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Madame Schapiro est-elle copine avec Michel Rocard ? (quater)

Oh, cette blague-là, je l’adore. Les voyages (électroniques) forment-ils réellement la jeunesse ? Comme je n’ai plus grand chose à perdre dans l’affaire, je dirais oui. Oui. Grâce à une amie, que j’embrasse au passage, je viens de lire un deuxième article du New York Times en deux jours. Et je dois bien constater qu’il est génial (ici).

Il est la suite presque évidente du premier qui, je le dis pour ceux qui viennent d’arriver, alertait sur l’apparition du high-frequency trading. Il s’agit d’une pratique de ruffians qui consiste, chez les grands banquiers de la planète, à utiliser des ordinateurs bien plus puissants que ceux des petits joueurs de la Bourse. Grâce à quoi ils gagnent beaucoup, beaucoup d’argent en anticipant de quelques millisecondes les opérations financières banales.

Et voilà donc que le New York Times remet le couvert. Quoi de neuf ? Vous n’allez pas le croire : la SEC prévient les méchants de l’histoire qu’elle ne va pas tarder à se fâcher. Attention, les gars ! Planquez-vous, la SEC arrive ! La SEC, ou Securities and Exchange Commission, est en quelque sorte le gendarme de la Bourse. Un gendarme qui boirait des coups avec les malandrins, tandis que les honnêtes gens se trouveraient saucissonnés au bas de leurs lits. La SEC n’a ainsi jamais soupçonné que Bernard Madoff avait truandé des dizaines de milliards de dollars en quarante ans d’activités qui se déroulaient juste sous son nez.

Mais aujourd’hui, la crise ayant frappé, tout a changé, et la SEC fait les gros yeux. Elle entend s’attaquer aux techniques de  high-frequency trading, qu’on appelle aussi flash orders, c’est-à-dire probablement des ordres flash. Un sénateur, qui mériterait pour cela d’entrer dans l’Histoire, Charles E. Schumer, a déclaré sans reprendre même sa respiration : « Nous voulons savoir si des gens utilisent ces technologies dans des buts illicites, comme par exemple tromper les marchés ou prendre de l’avance dans la connaissance des achats et des ventes ». Et il a aussitôt ajouté que la patronne de la SEC, Mary L. Schapiro, « va essayer de séparer les innovations, qui sont bonnes, de ces manières de prendre le dessus sur les gens, qui doivent, elles, être interdites ».

Schumer, si tu me lis, sache que ta vraie place est à la droite de notre Seigneur à tous. Tu mérites mieux que le Sénat. Tout comme madame Schapiro, d’ailleurs, qui parle de supprimer les flash orders, qui font tant de mal aux pauvres gens. Il est aussi question de dark pools, qui sont des plate-formes anonymes d’échanges, lesquelles, ces vaches, veulent également du mal au bon peuple.

Mais je me vois hélas contraint de me démentir, seulement quelques lignes après avoir félicité madame Schapiro. Non, elle n’entend pas supprimer les flash orders, comme le dit pourtant le quotidien, mais seulement demander à la SEC de définir au plus vite « une approche qui permette de supprimer l’injustice résultant des flash orders ». Ah, c’est tout de même mieux ainsi. On va commissionner. On va calmement en reparler.

Mais avec qui ? Probablement avec les profiteurs du système, dont l’un, anonyme, s’exprime gentiment dans le New York Times avec des mots qui ressemblent, j’en tremble pour Michel Rocard, à un doigt d’honneur. Citation : « Nous bougeons plus vite et d’une manière plus intelligente. Et nous prenons davantage de risques que les autres investisseurs (…) Le profit a toujours appartenu à qui domine le marché et nous avons un avantage technologique qui coûte des millions pour être opérationnel ».

Questions en vrac, pour finir. Madame Schapiro serait-elle l’un des clones de Michel Rocard ? L’objectif de « moralisation » du  capitalisme, central dans la stratégie de notre président Sarkozy, est-il en route ? Et en de bonnes mains ? Une « économie » reposant sur des opérations réalisées en millisecondes peut-elle se préoccuper du sort d’espèces – dont la nôtre – vieilles de millions d’années ? Cette même « économie » saura-t-elle intégrer, à la vitesse du son, le sort des forêts tropicales, des écosystèmes sous-marins, la crise climatique, la pollution chimique généralisée, la fin des haricots ?

Ma foi, je ne sais pas trop. Mais si Michel Rocard a des idées, qu’il sache au moins que je suis prêt à publier. Le bonjour.

Michel Rocard est un zozo, mais vive la banque ! (ter)

On va finir par croire que je n’aime pas Michel Rocard, et c’est tout à fait vrai : je ne l’aime pas. Et pourtant ! N’a-t-il pas cet œil de lynx qui le distingue de tous les aveugles de la place ? Mais si. Témoin cet entretien accordé au Nouvel Observateur en décembre 2007 (ici). Attention les yeux, fussent-ils eux aussi de lynx, car cela fuse.

Que dit Rocard dans ce texte qui lui permet, aujourd’hui, de prétendre qu’il fut l’un des rares vaillants à prévoir la crise économique ? Eh bien, en résumé imparfait, que cela ne peut durer, car trop, c’est trop. Que le capital se goinfre, que la dette américaine n’est plus remboursable, que la financiarisation de l’économie mène au gouffre. Je cite le plus présentable : « Nous sommes dans une situation étrange : les signes avant-coureurs d’une crise mettant en cause l’équilibre général de l’économie s’amoncellent et pourtant les “opérateurs” restent silencieux ».

Je ne sais pas si vous êtes familier de ce genre de prose, mais laissez-moi vous dire que le père Rocard, ce jour-là, enfile des perles. Toute une école critique du monde réel répétait alors tout cela depuis des années, sinon des décennies. Et cette critique, Rocard s’est constamment assis dessus quand il était au pouvoir ou pas trop loin de lui. Cela sentait le soufre. Libéré du carcan, il reprend donc ce qu’il dédaignait la veille, mais alors, parce que c’est lui, il ne s’agit plus d’une billevesée, mais d’une prophétie. Rocard et ses assez nombreux affidés, sont convaincus – ou feignent de l’être – que Michou a eu raison avant tout le monde. C’est désopilant.

Poursuivons avec le même. Dans le journal Le Monde daté des 2 et 3 novembre 2008, Rocky déclare sans barguigner : « La vérité, c’est que planquer des créances pourries parmi d’autres, grâce à la titrisation, comme l’on fait les banques, c’est du vol. Les précautions de vocabulaire sont malséantes. Nommer correctement les choses permet de bien appliquer la sanction. On reste trop révérencieux à l’égard de l’industrie de la finance et de l’industrie intellectuelle de la science financière. Des professeurs de maths enseignent à leurs étudiants comment faire des coups boursiers. Ce qu’ils font relève, sans qu’ils le sachent du crime contre l’humanité ».

Ouah ! la vache. Crime contre l’humanité ! Après une telle attaque, on attend une suite. Des barricades, des assauts à la kalachnikov contre la Bourse ou le Parlement. Mais non, notre penseur doit avoir eu une triste panne moteur. Il accepte – voir l’article précédent de ce blog – quatre missions des mains de Sarkozy, qui représente plus qu’aucun autre politicien ce monde de coups boursiers et donc, à suivre Rocky, de crimes contre l’humanité.

Inutile de nier que ce personnage me fait marrer. Pas vous ? Vous avez sans doute lu que la BNP avait décidé d’attribuer 1 milliard d’euros supplémentaires à ses courageux traders, car ces derniers font gagner de l’argent, plein d’argent à cette banque jadis publique et qui, sauf vilaine erreur, doit beaucoup à l’argent du peuple. 1 milliard d’euros, précise la BNP, mais dans le cadre strict et légal défini au cours de la dernière réunion des riches du monde, le fameux G-20.

Tout est en règle, qu’on se le dise. Mais au fait, d’où proviennent ces profits étonnants annoncés par tant de banques de notre petite planète ? On les croyait ruinées, les voilà qui affichent des chiffres record. Que se passe-t-il, amis de la finance ? Eh bien, je me permets de vous renvoyer à un article retentissant du quotidien américain The New York Times (ici). Oui, il faut lire l’anglais. Je vous donnerais bien une traduction, mais je n’ai pas le temps. Si quelqu’un le peut, je crois que cela servira à tous.

En deux mots, ce que j’ai retenu. À New York, on  se demande d’où viennent les énormes gains en cours de Goldman Sachs, l’une des grandes banques mondiales de l’investissement. Jadis, avant 1998, les ordres de Bourse étaient donnés par des gens de chair et d’os, à la vitesse qu’ils pouvaient. Puis l’on a autorisé les opérations électroniques, tellement pratiques, tellement rapides. Et voilà que des malins utilisent désormais un système commercial dit de haute fréquence, disposant d’ordinateurs bien plus puissants que ceux du marché officiel.

Grâce à cette nouvelle technologie, la Goldman Sachs – et la BNP ? – peut griller tous les investisseurs et traders traditionnels. Car elle peut envoyer des millions d’ordres en une milliseconde, surveiller des douzaines de marchés internationaux, et renifler la moindre tendance avant que les petits hommes, façon Jérôme Kerviel – le danseur de la Société Générale – ne puissent s’aviser de quoi que ce soit.

Arrivé à ce point, il me faut revenir une ultime fois à cet excellent monsieur Rocard. Et comme c’est un homme vaillant, qui eût pu – on ne refait pas l’histoire, certes – devenir président de la République, je me permets de l’interpeller sans détour. Que penser d’un homme qui dénonce un crime contre l’humanité, puis le laisse se poursuivre, s’étendre et tout dévaster ? Que penser d’un homme qui dénonce un crime contre l’humanité avant d’accepter de mener des croisières de luxe à destination de l’Antarctique (1) pour le compte de l’ami de Bolloré, Pinault, Bouygues et tous autres ? Oui, comment faudrait-il appeler quelqu’un d’assez odieux, d’assez irresponsable, d’assez inqualifiable pour en arriver là ?

Si vous ne voyez pas, moi si. Mais je ne peux l’écrire, pour des raisons qui me sont évidentes, et qui ont trait au juste et noble droit sur l’injure publique.

(1) Rocard a accepté une mission bouffonne qui en a fait un bouffon présidentiel de l’Antarctique. Et lui donne droit à des billets gratuits sur de beaux bateaux qui vont sur l’eau.

Ce n’est qu’un petit début (De Lafarge à Notre-Dame-des-Landes)

Il y a de cela longtemps, longtemps – pas loin de dix-huit mois -, j’ai écrit ici un papier consacré au Peuple des dunes (lire). Vous pouvez bien entendu tout relire, mais comme j’ai des doutes, je vous résume le tableau. Nous sommes en Bretagne, où depuis des années, le noble cimentier Lafarge, héraut du « développement durable », durable et surtout sans fin, tentait d’obtenir des autorisations pour un chantier de 600 000 tonnes de sable. Une telle quantité, je le précise à toutes fins utiles, ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval.

Mais où, alors ? En mer, pardi, où personne ne vient déranger les beaux engins de chantier. Pour le malheur de Lafarge, entre Gâvres et Quiberon, où ces agapes étaient prévues, le Peuple des dunes s’est levé. Le « Peuple des dunes » regroupe environ 150 associations de toutes sortes, y compris des pêcheurs, ostréiculteurs, et même agriculteurs. Moi, en mars 2008, j’avais souligné l’étonnante détermination des opposants, et surtout leur style. Le style, c’est (presque) tout. Je pariais à cette date qu’ils gagneraient contre le monstre multinational, et c’est chose faite. Lafarge replie ses gaules et ses pompes, et ira détruire ailleurs (ici).

Ma conclusion toute provisoire, c’est que pour gagner, il ne faut pas transiger. Ce n’est certes pas une condition suffisante, mais elle est nécessaire, ô combien ! Retenez ce mot d’un opposant, que je citais l’an passé : « Sachez qu’il n’y a place pour aucune solution négociée avec les cimentiers, car nous ne transigerons pas sur les valeurs qui sont au cœur de notre action. Il n’y a place ni à l’arbitrage, ni à la conciliation, ni à la médiation ».

Voilà bien le langage qu’il faut tenir. Et s’y tenir coûte que coûte. Nous sommes loin du Grenelle de l’Environnement, hein ? Pour gagner, pour espérer gagner, il faut dire non, et faire confiance à la beauté des mots. Je pense déjà à un autre combat, on ne peut plus essentiel, dont l’issue marquera pour longtemps le rapport de forces entre ceux qui avancent à l’abri de leurs bulldozers et nous autres.

Près de Nantes, une flopée d’imbéciles, de gauche comme de droite, tente d’imposer un nouvel aéroport en lieu et place d’une zone naturelle miraculeusement préservée. Or une semaine de rassemblements divers et variés sont prévus autour de Notre-Dame-des-Landes entre le 1 et le 9 août (ici). Eh ben, je n’ai pas de si nombreux conseils à distribuer, mais pour celui-là, pas l’ombre d’une hésitation. Ceux qui seront sur place en août pourront dire à leurs enfants et à leurs petits-enfants : j’y étais. Car pas de doute : il faut.

La pétition contre l’aéroport : http://acipa.free.fr/Petition/petition.htm

Une fabuleuse victoire indienne (vive le Pérou libre ! Kawsachun Piruw !)

(Ce texte est long, et rien ne vous oblige. Il tente de mettre en perspective les événements en cours au Pérou. C’est loin ? Oui. Plutôt non, puisque cette histoire nous dit la vérité du monde. Loin de nos petits engouements et passades, des hommes se battent pour de vrai.)

Le sujet n’est peut-être pas affriolant, mais il n’empêche que le Pérou est proche. Et qu’il m’est cher. J’y ai passé un petit temps à des époques si lointaines qu’elles me semblent incertaines. Mais pourtant. C’est à mes yeux l’un des plus beaux pays au monde, dans lequel la vraie nature fait de la résistance, tant bien que mal. On y trouve dans les hauteurs, comme chacun sait, des lamas, des vigognes, des alpagas. Et dans la sombre forêt amazonienne, des caïmans, des jaguars, des centaines d’espèces d’oiseaux et un nombre incalculable d’insectes, parfois et même souvent inconnus des hommes.

Dans ce pays, il ne faut s’étonner de rien. Car même les hommes, même certains hommes sont inconnus de nous. L’an passé, une agence publique brésilienne –  la Fondation nationale de l’Indien (Funai) –  a publié des photos bouleversantes saisies depuis un hélicoptère. On y voit, entre Brésil et Pérou, six huttes et un terrain cultivé, où poussent le manioc et des pommes de terre (ici). Et quelques Indiens qui n’ont jamais eu de contact avec notre monde malade, envoyant des flèches vers le ciel. Cette vision m’habite en profondeur, je n’ai aucune honte à l’écrire. La seule chose que je regrette, c’est que les flèches ne puissent atteindre leur cible, qui est de toute évidence notre être.

Le Pérou est un pays indien. Son nom même viendrait de celui du fleuve Biru, par lequel les funestes Conquistadores s’engouffrèrent en pays inca, voici 500 ans. D’autre sources évoquent l’existence d’un chef  indien applelé Birú, d’où viendrait l’appellation de ce grand pays découpé par les envahisseurs. Le Pérou d’aujourd’hui est un désastre et une honte. Il compterait environ 29 millions d’habitants, dont beaucoup massés le long de la côte. Lima, à elle seule, dépasse les huit millions d’habitants. Combien d’Indiens parmi les Péruviens ? À peu près la moitié, auxquels il faut ajouter presque 40 % de mestizos, des métis de Blancs et d’Indiens. Los descendientes españoles, les descendants d’Espagnols, d’Européens en général, et même de…Japonais n’atteignent pas 15 %. On trouve aussi, dans ce pays martyre de l’histoire, quelques centaines de milliers de Noirs, dont les ancêtres ont été traînés de force sur le continent américain.

Et malgré cela, les Blancs du Pérou continuent, pour beaucoup d’entre eux, d’employer le mot de cholos quand ils parlent des autres, c’est-à-dire de leur peuple. Or cholos, dès l’invasion espagnole, a désigné les chiens bâtards qui traînaient autour des maisons, puis les enfants bâtards nés de père espagnol et de mère indienne, puis par extension tout ce qui n’était pas puro. 87 % de la population péruvienne n’est pas pura. Est-ce le cas d’Alan García Pérez, le président en titre ? La question de sa « race », figurez-vous, est un sujet de conversation. Tandis que certains vantent ses « traits espagnols », d’autres affirment qu’il est tout de même moins blanc que blanc, ce qui cacherait d’anciennes coucheries avec des Indiennes. Ainsi va le monde péruvien.

Quoi qu’il en soit, Alan García, qui a déjà été président entre 1985 et 2000, a ruiné une première fois son pauvre pays, lui laissant une inflation de plus de deux millions de pour cent avant de s’enfuir à Paris. Oui, ce charmant monsieur a vécu de longues années chez nous, où il s’est acheté, sûrement avec son salaire, un appartement de 200 mètres carrés rue de la Faisanderie, dans les quartiers riches de notre capitale. Pendant ce temps, les Indiens quechuas, aymaras, chachapoyas, aguarunas, asháninkas, shipibos, cañaris, mochicas, chimúes, tallanes, tumpis ont continué à trimer, car il faut bien que quelqu’un le fasse.

Depuis juin 2006, malgré les désastres qu’il a causés, García est de nouveau président. Disons pour rester modéré qu’il est vendu corps et âme au libéralisme made in America. C’est d’ailleurs pourquoi il a des ennuis en ce moment. Je vous résume en quelques mots. En parallèle du Traité de libre commerce (TLC) signé avec le gouvernement de W.Bush, García a pris des décrets qui ouvrent l’Amazonie péruvienne – 60 % du territoire – à la propriété privée et aux transnationales forestières, minières et pétrolières (ici). Sans aucune discussion, alors que la loi l’y oblige.

Les Indiens, ces sots, sont aussi des ingrats. Au lieu de préparer leurs baluchons, ils ont commencé à barrer des routes et occuper diverses installations dans le nord-est du pays. Jusqu’à indisposer la patience de monsieur García, qui a envoyé la police. D’où des affrontements terribles dans la petite ville de Bagua, à 1 000 km de Lima. Deux jours de combats – les 5 et 6 juin – ont provoqué la mort de dizaines de personnes. Je gage qu’on ne saura jamais combien. La télévision officielle a tenté une opération usuelle, présentant les Indiens comme des terroristes assoiffés de sang. Et les policiers comme des héros de la nation tout entière.

Là-dessus, les choses se sont encore envenimées après la mise en accusation du chef indien Alberto Pizango, accusé par le pouvoir d’être le « responsable intellectuel » de la violence. Pizango s’est dans un premier temps réfugié à l’ambassade nicaraguayenne de Lima avant de partir à La Paz, en Bolivie, où le président indien Evo Morales lui a accordé le droit d’asile. Et ? Et grosse surprise :  Alan García a pris peur, au point de suspendre le décret le plus controversé. Ce n’est qu’une halte, bien entendu. Un armistice dans une guerre totale entre la vie et la mort, nous en sommes bien d’accord, n’est-ce pas ? Il reste que ce samedi 13 juin 2009 en restera illuminé chez moi.

Oui, je pense autant qu’il m’est possible aux émeutiers de Bagua et d’ailleurs. Et même s’ils devaient perdre la partie, j’aimerais leur dire – mais comment ? – qu’ils nous montrent la seule voie praticable. Je veux dire la révolte. La vraie. La seule. Celle qui s’achève par la victoire. Ou une défaite qui annonce d’autres soulèvements. Je sais bien que notre France abreuvée, saoulée d’objets et de publicité, tourneboulée par les dérisoires événements électoraux de dimanche dernier, dort à poings fermés. Mais tous ne sont pas couchés. Je vous salue ! Je vous salue sans savoir quoi faire de plus, pour le moment du moins. Je vous salue, frères indiens. Parmi les quelques mots quechuas que je traîne dans ma besace, il y a warak’ay, qui signifie jeter une pierre avec une fronde. Et kawsachun sikllakay, qui pourrait vouloir dire Vive la beauté ! J’emploie le conditionnel, car je n’ai jamais prononcé ces mots. Peut-être quelqu’un en saura-t-il plus que moi ? Et surtout pas de malentendu : je sais parfaitement qu’il existe des dizaines de peuples indiens au Pérou. Les Quechuas ne sont pas en première ligne cette fois. Mais demain ? Je sens, je suis même sûr que nous nous retrouverons sur le chemin de sikllakay.

Détendons l’atmosphère (sur le dos de NKM et du portable)

(Un mot sur les engueulades qui précèdent. Je n’ai pas le goût, malgré les apparences, de trop secouer mes proches. Or il est clair que nombre de lecteurs de Planète sans visa sont des proches. Je prie donc celles et ceux qui s’estimeraient avoir été malmenés par moi de bien vouloir m’excuser. Et leur demande de comprendre – je ne me plains aucunement – que je suis seul face à plusieurs milliers de personnes. Mon tempérament explique le reste.)

Bon, what’s up ? Vous savez sans doute qu’un « Grenelle des ondes » se déroule en ce moment. Aussi loufoque que les autres Grenelle, il se propose de mettre tout le monde d’accord, ce qui n’arrivera évidemment pas. Une dernière réunion se tient aujourd’hui, et la remise solennelle des conclusions est prévue le 25 mai. Que sera-t-il décidé ? Rien. D’après les indiscrétions qui circulent, on aura droit à un texte sur la « nécessaire transparence » – on en parle dans le nucléaire civil depuis près de quarante ans – et de « nouvelles recherches ». L’association Robin des Toits juge qu’il ne s’agit que d’une « ribambelle de vœux pieux ». Ce n’est pas loin d’être mon avis.

Dans un entretien lénifiant donné au magazine L’Express (ici), Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d’État à l’écologie, rassure à tout va. Exemple : « A ce jour, rien n’a été prouvé sur la nocivité des antennes ». Ou encore : « Il y a deux problèmes à diminuer la puissance des antennes ». Mais le meilleur est ceci : « Personnellement, je pense que notre règlementation est très datée et doit être dépoussiérée. Une mesure possible en sortie de ce Grenelle pourrait être d’aller vers des seuils plus bas, après expérimentations (attention (…), des seuils plus bas cela peut vouloir dire plus d’antennes, dans certaines configurations.) ».

Et là, c’est le top. Car la règlementation actuelle fixe des limites d’émission de 41 à 61 volts par mètre pour les antennes-relais. Madame Kosciusko-Morizet envisage donc prudemment d’abaisser cette limite, fût-ce en augmentant le nombre d’antennes. C’est à ce moment de l’histoire que j’explose de rire, car je lis de mon autre oeil la proposition de loi enregistrée à l’Assemblée nationale le 13 juillet 2005 sous le numéro 2491 (ici). Les attendus en sont charmants : « Or, la question de santé publique est sans doute l’aspect le plus grave de ce dossier, celui qui nécessite les mesures les plus urgentes. De nombreux riverains d’antennes-relais se plaignent de problèmes de santé apparus au moment de l’implantation d’antennes-relais de téléphonie mobile à proximité de leur domicile, de leur travail… Des parents s’inquiètent de voir des antennes s’implanter à proximité de l’école ou de la crèche de leurs enfants.
Ces inquiétudes s’appuient sur les résultats d’un certain nombre de recherches qui portent sur les effets des rayonnements non ionisants sur la santé, qu’il s’agisse de basses ou de hautes fréquences. La spécificité des ondes rayonnées par la téléphonie mobile se fonde, en effet, sur l’alliance entre hautes et extrêmement basses fréquences. Or, les extrêmement basses fréquences (jusqu’à 300 Hz) ont été classées, en juin 2002, après bien des années de débat, dans la catégorie « potentiellement cancérigène » par l’OMS »
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Et maintenant, la proposition elle-même, ou plutôt son premier article : « Le niveau maximal d’exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements utilisés dans les réseaux de télécommunication, ou par les installations radioélectriques, est fixé à 0,6 volt par mètre ». Je le précise illico, 0,6 volt par mètre est la mesure exigée par l’association Robin des Toits, et correspondrait à une division comprise entre 68 et près de 102 fois du seuil actuel.Il s’agirait donc d’une (petite) révolution qui mettrait à mal l’univers des opérateurs amis du pouvoir, Bouygues en tête.

Le drôle, mais vous l’aurez sans doute deviné, c’est que madame Kosciusko-Morizet est signataire, avec sept autres parlementaires, de cette proposition de loi ! La même qui tempère et minaude en 2009 voulait en 2005, compte-tenu des problèmes posés, diviser par 100 la limite d’émissions électromagnétiques. Mais j’en vois qui prennent encore cette politique-là au sérieux, et je me garderai bien de me moquer. Au reste, les élections européennes approchent, n’est-ce pas ?