Paru dans Charlie Hebdo le 29 mai 2013
Les perturbateurs endocriniens sont en train de balayer la santé publique, partout dans le monde. Mais en loucedé, les ministres français sabotent les chances d’un plan d’action efficace.
Le monde va changer de base. Grâce aux perturbateurs endocriniens. C’est splendide, c’est nouveau. Commençons le voyage par le Mali, pays amicalement dévasté par les islamistes, puis gentiment envahi par nos valeureux bataillons. Le journal en ligne maliba.com du 7 mai raconte que les gamines du pays sont pubères de plus en plus tôt. Interrogé, l’obstétricien Djedi Kaba Diakité raconte : « On connaît mal l’origine du phénomène, mais les résultats d’études convergent de plus en plus vers (…) la pollution, l’usage de produits chimiques spécifiques comme le phtalate ou les phénols qu’on retrouve dans certains articles plastiques et dans l’alimentation. On les appelle les perturbateurs endocriniens ».
Les enseignants locaux constatent cette révolution, et estiment que 3 ou quatre fillettes de 12 ans sur dix sont concernées. Le journal malien note que ces mouflettes « sont désormais très sollicitées dans les discothèques, les rues et, hélas, dans les maisons closes de la capitale ». D’où la tronche de l’imam Mahamoud Dicko, président du Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM) : « C’est le moyen le plus sûr d’encourager la perversion et le phénomène des filles-mères. Nous ne saurions le cautionner ». D’autant que l’âge légal du mariage, aux termes du code de la famille malien, est au minimum de 16 ans. Et le monde entier est frappé par cette peste dont se foutent nos gazettes, gavées de pubs à la gloire de l’industrie chimique.
Résumons à très gros traits : le terme de « perturbateur endocrinien » a été forgé en 1991, au cours d’une conférence scientifique réunie à Wingspread (États-Unis) par la scientifique Theo Colborn. Cette dernière est affreusement chiante, car non seulement sa réputation professionnelle est inattaquable, mais elle ne cesse en plus de remuer la merde (1). Que sait-on en 2013 ? Largement de quoi prendre au colback l’industrie chimique, qui a dispersé dans des milliers de produits, souvent d’usage courant – cosmétiques, jouets, meubles, peintures, biberons -, des molécules qui imitent les hormones naturelles et s’attaquent au passage aux équilibres les plus essentiels des organismes vivants.
Beaucoup de fonctions sont touchées, mais les plus spectaculaires atteintes visent la différenciation sexuelle et la reproduction. Un rapport conjoint de l’OMS et du Programme des nations unies pour l’environnement, publié en février 2013 (2), dresse une liste non exhaustive des effets possibles sur l’homme des perturbateurs endocriniens : cancer du sein, cancer de la prostate, cancer de la thyroïde, hyperactivité de l’enfant, Alzheimer, Parkinson, obésité, maladies auto-immunes, et bien sûr la puberté précoce.
On en restera là faute de place. Et c’est ainsi que le gouvernement est grand. Le nôtre. Car faudrait pas croire : en face d’un tel danger, Batho – Écologie -, Touraine – Santé -, Fioraso – Recherche – ont décidé de lancer une Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE). Après plusieurs réunions tenues depuis février, un plan d’action devrait même être présenté en juin devant le Conseil des ministres. Seulement, ça déconne, et grave.
Parmi la quarantaine d’invités à ces rendez-vous officiels, deux ne jouent pas le jeu. D’abord Michèle Rivasi, députée européenne d’Europe Écologie. Ensuite André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé (RES). Ils ont même failli quitter la salle où se tenait le dernier raout préparatoire, le 17 mai (3), jugeant qu’on se foutait ouvertement de leur gueule. Car si une poignée d’écolos sont représentés aux réunions, la vraie puissance appartient aux services d’État et aux industriels, le plus souvent d’accord sur l’essentiel. Commentaire de Rivasi : « Quand j’ai découvert le document de travail, qu’on nous a communiqué seulement trois jours avant, j’ai réalisé qu’il n’y avait aucune référence à l’épidémie en cours, sur l’effet de seuil et les faibles doses, sur les fenêtres d’exposition, les effets transgénérationnels, etc ».
Du foutage de gueule, aucun doute.
(1) Un livre extraordinaire qui a fait flop au moment de sa sortie en 1998 : L’homme en voie de disparition ?, aux éditions Terre Vivante.
(2) State of the Science of Endocrine Disrupting Chemicals
(3) Entretien accordé au Journal de l’Environnement du 21 mai (www.journaldelenvironnement.net)