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Élisabeth Badinter, Publicis et les Précieuses ridicules

Ce qu’est l’esprit d’escalier. Acte un : il y a quelques jours, j’entends sur France-Inter un matin la philosophe Élisabeth Badinter. Et je dresse l’oreille, bien que n’ayant jamais lu le moindre livre d’elle par le passé. J’ouvre l’oreille, car je sais qu’elle représente au mieux l’idéologie « progressiste » de gauche – caviar, s’entend – et féministe. En outre, comme il s’agit apparemment d’une émission consacrée à sa personne, madame Badinter s’en donne à cœur joie sur elle-même et son destin sur terre.

N’ayant pas pris de notes alors, il est possible que je me montre imprécis, mais l’essentiel est dans ce qui suit, il n’y a pas de doute. Madame Badinter disait combien elle regrettait le Siècle des Lumières et des salons intellectuels. Comme cette époque avait été brillante. Comme on y avait pensé pour le plus grand bien de l’homme et des sociétés. Elle déclarait même une flamme posthume à D’Alembert, ce philosphe co-auteur de l’Encyclopédie. Bref, elle avait le sentiment que vivaient alors des géants.

Et maintenant ? Ah, maintenant. Madame Badinter trouvait notre temps et ses usagers médiocres. Très médiocres. Elle se sentait, elle la philosophe quasi-officielle, comme un borgne au royaume des aveugles. Cette dernière expression est d’elle, je l’assure. Elle estimait que notre siècle aurait dû savoir penser la mondialisation – au moins – et qu’il s’en montrait incapable. On lui aurait offert un remontant.

Acte deux, Kempf. Hervé Kempf, journaliste au Monde. C’est un homme que je connais depuis vingt ans et que j’apprécie beaucoup sur le fond, même s’il m’arriva plus d’une fois de me heurter à lui. Hervé est un excellent homme, et un journaliste de grande qualité. Je viens de recevoir son dernier livre ( « Pour sauver la planète, sortez du capitalisme », Le Seuil), dont j’essaierai de faire la critique plus tard. Je précise, et c’est une incise, que c’est un bon livre, très agréable à lire par ailleurs. Un bon livre, même si je pense très différemment de lui.

Kempf, donc. Page 62 de son livre, il attaque madame Badinter. Il y écrit exactement ceci : « On ne verra pas une coïncidence dans le fait qu’une philosophe favorable à la liberté de prostitution, Élisabeth Badinter, se trouve détenir 10,32 % du capital d’une des plus grandes compagnies de publicité du monde – Publicis – au conseil d’administration duquel elle a sa place ». Pour Kempf, que je rejoins intégralement, la publicité a joué un rôle clé dans la marchandisation du corps humain, exploitation sexuelle y compris. Je me souviens de ces féministes qui défilaient aux cris de : « Notre corps nous appartient ». Je criais alors avec elles. Je ne le ferai plus, car nos corps appartiennent désormais à TF1, à Coca, à la pub en général, à tous ces foutus salopards ivres d’eux-mêmes.

Acte trois : je découvre avec près de cinq ans de retard un échange épistolaire entre l’association écologiste Les Amis de la Terre – salut, au passage – et madame Badinter. Il s’agit d’une polémique et je vous invite à lire les courriers (ici), car ils ne manquent pas d’intérêt. En deux mots, nous sommes au début de 2004 et Métrobus – Publicis – réclame un million d’euros à 62 rebelles qui ont osé tagguer quelques saloperies publicitaires dans le métro parisien au cours de l’automne 2003. Un million d’euros. Publicis, où madame Badinter joue un rôle premier. Les Amis de la Terre envoient un courrier précis à la philosophe, dans lequel ils notent « la disproportion manifeste entre les sommes plusieurs fois supérieures aux revenus de toute une vie qui leur sont réclamées et la situation matérielle de ces citoyens souvent très modestes (…) Ce harcèlement judiciaire est d’autant plus choquant que les “barbouillages” qui justifieraient, selon Publicis, cette action, posent des questions légitimes sur la dégradation croissante du service public des transport en terme de cadre de vie, de développement durable et de liberté d’expression ».

C’est net, n’est-ce pas ? Le 1er mars 2004, madame Badinter répond. Et c’est beau comme l’antique. Pas comme D’Alembert, mais presque : « Quand vous parlez de dégradation de la qualité de vie dans le métro, note–telle, je suis obligée de vous répondre, que la Régie, depuis quelques années, rénove l’ensemble de ses stations et modernise de manière évidente, pour qui les utilisent, les transports en commun, les matériels comme les stations. Je ne crois pas par ailleurs que les voyageurs de la ligne Météor trouvent que le cadre de vie du métro se dégrade ».

Un premier commentaire : génial. Madame Badinter, qui n’a pourtant aucun rapport autre que commercial – les affiches – avec la RATP, se sent obligée de prendre la défense de l’entreprise. Deux, et même si je n’ai pas la moindre preuve, j’avancerais audacieusement l’hypothèse que madame Badinter ne prend jamais le métro. Ou peut-être de temps à autre entre Saint-Placide et Odéon ?

Deuxième extrait : « De manière plus générale, votre courrier manifeste un rejet de la publicité pour tout ce qui ne convient pas à votre éthique personnelle. On peut certes regretter que notre société produise des biens jetables plutôt que durables. Je pense contrairement à vous, que le consommateur n’est pas dénué de discernement, qu’il a le sens de ses intérêts et sait très bien choisir ce dont il a besoin. Enfin, il me semble qu’il faille rendre grâce à la liberté du commerce et de l’industrie car je ne connais pas de pays démocratiques où elle n’existe pas, même si l’inverse n’est pas toujours vrai ».

Deuxième commentaire, et derechef : génial. Sans publicité, sans désorganisation voulue et accélérée de l’esprit humain, pas de démocratie. N’ouvrez plus la bouche, petits imbéciles des Amis de la Terre, car vous n’êtes en réalité que des fantoches au service de l’entreprise totalitaire. Et comme c’est moi qui vous le dis, moi l’icône du Nouvel Observateur et de toute la gauche bien-pensante, eh bien c’est vrai. Quelqu’un aurait-il l’audace d’ajouter un mot ?

Oui, quand même. Cette pauvre madame Badinter fait franchement pitié. Elle qui aimerait tant que les gens bien élevés réfléchissent ensemble, dans le VIème arrondissement de Paris, à ce que signifie la mondialisation, n’est pas même capable de seulement évoquer la crise écologique. L’événement le plus colossal de l’histoire de l’homme se déroule sous son nez même, et elle ne l’entrevoit pas ! Seulement borgne, vraiment ? On se rapproche ainsi, sans bien s’en rendre compte soi-même, de la sottise la plus fate qui se puisse concevoir.

Je vous invite à relire, madame – à lire, peut-être ? -, une pièce de l’admirable Jean-Baptiste Poquelin, alias Molière. Je sais, il n’est pas du siècle de votre gôut. Il a cent ans de moins. N’importe, Molière a assez bien décrit le monde réel, ce me semble. Quelle pièce ? Mais Les Précieuses ridicules, bien entendu ! Je vous raconte, pour le vif plaisir de me remémorer les scènes elles-mêmes. Soit ce couillon de Gorgibus, père de Magdelon et oncle de Cathos, deux jeunes filles en âge de se marier. Mais les deux se moquent cruellement de leurs prétendants officiels, La Grange et Du Croisy.
Ils ne conviennent pas, car comme elles sont influencées par les salons littéraires qu’elles fréquentent, Magdelon et Cathos attendent mieux. Et trouvent, en la personne du marquis de Mascarille et du vicomte de Jodelet. Lesquels sont faux, faux, FAUX. Ce sont en réalité les valets de La Grange et Du Croizy, que leurs maîtres ont déguisés pour mieux tromper les Précieuses ridicules, qui s’amourachent donc d’ectoplasmes.

Toute ressemblance avec madame Badinter, grande, noble, haute, admirable, miraculeuse figure de l’intelligentsia française de ce début du XXIème siècle, serait à n’en pas douter une curiosité. Mais le monde n’est-il pas curieux, ces temps-ci ?

Massacre à la française en Nouvelle-Calédonie

Imaginez, un instant seulement, que nous ne soyons pas les personnages d’une grandiose farce médiatique. Une seconde, le temps de lire ce qui suit. Les associations écologistes dûment agréées – France Nature Environnement, LPO, WWF, Greenpeace, Fondation Hulot – n’auraient pas vendu leur âme à monsieur Sarkozy en échange de risettes. Le Grenelle de l’Environnement, l’une des plus belles entourloupes que je connaisse, n’aurait pas eu lieu. Bref, rêvons un court moment.

Alors, une grande bataille commencerait aussitôt. Alors, une pétition de deux à trois millions de signatures au moins flamberait d’un bout à l’autre du pays. Des milliers d’activistes, au lieu de pratiquer du matin au soir le fundraising et autres fundmailing lists *, qui transforment les hommes en spectateurs de la destruction du monde, sauteraient d’une cage d’escalier à l’autre pour alerter sur une énorme, HÉNAURME – merci, cher vieux Jarry – saloperie française.

Je veux parler de la Nouvelle-Calédonie, qui est à nous, puisque c’est écrit dans les livres. La Nouvelle-Calédonie est ce que l’on appelle un « point chaud » ou hot spot de la biodiversité mondiale. Brûlant, même. La notion de hot spot n’est pas une guignolade de plus. Le biologiste Norman Myers l’a introduite dans l’univers scientifique en 1988 en croisant trois données : la richesse en espèces d’un territoire, sa surface, et les menaces que les hommes lui font subir. Et Myers a retenu dans son classement mondial dix-huit « points chauds ». Dix-huit pour la planète entière, dont la Nouvelle-Calédonie.

Étonnant, n’est-il ? Cette île du Pacifique ne fait après tout que 18 000 km2 environ, soit trois fois le département de la Corrèze. Ce n’est donc pas une immensité, je crois que nous serons d’accord. Et pourtant, cette île est « notre » archipel des Galápagos, une merveille si impressionnante que j’en frissonne un peu en écrivant son nom.

Pour bien comprendre, considérons ensemble l’histoire, géologique s’il vous plaît. Vestige de l’ancien continent appelé le Gondwana, dont elle s’est séparée il y a 70 millions d’années, la Nouvelle-Calédonie a embarqué au cours de sa lente dérive une sorte d’Arche de Noé de la flore de cette lointaine existence. Certains pensent qu’elle a pu être engloutie à certaines époques, d’autres qu’elle a toujours eu au moins une partie émergée, ce qui expliquerait qu’elle ait conservé de telles reliques du temps des dinosaures. Pendant un temps immensément long, la Nouvelle-Calédonie a vécu dans un isolement complet.

Presque complet. Certaines espèces de la faune et de la flore ont pu atteindre les côtes kanakes depuis l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. Mais pour l’essentiel, l’héritage provient du Gondwana. Des espèces, mais aussi des genres, et mêmes des familles – au sens taxonomique – n’habitent que la Nouvelle-Calédonie. Elles sont dites endémiques : on ne les trouve nulle part ailleurs sur terre. J’arrête là le cours, ou plutôt je l’abrège : parmi ces merveilles, l’Amborella, vieille d’au moins 130 millions d’années et considérée souvent comme la plus archaïque des plantes à fleurs sur terre.

Donc, une merveille comme on n’en retrouvera jamais, quoi qu’on fasse. Quoi que veuille notre immense Nicolas Sarkozy. Et elle est saccagée d’une manière innommable et scandaleuse. Par nous, les Français qui aimons tant donner des leçons à l’univers. Cela n’a pas commencé avec la droite, pensez, et cela ne s’arrêtera pas à son départ. Le nickel, cette malédiction, est en train de détruire ce que l’évolution a mis des millions d’années à imaginer, dans sa folie créatrice.

Le nickel. La Nouvelle-Calédonie contient environ 20 % des réserves mondiales. Un Eldorado pour transnationales. Un enfer pour la nature. Je viens de recevoir une étude passionnante de deux chercheurs, Bertrand Richer de Forges et Michel Pascal. Elle a paru dans Le Journal de la Société des Océanistes, mais ne sera mise en ligne qu’en 2011 (ici). D’ici là, je crains qu’il ne faille me faire confiance sur son contenu. Que révèlent ces deux vaillants chercheurs – je les salue, ils le méritent – sur le drame en cours ? D’abord, la stupide exploitation forestière a fait disparaître, en un siècle, les deux tiers de la couverture d’origine. Combien d’espèces à jamais disparues ? Des centaines, des milliers ?

Ensuite, l’exploitation minière, dont les sites mais aussi les prospections fragmentent et font disparaître des habitats entiers. La Nouvelle-Calédonie est en effet le paradis du micro-endémisme. Une espèce unique au monde peut exister sur seulement quelques km2. Une piste, un trou suffisent à la condamner à mort. La seule mine de Goro, au sud, a conduit à la destruction des habitats sur plusieurs dizaines de km2, et les zones potentiellement perturbées au sud d’une ligne Yaté-Mont Dore pourraient atteindre 600 km2. Le bilan général est pour l’heure impossible à faire, mais il est épouvantable. La France, notre pays, commet l’irréparable. Je vous livre quelques mots de la conclusion de Richer de Forges et Pascal, qui se passent de tout commentaire : « On est bien loin de la “ bonne gouvernance” prônée par le Grenelle de l’environnement. Il faut, en effet, beaucoup de cynisme pour qualifier ces exploitations minières de “développement durable” car il n’y a rien de moins durable que les espèces qui disparaissent de la planète ! ».

Je vous le dis, je vous en prie, si vous pouvez, criez. Hurlez. TOUT DE SUITE.

* il s’agit de méthodes marketing qui permettent de lever des fonds auprès des particuliers. Par démarchage, notamment électronique, par la grâce d’Internet. Avec variantes jusque sur les places publiques. Le résultat est connu : des milliers de gens paient pour regarder des salariés (et quelques bénévoles) d’ONG mimer la contestation du monde. Faut-il applaudir ce triomphe du spectacle et de la délégation ?

Ça se passe comme ça chez McDonald’s

Je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous ignorez tout de lui. Lui. François Villon. Mon Dieu, ai-je le droit de l’écrire ? Il est pour moi un frère lointain. Un voyou. Un authentique truand du XVe siècle. Un incroyable et frénétique rebelle à l’ordre en place. Né en 1431, il blesse mortellement, au cours d’un duel, celui qui – peut-être – lui aurait disputé le cœur d’une belle. Je le reconnais, cela ne se fait pas.

Pour parler sans détour, Villon n’aura jamais fait que le con, tout au long de sa vie repérable. Il est probable qu’il s’acoquina avec les Coquillards, une bande connue de malfrats, mais les preuves réelles manquent. Le sûr, l’à-peu-près certain, c’est qu’après 1463, Villon disparaît définitivement. Qu’est-il devenu ? A-t-il vécu ? A-t-il été pendu quelque part ? Mystère. À trente-deux ans, rideau.

C’est à lui que j’ai pensé tout à l’heure, de façon acrobatique, j’en conviens. Je découvrais un entretien avec Steven Chu, le nouveau secrétaire d’État à l’énergie des États-Unis. Prix Nobel de physique 1997, Chu a dirigé le Laboratoire national Lawrence Berkeley, en Californie. On le sait très sensible à la question climatique. On le pense même écologiste. Certains, dois-je aussitôt ajouter.

Eh bien, pourquoi ce cher Villon ? L’un de ses poèmes les plus connus, La Ballade des pendus, commence de la sorte :

Frères humains qui après nous vivez
N’ayez les cœurs contre nous endurciz,
Car, ce pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.

Il y a un rapport, en tout cas pour moi. J’y lis la considération réelle d’un homme – il est alors en prison, si je ne me trompe – pour ceux qui viendront après lui. Et comme il sait ce que nous sommes, il ne demande que peu. Que le cœur de nos descendants ne soit pas trop endurci contre nos innombrables faiblesses. Qu’on nous pardonne un peu, un tout petit peu. Que l’on nous prenne en pitié, s’il le faut !

Chu, donc. L’essentiel de la presse mondiale, fût-elle (autoproclamée) sérieuse, prétend que la nomination de Steven Chu change la donne. Eh bien, ce n’est pas vrai. Chu est, à sa manière, qui diffère du commun, un scientiste. Un scientifique profondément convaincu que la technologie sauvera le monde de ses insupportables contradictions. Il ne sait ce qu’est une société. Il ignore ce qu’est la justice. Il est incapable de comprendre qu’un monde qui ne lève pas ses milliards de gueux pour changer le cours des choses n’a pas une chance devant lui. Bref, ce très brillant esprit est un imbécile. Mais chut ! il ne faut pas dire cela. Un Villon, je vous le jure, aurait sans douté écrit cette vérité plus entière : Chu est un connard. Il l’est.

Il l’est. Voici un extrait d’un entretien accordé au journaliste du Nouvel Observateur Claude Soula quelques jours avant d’être nommé par Obama. Lisez lentement. Moi, j’en souffre lentement, je vous le dis (ici) :

Le Nouvel Observateur – On dit que vous avez réorienté le Berkeley Lab sur l’environnement ?

Steven Chu – Depuis les années Carter, la recherche sur les énergies non fossiles était au point mort. Il fallait donc inciter nos meilleurs cerveaux à se pencher sur la question. Avec le projet Helios, nous travaillons sur les biocarburants de deuxième génération, les panneaux solaires avancés, les matériaux de construction écologiques, la capture et la séquestration du carbone… Cela représente plus du quart de notre budget annuel (650 millions de dollars).

N. O. – A vous entendre, l’environnement est « la question la plus importante que la science et la technologie aient jamais eu à résoudre »…

S. Chu – Il est bien sûr important de faire progresser la science médicale. Si nous n’arrivons pas, par exemple, à soigner tel cas de cancer du cerveau, certains malades mourront. Mais si on ne résout pas la question environnementale, c’est l’humanité entière qui souffrira. S’il y a, comme le prédit le rapport Stern, 50% de chances pour que la température augmente de 5 °C dans cent ans, des millions de gens mourront, des milliards deviendront des réfugiés climatiques, des espèces disparaîtront…

N. O. – Vous avez signé avec British Petroleum un contrat de recherche à 500 millions de dollars sur dix ans. Pour quel objectif ?

S. Chu – Nous travaillons sur les biocarburants dérivés de plantes, à la fois à travers ce partenariat et dans un nouveau centre de recherches financé par le ministère de l’Energie. Les biocarburants de première génération, comme l’éthanol de maïs, n’ont pas un bilan énergétique satisfaisant. Ils entrent en compétition avec les cultures alimentaires. Les biocarburants de demain seront fabriqués à partir de la cellulose de déchets végétaux ou de plantes dédiées, utilisant peu d’eau, pas de fertilisants, sans vocation alimentaire. Par exemple les pailles de riz, les résidus forestiers, ou certaines graminées tropicales comme le miscanthus. Produire ces biocarburants à un coût intéressant demande des percées scientifiques majeures, notamment en biologie synthétique.

N. O. – C’est-à-dire ?

S. Chu – II faut fabriquer de nouvelles formes de communauté microbienne, capables de déstructurer la cellulose des plantes et d’optimiser le processus de fermentation des sucres libérés. Nous étudions de près les micro-organismes qui prolifèrent à la surface des marais tropicaux ou colonisent l’estomac des termites.

Vous ferez le commentaire qui vous convient. Vous êtes assez grands, ma foi. Mais voici le mien, qui pourrait emplir un livre. Rassurez-vous, ce sera plus court. Cet excellent M. Chu note comme en passant que les biocarburants actuels « entrent en compétition avec les cultures alimentaires ». Et non pas pour clamer cette évidence humaine qu’on ne peut admettre leur déferlement. Qu’on ne peut admettre qu’Obama soutiendra de toutes les forces de l’Empire la culture de maïs destiné au réservoir des SUV et autres 4X4 de là-bas (ici). Oh non, M. Chu est bien trop intelligent pour laisser parler son cœur et son âme. Pensez donc.

M. Chu songe déjà aux biocarburants de deuxième génération, pour l’heure purement virtuels. Qui ne servent qu’à la propagande en faveur de ceux de la première génération. Ceux qui affament les vrais pauvres du monde. M. Chu, comme tous les gens de sa misérable caste, nous promet donc que, dès demain, on rasera gratis. On séquestrera le carbone, on capturera l’énergie du soleil au lasso, et l’on continuera à bouffer du McDo sans faire progresser l’artériosclérose.

Ô Frères humains qui après nous vivez.

PS 1 : Je dois ajouter que l’orthographe de la Ballade des pendus est fluctuante, ce qui n’étonnait personne à cette époque. J’en ai donné une version, il en est d’autres. J’ai par exemple écrit cœurs, alors que j’aurai pu mettre cuers. Mais alors, on n’aurait plus rien compris. Il me semble.

PS2 : Je viens de changer un mot dans le texte qui précède. Par une terrible erreur – de bonne foi -, j’ai attribué le mot de marlou à ce diable de Villon. Or marlou – remplacé depuis par truand – est un mot parfaitement déshonorant puisqu’il désigne un proxénète. Ce que Villon ne fut jamais, à ma connaissance en tout cas. Je dois avouer que j’avais oublié dans un premier temps le sens du mot marlou. Je pensais qu’il voulait dire louche et même pire. Mais certainement pas maquereau. J’ai ainsi calomnié Villon par un épouvantable lapsus scriptae. Qu’il veuille bien me pardonner.

Grenelle et bagnole (un grand silence assourdissant)

Je continue à manquer de temps, mais comment laisser passer ? La bagnole. Cette sacro-sainte bagnole qui justifie jusqu’au crime des biocarburants. Sarkozy donne donc 1 000 euros de prime à la casse (ici) à qui achètera une voiture neuve et jettera au rebut une vieille de plus de dix ans. Il y a une autre condition : que la nouvelle n’émette pas plus de 160 grammes de CO2 par kilomètre parcouru. Cela, c’est une bouffonnerie.

Pourquoi ? Mais parce qu’une directive européenne – une loi – en cours d’examen envisage de fixer la limite à 130 grammes par kilomètre. Autrement dit, Sarkozy relance l’industrie automobile française avec des objectifs très en deça de ce que souhaite l’Europe. Laquelle, je le précise pour éviter tout malentendu, ne mène aucune vraie bataille contre la crise climatique.

Mais baste, Sarkozy ridiculise le Grenelle de l’Environnement d’octobre 2007 et les écologistes qui ont accepté le deal passé alors, fondé sur une légitimation croisée et réciproque. Et comme cela ne suffisait pas, notre excellent Premier ministre Fillon annonce le déblocage de grands travaux routiers : l’A63, pour relier Bordeaux et la frontière espagnole; l’A150 entre Rouen et Le Havre; l’A355 (autour de Strasbourg). Coût direct pour nous : 800 millions d’euros, qui seront certainement dépassés.

Dans un monde où les écologistes seraient des écologistes, nous aurions entendu aussitôt France Nature Environnement, le WWF, Greenpeace et la fondation Hulot ruer dans les brancards. Et dénoncer cette évidence que la relance économique se contrefout et se contrefoutra – sauf à la marge – de la question écologique. Au lieu de quoi, des murmures (ici). Ce n’est pas très difficile à comprendre. Les associations officielles se sont ligotées elles-mêmes en échange d’un plat de lentilles. Elles ne peuvent en aucun cas annoncer que le roi est nu, car ce serait reconnaître qu’elles-mêmes sont à poil.

Dépourvues de stratégie, elles se sont vu offrir une situation, avec joli strapontin rembourré dans les journaux télévisés. Dénoncer Sarkozy pour ce qu’il est – un destructeur de plus, dans une liste interminable – commanderait de discuter enfin de la meilleure manière de combattre le cours des choses. C’est trop leur demander. Dernier point : personne ne sait ce que donnera finalement la mesure de Sarkozy en faveur de l’automobile. Personne ne semble se donner la peine de calculer, fût-ce à la louche, les émissions supplémentaires de gaz à effet de serre qu’elle entraînera fatalement.

J’en suis bien incapable, pensez. Mais je sais que c’est considérable. On va détruire des bagnoles qui marchent et en jeter des neuves sur le marché. L’acier, les plastiques et caoutchoucs, l’électronique qui seront engloutis dans les nouveaux modèles ne sont comptabilisés nulle part. Or il faut mobiliser d’énormes ressources fossiles pour obtenir ces précieux matériaux. Lesquelles émettent des gaz, sans que nul n’y puisse rien.

Au-delà, personne ne semble réfléchir à l’essentiel : nous repartons pour au moins quinze années de civilisation automobile inchangée. Malgré le désastre climatique en cours. Malgré la propagande contenue dans le moindre discours de Jean-Louis Borloo. Ce moment de crise était pourtant idéal pour au moins mettre en discussion le modèle. Mais tout vrai débat est proscrit. Mais il est au vrai impossible. Amis du Grenelle de l’Environnement, vous avez bien oeuvré pour PSA et Renault. Et bien mérité de la patrie.

PS : Quelle est la différence entre l’action et la communication ? Jetez un oeil ici et faites-vous votre idée.

Des questions sur Robert Lion (et sur Greenpeace)

Le désordre est grand. Le désordre est général. C’est de l’humour, je vous assure. Robert Lion vient d’être nommé président de Greenpeace-France. J’ai fait partie quelques années du Conseil statutaire de cette association, sans même savoir ce que cela voulait dire. Je participais une à deux fois par an à des sortes d’assemblées qui ne servaient pas à grand-chose. Mais c’était ma manière d’être au côté des activistes de Greenpeace. Les héritiers des charmants cinglés de 1971.

J’avais une autre raison d’en être. Katia Kanas est l’un des piliers de Greenpeace en France, ONG qu’elle a créée chez nous, avec Jacky Bonnemains notamment, vers 1977. J’ai pour elle une affection indéfectible. C’est une véritable écologiste dans l’âme et c’est aussi une belle personne. Mon Dieu, que demander de plus ?

J’ai donc soutenu à l’occasion ce groupe, sans m’illusionner sur ses limites, sans fermer les yeux sur ses dérives, car elles existent, à n’en pas douter. Et puis est venu Robert Lion. Je vous le présente, car qui le fera sinon ? Cet homme de 74 ans a une carrière bien remplie. Dès 1966, cet énarque est conseiller technique au cabinet du ministre de l’Équipement d’alors, Edgard Pisani. L’Équipement, en 1966. C’est simplement inimaginable. Ce ministère et ses ingénieurs des Ponts et Chaussées sont au cœur, précisément au cœur du désastre où nous sommes.

Ces gens ont pensé une France ravagée par la bagnole, les autoroutes, les zones industrielles, les panneaux publicitaires. Et ils l’ont faite. En 1968, quand d’autres de son âge se colletaient avec les policiers, Lion était chargé de mission à la direction de la politique industrielle du ministère de l’Industrie. En 1969, il fit la même chose, cette fois au ministère de l’Équipement et du Logement. Il fut même directeur de la Construction de 1969 à 1974. Il aura tout fait, et tout couvert.

Il serait cruel, mais intéressant, de glisser ici une incidente sur ce qu’on appela le « gaullisme immobilier ». Ses tours géantes. Ses quartiers maudits. Ses promoteurs vertueux et leurs comptes en banque numérotés, aux îles Caïman. Robert Lion, ami de la nature et des grands équilibres.

Et puis ? Et puis le monde stupéfait a découvert que Robert Lion, le bâtisseur de restoroutes, était de gauche. Mais vous vous en doutiez, non ? En 1981, il dirige le cabinet de Pierre Mauroy, Premier ministre socialiste. Nationalisations et violon. En 1982, le voilà bombardé à la tête de la Caisse des dépôts et consignations, où il reste jusqu’en 1992. Attention les yeux, ce poste fait de lui le financier le plus puissant de France. Quand il quitte la direction de cette Caisse publique, celle-ci gère la bagatelle de 1 600 milliards de francs (valeur 1992) d’actifs.

A-t-il orienté si peu que ce soit les choix du pays en faveur de la nature et des écosystèmes ? Je prends cette question pour une galéjade, car tel est bien le cas. Rien, non rien de rien. Interrogé au moment de son départ sur son bilan par le journal L’Expansion, Lion ne dit pas un mot sur l’écologie, dont il se contrefout évidemment. Il s’approche tout de même des soixante ans, ce qui n’est pas le jeune âge. Citation : « La France a mûri : elle comprend mieux l’économie et s’intéresse à ses entreprises. Elle s’est un peu décentralisée. Elle a, à portée de main, le plus beau projet du siècle : construire l’Europe ».

Ensuite, changement de décor. Pas de pièce. De décor. Lion crée une ONG, Energy 21, et c’est sous cette noble bannière qu’il se rend en 1997 à la conférence de Kyoto sur le climat. Est-il enfin devenu écologiste, alors qu’il dépasse les 63 ans ? Eh bien, difficile de se montrer trop affirmatif. Car dans un article écrit à ce moment (ici), il commente d’une curieuse manière la situation de la planète : « Des entreprises anticipent l’inéluctable succès des défenseurs du climat – à Kyoto et au long des décennies qui viennent. Ce succès leur ouvrira des marchés : nouvelles générations d’automobiles et d’appareils domestiques, nouvelles technologies énergétiques, produits et process industriels moins énergivores. Le champion mondial de ces attitudes intelligentes pourrait bien être… Shell, ou Toyota, ou Dupont de Nemours ».

Hum, comment dire ? Shell, Toyota, DuPont de Nemours présentés comme modèles ? Sans doute aura-t-on mal renseigné notre héros, car pour un peu, on prendrait son envolée pour un manifeste en faveur du capitalisme vert. Que tout change pour que rien ne bouge ! Le reste n’a que peu d’intérêt : Lion préside depuis cette date quantité de machins, dont Agrisud International et donne des conseils à tous ceux qui le souhaitent.

C’est donc cet homme que Greenpeace vient de nommer à sa présidence. Est-ce une bonne nouvelle ? Cela pourrait l’être, malgré ce que je viens d’écrire. Notre monde a en effet besoin, désespérément besoin de mouvement, de changement, de ruptures mentales. Mais Lion a-t-il opéré le moindre retour sur lui-même ? Cela, je le conteste, sans aucune hésitation. Car il n’a pas un mot pour ce passé purement détestable, pour cette carrière tout entière vouée à la destruction du monde. Soyez certains que je ne lui demande aucun acte de contrition. Nous n’en sommes pas là. Nul n’a dans ce domaine beaucoup de droits. Mais comment agir pour la sauvegarde avec la pensée qui a conduit les sociétés humaines au bord de l’abîme ?

Autant vous dire que j’en veux puissamment à Greenpeace. Oh oui ! Accueillant avec une joie débordante son nouveau président, le directeur de Greenpeace en France, Pascal Husting, a déclaré sans état d’âme : « Face à l’ampleur et à l’urgence des défis environnementaux auxquels nous faisons face, l’expérience de Robert Lion, sa grande connaissance des institutions et des entreprises et son choix de servir une cause militante seront d’une grande valeur ajoutée dans le combat de Greenpeace pour trouver des réponses à la crise écologique »

Dieu du ciel, quel ton entrepreneurial ! Une grande valeur ajoutée. On croirait un communiqué de Nestlé. Ou de Nissan. Greenpeace, qui fut un véritable aiguillon, est devenue une petite institution chargée de chercher et de trouver des solutions réalistes (ici). Tout cela s’appelle en bon français du greenwashing (ici). Une tentative de sauver les meubles en les peinturlurant en vert. Ce sera sans moi.