Vous savez quoi ? Peut-être bien que non. « Édité par le groupe ETAI, Auto Infos est, depuis 1945, LE magazine de référence sur l’actualité de la distribution, de la réparation et des services automobiles ». C’est une citation, vous pensez bien que je n’écrirais pas des choses pareilles de moi-même (ici). En tout cas, ce magazine m’aura appris une chose si fantastique que je vous en fais profiter aussitôt. Ne suis-je pas, au fond, un homme serviable ?
Le 28 août dernier, Auto Infos a publié un article dont voici le titre : « L’industrie automobile serait à la veille d’une phase de croissance massive » (ici). Bien entendu, la tête farcie des annonces apocalyptiques – pour elle – venues de l’industrie de la bagnole, j’ai eu la tentation de poursuivre. Bien m’en a pris. L’article est génial, admirable dans sa loufoquerie, et plein d’un sens de la pédagogie certes involontaire, mais impressionnant tout de même. Que dit-il ? Par lui-même, pas grand chose. Mais il cite une étude d’un grand cabinet de conseil américain, Booz & Company.
Je mentirais en disant que j’ai lu ce travail dans sa version originale anglaise, mais vous pouvez le faire sans moi (1). Le résumé qu’en fait l’illustre Auto Infos m’aura suffi. Et voici : la crise de l’automobile est imaginaire, car les plus belles années de la bagnole individuelle sont devant nous. Pour une raison imparable : les ventes devraient augmenter de 600 % dans les pays « émergents» d’ici 2018. Il existe sur terre la bagatelle de 672 millions d’autos, mais elles seront – seraient, d’après Booz & Company – 1,1 milliard en 2013, puis 1,5 milliard en 2018. Or donc, dans moins d’une dizaine d’années, deux fois plus de voitures sur terre qu’aujourd’hui.
Le groupe dit BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) assurerait une bonne part de ce qu’il faut bien appeler une révolution. Une révolution totale et définitive. Il est possible, bien que très peu probable, qu’un tel événement survienne. Il en adviendra d’autres. En tout cas, aucun des imbéciles qui croient en ces âneries n’imagine une seconde ce que signifierait vraiment un déferlement aussi massif. Les ponctions invraisemblables qu’il faudrait consentir dans le budget des particuliers et des États pour acheter ces merdes et fabriquer les routes et parkings à elles dédiés. Ces budgets pharamineux ne seraient évidemment pas employés pour l’agriculture vivrière, la restauration des écosystèmes naturels, l’éducation, l’assainissement de l’eau, etc.
Aucune de ces andouilles n’a entendu parler de limites physiques, de crise climatique, de thrombose des principales villes du monde, de manque in fine des matières premières indispensables à la construction d’une telle flotte et à son entretien. Pas un, pas une ne comprend qu’une semblable évolution serait de facto une guerre civile mondiale entre qui ceux roulent et ceux qui marchent. Pas un, pas une n’imagine jusqu’à quels drames sociaux, politiques, écologiques bien sûr, conduirait la fabrication de plus de 800 millions de véhicules en acier et plastique en seulement neuf années. 800 millions en admettant qu’on garde ceux qui existent, ce qui ne sera pas le cas. Disons un milliard.
Bref. Mais l’industrie, que ces gens servent de leurs petites mains ingénieuses ? Mais GM, Renault, PSA, Toyota, Volkswagen ? À votre avis, comment les « décideurs » de l’univers mécanique de la bagnole prennent-ils ce genre de bobards ? Pensez-vous que M. Carlos Goshn, notre patron chéri de Renault-Nissan, rigole un bon coup, et part boire un verre avec des amis ? Franchement, je doute. L’industrie est par nature amorale, et ne cherche d’autre but que sa perpétuation et la satisfaction financière de ses maîtres. À coup certain, elle ne peut que saliver en face de telles perspectives.
Nos vertueux constructeurs automobiles sont donc en train di mostrare i denti – montrer les dents -, de retrousser aussi leurs manches avant de se lancer dans l’immense bagarre planétaire qui s’annonce. Oubliées, les fumeuses envolées sur la pseudo voiture verte ! Cela fait trente-cinq ans que la bagnole promet d’être plus économe en essence, en puissance, en émissions de gaz. Trente-cinq ans de foutage de gueule intégral. Je rappelle que l’usage de la clim’, imposé en France il y a quelques années sur les voitures neuves, augmente la consommation de combustible de 15 % ! Et je ne parle pas de tous les rajouts commerciaux qui ont systématiquement aggravé les choses. À quoi bon ? L’industrie ne pense pas, ce n’est pas son rôle. L’industrie mord à la gorge, et avance. La bagnole, vous l’aurez sans doute reconnue, n’est autre que le chien des Baskerville. Un monstre, certes, mais qui appartient tout de même à quelqu’un.
Concluez avec moi, ce ne sera pas difficile, que la voiture est l’ennemie du genre humain. L’ennemie directe de villes vivables, de sociétés équilibrées, d’hommes en bonne santé. L’adversaire mortelle de tout projet d’autonomie et de paix entre égaux. Je ne vois quel compromis nous pourrions passer avec une telle folie. Ou ce sera elle, et le chaos général que les fantasmatiques projets de Booz & Company annoncent. Ou ce sera autre chose. Mais les deux en même temps, je ne pense pas. Et vous ?
(1) Il s’agit d’un PDF que vous devez charger à l’adresse suivante : www.strategy-business.com/media/file/enews-07-29-09.pdf