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Quand Monsanto se planque pour mieux avancer

Merci à Jean-Paul Guyomarc’h, qui a déniché l’information, et me l’a transmise. Vu le titre que j’ai trouvé, le suspense ne sera pas bien grand, mais faisons comme si. Et commençons par la lecture d’un site internet (ici), qui nous annonce une bien grande nouvelle : la société Scotts France « lance son appli jardin ». Certes, cela peut paraître modeste, mais c’est tout de même bien joli. Disponible sur les smartphones, cette nouveauté « propose un diagnostic complet des maladies et des nuisibles rencontrés dans un jardin et détermine le traitement adéquat ». C’est gratos, c’est sur le téléphone, c’est hyperpratique et hypramoderne, cela devrait donc faire fureur. Ne compte-t-on pas 17 millions de jardiniers en France, ainsi que 12 millions de smartphones à la fin de 2011 ? Si.

Insistons sur un point digne d’intérêt : il s’agit de proposer un traitement. Car l’application magique recense, en sa banque d’images, 110 maladies et « nuisibles » de la plante. C’est la guerre, voyez-vous, mais les armes de destruction massive sont à portée de pulvérisateur. Elles s’appellent KB, Carré Vert, Fertiligène et Naturen. En « géolocalisant » les magasins qui produisent ces excellents biocides, puis en établissant un itinéraire grâce à Google Map, on court les acheter les yeux fermés. Et si par malheur l’agressé ne trouve pas l’agresseur dans la liste des 110, eh bien, il lui reste la possibilité d’appeler un expert. Un expert de chez Scotts, la noble société qui offre ainsi ses si admirables services.

Poursuivons. Pour en savoir plus sur l’application gratuite, il est conseillé de se rendre sur un autre site appelé La pause jardin (ici). Un tel nom donne confiance, je trouve. Surtout qu’on vous annonce de suite qu’on « n’a jamais été aussi bien dans son jardin ». Pour celui qui a envie de jouer à l’ombre de son figuier, « un grand concours Agriculture biologique », qui peut permettre de gagner un kayak. Quantité de braves gens dont on ne connaîtra que le doux prénom – Nathalie, par exemple – répondent à nos questions, tandis qu’un gentil organisateur offre un voyage virtuel dans la magnifique bambouseraie d’Anduze, dans le Gard. « C’est les vacances », « Découvrez le Land’art »« Jardinez à l’ombre » : tout est à ce point sympathique qu’on a envie de tirer une chaise, et de s’asseoir en si bonne compagnie. Il faut vraiment être une vilaine engeance pour se concentrer sur les discrètes mentions concernant les bons produits de la maison, qui ont nom Substral, Fertiligène, KK, etc.

Et d’ailleurs, quel est donc le propriétaire de ces marques, dites-moi ? La page ne signale rien qui permette de comprendre qui est qui. Il faut aller aux toutes dernières lignes, et se munir d’une loupe binoculaire pour découvrir ceci : « Vous êtes sur le site Scotts France destiné aux produits grand public ». Et nous voilà bien avancés, car qui est donc Scotts France ? Vous connaissez peut-être, mais en ce cas, vous faites partie d’une minuscule cohorte. Oui, qui est Scotts France ? Patience. C’est en tout cas une entreprise fortement « citoyenne », pour reprendre un mot si galvaudé qu’il en est devenu obscène. Regardez plutôt ce film d’une minute où l’on voit le directeur de Scotts France parler de ses relations avec les parcs naturels régionaux : c’est ici.

Il n’est que temps de parler du round-up, désherbant le plus vendu en France, et dans le monde. La très belle association Eau et Rivières de Bretagne a mené un homérique combat judiciaire de six années – tribunal correctionnel, cour d’appel de Lyon, Cour de cassation – contre le fabricant du round-up, c’est-à-dire Son Altesse Monsanto Elle-Même. Et elle a gagné de façon spectaculaire : lire ici. Monsanto a été condamnée pour publicité mensongère. Sans état d’âme, la transnationale plaquait sur ses flacons : 100 % biodégradable ou encore Respecte l’environnement. Plaisantins, va !

Mais Monsanto n’était pas la seule entreprise poursuivie. Car si la marque fabriquait, une autre commercialisait. Et cette autre a pour nom, mais vous l’aurez sans doute deviné, Scotts France. Quels sont les liens entre les deux ? Bonne question, que je vous remercie de me poser à distance. Ce n’est pas si clair. Des documents présentent Scotts France comme une « division » de Monsanto, mais je n’y crois guère. Les sources les plus sérieuses que j’ai pu lire indiquent que Scotts Miracle-Gro est une entreprise américaine qui a passé des accords exclusifs avec Monsanto. Il n’est pas exclu que des liens plus discrets existent entre les deux, mais en ce cas, j’en ignore tout.

La question du jour est de savoir pourquoi Monsanto a renoncé à commercialiser sous son nom l’un de ses produits-phares, le round-up. Les explications sont sûrement nombreuses, mais je vais vous proposer la mienne, exceptionnellement optimiste : le nom de Monsanto est associé à tant de saloperies que la firme étasunienne aura préféré cacher ce nom devenu synonyme de crime. En confiant le bébé à une boîte totalement inconnue, Scotts, elle aurait réussi à gagner un peu de temps et à tromper un peu plus les pauvres nigauds que nous sommes tous.

Je le reconnais, ce n’est qu’hypothèse. Mais voyez comment font les entreprises malades de leur nom et de la réputation associée. Dans les années 80 et 90 du siècle passé, le marché de l’eau, en France, a permis d’apprendre beaucoup sur la corruption des élus locaux, qui est grande. Qu’est donc devenue la Lyonnaise des Eaux, créée en 1880 ? Entre 1980 et 2000, son président s’appelait Jérôme Monod, qui fut aussi un des plus grands pontes du RPR de Chirac. Et c’est sous son règne qu’Alain Carignon, jadis maire de Grenoble et toujours ami proche de Sarkozy, fut envoyé en taule pour avoir signé un « pacte de corruption » avec la Lyonnaise. Je vois que la police est bien faite : si vous tapez Lyonnaise des Eaux sur Google, vous verrez comme moi combien Wikipédia sait se montrer miséricordieux avec les crapules.

Je m’éloigne. La Lyonnaise est désormais noyée – oui, c’est un mauvais jeu de mots – dans le groupe Suez Environnement et distribue tranquillement de l’eau à près de 20 % des Français. On a enterré le passé avec l’ancien nom : bien joué. Et la Compagnie générale des Eaux, fondée elle en 1853, vous voyez ? Si oui, quelle chance ! Extrait du journal Libération du 10 octobre 1996 : « Au troisième jour du procès, les deux hauts dirigeants de la
Compagnie générale des eaux (CGE) ont craqué.
« Nous voulons vous dire exactement comment les choses se sont passées », a déclaré Jean-Dominique Deschamps, hier matin, à la reprise de l’audience, devant le tribunal correctionnel de Saint-Denis de la Réunion. Son collègue à la direction générale de la CGE, Jean-Pierre Tardieu, a embrayé pour reconnaître qu’une commission « de 4 millions de francs, dont la moitié devait être versée autour de la première année, avait été convenue » avec la mairie de Saint-Denis, alors dirigée par le socialiste Gilbert Annette ».

Mais où est passée la Générale ? Après avoir été confiée au vertueux Jean-Marie Messier, si proche conseiller d’Édouard Balladur, alors ministre des Finances – 1987 -, elle se transforme ensuite, par un coup de baguette magique, en Vivendi Environnement. Ni vu ni connu, j’t’embrouille. Un autre coup de chiffon, et la voilà devenue Veolia, ripolinée de manière à tenir au moins le siècle : elle emploie plus de 330 000 salariés et se présente en toute modestie comme « leader mondial des services collectifs ». Pfuit ! Plus aucune odeur, plus aucun relent d’égout.

Je ne dresse pas la liste interminable de ces astucieux changements. Vous en connaissez probablement vous-même, en France ou à l’étranger. Un dernier mot : dans l’indépassable 1984, la bataille des mots et de la mémoire est centrale. Décisive. L’Angsoc, qui règne de la manière qu’on sait, repose sur un triptyque audacieux : « La guerre, c’est la paix », « La liberté, c’est l’esclavage » et « L’ignorance, c’est la force ». À côté de l’anglais classique, bien trop proche de la vérité, est apparu le newspeak, que nous avons traduit par novlangue. Monsanto a bien mérité de la patrie orwellienne.

Terra Nova, c’est quoi ? (Rappel sur la triste nature du pouvoir)

Les amis, rions d’abord, car cela peut toujours servir. Rions. Ces gens sont désespérément risibles et ne le sauront jamais. Car, soyons réalistes, jamais les critiques de ce monde à terre ne parviendront à imposer leur manière de rire. Je parle là des temps humains, ceux qui sont à ma portée. Pour les autres, on verra bien. Mais je risque de ne plus être présent pour admirer le spectacle.

En tout cas, Terra Nova. Cornelius Castoriadis, parlant de l’URSS (Union des républiques socialistes soviétiques), avait écrit en 1948, avec la majesté coutumière de son verbe : « quatre lettres, quatre mensonges ». Faut-il préciser ? Dans la Moscou stalinienne, il n’y avait en effet ni union, ni république, ni socialisme, si soviets d’aucune sorte. On était donc dans le mensonge global, archétype qui a ensuite triomphé partout dans le monde, y compris le nôtre. Je suis comme certain que tous les philostaliniens de notre temps, ceux qui adorent Castro, Chávez et Mélenchon, n’ont pas la moindre idée sur le sujet.

En tout cas, et je me répète, Terra Nova. Deux mots et deux mensonges. Terra ? Non, messieurs et dames, pas la Terre, seulement l’Occident. Et dans l’Occident, la France telle que vous l’imaginez. Nova ? Allons. Qu’y a-t-il de neuf dans les notes de synthèse qui ne servent qu’à vous propulser dans l’appareil d’État quand les affaires de la gauche gouvernementale reprennent ?

Il faut cette fois y aller. Terra Nova (ici) est un think tank. À ce stade, tout est déjà dit. Car le think tank est une sorte de boîte à idées permettant aux partis de parvenir au pouvoir et de s’y maintenir. Il est par conséquent bourré d’experts qui se branlottent sans relâche, qui de droite qui de gauche. Terra Nova est de gauche. Tellement de gauche que, le 10 mai 2011 – clin d’œil, trente ans jour pour jour après la victoire de Mitterrand en 1981 -, cette merveilleuse assemblée autoproclamée  mettait en garde le parti socialiste, son allié historique. Attention, bande de nouilles, il ne sert plus à rien de parler des prolos. C’est atrocement has been. Et même dangereux sur le plan électoral. L’avenir est désormais au combat sur les valeurs sociétales, permettant d’unir les diplômés, les femmes et les jeunes, les immigrés et les minorités (ici). Mais quel beau programme !

Outre qu’il est insultant pour le défunt « sel de la terre » de tous les soap operas prolétariens, il est si ridicule qu’il fait penser – mutatis mutandis – au programme maoïste des années 70 en France, qui réjouissait alors tant de grands noms. Faut-il citer Michel Foucault, Alain Geismar – qui a troqué l’adoration de Mao pour celle de Claude Allègre -, Serge July – passé de la défense du peuple à l’illustration de RTL -, André Glucksmann – jadis thuriféraire de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, aujourd’hui partisan de la guerre en Irak et de Sarkozy -, Philippe Sollers, amoureux fou de lui-même au point de se prosterner cent fois et mille fois devant la dictature totalitaire, etc.

Mille excuses pour cette embardée, qui m’est coutumière. Le texte de Terra Nova datant du 10 mai 2011 a pour titre sublime et délicieusement inquiétant : « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? »,  et commence ainsi : « En France, comme partout en Europe et en Amérique du Nord, l’électorat de la gauche est en mutation. La coalition historique de la gauche centrée sur la classe ouvrière est en déclin. Une nouvelle coalition émerge : “la France de demain”, plus jeune, plus diverse, plus féminisée. Un électorat progressiste sur le plan culturel. Une population d’outsiders sur le plan économique, variable d’ajustement face à la crise d’une société qui a décidé de sacrifier ses nouveaux entrants ».

Et dire qu’on les paie pour cela ! Combien de salaires de prolos usés par la vie et la machine faut-il pour obtenir le gain d’un petit ponte de Terra Nova ? J’avoue ne pas le savoir. En disant : beaucoup, je ne risque pas de me tromper. Avant la chute de ce papier, que je garde au chaud encore quelques lignes, un mot sur Olivier Ferrand, qui fut le président de Terra Nova jusqu’au 30 juin dernier, date de sa mort brutale. Cet homme avait cosigné la note évoquée ci-dessus, et il incarna mieux que quiconque ce si magnifique think tank. Mais bon, requiescat in pace, et je le dis sans hypocrisie. Ce type, devenu député des Bouches-du-Rhône en juin dernier, n’avait que 42 ans, une fillette de 12 ans, une épouse. La mort efface à peu près tout.

Quant à la vie, c’est une autre paire de manches. Vous verrez ci-dessous, dans le papier du Monde que je vous mets en copie, que Terra Nova emploie une demi-douzaine de salariés. Une majorité des hauts-cadres non salariés de la structure ont rejoint les cabinets ministériels et parlementaires. Je ne doute pas qu’ils sauront influencer les socialistes de la bonne manière, d’autant qu’il n’y a pas beaucoup de travail à faire. Ils sont déjà convaincus de l’essentiel : il faut et il suffit de dire et répéter que tout bouge, quand rien ne change en réalité.

Au fait, qui paie les festivités ? Ben oui, soyons prosaïque : de quelle manière les salariés de Terra Nova sont-ils rétribués ? Et les notes de frais, de secrétariat, de papier même ? Eh bien, et la surprise n’est pas colossale, les mécènes sont là. Et quels mécènes ! Air France, Microsoft, Areva, entre autres. Air France, donc le maintien de l’industrie aéronautique, dont le développement est contradictoire avec une lutte réelle contre le dérèglement climatique. Microsoft, symbole s’il en est de la déraison boursière et de l’aliénation de masse par l’écran. Areva enfin, le groupe nucléaire dont l’histoire entière est liée au secret militaire, à la bombe, à l’industrie criminelle de l’atome. Il n’y a rien à attendre de ces preux, car leur loyauté – à toute épreuve, je vous le garantis – ne va pas à la justice et au partage, mais aux maîtres véritables du monde. Terra Nova, deux mensonges mais une vérité.

L’article du Monde

Terra Nova cherche sa place aux côtés du pouvoir

LE MONDE |

Par Thomas Wieder

Marc-Olivier Padis et Jean-Philippe Thiellay, les vice-présidents de Terra Nova, mercredi 18 juillet, à Paris.

Son nom lui était tellement associé que la question se posait inévitablement : qu’allait devenir Terra Nova après la disparition d’Olivier Ferrand, son président et fondateur, mort brutalement le 30 juin à l’âge de 42 ans ?Une première réponse a été donnée, mercredi 18 juillet, lors d’une réunion – la première depuis le décès de M. Ferrand – au cours de laquelle se sont retrouvés les membres du bureau de ce think tank proche du Parti socialiste.

« L’aventure continue, différemment bien sûr, mais elle continue plus que jamais », ont assuré Jean-Philippe Thiellay et Marc-Olivier Padis, les deux vice-présidents de Terra Nova, désormais en première ligne.

UN DOUBLE DÉFI

Fondé en 2008, Terra Nova est aujourd’hui confronté à un double défi. Le premier, la succession d’Olivier Ferrand, avait d’une certaine façon été anticipé par l’intéressé, même si nul n’imaginait qu’elle se poserait si précipitamment.

Depuis sa victoire aux législatives, M. Ferrand entendait en effet « prendre du champ » : désormais, il passerait l’essentiel de son temps entre l’Assemblée nationale, où il avait rejoint la commission des finances, et la 8e circonscription des Bouches-du-Rhône, conquise de haute lutte. S’il souhaitait rester président de Terra Nova, M. Ferrand avait prévenu qu’il serait moins présent dans les bureaux de la fondation, voisins de celui de Michel Rocard, avenue des Champs-Elysées à Paris.

Lire aussi : Olivier Ferrand, itinéraire d’un jeune espoir du Parti socialiste

Le second défi est conjoncturel : quel rôle peut jouer un think tank dès lors que la famille politique dont il se réclame a conquis le pouvoir ? La question n’est pas que théorique.

Depuis la victoire de la gauche, plusieurs piliers de Terra Nova ont rejoint les allées du pouvoir : Romain Prudent, l’ancien secrétaire général, est désormais conseiller de la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem ; Fabien Duquesne, chargé des relations presse, est l’assistant parlementaire de Jean-Pierre Maggi, l’ex-suppléant d’Olivier Ferrand. Quant à Jean-Philippe Thiellay, il a rejoint le cabinet de Jean-Marc Ayrault pour s’occuper des institutions et de la décentralisation.

Cette nouvelle relation au pouvoir devrait conduire à quelques ajustements dans le travail produit par Terra Nova. Les notes d’actualité – plus de 500 ont été produites en quatre ans afin de nourrir l’argumentation de la gauche dans l’opposition – seront moins nombreuses. « On ne va pas passer notre temps à expliquer que la majorité à laquelle on est lié fait mal les choses », justifie M. Thiellay.

« IL FAUT PRÉPARER LA SUITE »

Si les rapports réalisés sous l’égide d’experts – une cinquantaine depuis 2008, sur des questions aussi diverses que la sécurité, le sport ou la compétitivité – continueront d’être encouragés, un autre outil sera développé : « L’idée est de faire le « benchmark » [expertise] des politiques régionales, pour réfléchir à la façon dont les expériences intéressantes peuvent servir au niveau national », explique M. Thiellay.

Piloté par une demi-douzaine de permanents, doté d’un budget annuel d’environ 500 000 euros, financé par des mécènes comme Areva, Air France, Microsoft ou la SNCF, Terra Nova se donne un objectif, qui rejoint celui des dirigeants du PS : « Il faut préparer la suite, ce que ni la gauche entre1997 et 2002, ni la droite ces dernières années n’ont su faire, et cela passe par l’activation permanente de la réflexion », veut croire M. Thiellay.

Plus libre de sa parole vis-à-vis du nouveau pouvoir, l’autre vice-président de Terra Nova, Marc-Olivier Padis, rédacteur en chef de la revue Esprit, voit les choses ainsi : « Il y a des sujets que la campagne électorale n’a pas vraiment traités : notre modèle de croissance, la place de la France dans la mondialisation. Il faut s’en emparer. »

Après un débat, fin août, lors de l’université d’été du PS à La Rochelle, un colloque d’hommage à Olivier Ferrand se tiendra à Paris fin septembre pour préciser le nouveau rôle de Terra Nova sur le flanc gauche de la scène politico-intellectuelle, que ses deux vice-présidents conçoivent ainsi : « Non pas un poil à gratter, mais un stimulus. »

Thomas Wieder

Pascal Canfin, nouveau ministre, face à un putain de barrage

Ne quittez pas de suite cette page, même si le préambule vous paraît long. Je vais bel et bien parler de Pascal Canfin, dirigeant d’Europe Écologie – Les Verts, devenu depuis peu ministre délégué en charge du « développement ». Mais patience, car je dois avant toute chose vous parler de la vallée de l’Omo, en Éthiopie. Je doute que beaucoup d’entre vous connaissent ce lieu, qu’il me faut donc présenter en quelques mots. L’Omo est une rivière, qui coule le long de 760 kilomètres depuis ses sources situées au sud-ouest d’Addis-Abeba, la capitale. La ville est installée sur un haut-plateau dont l’altitude varie de 2300 à 2600 mètres. L’Omo, après avoir taillé sa route là-haut, descend par une vallée sublime qui s’achève en delta dans le lac Turkana, qu’on a longtemps appelé Rudolf. Je laisse aux spécialistes le soin de dire si une rivière se jetant dans un lac est aussi un fleuve.

Cette partie inférieure de la vallée de l’Omo se trouve aux portes du Kenya – le lac Turkana est pour l’essentiel sur son territoire -, très près de cette Rift Valley – la vallée du Rift – où l’aventure humaine a connu de saisissants mouvements. On a découvert ici de nombreux fossiles humains, dont certains d’Homo abilis, un ancêtre qui pourrait bien avoir inventé l’outil. Mais il n’y a pas que les morts, dans cette vallée basse de l’Omo. Il y a les vivants, les survivants du terrifiant développement imposé au monde entier. Huit peuples au moins, 200 000 personnes peut-être, vivent le long de l’Omo. Qui est paradoxalement une zone semi-aride. L’eau est tout.

Les Bodi, les Daasanach, les Karo, les Muguji, les Mursi, les Nyangatom attendent tout des crues de l’Omo, en quoi ils ont raison (ici). Depuis des temps plus anciens qu’internet, ces peuples cohabitent avec la rivière, qui dépose sur ses rives un limon qui apporte, après travail, du sorgho, du maïs, des haricots, et quelques pâturages pour les bêtes. La biodiversité autre qu’humaine ? Ce territoire à peu près unique abrite 300 espèces d’oiseaux, 80 espèces de gros mammifères, sert de refuge aux lions, aux rhinos, aux éléphants, aux chimps, aux buffles, aux léopards, aux girafes. Merde, croyez bien que je n’en rajoute pas.

Mais il y a Addis. Où, comme partout ailleurs dans le Sud de ce monde malade, trône une folle bureaucratie urbaine. Qui réclame les mêmes standards de vie que les nôtres. Qui connaît parfaitement la chanson du « développement » et des aides publiques déversées par la Banque Mondiale et tous ses clones. Ne croyez pas que l’Éthiopie est une vague province oubliée. C’est un immense pays qui compte chaque jour un peu plus. Un pays grand comme deux fois la France, et dont la population dépasse 90 millions d’habitants. 90 millions ! L’Éthiopie fera parler d’elle sous peu, et ce ne sera pas pour jouer de la mandoline. J’ajoute qu’un régime atroce, inspiré par l’expérience soviétique stalinienne, et longtemps soutenue en France par notre si bon parti communiste, a régné en Éthiopie de 1974 à 1990. On appelait cela le Derg – gouvernement militaire provisoire de l’Éthiopie socialiste -, puis la République populaire démocratique d’Éthiopie, le tout mené après 1977 par l’une des plus belles crapules du siècle passé, Mengistu Haïlé Mariam. Lequel, après avoir été chassé du pouvoir en 1991, s’est réfugié au Zimbabwe, où sévit Robert Mugabe, un autre salopard qualifié.

C’est dans ce pays éthiopien qu’ont été construits une dizaine de grands barrages, de manière à pouvoir gaspiller l’électricité comme EDF nous a appris à le faire à la maison. L’un d’eux devrait être achevé en 2014, qui s’appelle Gibe III, à environ 300 km au sud-ouest d’Addis. Comme son nom l’indique, il est le troisième. Le troisième d’une série de barrages édifiés sur l’Omo. Mais Gibe III appartient à une race différente, car lorsqu’il fonctionnera – s’il doit jamais fonctionner -, il sera le plus haut barrage hydro-électrique d’Afrique, et permettra en un coup de doubler la capacité électrique installée de toute l’Éthiopie (sur la base des chiffres de 2007).

Ce qui se passera à l’aval des 240 mètres de hauteur du mur de béton, on le devine. Mieux, on le sait. Des peuples entiers – si l’on considère qu’un peuple est aussi sa culture – mourront à jamais. Cette manière si singulière qu’ont les Daasanach ou les Muguji d’habiter le monde partira à la benne. La gigantesque benne à ordures où tout s’entasse à une vitesse désormais stupéfiante. Plus de crue, plus de vie. Plus de pâturages, plus de villages. Est-ce bien compliqué ?

Comme le chantier est avancé, il faut tenter de comprendre ce qui passe par la tête des demeurés habitant aujourd’hui les rives de l’Omo. Pardi ! pour eux, c’est la vie ou la mort. Tout le reste est insignifiance. En ce moment, au moment précis où j’écris ces mots qui se perdront à coup certain, des flics et des militaires éthiopiens ratissent hameaux et villages de la vallée de l’Omo. Sans témoins, ils tabassent, arrêtent et emprisonnent les récalcitrants, volent et tuent le bétail. Vont-ils plus loin ? Je n’en serais pas autrement étonné – je doute fort que CNN et TF1 envoient sur place des équipes rutilantes -, mais je n’en ai aucune preuve. Je me base sur une enquête de terrain d’une des ONG les plus respectées de la planète, Human Rights Watch (ici). Outre le gaspillage d’électricité, le barrage servira à irriguer 100 000 hectares de terres vendues par Addis à l’encan. À des transnationales étrangères, dans le but principal de cultiver la canne à sucre, plante de grand rapport. L’accaparement des terres, c’est-à-dire le vol, c’est cela : s’emparer de vastes surfaces par tous moyens étatiques, puis détourner l’eau, sans laquelle le pillage ne serait pas assez rentable.

Ce barrage coûte très cher. Évidemment. Si le gouvernement éthiopien devait le financer, il ne le pourrait. Et c’est pourquoi, dans sa grande sagesse industrialiste, il a fait affaire avec le club des Grands Destructeurs Associés de la planète, au premier rang desquels la Banque Mondiale. Cette merde globale est une merde globale. Mondialisée, je veux dire. Et je ne me lasserai jamais de rappeler que deux institutions clés de la destruction du monde ont été récemment dirigées par des socialistes français. Plus exactement, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) l’est encore : le socialiste Pascal Lamy, qui serait autrement ministre français, commande à cette association de malfaiteurs depuis 2005. Et M.Strauss-Kahn, qu’on ne présente plus, a dirigé le Fonds Monétaire International de 2007 jusqu’à ses menus soucis sexuels.

La Banque Mondiale est donc au centre de ce maudit barrage éthiopien. Et elle vient de débloquer 243 millions de dollars à l’Ethopie et 441 millions au Kenya pour réaliser le raccordement électrique de ce dernier pays au grand barrage en construction. C’est dégueulasse ? C’est au-delà des mots. Sauf que notre belle Agence française du développement (ici) est dans le coup, qui finance elle aussi ce que les promoteurs nomment « l’autoroute électrique ». Je n’ai pas le temps de détailler ce qu’a été, ce qu’est encore cette AFD, véritable bras armé de l’État français depuis sa naissance en 1941. L’AFD est indissociable de ce qu’on a nommé à juste titre la Françafrique.

Et c’est à cet instant que nous retrouvons Pascal Canfin, membre éminent d’Europe Écologie – les Verts, et nouveau ministre délégué, en charge du « développement ». Je ne connais pas cet homme, que des amis, qui l’ont fréquenté, présentent comme un garçon respectable. Je vais donc faire comme si, et lui adresser la lettre suivante :

» Eh bien, monsieur le ministre, vous voilà d’ores et déjà au pied du mur. Du barrage, si vous me permettez. Je sais, et vous savez mieux que moi que les attributions de votre ministère vous donnent la tutelle de l’Agence française du développement (ici). Ne présidez-vous pas le conseil d’orientation stratégique de cette institution ?

» Aussi bien, votre responsabilité personnelle concernant le barrage sur l’Omo est-elle immense. Certes, vous pouvez vous abriter derrière les décisions déjà prises, et prétendre qu’elles n’engagent vraiment que vos prédécesseurs. Vous le pouvez. Ce serait commode, ce serait aussi suicidaire. Car vous suivriez alors, inéluctablement, le sort de Jean-Pierre Cot, éphémère ministre de la Coopération de Mitterrand après 1981, congédié tel un domestique des temps passés pour avoir osé parler de la Françafrique. Ou, en plus dérisoire encore, celui de Jean-Marie Bockel, « exfiltré » en catastrophe de son poste de secrétaire d’État à la Coopération, en 2008, pour avoir déplu à MM.Bongo et Sassou-Nguesso.

» Faut-il, dans un autre registre, rappeler le sort ministériel funeste fait à votre camarade de parti Dominique Voynet ? Incapable d’œuvrer comme la ministre écologiste qu’elle prétendait être, elle restera dans la (très) modeste histoire récente comme celle qui fut incapable de trouver les mots justes après la marée noire de l’Érika. Vous pourriez bien, mutatis mutandis, vous retrouver rapidement dans une situation proche. En accompagnant une politique indigne et en tournant le dos au vrai changement, lequel vous mettrait forcément en danger. Dans le monde tel qu’il est, monsieur le ministre, celui qui s’oppose à la marche à l’abîme ne finit pas avec une retraite de ministre.

» Il est pour vous une autre voie que celle du déshonneur ou de la démission. Si cela vous semble nécessaire à votre carrière, eh bien assumez donc ce financement, au nom du passé. De la France, si vous préférez. Chargez au passage la barque de ces messieurs de la Sarkozie, qui ne sont plus à cela près. Mais aussi et surtout, dénoncez ! Mais ruez ! Mais criez sur tous les toits que l’aide de la France au barrage de l’Omo est en contradiction totale avec les valeurs qui sont les vôtres. Une forte parole de cette France que vous représentez aurait un effet direct, majeur, sur les autres bâilleurs de fonds, qui se tiennent tous par la barbichette. Dont la présence d’un seul entraîne et rassure tous les autres. En revanche, si par malheur vous deviez rester muet, que vous soyez alors maudit à tout jamais ! Car rien ne vous interdit de poser des limites. Rien ne vous empêche de dire à vos alliés socialistes et au pays que vous ne serez pas une potiche. Une déclaration ferme de solidarité avec les peuples de l’Omo vous vaudrait l’exécration des industrialistes et le soutien définitif de ceux, partout dans le monde, qui savent ce que cache le mot amer de « développement ».

» Arrivé à ce stade, monsieur le ministre, je dois avouer qu’il me vient un doute. Ayant lu certains de vos propos depuis votre nomination, je me demande avec inquiétude si vous avez seulement parcouru ce très grand livre : « Le développement : Histoire d’une croyance occidentale ». Dans cet ouvrage essentiel, Gilbert Rist montre comme l’histoire fait d’une idée une idéologie, puis une force matérielle. Tenez, je suis prêt à vous l’envoyer à mes frais. Que diable entendez-vous nous dire, lorsque vous écrivez (ici): « Vous l’avez noté : en remplaçant le terme Coopération au profit de celui de Développement, l’intitulé du Ministère qui m’a été confié par le Premier ministre est d’ores et déjà un marqueur du changement souhaité par le Président de la République. Un symbole qui révèle aussi la marque de la volonté politique qui anime le Gouvernement dans son ensemble ». Je me répète, pardonnez ma familiarité : il me semble que la lecture de Gilbert Rist s’impose.

» Monsieur le ministre, vous et vos conseillers pouvez bien entendu passer ces mots par pertes et profits. Et suivre la voie si naturelle de ceux qui tiennent le pouvoir, puis s’y accrochent. Il me semble qu’il serait plus noble de commencer par aller faire un tour dans la vallée de l’Omo. Un voyage ministériel auprès des Bodi, Daasanach, Karo, Muguji, Mursi, Nyangatom marquerait réellement le changement dont tout le monde se réclame sans jamais avoir à le prouver. Si le cœur vous en dit – sait-on jamais ? -, je suis tout prêt à vous accompagner. Et je suis on ne peut plus sérieux. Avec mes salutations écologistes,

Fabrice Nicolino

Dites-moi, vous croyez qu’il va répondre ?

PS : L’avocat William Bourdon apparaît comme un proche du nouveau pouvoir (ici). Fort bien.  Grand défenseur des droits de l’homme – c’est sans ironie -, créateur de l’association Sherpa, critique résolu de la mondialisation cannibale dont le barrage éthiopien est comme un étendard, Bourdon peut et doit évidemment défendre les peuples de l’Omo. Et démontrer du même coup qu’il se distingue de tous ceux qui, après 1981, ont oublié c e qu’ils prétendaient être, au motif que la gauche était au pouvoir. Je lui demande, je nous demande à tous un sursaut. Bas les pattes devant la rivière Omo ! Cela semble ridicule ? Ça l’est. Qui s’attaque à l’Everest avec une pelle en plastique est ridicule.

Une lettre venue du bocage de Notre-Dame-des-Landes

Dieu sait qu’on m’a souvent demandé, ici même et bien ailleurs, ce qu’il fallait faire. J’ai constamment apporté les éléments de réponse qui étaient en moi, mais bien entendu, ce n’est et ce ne sera jamais suffisant. Ce qui n’empêche pas d’agir. Vous savez sans doute qu’une vaste coalition menée par le ci-devant maire de Nantes, actuel Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, veut un autre aéroport à Nantes.

C’est en tout point lamentable. Ayrault, qui habite la Lune avec tous ses petits camarades, ne sait rien de ce qui se passe sur la Terre. Le pic pétrolier, la crise climatique, la biodiversité, la fin des illusions progressistes, il s’en tape. Il a l’intention de finir sa vie comme il l’a commencée. On ne peut rien attendre de lui. Céder devant sa pure connerie, accepter que cet aéroport nantais soit construit serait signer une défaite historique de notre camp. Le camp incertain, mais puissant en vérité, des défenseurs de la vie et des lieux.

Marie Jarnoux, qui vit sur le territoire convoité par les promoteurs de l’aéroport Notre-Dame-des-Landes, a trouvé sa voie, qui nous concerne tous. C’est celle de la lutte, drapeau déployé. On ne peut espérer gagner que si l’on se bat. Et Marie n’entend pas perdre. Dire que je la soutiens est certes un peu facile. Je n’y suis pas, moi, à Notre-Dame-des-Landes. Je ne subis pas, jour après jour, les assauts de tous les employés de la destruction. Raison de plus de lui dire merci pour le texte qui suit, qu’elle a lu au cours du « Forum européen contre les grands projets inutiles imposés », qui vient de réunir autour de 8 000 personnes près de Nantes.

Le texte de Marie Jarnoux

Amis d’ici, amis d’ailleurs,

Chacun sait qu’un territoire se défend avec ses habitants, et qu’un territoire vidé de sa population est facile à conquérir. C’est d’ailleurs pour cette raison, qu’un appel à l’occupation des terrains injustement appropriés par les promoteurs de ce projet, fut lancé le 1er mai 2008. La stratégie fut payante. Le rouleau compresseur ne passe pas aussi facilement que prévu. Nous sommes en 2012 et les travaux sont fortement ralentis.

Nos ennemis communs (AGO [Aéroports du Grand Ouest], Vinci et l’État) savent bien que s’ils parviennent à nous faire partir, nous qui habitons cette zone … ils auront gagné ! Nous ne les laisserons pas réaliser leur projet de mort en détruisant nos lieux de vie, même si tous les moyens sont bons pour nous virer !  Harcèlement téléphonique, passage d’huissiers, militarisation de la zone, visite de  cadres de Vinci qui nous assènent qu’il faut être raisonnable.. accepter de quitter nos maisons… de céder nos terres… de quitter ce territoire que nous aimons sous peine de tout perdre et d’être assignés en justice.

Dans ce combat juste que nous vivons, rien ne nous est épargné :

– En septembre dernier, la violence policière aveugle s’abat sur des opposants venus investir le square Mercoeur et ses arbres pour que les passants pressés lèvent les yeux au ciel et lisent sur les banderoles pourquoi nous ne voulons pas de l’aéroport et de son monde. 24 arrestations dans la journée, un camarade électrocuté au tazer à 10 mètres de hauteur par les hommes du GIPN.

– Le 21 juin dernier, les opposants investissent la mairie de Notre-Dame-des-Landes pour exprimer leur refus catégorique du projet. Les manifestant-e-s sont matraqués et gazés. Les gendarmes mobiles brisent la vitre de certains tracteurs au pied de biche et arrêtent un paysan. Son outil de travail est confisqué et il est convoqué le 28 août prochain à Saint Nazaire,  pour « violence volontaire avec arme sur personne dépositaire de l’autorité publique. »

– La famille Herbin est convoquée mercredi prochain, le 11 juillet, au tribunal de Saint Nazaire pour, dans le langage juridique à vomir de l’huissier « débarrasser les lieux de leur présence. » Ce sont les premiers habitants légaux de Notre-Dame-des-landes qui se retrouveront face à un juge pour le simple fait d’habiter sur la zone. AGO/VINCI affirment dans leurs communiqués que cette famille est « sans droit ni titre », pour pouvoir leur réserver le même sort qu’aux occupant-e-s : une expulsion rapide. Depuis le 3 juillet, d’autres locataires sont expulsables et recevront eux aussi une convocation au tribunal.  Nous savons qu’à mesure qu’avance la machine judiciaire, tous ceux qui veulent rester et résister seront sans droit ni titre.

Ce ne sont que trois exemples parmi tant d’autres de la répression des opposant-e-s.Et que dire des coups de poignards dans le dos de nos chers élus politiques, Rappelons nous le discours de Mme Duflot lors de l université d été des Verts, elle fanfaronnait : « je le dis, les yeux dans les yeux, l’accord de 2012 avec le PS, s’ils ne lâchent pas sur Notre-Dame-des-Landes, ce sera non.» Ces pitoyables mensonges démontrent qu’entre les convictions écologiques et sociales sur lesquelles les politiques brodent à longueur de discours et l’attrait malsain des ors du pouvoir, ils ont choisi. Nous ne sommes pas de ceux qui se laissent berner par ses promesses électorales et ses campagnes attrape nigauds. Nous ne sommes pas de ceux qui par leur naïveté deviennent le paillasson sur lequel ils s’essuyent négligemment pour gagner le confort douillet de salon ministériels.

Face aux matraques, aux intimidations et aux trahisons politiques nous pourrions baisser les bras. L’incertitude des lendemains, la passivité d’une partie des habitants du coin, sont souvent difficile à vivre. Mais nous le redisons, la bataille continue, et nous ne pouvons pas la perdre. Non pas parce que nous sommes les plus forts, mais parce que c’est nous qui avons raison. La  procédure d’expulsion contre la familles Herbin est un test pour tous les opposants. Ne pas réagir avec force, c’est abdiquer devant Vinci, Ago et l’Etat.

Non ! Nous ne  les laisserons pas voler nos maisons, nos terres, et détruire nos vies !

Dès le 11 juillet à 9 heures retrouvons-nous devant le tribunal de Saint Nazaire pour leur signifier que nous ne partirons pas !

Dans les semaines et les mois à venir : bloquons les enquêtes publiques, les travaux préliminaires et chaque étape du projet !

Renforçons l’occupation de la ZAD et le mouvement de lutte contre l’aéroport !

C’est ensemble que nous pouvons enrayer leur machine et stopper le projet !

Faut-il réellement sauver PSA ?

Ce n’est pas bien drôle, car je m’apprête à parler de la bagnole, ennemie du genre humain et de la vie sur terre, bien au-delà de notre espèce. Je vais même parler de Peugeot et de la France de M.Hollande, mais avant cela, un mot pour détendre l’atmosphère. Je vois que certains continuent de voir des avantages à cette invention des Enfers. Je dois reconnaître que, bien que n’ayant pas d’automobile, je m’en sers à l’occasion. Et l’occasion n’est jamais si loin que cela. Aussi bien, je n’entends pas me complaire dans un exercice de culpabilisation, fût-il tourné contre moi-même. Au fond, la situation est si grave qu’elle mérite davantage que simple flagellation.

J’ai écrit ici plusieurs articles sur le sujet, dont je ne citerai que deux. Le premier racontait une France qui aurait tout misé sur le train il y a cent ans (ici). Comme cela aurait été merveilleux ! J’en ai le frisson rien qu’en y pensant. Nous aurions pu nous passer de l’étalement urbain, de nombre de cancers des bronches, des autoroutes si désespérantes, d’une partie au moins de cette vitesse qui tue l’esprit humain. Dieu ! nous avons échappé à un vrai bonheur.

Le second (ici) évoque une étude apparemment sérieuse de l’été 2009, dont je vous livre ce court résumé : le monde comptait alors 672 millions de bagnoles, mais par la grâce d’une augmentation de 600 % des ventes dans les pays « émergents » d’ici 2018, il pourrait espérer atteindre cette année-là 1,5 milliard d’unités. Nous sommes sur cette route. Bien sûr, cela suppose une apocalypse humaine, géographique et spatiale, sociale, sanitaire, écologique. Complète et totale. Mais qu’importe, franchement, à ceux qui prennent les décisions en notre nom ?

Je serai bien incapable de seulement imaginer, dans les grandes lignes, ce que ce programme de destruction de l’espace, des ressources, de l’avenir signifie. En fait, je crois bien que cet effort d’anticipation dépasse les capacités humaines. Dans le Sud, pour ne regarder que de ce côté, la bagnole individuelle trucide ce qui sert de villes et oppose chaque jour un peu plus, dans une sorte de guerre civile – larvée, pour l’heure – ceux qui tiennent un volant et ceux qui courent derrière. Ces crétins au pouvoir ne semblent pas même imaginer cette évidence qu’une ville a ses limites physiques intrinsèques. Et qu’en y ajoutant chaque jour des milliers de véhicules en plus des autres, il arrive un moment où plus personne ne circule. Je suis injuste : les bureaucrates de Canton, en Chine, viennent de décider de limiter à 120 000 par an le nombre d’immatriculations nouvelles. La ville compte à la louche 2,4 millions de bagnoles, soit 2,5 fois plus qu’il y a cinq ans, avec une croissance annuelle moyenne de 19% (China Business News). Je parie que la mesure ne tiendra pas. Où iraient les millions d’autos produites désormais chaque année en Chine ? Allons, soyons sérieux.

Venons-en à Peugeot PSA. Qui annonce en France une baisse de 13 % de ses ventes mondiales. Préalable plus que probable à un plan de licenciements massifs. Notamment à Aulnay-sous-Bois, où j’ai distribué naguère, sous les coups des staliniens de la CGT et des petites frappes fascistes de la CFT, des tracts appelant à l’unité entre Français et immigrés. Si je note au passage cette anecdote, c’est pour insister sur un point : je souhaite que la vie et le travail des milliers de prolos d’Aulnay soient considérés, respectés et d’une certaine manière protégés.

Mais de quelle manière ? La droite – je ne prends pas la peine de chercher – ne voit qu’une solution : un surcroît de compétitivité qui permettrait à PSA de tailler des croupières aux autres constructeurs. En avant vers le néant, et pied au plancher. La gauche gouvernementale envisage – ce sera peut-être fait dans les prochaines heures – d’accorder des aides publiques à l’entrepreneur privé pour sauver les quelques meubles encore debout. Il faut sauver PSA, car la bagnole, c’est l’économie, et si le chômage étend encore son ombre menaçante, adieu aux élections de 2017. En avant vers le néant, pied au plancher. La gauche mélenchoniste et communiste rappelle les profits passés du groupe automobile, et exige que le pouvoir empêche des « licenciements boursiers » et accorde des « droits nouveaux aux travailleurs dans la gestion de leurs entreprises ». Les écolos officiels d’Europe-Écologie Les Verts se planquent derrière dossiers et maroquins. Pas un ne prend la peine de parler aux prolos de PSA de l’avenir. Il y a des coups de pieds au cul qui se perdent.

Le futur est par définition dans les limbes. Mais qui est écologiste ne peut que constater cette évidence : la bagnole individuelle appartient à un temps du passé, pendant lequel les hommes, en naïfs indécrottables, pensaient le monde sans ses limites. Changer, aussi vite qu’il est possible, de modèle universel de déplacement est d’évidence un impératif catégorique. Je sais bien que cela semble un objectif démesuré, mais sauver les écosystèmes de leur affaissement, aussi. La bagnole n’est simplement pas possible. Ainsi qu’on disait naguère, ainsi que j’ai pu le clamer sur les berges de la Seine au printemps 1972, « la voiture, ça pue, ça pollue et ça rend con ». Comme je n’ai pas changé d’avis, comme au contraire j’ai ajouté quantité d’arguments contre le monstre de métal et de plastique, j’en arrive à me demander si je ne suis pas obsédé sur les bords. Possible.

Mais il y a de quoi. Les sommes démentielles englouties dans la voiture, ses réparations, ses accidents, les routes, les cancers induits, les drames et sacrifices familiaux itou, doivent être réaffectées à la restauration écologique de la planète, de manière à assurer le minimum pour les dix milliards d’humains qui seront là dans quelques années. À moins que nous n’entendions nous débarrasser des surnuméraires ? Les humanistes-droits-de-l’hommistes qui n’abordent pas le sujet me font royalement chier.

Tout le reste est aussi absurde que criminel. Les forces politiques préfèrent leur démagogie et leur stupidité coutumières. Pourtant, PSA pourrait devenir une occasion historique de faire comprendre aux ouvriers de l’automobile que The Times They Are a-Changin’. Que cela plaise ou non, les temps sont bel et bien en train de changer. Il faut enfin dire que les métiers associés à l’automobile sont condamnés par la crise écologique. Sans jeter à la benne les ouvriers, qui ont perdu santé et jeunesse dans les ateliers. J’ai une idée, qui ne vaut peut-être pas tripette, mais qui en tout cas permet d’ouvrir une discussion.

Un, il faut garantir l’avenir professionnel des ouvriers de l’automobile. Sans conditions, par une signature publique qui nous engagerait tous. La France est encore assez riche pour cela. Deux, et pour commencer, il faut fermer l’usine d’Aulnay. D’autres suivront, inéluctablement. Trois, il existe sur place un savoir-faire ouvrier et technicien fabuleux. Et des machines. Quatre, il faut faire de PSA-Aulnay – je continue de prendre Aulnay comme point de départ – un lieu symbolique de notre volonté de changement.

Symbolique, mais aussi réel, matériel. Aulnay pourrait devenir la pierre de fondation d’une industrie de l’énergie renouvelable. Cela vous semble niais ? Poursuivons. L’Allemagne est en train de bâtir des services éoliens et solaires qui font de ce pays – qui sort du nucléaire – un exemple. Je n’oublie pas le reste, vous vous doutez bien. Ni Merkel, ni le reste. Mais en tout cas, l’Allemagne nous montre qu’il n’existe pas un seul chemin. Si la question énergétique est en France aussi taboue, c’est bien sûr à cause de la surpuissance de pouvoirs comme EDF et Areva, qui disposent de clientèles politiques dans les deux camps.

Or, il est facile de faire l’inventaire de certains besoins énergétiques satisfaits en dépit du bon sens. Des particuliers, mais aussi quantité de collectivités – villages et bourgs, petites boîtes, paysans, pêcheurs, etc. – pourraient aisément – non, d’accord, pas aisément – basculer vers un usage raisonnable de formes d’énergie renouvelable. Encore faudrait-il définir un cahier des charges, dessiner des prototypes, essayer, prouver, vendre.

PSA-Aulnay, coincé dans une zone industrielle immonde, pourrait devenir un lieu de réflexion et d’action de valeur mondiale. Certes, pas en un mois, pas en un an, pas même en dix ans peut-être. Mais n’est-il pas essentiel, compte tenu de la merde suffocante où nous sommes plongés, de relever enfin la tête ? D’avoir de l’ambition ? De tenter des coups susceptibles au moins de redonner un peu d’espoir ? Une telle initiative est inconcevable sans un débat social de qualité. Sans un engagement collectif sans faille. Sans la garantie qu’on ne laissera pas tomber les prolos d’Aulnay et d’ailleurs.

Est- ce concevable ? Je ne sais. Les forces politiques, Verts compris, sont en dessous de tout. Si l’on met de côté le friselis à peine perceptible de leurs microscopiques divergences, chacun peut voir ce qui se prépare. Le marché automobile français est dit « mature ». Trop de gens ont trop de bagnoles – une, deux, trois-, souvent récentes, rarement à bout de souffle. Renault importe, ce traître, des voitures low cost assemblées en Roumanie, comme la Logan. Le client devient rare. La seule perspective de relance, c’est la prime à la casse, associée à des modèles nouveaux, que l’industrie du mensonge – la pub – rendra appétissants. Toute la classe politique, malgré ce que certains prétendent, est au fond d’accord avec ce modèle, qui nous condamne tous.

Alors quoi ? Alors, en attendant mieux, parler. Se parler. Réfléchir. Ensuite entraîner. Et ne jamais oublier que nous n’avons rien à attendre de ceux qui dirigent, quelle que soit leur couleur. Tant que la société ne sera pas en mouvement, les castes professionnelles au pouvoir resteront au service de la destruction. C’est l’histoire de la poule et de l’œuf ? En effet. Sommes-nous la poule, sommes-nous l’œuf ? Je m’en fous. J’attends l’omelette.