Archives de catégorie : Industrie et propagande

Statistiques et salopards (sur la faim)

Je ne sais pas. Je ne peux rien garantir. D’ailleurs, il n’y a rien à garantir. Seulement, la FAO, cette agence de l’ONU bureaucratisée jusqu’à l’os, infestée par les grands lobbies industriels, vient de proclamer à la face du monde que les affamés chroniques seraient passés de 1,023 milliard en 2009 à 925 millions en 2010 (ici). Ces chiffres sont absurdes, ils sont à la fois politiques et criminels, bien que repris par la totalité de la presse française. Absurdes, car nous sommes le 15 septembre, et comment oser tirer un bilan de cette nature, foutus bureaucrates, sur moins des trois quarts d’une année ? Criminels, car même s’ils étaient vrais – et ils sont faux -, ils ne pourraient que conduire à démobiliser le peu qui se lève contre cette lèpre universelle. Or, de l’aveu même des crapules – je répète, crapules, de la FAO – cette diminution providentielle apparaît après  quinze années d’augmentation constante.

Tout cela n’est que bluff abject. Savoir qui a faim est une entreprise colossale, qui implique l’envoi de milliers de gens de bonne foi, militants et honnêtes, dans les villages des trous du cul du monde, où personne n’ira jamais. Évidemment, la FAO ne s’appuie que sur des courbes et statistiques, des tableaux qui ne disent rien sur rien. C’est lamentable. Je n’insiste même pas, car mon écœurement est sans bornes. La vraie raison de ce ramdam médiatique est que les bureaucrates qui ont le cul vissé sur leur si confortable fauteuil, Viale delle Terme di Caracalla, au siège romain de la FAO, ont besoin de chiffres pour continuer à jouir de secrétariats, de voitures climatisées avec chauffeurs, de notes de frais arrosées de grappa. La FAO, en sa munificence, a promis de réduire de moitié le nombre des affamés à l’horizon 2015. Les chiffres doivent suivre. Et ils suivront. Parce qu’il le faut bien.

Par ailleurs, je vous laisse lire  le début d’un article de Peuples solidaires ( la suite ici). Il n’y a pas de commentaire.

Kenya : Carburant contre paysans

En janvier 2010, les populations de la région de Malindi sont alertées par des fumées inhabituelles émanant de la forêt de Dakatcha. Elles comprennent que des bulldozers ont commencé à raser les arbres : une entreprise étrangère vient d’obtenir l’accord des autorités pour exploiter 50 000 hectares de terres afin de produire du jatropha, une plante dont l’huile sera utilisée comme carburant. Vingt mille personnes pourraient être déplacées et l’équilibre écologique de la région est menacé.
Ce projet est emblématique d’un phénomène global : l’accaparement des terres pour la production d’agrocarburants, dont l’impact sur la faim dans le monde et le climat risque d’être catastrophique. Il est donc essentiel de soutenir les organisations kenyanes qui se mobilisent face à cette situation.

Au Kenya, comme ailleurs en Afrique, le gouvernement est aujourd’hui partagé entre deux politiques contradictoires : d’un côté, il renforce les droits des communautés à cultiver leurs terres ; de l’autre, il cède aux appétits d’entreprises et Etats qui veulent exploiter ces mêmes parcelles.

Ainsi, dans la région côtière de Malindi, le gouvernement vient de confier 50 000 hectares de terres à une entreprise privée qui projette de raser une forêt de 30 000 hectares et d’exploiter les terres des communautés locales. D’après ActionAid Kenya, 20 000 personnes seraient affectées et éventuellement déplacées. Parmi elles, de nombreux paysans dont les productions vivrières nourrissent la population et une communauté indigène, les Wa Sanya, qui vit de la chasse et de la cueillette.

Un bouchon de camions, jusqu’à la fin des temps (in)humains

Il y a les discours, les innombrables discoureurs. Je ne parle pas, exceptionnellement, des habituels salauds qui défendent ce monde et seront enterrés avec lui. Non. Je songe à tous ceux qui, de plus ou moins bonne foi, défendent le mythe du « développement durable ». C’est-à-dire, pour simplifier, tous ces Bisounours du funeste Grenelle de l’Environnement. Tous ceux qui prient pour que tout change, pourvu que rien ne bouge réellement. La nouvelle qui suit est dédiée aux naïfs, aux gogos, mais aussi aux duplices, aux Janus, à tous ceux qui entraînent des milliers d’autres dans l’ambivalence, et finalement l’impuissance.

Cette nouvelle, la voici. Pour la deuxième fois en quelques semaines, l’autoroute qui va de la Mongolie Intérieure, province chinoise, à Pékin, est stoppée par un bouchon automobile d’environ 120 kilomètres de long. Stoppée. Il faudra sans doute des jours et des jours pour que les engins puissent tous repartir. il faut dire qu’environ 10 000 camions ont entremêlé leurs roues, créant un vaste chaos (lire ici). D’après ce que j’ai pu lire, on peut parler d’une ville toute provisoire, mais bien pourvue en services de toutes sortes, y compris sexuels. Ajoutons que la plupart de ces camions sont chargés de charbon, ce moteur essentiel de l’hyper-croissance chinoise, laquelle a atteint près de 12 % au premier trimestre 2010 (par rapport au même trimestre de 2009).

Tant pis si je radote : notre niveau de gaspillage de biens matériels repose en bonne part sur ces objets made in China à bas prix, qu’il s’agisse de colifichets ou d’ordinateurs,  qui sont au reste, eux aussi, des colifichets. Le lien entre cet encombrement d’anthologie dans le nord de la Chine et notre comportement est donc certain, indiscutable, direct. Faut-il ajouter que la combustion du charbon joue un rôle majeur dans le dérèglement climatique en cours, qui menace de dislocation les sociétés humaines, toutes les sociétés humaines ?

Le « développement durable » n’est pas seulement un oxymore, c’est-à-dire une contradiction dans les termes. Pas seulement un pot de peinture verte que les transnationales s’arrachent pour pouvoir continuer leurs affaires. Il est le signe majeur de l’époque. L’immense mensonge de qui n’a pas l’intention de s’attaquer aux sources du désastre en cours. Et cette source n’est que trop claire. C’est celle de la marchandise industrielle. En attendant, vous pouvez regarder en cliquant ici six photos de l’embouteillage précédent sur la même autoroute, qui date du mois dernier. Incroyable ? En effet.

Le 7 septembre, évidemment (la retraite en marchant)

Un mot. Tous ensemble. Envoyer les malfaisants dans les cordes. Refuser leur loi. Refuser Woerth. Refuser la Légion d’honneur. Refuser le fric. Refuser le sort fait aux prolos qui ont fait l’abominable richesse matérielle de ce pays, celle-là même sur laquelle s’égaille ce gouvernement corrompu. Manifester, bien sûr, malgré les réserves colossales qui sont les miennes. Les syndicats ne pensent pas une seconde à la crise écologique, ce qui est tragique (lire ici). Mais Sarkozy ne pense qu’à lui. Mardi, donc, sans hésitation.

35 cancers du rein et 3 héros (plus une héroïne)

Rien qu’un échange téléphonique, hier au soir, avec un type épatant, Christian Micaud. On ne le verra pas de sitôt au 20 heures de Lolo Ferrari, pas davantage chez Pujadas. C’est un syndicaliste à la retraite – ça sert, la retraite, tas de salauds -, un cégétiste. Malgré le poids des staliniens dans la CGT, j’ai toujours aimé ce syndicat, du moins certains de ses membres, car il n’a pas tout à fait oublié que la société est divisée en classes sociales. Archaïque, hein ?

Christian a pris sa retraite en 2 002 d’une boîte infernale installée à Commentry, dans l’Allier. Une usine spécialisée dans la nutrition animale, leader mondial de la fabrication de vitamines A et E et d’un additif alimentaire appelé méthionine. L’entreprise a longtemps été la propriété de Rhône-Poulenc, qui fut une société nationale. En théorie aux mains de la nation. Nationale. Fume. Arrivé en 1985 là-bas, Christian est entré quelques années plus tard au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la taule. Ce truc peut être une coquille vide ou bien, entre les mains de valeureux, devenir un outil de préservation de la santé. Selon. Avec des types comme Christian et ses copains, il n’y avait pas de risque que les prolos ferment leurs gueules.

Rendons hommage à un autre héros tranquille, Gérard Barrat. Un médecin du travail qui serait porté en triomphe si le monde était une vraie société. Barrat n’aura jamais reculé. Dès 1984, il commence à demander des études toxicologiques sur la molécule C5, qui entre dans la fabrication de la vitamine A.  Il la soupçonne dès ce moment d’être toxique. Il a raison. Mais il est seul. En 1994, un premier cancer du rein est diagnostiqué. Un. Bon. Un autre entre la fin de 1995 et le début de 1996. Un troisième en 1997. Deux autres en 1999. En 2003, on en est à 10.

Je ne peux raconter ici une histoire qui mériterait un livre, un film, une œuvre. Au fil des ans, la maudite usine de Commentry quitte le giron de Rhône-Poulenc, est reprise par Aventis, achetée par un fonds de pension anglais avec boîte postale en Belgique, CVC capital Partners. En janvier 2006, elle tombe finalement dans les mains du groupe chinois BlueStar, filiale du Groupe ChemChina (China National Chemical Corp.). Un condensé de mondialisation. Barrat, en se battant avec le CHSCT et Christian, a certainement sauvé des dizaines de vies. Car bien que traînant affreusement les pieds, l’ancienne direction a bien été obligée de prendre quelques élémentaires mesures de protection.

Le tournant a peut-être eu lieu lorsqu’un troisième héros est entré en scène. Vous trouvez qu’il y en a trop dans cette histoire ? Il n’y en aura jamais assez, pour sûr. Un jour, mon si cher Henri Pézerat, mort l’an passé (ici), débarque à Commentry. Josette, Josette Roudaire, qui connaît Christian, lui a parlé d’un directeur de recherches du CNRS, proche du peuple, et toxicologue de surcroît. Henri, bien sûr, qui d’autre ? Mais voilà que j’ai parlé de Josette, qui mérite à elle seule un article. Qui est elle-même une héroïne de la bagarre contre l’amiante. Oh, je reviendrai sur son cas admirable. En attendant, je l’embrasse. Josette d’Amisol, je t’embrasse.

Bref. Henri débarque à Commentry, sympathise avec Christian, ce qui n’est pas difficile. Un chercheur et un technicien cégétiste, sur un strict plan d’égalité : voilà comment je vois la vie. Un jour que Christian raccompagne Henri à la gare, alors que ce dernier est devenu l’expert – bénévole, évidemment – du CHSCT , les deux hommes boivent un verre. Henri à Christian : « Écoute, Christian, il faut que tu crées une association. Ce qui se passe ici est trop grave ». Christian : « Mais pas de problème, Henri. Je marche avec toi ». Et il marche, court et nous venge tous en lançant avec ses potes l’Association des malades de la chimie (AMC). Une radicale nouveauté en France, où la chimie demeure intouchable.

Alors commence une formidable bagarre judiciaire, appuyée sur l’avocat des victimes de l’amiante, Jean-Paul Teissonnière. Les premiers cas de cancers du rein ont été reconnus maladies professionnelles en 2003, après des années de dur combat. Mais ce que tente Teissonnière est d’un tout autre calibre. Il veut que soit reconnue la « faute inexcusable » de l’employeur, qui signifierait entre autres que le patron savait, et devait donc prendre des mesures. En 2007, la victoire est acquise, puis confirmée définitivement en 2009. C’est la toute première fois qu’une telle faute criminelle est établie dans le domaine si glauque de la chimie industrielle.

Est-ce fini ? Vous plaisantez. Christian, macabre comptable de la destinée des siens, m’a dit hier que 35 cas de cancers du rein ont été recensés parmi les travailleurs de cette saloperie de boîte. Je précise à toutes fins utiles que ce cancer est tout de même rare dans la population générale. Et que cet incroyable chiffre explose bien sûr toutes les probabilités imaginables. Condamné au cancer, parce que le patron veut gagner du fric. Le C5, cela n’étonnera personne, permettait une diminution notable des coûts de fabrication de la vitamine A destinée aux animaux. La racaille, la voilà.

Vite, vite, toujours plus vite (dubo, dubon, dumoinsbon)

Pas le temps. Je ne snobe personne, je n’ai simplement pas le temps. Je note à la volée deux nouvelles, dont l’une est franchement merveilleuse. Le 21 avril (lire ici), j’ai évoqué le sort alors funeste d’un peuple autochtone de l’Inde, les Dongria Kondh. Ces idiots sans télévision vivent dans des collines perdues de l’État d’Orissa. Une compagnie minière voulait détruire leur montagne sacrée pour en extraire de la bauxite. Elle vient apparemment de perdre la partie (lire ici). Je suis infiniment heureux, et abominablement triste, pensant à eux, mais aussi aux milliers de peuples dispersés sur notre si petite terre, et dont le territoire est détruit par la rapacité. La nôtre, si nous acceptons d’être honnêtes. Commentaire incroyable à mes yeux de Jairam Ramesh, ministre indien de l’environnement et des forêts, qui a justifié la décision de refuser l’ouverture de la mine par de « très sérieuses violations » des droits des populations locales et de la loi de protection des forêts.

Je ne connais pas ce Ramesh, mais je sens chez lui un talent inné d’humoriste, qu’il devrait mieux utiliser. C’est partout où il y a quelque chose à piller que l’on viole le droit des gens, dans l’indifférence la plus totale. Si ce bureaucrate indien semble avoir donné raison aux Dongria Kondh, c’est parce que l’affaire se passait devant les caméras. Point barre. L’autre nouvelle est affreuse, bien qu’attendue, bien que prévisible, bien qu’évidente sur le fond. Une étude publiée dans la revue américaine Annals of Internal Medicine (lire ici) montre que les couillons de pêcheurs qui ont aidé à nettoyer les plages espagnoles, après la marée noire du Prestige, en 2002, ont depuis un ADN modifié, ainsi que des problèmes pulmonaires.

Bon, il faudrait composer avec un monde pareil ? Laissons cela à d’autres, si promptement volontaires.

PS : J’avais écrit du bauxite au lieu de la bauxite. Merci à DD de m’avoir signalé mon erreur.