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Sarkozy dans le rôle du pétomane (suite)

Je vous ai déjà fait le coup en septembre (ici) : Sarkozy, dans le rôle de réformateur du capitalisme financier, est digne grand comique Joseph Pujol, mort en 1945. Celui qu’on appelait le Pétomane savait jouer du flutiau en contractant ses intestins. Essayez, si vous croyez cela facile.

Sarkozy est digne du héros, j’y insiste. Je lis ce jeudi, dans Le Canard Enchaîné, un papier magnifique sur deux amis de notre président chéri, Albert Frère et Paul Desmarais. Le premier est Belge, le second Canadien, et les deux sont richissimes. C’est-à-dire, je précise pour les sourds et les malentendants, pleins de fric, tellement pleins de fric qu’ils ne savent plus quoi en faire.

Mais, bien sûr, je galèje. Car ces gens-là savent toujours. La preuve par Frère et Desmarais. Profitant de l’état pâlichon de la Bourse parisienne, nos deux braves entrepreneurs achètent à tour de bras des actions dévaluées. Ils ont aujourd’hui 22,1 % de Lafarge – pensez aux dunes de Gâvres (ici) ! -, 6,8 % de Total – pensez à l’Érika ! -, 7,1 % de Suez Environnement – pensez aux incinérateurs géants – et 5,2 % du chimiste Arkema, spécialiste des pesticides, PVC et autres plaisantes babioles.

Il ne m’est pas désagréable d’écrire ici que notre bon maître à tous se moque ouvertement de nous. Non, ce n’est pas si désagréable.

Écran plat et tête creuse (sur la télé)

Ce sera très vite envoyé. Soit un projet européen appelé Remodece (Residential Monitoring to Decrease Energy Use and Carbon Emissions in Europe). Soit une étude menée dans le cadre de ce projet (ici, et ici).

Elle révèle, au milieu d’autres réjouissances, que notre main droite, comme de juste, ignore tout de ce que fait notre main gauche. D’un côté les proclamations, les bons sentiments, les Grenelle de l’Environnement, les blagues à deux balles sur la « révolution écologique » en marche, etc. Et de l’autre, la réalité.

La réalité, mes pauvres et chers amis, c’est qu’entre 1995 et 2007, la consommation électrique moyenne d’un téléviseur est passée de 140 kwh/an à 307 kwh/an. Cela fait 119 % de plus en douze années. À ce rythme, calculez, je vous prie, le moment où nous considérerons avec sérieux la crise climatique. 1995, c’était deux ans avant le grand raout de Kyoto, où les démocrates américains chers au cœur de certains sabotèrent le (si) peu qui fut envisagé. 1995, c’est l’année de l’élection de notre grand écologiste intergalactique, Jacques Chirac. Deux ans avant la nomination de Jospin au poste de Premier ministre.

Et ainsi de suite, ad nauseam. L’écran à cristaux liquides  (ou LCD pour liquid crystal display) est un ennemi de l’homme et même de la vie, mais il est si joli dans le salon que l’on ne va tout de même pas y renoncer. Si ? Non. « La consommation d’un téléviseur ordinaire est en moyenne de 160 kWh par an. Avec les plasma ou les dalles LCD, on grimpe à 650 kWh/an. Donc ces nouveaux téléviseurs consomment 4 fois plus »  (Olivier Sidler ici).

J’ajouterai bien volontiers que la télévision rend affreusement con. Je sais de quoi je parle, car j’ai tété cette saloperie au biberon intensif pendant tant d’années que j’en suis encore malade à l’heure où je vous écris. Pour ce qui me concerne, c’est simple : pas de ça chez moi. Jamais plus !

Et l’incinérateur fut (un miracle)

Ne pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages. Non, pas à ce point-là. Officiellement, comme vous le savez, l’unité nationale s’est (presque) faite autour du projet de loi dit Grenelle 1. Les braves socialistes, qui avaient été tragiquement incapables de seulement bouger un orteil dans ce domaine entre 1997 et 2002 – ils étaient au pouvoir, figurez-vous -, ont donné toutes leurs voix au texte Borloo and co.

Bravo, nobles amis, encore et mille fois bravo. Nous voici donc dotés d’une loi que le monde entier et les petits hommes verts de l’espace nous envient. Tant pis pour eux ! Ils n’avaient qu’à voter pour monsieur Sarkozy. Comme Gilles Vincent n’a pas manqué de le faire, lui. Je pressens que vous ne situez pas cet excellent personnage de notre vie publique, et vais donc vous le présenter rapidement.

Gilles Vincent est le maire depuis 1995, UMP bien entendu, de la petite ville de Saint-Mandrier, dans le Var. Peut-être n’entendrait-on que peu parler du lieu sans la présence d’une base aéronavale dans la presqu’île où la bourgade est installée. Ce n’est pas à exclure tout à fait, car autrement, Saint-Mandrier – 6674 habitants – n’est pas encore une capitale. On notera pour faire plaisir sa fière devise latine Semper mandrianus vigil, qui veut dire que  Toujours Saint Mandrier veille – mais si -, ainsi que le tournage sur place, en 1964, de L’âge ingrat, film de Gilles Grangier. Pendant l’été, des combats de franc-jouteurs provençaux sont organisés. Comme c’est agréable.

Pourquoi Vincent, oui pourquoi ? Parce que le monsieur vient d’être élu président d’Amorces. Non, il ne s’agit pas de farces et attrapes, encore que. Amorces regroupe des centaines de collectivités locales (la liste ici) et d’industriels passionnés par la question des déchets, les réseaux de chaleur, les problèmes d’énergie. Une question ? Merci de me l’avoir posée. Le Conseil d’administration d’Amorces regroupe, dans une belle fraternité universelle, des élus municipaux et des entreprises privées (lire ici).

Je suis bien certain que vous n’avez rien contre la Sita, filiale de Suez Environnement, Veolia, anciennement Générale des Eaux, CPCU, Syntec, AITF et tous autres. Je l’espère, car autrement, ce serait de l’idéologie, ce qui n’est pas bien. Donc, Amorces rassemble tous ceux qui tentent de régler l’infernale question des déchets ménagers. Que faire ? Mais que faire contre ce flot qui ne cesse de monter ?

Sur le papier, il y a bien une solution : cesser de produire des montagnes d’ordures, d’emballages et de déchets. Autant demander à changer de civilisation. Montrons-nous pour une fois réaliste, avec notre président chéri s’il vous plaît : l’an dernier, quand se montait l’opération connue sous le nom de code Grenelle de l’Environnement, monsieur Sarkozy avait déclaré avec la force qu’on lui connaît que la priorité ne serait « plus à l’incinération mais au recyclage ».

Je ne détaille pas ici le rôle joué par les incinérateurs d’ordures ménagères dans la détérioration de la santé publique, sous l’action de leurs fumées. Un livre ne suffirait pas à éclairer la chose, et je vous renvoie, entre mille autres sources, à cet article, ici, datant de 2002. Une très sale histoire, en Savoie, a conduit à la catastrophe, et je vous invite aussi à jeter un oeil sur le scandale de Gilly. Bref, incinérer nos saloperies est une saloperie.

Mais tel n’est sans doute pas l’avis de monsieur Gilles Vincent, maire UMP de Saint-Mandrier et nouveau président d’Amorces. Comment je le sais ? Mon petit doigt me l’a dit, aidé en la circonstance par l’association Cniid – quel vilain nom, entre nous ! -, qui révèle le pot aux roses (21 rue Alexandre Dumas, 75011 Paris. Tél : 01 55 78 28 60 ).

Je parle de pot aux roses, mais l’affaire a une tout autre odeur, qui commande de se boucher le nez. Notre ami le maire et président d’Amorces est en effet salarié depuis des décennies de la société CNIM, dont l’une des grandes spécialités est la construction, la construction d’incinérateurs, oui ( lire ici). Nous savons tous le dévouement des édiles au bien commun. Nous savons tous leur désintéressement. Nous savons pour sûr qu’ils sont capables de se dépatouiller de menus conflits d’intérêt comme celui que je viens d’évoquer. Et pourtant, moi, Fabrice Nicolino, je dois vous avouer que j’ai des envies qui, si elles se réalisaient, m’enverraient au cachot. La fatigue, sans doute. L’énervement, peut-être.

Cette chose qui ressemble à la viande (sur le clonage)

C’est un truc de ouf, comme dit notre saine jeunesse. De fou, aucun doute. Pendant le désastre financier en cours, les travaux de démolition continuent exactement comme avant. Je ne dirais pas que je suis surpris, non, mais révulsé, un peu tout de même. Vous allez juger sur pièces.

Petit un, les Américains sont en avance. C’est une antienne, une vieille scie que tous les crétins du monde – ils sont nombreux – reprennent en choeur depuis des éternités. En avance sur quoi, par rapport à quoi, et pour quoi ? Cela n’a pas l’ombre d’une importance. En avance, cela suffit bien.

Petit deux, fort logiquement compte tenu de la place de l’Empire sur terre, ce qui est imaginé là-bas débarque tôt ou tard chez nous. Ce n’est pas tout à fait faux. Or la Food and Drug Administration (FDA), puissante agence fédérale, a donné dès janvier 2008 son feu vert à la commercialisation de la viande. Je ménage mes petits effets, pardonnez-moi. D’une certaine viande. Une viande clonée (ici, en anglais). Ah.

La FDA est une grande puissance publique, dont nous n’avons pas tout à fait l’équivalent. Elle est en quelque sorte la loi commune, et après avoir analysé des centaines d’études pendant des années, la FDA a donc annoncé au début de l’année que le lait et la viande des animaux clonés étaient aussi safe, aussi sains que ceux des bestiaux plus ordinaires. À ce stade de l’affaire, je n’ai déjà plus beaucoup besoin d’un éclairage. Car sincèrement, je vois comme si j’y étais la machine de guerre de l’agriculture industrielle américaine. Celle qui a vendu à l’Europe ruinée de 1945 le fabuleux triptyque tracteurs-engrais-pesticides. Celle qui a dévasté le monde avec la révolution verte et les OGM. Celle qui ne peut survivre que par la fuite en avant perpétuelle. Celle qui est toujours en avance d’un coup tordu sur ses concurrents.

À ce stade, je vous le dis, je n’attends plus qu’une chose. Que le premier bateau débarque la première carcasse à Brest ou Lorient, clonée à souhait. D’autant – comme c’est heureux ! – qu’aucun test n’existe qui permettrait de distinguer une viande-Frankenstein d’une bidoche habituelle. Donc, seule question qui vaille : quand ?

Eh bien, la réponse n’a rien d’évident. Car l’Europe, cette fois, est tentée par la résistance. À mon sens, sûrement pas pour les raisons qui seraient les miennes. Certainement pas pour la raison évidente qu’il est infâme, criminel, délirant même de créer de la viande de boucherie à partir d’animaux industriellement dupliqués. Je crois pour ma part, et si je me trompe, je m’en excuserai auprès des nos Excellences, que l’Europe n’est pas encore dans le coup. Commercialement, politiquement, socialement, psychologiquement. Qu’elle est en retard, en somme.

Que j’aie raison ou tort, le fait est que la Commission européenne est en train de mettre en place un dispositif. Un machin susceptible de justifier un éventuel refus d’une future importation de viande clonée américaine. Elle s’appuie pour cela sur un grand sondage mené dans toute l’Union européenne (ici) qui, par extraordinaire, donne peut-être et pour une fois de précieuses indications.

Je résume : 81 % pensent qu’on ne connaît pas les effets à long terme du clonage animal et 84 % estiment logiquement que les conséquences sanitaires d’une consommation par l’homme de cette viande restent incertaines. Plus marquant encore : 58 % des Européens interrogés condamnent la création d’animaux clonés à des fins alimentaires (lire ici). Pour eux, cette technique est et « sera toujours injustifiable ».

Racontée de la sorte, l’histoire semble d’une simplicité biblique. Les citoyens de notre vaste Union ne veulent pas entendre parler de cet immondice. L’Europe démocratique, qui est comme on sait à leur service exclusif, les protégera contre l’hydre marchande, et nous ne mangerons pas, ni jamais, de viande clonée.

J’aimerais beaucoup croire à ce conte de fées, mais je dois avouer comme un doute. La mécanique qui a changé l’agriculture  en industrie a fait des animaux, qui sont nos frères, des machines et des objets. Le mal comme le malheur sont dans les élevages concentrationnaires. Nous avons accepté sans réfléchir, il y a quarante ans, d’applaudir aux cages et clapiers de l’enfer. J’ai peur, mais réellement peur, que la viande clonée soit le prochain rendez-vous de notre déchéance.

Nouvelles de l’an passé (pesticide, cher ami)

L’an passé, à la même époque, les écologistes officiels – tous n’ont pas la médaille, mais cela viendra – sablaient le champagne en compagnie des ministres. Borloo et Kosciusko-Morizet semblaient triompher dans une pièce de boulevard il est vrai hilarante : La grande embrouille du petit Grenelle. Comme on riait !

Le 25 octobre 2007, j’écrivais ici même ces mots : «  Bien entendu, je veux vous entretenir du Grenelle de l’Environnement, qui s’achève ce jour. À l’heure où j’écris ces mots, je découvre un communiqué de l’Alliance pour la planète, qui regroupe nombre d’ONG, parmi lesquelles le WWF ou Greenpeace. Son titre : Victoire sur les pesticides ! L’Alliance « félicite Jean-Louis Borloo de son engagement à réduire de 50 % les pesticides en dix ans ». Et mon ami François Veillerette ajoute – son association, le MDRGF est membre de la coalition – que “La France, premier pays consommateur de pesticides en Europe, s’engage enfin sur la voie d’une agriculture moderne et respectueuse de l’environnement et de la santé” (lire ici)».

Un détail avait aussitôt attiré ma soupçonneuse attention. Sitôt l’annonce de la victoire faite, les acteurs du grand jeu rigolo du Grenelle ajoutèrent que la réduction de 50 % des pesticides en dix ans ne se concevait que dans la mesure du possible. Et, comme chacun le sait, à l’impossible nul n’est tenu. Dès les origines, le Grenelle de l’Environnement était une oeuvre de composition et de présentation. Une entreprise publicitaire à la gloire d’un gouvernement qui ne peut en aucune façon impulser quelque rupture écologique que ce soit.

Et ? Je recommence une année plus tard. En vérité, mon ami François Veillerette récidive, et je le suis, comme au poker. J’ai écrit avec François un livre sur les pesticides, et j’ai la plus haute opinion de lui. Il est, je le rappelle, président d’une association vivace et combative, le Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (Mdrgf, ici). Cela ne doit pas empêcher la critique. Car François, prisonnier du piège de l’an passé, ne peut plus dire ce qui crève les yeux. Tirant le bilan de la discussion parlementaire récente sur la loi dite Grenelle 1 (lire ici), le MDRGF, s’en tenant à sa spécialité – les pesticides – vient de publier un communiqué dont le titre est : Grenelle-pesticides, un bilan mitigé.

Mitigé ? Tu parles, Charles ! Le MDRGF en arrive à se féliciter que l’objectif d’une réduction de 50 % ne soit pas remis en cause. On fait comme si l’on allait dans cette direction, alors même que les lobbies ont obtenu qu’il soit conditionné aux possibilités d’adaptation de l’industrie des pesticides. On le fera si c’est possible ! Et sinon, rien.

Pour le reste, les écologistes, dont l’ami François, n’ont cessé de faire, depuis l’automne dernier, comme si la France était une île, d’une autre galaxie peut-être, comme si elle n’était pas tenue par ses engagements européens. Or tel est le cas. Et le MDRGF est bien obligé de constater une entourloupe de taille. Car nos députés français, manoeuvrés comme il se doit, ont voté un amendement qui prévoit de retirer du marché français les molécules les plus préoccupantes. Un succès ? Mais non, une défaite en rase campagne (polluée). L’amendement est en effet assorti de ce complément : « en tenant compte des substances actives autorisées au niveau européen ». Ce qui signifie, selon le MDRGF lui-même, que « la mesure n’aura aucun effet spécifique en France puisqu’on ne pourrait pas, si cet amendement devait survivre, interdire au niveau français une substance autorisée au niveau européen ! ».

Pas grave ? Jugez par vous-même. Dans l’Union européenne, depuis le 1er septembre 2008 (lire ici), on peut vendre sans contraintes des produits dépassant nos normes nationales de Limite maximale de résidus (LMR). Imaginons que notre norme soit, pour tel pesticide, 0,1 nanogramme par kilo. Eh bien, si cette norme est de 1,0 en Pologne, soit dix fois plus, il faudra bouffer sans protester.

Ce n’est pas théorique. Une association, Global 2 000, a calculé que dans un pays comme l’Autriche, très strict en matière de pesticides, la mesure européenne va provoquer un changement radical. La LMR de certains pesticides pourrait, de fait, être multipliée par plusieurs centaines de fois. Plusieurs centaines de fois !

Est-il besoin d’autres éléments pour juger la pantomime d’octobre passé ? Faire croire que l’on peut inverser le courant en France, en se mettant d’accord sur un coin de table, devant les caméras il est vrai, relève du charlatanisme. Une telle attitude sème la confusion, amollit la prise de conscience, retarde tout un processus intellectuel et moral d’une importance majeure. En bref, c’est une mauvaise action.

Tiens, ce serait comme si Sarkozy, grand ami de Bernard Arnault, François Pinault, Serge Dassault, Vincent Bolloré, Martin Bouygues, annonçait son adhésion au parti communiste chinois. Ou prétendait refonder le capitalisme sur des bases plus morales. On rirait, n’est-ce pas ? Alors, je pouffe.