Archives de catégorie : Industrie et propagande

Flagrant délit de manipulation (sur Escherichia coli)

Il y en a tellement marre, certains jours. Les lecteurs réguliers et fanatiques de Planète sans visa se souviennent sans doute de celui qui signait ses articles verbeux, haineux, parfois insupportables du pseudonyme Pilet14. Je ne sais qui il est, mais je sais qu’il exultait d’apprendre que le concombre bio d’Espagne ou les graines germées de Hambourg, cultivées dans une ferme bio, étaient responsables de l’épidémie d’E.coli. Il ne vous sera pas indifférent d’apprendre une partie de la vérité ci-dessous.

Le texte qui suit est signé par Générations Futures (ex-MDRGF) de mon ami François Veillerette, et la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB). Parallèlement – ou peut-être bien avant -, mon cher Claude Aubert, créateur des Quatre saisons du jardinage et vaillant pionnier de la bio en France  – il est également ingénieur agronome – avait découvert le pot aux roses. Ne croyez pas que je triomphe, non ! L’agriculture et les techniques bio peuvent sans aucun doute provoquer des maladies, voire tuer. Et ALORS ? Qui est – quel serait – le crétin qui pense que la bio pourrait représenter une garantie absolue ? Il me suffit qu’elle nourrisse des hommes et respecte les sols et les eaux. Pas vous ?

E Coli : Les attaques récentes contre les produits biologiques reposaient sur…une étude qui n’existe pas !

Suite à l’affaire des graines germées contaminées par des souches virulentes d’E.Coli, les produits bio ont été injustement montrés du doigt comme étant prétendument dangereux. Ces accusations reposent en fait sur des études qui n’existent pas !

Rappels des faits. Le 27 juin dernier deux directeurs de recherche du CNRS n’ont pas hésité à publier une tribune dans le journal Libération prétendant que le Centre de contrôle des maladies infectieuses d’Atlanta (Center for Disease Control d’Atlanta -CDC ) aurait réalisé une étude en 1996 liant un tiers des 250 décès dus à une souche pathogène d’E.Coli à la consommation de produits biologiques ( alors qu’ils ne représentaient que 1% des aliments consommés aux Etats-Unis). Et nos deux scientifiques français de conclure : « Il est donc indéniable que les mérites de l’agriculture biologique s’accompagnent inévitablement de risques alimentaires spécifiques ». Les conséquences sur l’image des produits bio ne se sont pas fait attendre comme devait le confirmer un sondage réalisé par le WWF(1).

Générations Futures (GF) et la Fédérations Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB) révèlent aujourd’hui que cette assertion repose sur …une étude qui n’existe pas !

D’où vient cette soit disant étude ? Contacté, un des scientifiques du CNRS ne donne pas de référence pour cette supposée étude américaine mais se contente de dire qu’elle serait tirée d’un livre de Alan McHughen, un scientifique canadien. Le problème, c’est que ce McHughen n’a fait dans ses livres (2) que reprendre les dires d’un certain Dennis T. Avery qui colporte depuis des années une rumeur selon laquelle le Center for Disease Control d’Atlanta aurait réalisé en 1996 une étude comparative bio / conventionnel montrant que les personnes mangeant des aliments bio ont beaucoup plus de risque d’être infectés par E.coli.

Pas plus de risque d’infection en bio. Cette affirmation a été vigoureusement démentie dès 1999, y compris par des cadres dirigeants du CDC niant vigoureusement avoir conduit de tels travaux comparant le risque d’infection par E.Coli en fonction du mode de production, bio ou non bio (3).

Précisions : Dennis T. Avery (4)  travaille pour le Hudson Institute (5), un think tank conservateur. Avery travaille sur l’agriculture et les biotechnologies et consacre une énergie considérable à dénigrer l’agriculture biologique. A noter que le Hudson Institute a reçu des fonds de firmes comme Monsanto, Syngenta, Dow Agroscience, Dupont…sans commentaire.

« Alors que les consommateurs plébiscitent les produits bio, les adversaires de l’écologie et de l’agriculture biologique essayent par tous les moyens de décrédibiliser la bio depuis de longs mois. Les accusations de chercheurs publics reposant sur des rumeurs sont inacceptables. Elles doivent être démenties immédiatement et publiquement.» déclare François Veillerette, Porte parole de Générations Futures.

« La FNAB estime que les propos tenus par les deux scientifiques du CNRS sur les aliments bio sans référence scientifique portent atteinte à la fois à la filière agriculture biologique et à la crédibilité du CNRS. Elle se réserve le droit d’agir en conséquence. » ajoute Dominique Marion, Président de la FNAB.

1 : http://www.enviro2b.com/2011/07/08/e-coli-la-filiere-bio-victime-indirecte-de-la-bacterie/
2 :  http://www.lobbywatch.org/profile1.asp?PrId=88
3 : http://www.sourcewatch.org/index.php?title=Trashing_organic_foods
4 : http://en.wikipedia.org/wiki/Dennis_Avery
5 : http://en.wikipedia.org/wiki/Hudson_Institute

Décadence au programme (Lauvergeon à Libération)

Est-ce que le nom de Flavius Romulus Augustus vous dit quelque chose ? Romulus Augustule, de son nom francisé, fut le dernier empereur romain. Pendant des siècles, Rome parut la puissance majeure du monde connu par nos lointains ancêtres. Et puis le désastre, étendu sur des dizaines d’années au moins. Le recrutement massif de mercenaires « barbares » pour tenir lieu de fières Légions autochtones, des défaites et massacres, le sac de Rome à trois reprises, et puis la fin. Ce que l’historien britannique Edward Gibbon décrivit dans son célébrissime essai L’Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, paru entre 1776 et 1788.

Au total, tout a une fin. L’histoire de Rome, terminée dans sa phase impériale en l’an 476 de notre ère – date de l’abdication de Romulus Augustule – aura duré environ douze siècles. C’est beaucoup. L’empire industriel auquel nous nous sommes soumis ne tiendra pas aussi longtemps. Même si beaucoup refusent de voir, ce qui est l’habitude générale, les signaux de la décadence sont pourtant innombrables. J’ai appris dans la nuit, et par hasard, un fait certes minuscule, mais qui dit à quel point de sénescence nous sommes.

De quoi s’agit-il ? De la nomination de madame Anne Lauvergeon à la tête du conseil de surveillance du journal Libération (ici). C’est effarant. Lauvergeon, de gauche à la sauce Mittterrand, dont elle fut une très proche conseillère, a dans la suite été une patronne. D’abord à la banque Lazard frères, spécialisée dans ces fusions-acquisitions qui sont la marque de fabrique du capitalisme le plus actuel. Dégraissage, chômage de masse, stock-options, destruction de la nature. Elle a ensuite rejoint Alcatel, fier symbole de la dérégulation générale des activités économiques planétaires.

Mais c’est comme grand Manitou du nucléaire français qu’elle est réellement connue, et ce sera pour longtemps. En 1999, un certain Dominique Strauss-Kahn la nomme PDG du groupe Cogema. Lauvergeon annonce sans rire, et comme un bandeau publicitaire collé en travers du corps : « Nous n’avons rien à vous cacher ». Cette phrase est textuelle, je n’aurais osé l’inventer. En 2001, elle crée Areva, dont elle prend la tête. Sarkozy vient de l’en éjecter il y a quelques jours. Mais pendant douze années, Lauvergeon aura incarné le nucléaire, de gauche comme il se doit. Ingénieur des Mines, elle a poussé une irresponsabilité abyssale jusqu’à lancer le nouveau réacteur nucléaire EPR, qui est un désastre financier et bien entendu une menace atroce. Sans état d’âme, elle a vendu du nucléaire à qui voulait bien en acheter. Sans tenir compte – il n’y a pas marqué La Poste sur son front – le moins qu’il fût de la stabilité politique des clients ni des risques de dissémination de savoir-faire technique dans un monde chaque jour plus dangereux.

En bref, cette femme est une ennemie. Pas un adversaire. Je connais le sens des mots. Elle est une ennemie, car aucun compromis n’est envisageable avec ce genre d’ego boursouflé par la puissance perpétuelle. Elle est du monde de la mort, malgré toutes les apparences qu’on voudra bien lui donner. Et voilà donc que le journal Libération, laissant là le peu d’honneur qui lui restait, va donc la nommer à la tête de son conseil de surveillance. Je rappelle que Libé est mort depuis des lustres et que son propriétaire, Édouard de Rothschild, est banquier d’affaires, comme le fut Lauvergeon. En somme, on s’aime. Entre soi. Et contre tous les autres.

Décadence, donc. Oui, et nous n’avons pas touché le fond. Un sursaut est-il en l’occurrence possible ? L’année de Fukushima, un seul trouverait grâce à mes yeux : une démission collective de l’équipe du journal, emmenée par Nicolas Demorand, le directeur de la rédaction. N’est-il pas de gauche ? Mais n’est-il pas de gauche comme l’a été et le reste probablement Anne Lauvergeon ? Tous les empires, aussi picrocholins qu’ils paraissent, sont mortels. C’est presque le titre (Tout empire périra) d’un livre de Jean-Baptiste Duroselle, que j’ai lu il y a une trentaine d’années. Quand Libération était. Le temps passe.

Un certain Stephan Schmidheiny (philanthrope et criminel ?)

Aujourd’hui 6 juillet 2011, et sauf oubli de ma part, j’ai ouvert pour la première fois – disons la deuxième pour plus de sûreté – le quotidien gratuit Metro. J’ai peut-être tort, mais je ne supporte pas qu’une information, fût-elle vraie, soit payée par la publicité. Bon. Et alors ? Et alors ceci : j’étais dans le métro, et la Une du journal m’a littéralement agrippé, car elle parlait de ce vaste crime social connu sous le nom d’amiante.

Sorti des tunnels, j’ai récupéré Metro et j’ai lu l’article en question, que vous pourrez retrouver ici. En deux mots, on y apprend qu’un procureur du tribunal de Turin (Italie) a requis vingt ans de cabane contre un certain Stephan Schmidheiny, ancien patron de l’entreprise suisse Eternit. Eternit, quel joli nom pour une boîte fabriquant de l’amiante ! 3 000 prolos des usines italiennes Eternit sont morts d’avoir été exposés à ce poison. Si le procureur dit vrai – le procès dure depuis des années -, ce Stephan Schmidheiny est un criminel. Un criminel de masse.

Or, surprise, Stephan Schmidheiny n’est plus. Comme après une opération de chirurgie esthétique, ce milliardaire a refait sa vie en Amérique latine, où il est devenu philanthrope, écologiste tendance DD, pour « développement durable ». Il a créé des fondations, mais aussi maintenu un business fort lucratif, bien entendu éthique. Un livre serait nécessaire. Il a refusé de venir ne serait-ce qu’une seule fois à la barre du procès de Turin, et s’il y est finalement condamné, ce sera par contumace. Le procureur a établi l’an passé que Stephan Schmidheiny s’était adjoint les services d’une boîte de com’ italienne pour dissuader les journaux de citer son nom en relation avec le procès. Être philanthrope ou ne pas être.

Ce n’est pas tout. Vous trouverez ci-dessous un extrait de mon livre Qui a tué l’écologie ? (éditions LLL), consacré à ce charmant personnage. J’espère que vous ne vous perdrez pas. Une rumeur insistante, pour l’heure non vérifiée, donne Schmidheiny comme l’un des organisateurs du Sommet de la terre de Rio, en 2012, en compagnie de cet excellent Brice Lalonde. Je vous tiendrai au courant. En attendant, mon livre :

« De nouveau, il me faudrait un livre pour décrire en profondeur un phénomène mondial, dont l’ampleur est colossale. Je me contenterai d’un exemple saisissant : Stephan Schmidheiny. Ce Suisse est l’héritier d’une dynastie capitaliste, qui aura bâti son immense fortune sur l’entreprise Eternit. Cette fois encore, patience, car je ménage certain suspens. En 1990, né en 1947, devient le bras droit de Maurice Strong dans la préparation du Sommet de la Terre de Rio, qui doit se tenir en 1992. Je le précise pour ceux qui ne le sauraient pas : Rio est une date majeure, qui assure le triomphe définitif du « développement durable » partout dans le monde.

À partir de cette date, des milliers d’ONG, d’institutions publiques et privées, de structures gouvernementales ne cesseront d’ânonner le vocabulaire de Rio. Vingt ans après, nous en sommes au même point. Une génération militante a cru – et croit, d’ailleurs – aux Agendas 21, aux conventions internationales sur le climat, la biodiversité, la désertification. Article 3 de la grande déclaration finale, que n’aurait pas renié ce bon Harry Truman, ni bien sûr madame Brundtland : « Le droit au développement doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement et à l’environnement des générations présentes et futures ».

Impossible de surestimer l’importance de Rio. C’est un point de départ, et un point d’arrivée. Difficile de ne pas s’interroger sur la place centrale qu’y occupent Schmidheiny et Strong. Mais il est vrai que les deux hommes emploient volontiers pour se définir le mot de philanthropes. C’est plus fort qu’eux, ils aiment l’humanité. Cette fois encore, je m’appuierai essentiellement sur des propos estampillés. Dès 1984, Schmidheiny crée au Panama une structure appelée Fundes, qui essaimera ensuite en Amérique latine. L’objectif officiel est d’aider les (nombreux) chômeurs de la région. Il s’agissait, écrira Schmidheiny (www.avina.net), « de mon premier pas en direction de la philanthropie organisée ». Il y en eut d’autres, en effet. Mais avant d’en parler, notons ensemble que, toujours selon notre héros suisse (entretien à la revue chilienne QuéPasa, cité par Avina.net) : « Ma philanthropie n’a pas le sens classique de la philanthropie, qui signifie charité, dons aux pauvres pour manger, ce n’est pas de la miséricorde. Je vois cela comme un investissement dans les processus sociaux. Un investissement dans l’avenir d’une société dont je dépends et où je veux faire des affaires ». Une telle franchise est tout à l’honneur de notre grand « philanthrope ».

Après avoir lancé Fundes et co-organisé le Sommet de la Terre 1992 avec Strong, Schmidheiny est fatalement devenu un vigoureux militant écologiste. On le retrouve donc sans surprise, en 1994, lancer une ONG nommée Avina, financée par une structure appelée Viva, qui est aussi propriétaire d’un trust industriel dont le nom est GrupoNueva, spécialisé dans le bois, l’eau, les tubes plastique, le fibrociment. Simple, non ? Avina a pour but revendiqué de « contribuer au développement durable en Amérique latine afin de promouvoir l’établissement de relations de confiance et de partenariats fructueux entre les chefs d’entreprise et leaders sociaux autour de programmes d’action consensuels ».

Avina et les « entrepreneurs sociaux »

Chaque mot compte, bien entendu. Les leaders sociaux sont ceux qui, voici quarante ans et plus, voulaient soulever le monde et se priver des services de tous les Schmidheiny de la terre. Il semble plus compatible avec l’essor du commerce et de la libre entreprise de se mettre ensemble autour d’une table, à discuter de programmes consensuels. C’est très vraisemblablement ce qu’a réussi le philanthrope au Chili, où une opportune loi du dictateur Pinochet, en 1974, a permis à des sociétés forestières d’exploiter à leur convenance des terres disputées par les anciens habitants du lieu, les Indiens Mapuche. L’entreprise Masisa, qui fait partie de la nébuleuse GrupoNueva, y est installée, et possède 238 000 hectares de monocultures de pins et d’eucalyptus entre Chili, Argentine, Venezuela, Brésil, Pérou, Mexique. Pour qui connaît la chanson, et c’est mon cas, il est aisé d’imaginer tout ce qu’une industrie de la sorte – gros engins, engrais et pesticides – peut avoir d’écologique. Et ne parlons pas des conflits d’usage avec les habitants des lieux, surtout quand la police et l’armée ne sont pas loin.

Parallèlement à sa nouvelle carrière latino-américaine, Schmidheiny a fondé une authentique merveille connue sous son nom anglais de World Business Council for Sustainable Development (WBCSD). Ce Conseil mondial des entreprises pour le développement durable est né au moment du Sommet de la Terre de Rio, en 1992. Il regroupe environ 200 entreprises, dont la liste inclut d’autres philanthropes que Schmidheiny, tels China Petrochemical Corporation, Mitsubishi Chemical Holding Corporation, Solvay, AREVA, Dassault Systèmes S.A., L’Oréal, BASF, Bayer, Italcementi Group, Shell, Philips, Hoffmann-La Roche, Novartis, Syngenta, BP, Rio Tinto, Alcoa, Boeing, Chevron Corporation, Dow Chemical, DuPont, sans oublier The Coca-Cola Company.
Bref, toute la grande industrie a été réunie dans le WBCSD. J’ai sous les yeux un livre admirable – non  traduit – paru en 2002 (BK éditions),
Walking the talk. Le titre signifie : joindre le geste à la parole. Ses auteurs sont Stephan Schmidheiny, Charles Holiday, patron de DuPont et Philip Watts, l’un des grands patrons de la Shell. On y trouve des études de cas, qui concernent l’activité des transnationales partout dans le monde. 67 monographies en tout.

Disons tout de suite qu’il faut avoir le cœur bien accroché. Je ne prendrai qu’un exemple, qui me touche singulièrement : le delta du Niger. Schmidheiny et ses acolytes inventent pages 34 et 35  un autre monde, dans lequel la Shell « a une longue histoire d’assistance aux communautés auprès desquelles elle travaille ». Au Nigeria, cela donne un beau rapport annuel, des tables rondes avec de gentils interlocuteurs, des aides à de beaux projets de « développement durable ». La vérité, connue de tous, est aux antipodes.

Le si prudent Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), dans un document de 2006 : « Les compagnies pétrolières, Shell Petroleum en particulier, opèrent depuis plus de trente ans [dans le delta du Niger] sans véritables contrôle ni réglementation régissant leurs activités dans le domaine de l’environnement ». Le dernier rapport d’Amnesty International sur le sujet, en date de juin 2009 : « La région est quadrillée par des milliers de kilomètres d’oléoducs et parsemée de puits et de stations de pompage.Une bonne partie de ces infrastructures sont situées près des maisons, des fermes et des sources d’eau des populations qui y vivent. L’industrie pétrolière est responsable d’une pollution généralisée de l’environnement dans le delta du Niger. Les fuites d’hydrocarbures, les déversements de déchets et les combustions en torchères sont bien connus et fréquents ». En 1995, pour ne pas remonter à Mathusalem, l’écrivain nigérian Ken Saro-Wiwa a été pendu haut et court par le gouvernement de l’époque. Ce naïf, qui n’aurait sans doute pas été invité à une table-ronde, menait une bagarre publique et non-violente contre les activités de la Shell. Dans le delta du Niger.

Le machin appelé WBCSD a évidemment joué un rôle crucial, en coulisses, au Sommet de la Terre de Johannesburg, en 2002. Tandis que Jacques Chirac clamait à la tribune : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », les hommes de Schmidheiny vantaient dans des discussions moins verbeuses les mérites de leur si cher « développement durable ». Et ils ont également joué un rôle essentiel, bien que méconnu, dans la tenue de la Conférence mondiale sur la biodiversité de Nagoya (octobre 2010). Où il ne se sera surtout rien décidé, alors que nous vivons la sixième crise d’extinction des espèces.

Je n’en ai pas encore tout à fait fini. Cet excellent Schmidheiny a donc imaginé (voir supra) Avina. On retrouve dans son « board of directors » une certaine Anamaria Schindler, par ailleurs vice-présidente d’Ashoka. Cela n’a rien de bien étonnant, car Ashoka se fixe comme mission de participer « à la structuration et au développement du secteur de l’entrepreneuriat social partout dans le monde, afin qu’il amplifie son impact sur la société ». En France, la BNP et la Société générale paient pour cela, de même que des entreprises plus discrètes que je n’ai pas découvertes. Au plan international, Ashoka dispose du soutien financier des plus grands cabinets de conseil aux transnationales : McKinsey and Company, Hill and Knowlton, Latham and Watkins.

Avina et Ashoka font à ce point le même métier qu’ils ont signé un partenariat stratégique, ce qui explique la présence de madame Schindler au bureau d’Avina. Encore un tout petit mot sur le sujet : le 18 décembre 2010, j’ai reçu un message électronique d’un gérante de supermarché bio que je connais bien. Et que j’apprécie. Elle m’invitait à une soirée consacrée à l’entrepreneuriat social, organisée à Paris par l’Unesco et…Ashoka. Et cela m’a rappelé que, voici trois ans à peu près, j’ai reçu une demande concernant un ami écologiste, Roberto Epple. Un Suisse. Un autre Suisse. Une structure inconnue de moi m’envoyait une série de questions sur Roberto, pour s’assurer qu’il méritait bien un prix récompensant son impressionnant engagement en faveur des rivières d’Europe. Comme j’estime au plus haut point Roberto, j’ai répondu, et il a obtenu son prix. Cette structure, bien entendu, c’était Ashoka, qui gagne chaque année en légitimité ».

Voilà, les amis, c’est tout pour aujourd’hui. Ne me dites surtout pas que cette belle histoire n’est pas édifiante. Elle donne sûrement envie de vomir, mais plus encore, elle dit le vrai, le noyau dur et irréfragable du réel. Ce réel que personne ne veut voir, et qui pourtant décide et décidera de tout. Dites, à quand un mouvement populaire pour dénoncer l’épouvantable mascarade du Sommet de la terre prévu l’an prochain à Rio ? Qui lancera la première tarte à la crème de la saison à Brice Lalonde, qui organise ce grand rendez-vous mondial du faux ?

Le barrage brésilien qui fait pleurer Hulot (dans Charlie)

Peut-être finira-t-on par croire que je déteste Nicolas Hulot. Eh bien non, je ne le déteste pas. Il était à sa place – il en faut bien une, n’est-ce pas ? – sur TF1, dans son rôle de commandant Cousteau des années 2000 et 2010. Il n’est évidemment pas à la sienne dans cette élection présidentielle. Ce qui ne signifie surtout pas que je lui préfère Éva Joly. Comme j’ai pu le dire, comme je le répète, cette mise en scène est une perte de temps radicale, qui correspond fort bien, il est vrai, à la nature réelle d’Europe-Écologie-Les Verts.

Jusqu’ici, Hulot diffusait des images et portait des messages simples, mais clairs, à des millions de personnes. Et le voilà qui entend représenter ce qui le dépasse de cent coudées, et davantage même. Non qu’il soit plus bête qu’un autre. Simplement, il ne sait pas, et vraisemblablement ne saura jamais ce qu’est une société. De quoi elle est faite. De ce qui peut, très éventuellement, la faire changer. Comme, à cinquante-cinq ans, il n’a encore jamais pointé aucune cause structurelle du désordre général – par exemple, l’existence de transnationales plus puissantes que les États -, on peut penser, et craindre, qu’il ne le fera jamais. Pour ma part, il est évident que je ne lui donnerai jamais ma voix. Mais chacun fait ce qu’il veut, c’est entendu.

Je vous glisse ci-dessous l’article publié dans Charlie-Hebdo de cette semaine, en vente jusqu’à mardi. Oui, il est de moi, comme on peut s’en douter.

Le barrage brésilien qui fait pleurer Hulot

Si tous les gars du monde voulaient bien se donner la main, Hulot serait vachement content, mais comme ils se foutent sur la gueule, ça le rend bien malheureux. Mettons-nous à sa place. Sur terre, la vie n’est pas gaie. D’autant qu’on ne sait jamais qui est responsable. Le capitalisme ? « Je ne suis pas quelqu’un qui juge », répond Hulot, qui ajoute gentiment : « Je parle sans haine, car je ne suis pas favorable à la lutte des classes (1) ». Sarkozy ? « Être antisarkozyste, ça ne m’intéresse pas, je ne le serai pas (2) ».

Mais comme c’est un grand cœur, quand il voit le chef indien du Brésil Raoni pleurer, il craque : « La construction de ce barrage, ça me rend fou (3) ». Quel barrage ? Mais celui qui fait chialer Raoni, celui qui va noyer les terres ancestrales de son peuple et détruire la forêt, celui de Belo Monte. On dira ce qu’on voudra de la technique, mais là, chapeau bas aux artistes. En pleine jungle infestée d’araignées, de serpents, de moustiques et d’Indiens cracheurs de curare, il faut le faire. La bête produira à terme 10 % de l’électricité du Brésil, et pourra du coup servir à extraire de la bauxite non loin de là, ce qui repoussera plus loin les Indiens au curare, et permettra de produire de l’aluminium grâce à quoi l’on pourra boire de la bière proprement dans des canettes. Mes aïeux, le progrès est une chose merveilleuse.

Bon, il est vrai qu’avec l’autre complexe Altamira-Babaquara, 6140 km2 seront inondés. Soit la moitié de l’Île-de-France, région qui abrite chez nous presque 12 millions d’habitants. Charlie espère vivement que l’on pourra faire du pédalo, de la voile et de la plongée, car ce serait trop bête de rater une occasion pareille. Sur ce plan-là, la France est bien placée, car figurez-vous que notre champion Alstom est dans le coup. La boîte de Belfort que défendait avec ses petits bras Chevènement est devenue un « leader mondial de l’hydroélectricité » et a signé en février dernier un contrat de 500 millions d’euros pour le chantier de Belo Monte. Alstom fournira une bonne part des turbines géantes, ce qui donnera tant de travail chez nous que c’en est un bonheur.

Mais revenons à Nicolas Hulot. Le barrage le rend fou. On s’apprête à le retenir – un geste violent est si vite arrivé -, mais notre écologiste planétaire est en vérité placide. « On doit se mobiliser, il en va du sort de l’humanité tout entière », insiste Hulot, sans rien proposer du tout. Le premier imbécile venu penserait aussitôt à une action contre Alstom, mais Hulot est plus malin, se contentant d’attaquer la méchanceté du monde. D’ailleurs, Alstom n’a-t-il pas un partenariat stratégique avec Bouygues, donc TF1, depuis 2006 ? Bouygues ne possède-t-il pas 21% du capital d’Alstom ?  TF1 n’est-elle pas, par hasard, l’entreprise reine de Nicolas ? Si.

Le Brésil de la présidente « de gauche » Dima Roussef est une sorte de Chine des Amériques, qui entend bien bouffer l’Amazonie entière, en attendant mieux. Ces dernières semaines, quatre paysans dans la tradition de Chico Mendes et de la sœur Dorothy Stang, dont Jose Claudio Ribeiro da Silva et sa femme, ont été butés pour avoir tenté de protéger la grande forêt. Pendant ce temps, le gouvernement de Brasilia modifiait le Code forestier de 1965, qui ouvre la voie à une déforestation massive.

Au Brésil encore, un autre barrage, celui de Jirau, est en construction sur la rivière Madeira, à la frontière du Pérou et de la Bolivie. Mauvais coucheurs, l’écrivain Le Clézio et le directeur de Survival France Jean-Patrick Razon estiment que le barrage : « menace non seulement la diversité biologique et socioculturelle de la région, (…) mais aussi la survie même de certaines des dernières tribus isolées du monde (4) ».

Or, incroyable mais vrai, notre GDF-Suez à nous est le grand constructeur du barrage. Comme indiqué sur son site internet, le groupe est « un acteur de référence eu Brésil », installé depuis cinquante ans, au point d’être le premier producteur privé d’électricité du pays. Et voilà que ces idiots d’Indiens protestent eux aussi contre la destruction de leurs cases à toit de paille et de leurs flèches.

Ce serait une excellente occasion pour le grand Nicolas Hulot de démontrer au monde entier la vigueur de son engagement altermondialiste. Mais il y a problème. Un, GDF partage encore de nombreux intérêts avec EDF, partenaire de longue date de Hulot. Et deux, l’État Français est actionnaire de GDF-Suez à hauteur de 35 %. Hulot fera-t-il de la peine à Sarkozy et à ses si nombreux amis de l’industrie ? La suite dans Charlie, sans faute.

(1) Terraeco, mai 2011

(2) Le Monde, 6 mai 2011

(3) Le JDD, 4 juin 2001

(4) Le Monde, 7 avril 2010

André Picot balance tout (sur les gaz de schistes)

La dernière fois que j’ai eu le bonheur de serrer la main d’André Picot, ce fut à l’enterrement d’un homme que je continue d’aimer, Henri Pézerat. Henri, qui me manque, et grâce à qui l’amiante est enfin devenu un scandale complet. Les deux hommes se connaissaient bien, et s’appréciaient hautement. Ils avaient tous deux mené une belle carrière scientifique au CNRS, et assumé, chacun à sa façon, une pratique différente de leur fonction. Henri, qui était au fond de l’âme un militant, relia sans cesse son extrême rigueur et la défense des exploités. André, plus réservé, mal à l’aise dans le conflit, demeura dans une ombre relative, non sans avoir constamment apporté sa pierre à l’édifice de délicates vérités.

Créateur et ancien directeur de recherche de l’Unité de prévention du risque chimique au CNRS (en retraite), il a fondé une association aussi remarquable que méconnue, ATC (ici),  à la frontière entre toxicologie et chimie. Un vaste triangle des Bermudes où disparaissent chaque année des milliers de prolétaires français, dans l’indifférence la plus totale de ceux qui paradent à la télé. André Picot – avec la collaboration de Jérôme Tsakiris, de Joëlle et Pierre David, d’ATC également – vient de publier un rapport de haute tenue, qui n’est certes pas une publication scientifique, mais qui n’a rien à voir avec Pif le chien. Vous pouvez la télécharger directement à l’adresse suivante : http://atctoxicologie.free.fr/, puis en cherchant le dossier Gaz de schiste, daté de mai 2011. C’est très facile.

Or donc, il s’agit encore de gaz de schistes. Les lecteurs de Planète sans visa commencent à connaître. Je ne vais pas commenter en détail ce document exceptionnel de 46 pages, qu’il me faudra d’ailleurs plusieurs jours pour digérer. D’ores et déjà, je peux vous garantir qu’il contient des informations remarquables. Et inquiétantes. Je n’en prendrai qu’une : l’affaire des morts subites d’oiseaux aux États-Unis. On a parlé au début de l’année de pluies d’oiseaux (ici), un peu comme ces pluies de poissons du merveilleux écrivain Haruki Murakami dans son célèbre roman Kafka sur le rivage. Plusieurs personnes, ici même – je songe à Ourse – ont tenté d’alerter sur ce phénomène. À ma grande honte, je n’y ai pas attaché d’importance.

Picot revient en scientifique sur cette affaire, c’est-à-dire sur le mode hypothétique, et voici ce qu’il écrit, à propos bien sûr de l’extraction des gaz de schistes  : « Concernant cette dernière éventualité, diverses roches en particulier riches en hématite (Fe2es O3), hébergent des colonies de bactéries quasi-anaérobies, sulfato-réductrices comme la Dulfovibrio desulfuricans, qui se nourrissant  de sulfures métalliques (pyrites…) libèrent du sulfure de dihydrogène (H2 S) gaz très toxique rencontré de temps à autre dans les gaz remontés au cours de la fracturation. Il ne faut pas oublier que ce gaz nauséabond (à l’odeur d’œuf pourri), tue plus rapidement que le monoxyde de carbone (CO), et est par ailleurs doué d’un effet anesthésiant puissant sur le nerf olfactif. Ceci pourrait expliquer certains décès dans la population vivant à proximité des exploitations, mais également certains événements comme les “pluies d’oiseaux” constatées aux Etats-Unis ».

Voilà qui apporte de l’eau – non polluée – au moulin des opposants et des refusants, dont je suis comme vous le savez. Pour le même prix, un extrait – page 240 – de mon livre Qui a tué l’écologie ? Cela ressemble à de la publicité, mais c’est de l’information. On va y retrouver, comme de juste, un certain André Picot. Attention, c’est parti.

Thierry Chambolle et les incinérateurs

Autre exemple plutôt extraordinaire : Thierry Chambolle. Cet ingénieur des Ponts a été le directeur de l’Eau, de la Prévention des Pollutions et des Risques au ministère de l’Environnement entre 1978 et 1988. Un poste évidemment stratégique. On le retrouve l’année de son départ du ministère au groupe Lyonnaise des Eaux, dont il a surveillé les activités pour notre compte à tous. Il en deviendra le numéro 3 et en fait  toujours partie aujourd’hui, bien que né en 1939. Est-ce moral ?

Poursuivons. Chambolle, passé au service de la Lyonnaise, n’oublie pas le service public, pensez bien. On le verra, au fil des ans, occuper en même temps des postes aussi prestigieux que ceux de président du conseil scientifique du BRGM – public-, président du Cemagref – public – et responsable de quantités de structures hautement utiles.

En 1993, il est aussi membre du « Comité des applications de l’Académie des Sciences », le Cadas. Quasi-académicien, Chambolle va animer un groupe de travail sur la dioxine, dont sortira le 20 septembre 1994 un stupéfiant rapport appelé : « La dioxine et ses analogues ». S’il est stupéfiant, c’est qu’il exonère la dioxine de pratiquement tous les problèmes qu’elle pose pourtant. Au même moment, l’agence fédérale américaine en charge de l’environnement, la célèbre EPA, publie un document terrible de 2000 pages sur les dangers de la dioxine, même à des doses infinitésimales.

S’il est stupéfiant, c’est qu’il a délibérément écarté les éléments fournis par l’un des membres les plus éminents du groupe de travail, André Picot. Ce dernier, sans doute l’un des meilleurs connaisseurs de la dioxine en France, refuse dans un mouvement de révolte inédit que son nom figure dans le compte-rendu de l’étude.

S’il est stupéfiant, c’est que figure, au milieu de dizaines de pages techniques, un coup de pouce providentiel aux industriels de l’incinération. Citation : « Il est donc très souhaitable que soit évitée une réglementation excessivement contraignante » pour les émissions de dioxine dans les incinérateurs d’ordures ménagères.

S’il est stupéfiant, c’est que cet avis autorisé permettra le développement du parc d’incinérateurs le plus important de toute l’Union européenne. Avec émission de dioxine, bien sûr.

S’il est stupéfiant, c’est qu’à la date de publication du rapport de l’Académie des Sciences -1994 -, Chambolle est depuis six ans patron de la Lyonnaise. Laquelle fabrique aussi des incinérateurs. Est-ce moral ? La question a été posée plus haut.

L’extrait est fini. À la prochaine.