouvel Eldorado pour les transnationales françaises de l’énergie : les éoliennes en mer.  Un accord inédit lie le WWF, Greenpeace, les Amis de la Terre et les compères du nucléaire, du gaz et du pétrole réunis

Cherbourg, capitale de la propagande. La semaine passée – les 9 et 10 avril -, le syndicat des énergies renouvelables (SER) organisait dans le Cotentin les premières « Assises nationales des énergies marines renouvelables ». Formidable ? Dégueulasse. Pour bien comprendre ce qui se passe, il faut commencer par présenter la bête. Le SER (http://www.enr.fr) n’est pas un syndicat, c’est une vaste réunion de compères créée en 1993, où dominent quelques poids lourds comme EDF, Gdf-Suez, Total, Alstom, Areva. La fine fleur du nucléaire, des turbines industrielles qui lui sont souvent liées,  et des combustibles fossiles comme le gaz ou le pétrole. Peut-on trouver plus merdique ? Non.

À Cherbourg, on a discuté de l’avenir prévisible de deux très gros dossiers. Les éoliennes offshore et les hydroliennes. Pour les premières, c’est vraiment parti après des années de valse-hésitation. On peut voir le coup d’envoi dans une lettre un poil hallucinante datée du 18 septembre 2009. Toute la galaxie écolo officielle – celle qui a donné dans le Grenelle de l’Environnement de Sarkozy – a posé sa signature. Le WWF, Greenpeace, Les Amis de la Terre, entre autres.

Ces écolos bien-élevés hurlent à la mort, car « les adversaires de l’énergie éolienne s’apprêtent à une nouvelle campagne de dénigrement avec, pour point d’orgue, l’organisation de leur manifestation annuelle le 26 septembre ». Où ? Au Mont Saint-Michel, où ces crapules prétendent qu’il existe un projet d’éoliennes offshore. Et blababli et blablabla. Le texte est un hymne au progrès techno, et peste contre des projets de loi susceptibles de nuire à l’éolien et à son « rôle important dans la lutte contre le changement climatique et pour le développement économique ».

Non, ce n’est pas un dépliant du ministère de l’Industrie, quoique. On a oublié l’un des signataires, un certain André Antolini, alors président du SER évoqué plus haut. Antolini est une caricature, qui a été – entre autres – président de la Fédération nationale des promoteurs constructeurs (FNPC), du Conseil national de la construction (CNC), et directeur général délégué d’EDF-énergies nouvelles. Bref, un bon camarade. Comme les écolos estampillés se sont-ils embarqués à bord d’une telle galère ? Mystère des profondeurs. En tout cas, Sarkozy embraie aussitôt et débloque un dossier jusque là en panne. En janvier 2011, il annonce un appel à projets portant sur 10 milliards d’euros et cinq sites offshore : Dieppe-Le Tréport, Fécamp, Courseulles-Sur-Mer, Saint-Brieuc et Saint-Nazaire. En moins de dix ans, 600 éoliennes doivent être construites en mer.

En avril 2012, le noble Éric Besson annonce les résultats de l’appel d’offre. EDF, alliée avec Alstom et un Danois, ramasse la mise pour Courseulles, Saint-Nazaire et Fécamp. Areva et un Espagnol s’emparent de Saint-Brieuc, et Le Tréport est repoussé. Besson sanglote et lâche au micro : « Cette décision va conduire au développement d’une nouvelle filière industrielle à vocation mondiale, avec 10.000 emplois industriels créés, et positionner la France parmi les leaders mondiaux de l’industrie éolienne offshore ».

Rebelote en novembre 2013 : le gouvernement lance un second appel d’offres pour deux champs d’éoliennes offshore au large du Tréport et de Noirmoutier. Cette fois, le SER d’Antolini et de Jean-Louis Bal, son remplaçant, ne se sent plus, et annonce carrément 30 000 emplois d’ici 2030 si on lui refile toutes nos côtes. Toutes ? Quand même pas. La carte établie pour l’occasion se concentre sur la mer du Nord et la Manche, l’Atlantique au sud de Saint-Nazaire, et quelques spots en Méditerranée. Pour l’instant. On en est là, au point de bascule d’un gigantesque projet d’industrialisation côtière. La France octroie la mer proche à ceux qui ont pourri la France et le monde – Total, c’est Elf, et les satrapes africains – à coup de centrales nucléaires, de barrages géants – celui des Trois Gorges, en Chine, c’est Alstom – et de derricks dans le cul des pauvres du Sud.

Est-ce bien raisonnable ? Gloire à l’association Robin des Bois (www.robindesbois.org), qui a décidé, bien seule, de relever le gant. Dans un communiqué cinglant publié le 8 avril, elle pose la seule question qui vaille : « Nous avons dégradé le littoral. Allons nous maintenant transformer la mer côtière en zone industrielle ? ». À ce stade, ça craint déjà beaucoup, car « aucune étude d’impact sérieuse et contradictoire n’est disponible ». Rien sur les oiseaux, les mammifères marins, les poissons, les effets de barrière, les risques de collision.

Sérieusement, faut-il faire confiance à Areva et EDF pour assurer la fameuse « transition énergétique » ?

Encadré
Le raz Blanchard changé en tuyauterie

Cela s’appelle la fuite en avant. Les monstres énergétiques ne sont pas programmés pour penser la sobriété, mais seulement le gaspillage et la surproduction. L’exemple des hydroliennes entre à la perfection dans ce schéma mental.

Qu’est-ce qu’une hydrolienne ? Une turbine immergée qui utilise la puissance des courants sous-marins comme le font les éoliennes avec le vent. La technologie existe, mais ses effets demeurent inconnus. Prenons des exemples, du plus simple au plus général. Pour empêcher l’encrassage des turbines par les algues et le plancton, il faudra balancer sans cesse des produits antifouiling, qui sont parmi les pires perturbateurs endocriniens. Bien au-delà, les hydroliennes modifient fatalement les courants marins, la sédimentation, les zones de pêche. Le risque de ce que les biologistes appellent des « zones mortes » est évident.

Le projet le plus fou de tous concerne le raz Blanchard, qui est l’une de nos vraies merveilles. Il s’agit d’une sorte de torrent sous-marin d’une puissance stupéfiante – la vitesse du courant peut dépasser 5m/seconde -, à l’ouest de Cherbourg. Nul ne sait comment ce trésor s’insère dans les écosystèmes locaux et régionaux, mais les ingénieurs ont décidé de le traiter comme une grosse canalisation. Un tuyau.

Où irait l’électricité ainsi produite ? Droit dans la ligne THT qui partirait du futur réacteur nucléaire EPR de Flamanville, en direction du réseau national d’EDF. La poursuite du même, encore et toujours. Reiser, Gébé, où sont passés l’an 01 et les petites éoliennes au-dessus des toits ?

Brice Lalonde reprend du service pour l’industrie lourde

Cet article a été publié le 27 mars 2014 par Charlie Hebdo

Comique troupier un jour, comique troupier toujours. Brice Lalonde, l’ancien du PSU et des Amis de la Terre, devenu ultralibéral et pote d’Alain Madelin, lance une OPA sur le WWF, un an avant le Sommet du climat de Paris.

Brice Lalonde est de la race costaude des morts-vivants. Tu l’as à peine jeté de la fenêtre du troisième étage qu’il est déjà dans l’escalier de secours, à remonter quatre à quatre. Ainsi qu’on va voir, il s’est une nouvelle fois remis en selle. Cette fois aux côtés de son vieux compagnon Philippe Germa, propulsé à la tête du WWF en France. Mais qui est-il ? Pour les jeunes et les oublieux, une mise à niveau s’impose.

Jusqu’en 67, il est au PSU, sous l’aile d’un certain Rocard. En 68, il est soixante-huitard. En 69, il est aux Amis de la Terre. En 74, il est de la campagne du vieux Dumont à la présidentielle. En 81, il se présente lui-même à cette dernière. En 89, il accepte d’être secrétaire d’État – à l’Environnement – de son pote Michou Rocard. En 90-91, il monte avec Mitterrand et Jean-Louis Borloo sa petite entreprise, Génération Écologie, pour torpiller les Verts naissants. En 95, ruiné politiquement, il devient maire d’un patelin breton, Saint-Briac et proche de l’ultralibéral et sympathique Alain Madelin.

Ensuite, comme Madelin, les affaires. Il devient consultant dans des projets de « développement » en Afrique, et doit son premier come-back politique à Sarkozy soi-même, qui le nomme « ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique ». Un triomphe, qui mènera à la faillite du sommet de Copenhague, en décembre 2009, dont Lalonde n’est quand même pas le seul responsable.

Quand même pas. Il est ensuite chargé par l’ONU – et Sarko en coulisses – de préparer le deuxième Sommet de la Terre de Rio, en juin 2012. Peu de gens savent que ce raout est totalement infiltré par l’industrie transnationale, et que son inventeur, Maurice Strong, a dirigé les plus grosses boîtes canadiennes, comme PetroCanada ou Ontario Hydro, géant de l’hydro-électricité et du nucléaire.

Donc Lalonde. On croyait bêtement que le Sommet de Rio serait son chant du cygne, mais tout au contraire, ce n’était qu’un tremplin. Le voilà de retour pour une opération grand style qui concerne le WWF. La machine à sous décorée d’un panda, c’est ça. Le WWF a été créé par des riches chasseurs britanniques en 1961, et depuis cette date, n’a jamais cessé de fricoter avec les plus grosses boîtes de la planète. Du côté des premiers financiers, on peut citer Mobutu, le cher ange propriétaire du Congo (ex-Zaïre) entre 1965 et 1997, McNamara, le grand responsable des bombardements massifs sur le Vietnam ou encore, pour la rigolade, madame André Bettencourt. La vieille ? C’est cela même.

Le WWF-international a décidé il y a deux ans de faire le ménage dans sa section française, soupçonnée d’altermondialisme. L’ancien directeur, Serge Orru, est débarqué en septembre 2012, et comme par enchantement, Philippe Germa prend sa place en janvier 2013, avec le plein soutien de la navigatrice Isabelle Autissier, présidente du WWF, pleine de belles compétences patronales.

Le WWF nouvelle manière adore le capital sans frontières. Ainsi, Germa est banquier, venu d’une entreprise transnationale d’origine néerlandaise, ABN AMRO. Et son nouveau directeur des programmes, Christophe Roturier, a bossé en Afrique dans les « équitables » échanges de cacao entre la France et des pays comme la Côte d’Ivoire. Il a également été le salarié d’Arvalis-Institut du végétal, chantre de l’agriculture industrielle.

Lalonde dans tout cela ? Il vient d’entrer à pas feutrés dans le conseil d’administration du WWF-France, où l’attendait Germa, un ami de quarante ans, qui fut le trésorier de Génération Écologie. Reconstitution de ligue dissoute ? Ça y ressemble. Mais il y a plus : le 14 mars, sur Europe 1, Lalonde déclare sans état d’âme sa flamme au gaz de schiste et au nucléaire. Or le WWF-International et son homme au conseil d’administration du WWF-France, Jean-Paul Paddack, préparent avec ardeur le prochain sommet mondial sur le climat, qui se tient à Paris en 2015. Lalonde, selon des confidences recueillies par Charlie, deviendrait une pièce maîtresse de ce dispositif. Sous les applaudissements de Total, Exxon, BP, Shell et Areva. Compris ?

Au pays des déchets et des ordures

Cet article a été publié le 20 mars 2014 par Charlie hebdo

Un clan mafieux à la française contrôle l’enfouissement de déchets dangereux, façon Camorra de Naples. Derrière les gros titres de la télé, une autre réalité : les services d’État laissent faire les magouilleurs, car c’est la seule solution qu’ils ont trouvée.

Les journaux aiment enfiler des perles, ça passe le temps. Exemple entre cent : l’affaire de la décharge mafieuse. En deux mots, une famille de la grande truanderie – le clan Hornec -, installée à Montreuil, tout près de Paris, magouillait de manière à enfouir illégalement des déchets toxiques. Où ? À la frontière entre Seine-Saint-Denis et Seine-et-Marne, à Villeparisis. La combine est fort simple : on propose d’embarquer des déchets spéciaux, qui devraient être retraités dans des installations adaptées, et on les enterre dans des champs, si possible près de décharges autorisées, pour contrarier de très éventuels contrôles. Si l’industriel respecte la loi, il paie bonbon. S’il refile ses merdes sans savoir où elles atterriront, il fait une belle affaire.

S’agit-il, comme le répètent en boucle les gazettes, d’une importation des mœurs de la Camorra italienne, qui a pourri toute la région autour de Naples, la Campanie ? Rien n’est moins sûr. L’affaire de Villeparisis révèle en fait une impasse radicale, celle de la gestion des déchets de notre monde. En 2007, la farce du Grenelle de l’Environnement avait juré de réduire le volume de déchets ménagers de 7 % par habitant en cinq ans. Il est passé de 29,3 millions de tonnes en 2008 à 31,9 en 2012, soit une augmentation de 9 % qui ne veut de toute façon rien dire, car personne ne contrôle véritablement de tels flux.

Pour ce qui concerne les déchets industriels, les classements statistiques distinguent à la louche folklorique les déchets dangereux et non-dangereux. Vous m’en mettrez 315 millions de tonnes en 2008, dont 15 seraient craignos. Dans tous les cas, il faut banquer, et comme on ne parvient plus à ouvrir une décharge sans provoquer une levée de fourches, le système est auto-bloqué. La vérité approximative de l’affaire de Villeparisis, c’est que tout le monde est au courant, et que tout le monde regarde ailleurs.

La preuve par ce fait divers rapporté dans un coin du Parisien le 3 mai 2013. Près d’un an avant le supposé scandale en cours, la Direction départementale des territoires (ancienne DDE) fait les gros yeux à la société RTR, celle impliquée dans l’affaire Hornec. Des camions remplissent 18 hectares de terres proches de Villeparisis – là même où les flics viennent de débarquer – et exigent l’arrêt du déversement de déchets. RTR continue comme si de rien n’était. Un type de la DDT, dans Le Parisien : « Ces pratiques diffuses se multiplient. C’est difficile à contrôler ».

Ne rêvons pas : si les flics sont cette fois intervenus, ce n’est pas pour empêcher des enfouissements illégaux, mais pour coincer leurs ennemis jurés, les Hornec. Sur place, à Villeparisis, une association locale comme on les aime se bat depuis des années le dos au mur, dans l’indifférence la plus totale.  L’Adenca (http://adenca.over-blog.com) s’inquiète notamment pour les Grues, une petite rivière qui coule dans la Beuvronne, un affluent de la Marne. Le captage d’Annet, qui abreuve en eau potable 500 000 habitants, est juste en aval. Combien de points de contrôle de la qualité des eaux des Grues ? Aucun.

Aucun, et c’est plutôt vertigineux, car les Grues reçoivent les eaux de ruissellement de RTR – dépôt illégal -, de déchets dangereux de la société Paté de Villeparisis – dépôt illégal -, de l’ancienne décharge « Les Remblais Paysagers de Claye-Souilly » – dépôt illégal -, de la décharge BMR – dépôt illégal. Un mot de plus sur BMR, spécialisée dans « les déchets de chantier ». La boîte a pourri pendant 13 ans le site des Murs à pêche de Montreuil – chez les Hornec ! – déversant le chargement dégueu de centaines de camions, sans aucune autorisation. Ont-ils reçu la visite des flics ? Jamais. Après une énième mise en demeure, BMR a jugé plus prudent de quitter Montreuil pour dégueuler sur Villeparisis. Et se trouve depuis octobre 2013 en règlement judiciaire. Le nettoyage, s’il a lieu, sera payé sur fonds publics.

La morale de l’histoire est limpide : incapables de faire face à une situation délirante – la surproduction de déchets, y compris toxiques -, les services d’État laissent faire les margoulins. On pourrait presque ouvrir une chronique hebdomadaire.

Transition (énergétique), mon cul

Ce papier a été publié par Charlie Hebdo le 5 mars 2014

Il faut sortir une loi sur l’énergie, mais en enfilant gentiment les écolos sans qu’ils se barrent en courant. Margerie et Proglio sont au pouvoir, mais chut, faut pas le dire.

C’est une enflade. Le mot n’existe pas dans le dictionnaire, mais il illustre bien ce qui est en train de se passer. Enflade, d’enfler, qui signifie arnaquer. Officiellement, tout ce beau gouvernement est d’accord sur la transition énergétique. En gros, cela ne peut pas durer. Le pétrole abondant et bon marché,  c’est fini. Les fossiles – pétrole encore, gaz, charbon – détruisent l’équilibre du climat. Le nucléaire, malgré les fantasmes nucléocrates, ne représente jamais que 5,7 % de l’énergie primaire mondiale, avec une tendance à la baisse.

Par ailleurs, les renouvelables : l’eau – hydro-électricité -, le bois, le soleil, le vent, réclament de grands investissements pour pleinement prendre la place. D’autres contraintes martyrisent l’horizon, à commencer par la loi Énergie de 2005, qui oblige la France à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 80 % d’ici 2050. Il faudrait commencer maintenant.

Hollande est pour. Comme il n’est contre rien, il est pour une loi sur la transition énergétique qui préciserait enfin les contours du bouquet énergétique français dans dix, dans vingt, dans trente ans. L’emmerde c’est qu’il faut trancher, ce qu’il ne sait pas faire, et qu’il se branle de la crise écologique. En janvier 2013, le père François promet un « grand débat ouvert et citoyen » pour le printemps, suivi d’une belle synthèse en juin et d’un projet de loi devant le parlement en octobre 2013. Mais rien ne vient.

Le 11 décembre, un an après les promesses, une première réunion d’une fumeuse Commission se tient. On cause, entre soi. Le 7 février 2014, le ministre de l’Écologie Philippe Martin, qui a le sens de l’humour, déclare : « Les travaux sur la loi de transition énergétique avancent bien et les délais seront tenus ». Il est question maintenant d’une présentation au conseil des ministres ce printemps et un vote après, en juin, ou en septembre, ou à la saint Glin-Glin, ça dépendra.

Pourquoi ? Parce que dans les coulisses, où les industriels ont déjà gagné, la bataille fait rage. Il n’est pas question de les embêter si peu que ce soit. Pas au moment même où Hollande croit s’en tirer avec son pacte de responsabilité, dont la propagande dit qu’il pourrait créer 300 000 emplois. Deux grands patrons, qui font antichambre à l’Élysée, illustrent les manœuvres en cours. Christophe de Margerie, PDG de Total, a la pleine oreille de Hollande, qu’il voit régulièrement. Or il se plaint sans détour de Philippe Martin, qui est aussi, on l’oublie, ministre de l’Énergie. Pour le Christophe, l’opposition de Martin au gaz de schiste, secteur où Total est très présent hors de nos frontières, est un casus belli.

De son côté, Henri Proglio, patron d’EDF jusqu’en novembre au moins – Hollande veut le remplacer -, tente d’arracher une concession majeure : augmenter la durée de vie de nos centrales nucléaires, prévues au départ pour trente ans, jusqu’à cinquante, voire soixante ans.

Derrière les deux poids lourds, Pierre Gattaz, ennemi déclaré de toute contrainte « écologique », et le Medef avec lui. Ce n’est pas un secret d’État que Martin a failli démissionner plusieurs fois depuis le début de l’année, ce qui ferait grand désordre après le licenciement de Delphine Batho en juillet 2013. Des témoins, indirects mais fiables, rapportent des discussions à l’Élysée, au cours desquelles Martin était seul contre tous. Seul contre les productivistes du gouvernement, Montebourg bien sûr, Moscovici, Ayrault, Cazeneuve et Hollande soi-même. La morale de l’affaire est très simple : il ne fait pas le poids.

Que contiendra la loi à l’arrivée ? C’est là que cela se complique, car les braves soumis d’EELV, y compris Cécile Duflot, ont déjà annoncé qu’ils rompraient l’alliance avec le PS en cas de reniement trop visible, par exemple sur la date de fermeture de Fessenheim. Un ponte du parti écolo, moyennement charitable, raconte à Charlie : « Je ne vois pas comment ils vont s’en sortir. Ni Duflot ni Canfin ne veulent lâcher leur place, mais Hollande ne veut rien lâcher sur un dossier qu’il juge stratégique. Donc, ça devrait saigner ».

On verra. Pour l’heure, rideau de fumée sur la ligne d’horizon.