L’an passé, à la même époque, les écologistes officiels – tous n’ont pas la médaille, mais cela viendra – sablaient le champagne en compagnie des ministres. Borloo et Kosciusko-Morizet semblaient triompher dans une pièce de boulevard il est vrai hilarante : La grande embrouille du petit Grenelle. Comme on riait !
Le 25 octobre 2007, j’écrivais ici même ces mots : « Bien entendu, je veux vous entretenir du Grenelle de l’Environnement, qui s’achève ce jour. À l’heure où j’écris ces mots, je découvre un communiqué de l’Alliance pour la planète, qui regroupe nombre d’ONG, parmi lesquelles le WWF ou Greenpeace. Son titre : Victoire sur les pesticides ! L’Alliance « félicite Jean-Louis Borloo de son engagement à réduire de 50 % les pesticides en dix ans ». Et mon ami François Veillerette ajoute – son association, le MDRGF est membre de la coalition – que “La France, premier pays consommateur de pesticides en Europe, s’engage enfin sur la voie d’une agriculture moderne et respectueuse de l’environnement et de la santé” (lire ici)».
Un détail avait aussitôt attiré ma soupçonneuse attention. Sitôt l’annonce de la victoire faite, les acteurs du grand jeu rigolo du Grenelle ajoutèrent que la réduction de 50 % des pesticides en dix ans ne se concevait que dans la mesure du possible. Et, comme chacun le sait, à l’impossible nul n’est tenu. Dès les origines, le Grenelle de l’Environnement était une oeuvre de composition et de présentation. Une entreprise publicitaire à la gloire d’un gouvernement qui ne peut en aucune façon impulser quelque rupture écologique que ce soit.
Et ? Je recommence une année plus tard. En vérité, mon ami François Veillerette récidive, et je le suis, comme au poker. J’ai écrit avec François un livre sur les pesticides, et j’ai la plus haute opinion de lui. Il est, je le rappelle, président d’une association vivace et combative, le Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (Mdrgf, ici). Cela ne doit pas empêcher la critique. Car François, prisonnier du piège de l’an passé, ne peut plus dire ce qui crève les yeux. Tirant le bilan de la discussion parlementaire récente sur la loi dite Grenelle 1 (lire ici), le MDRGF, s’en tenant à sa spécialité – les pesticides – vient de publier un communiqué dont le titre est : Grenelle-pesticides, un bilan mitigé.
Mitigé ? Tu parles, Charles ! Le MDRGF en arrive à se féliciter que l’objectif d’une réduction de 50 % ne soit pas remis en cause. On fait comme si l’on allait dans cette direction, alors même que les lobbies ont obtenu qu’il soit conditionné aux possibilités d’adaptation de l’industrie des pesticides. On le fera si c’est possible ! Et sinon, rien.
Pour le reste, les écologistes, dont l’ami François, n’ont cessé de faire, depuis l’automne dernier, comme si la France était une île, d’une autre galaxie peut-être, comme si elle n’était pas tenue par ses engagements européens. Or tel est le cas. Et le MDRGF est bien obligé de constater une entourloupe de taille. Car nos députés français, manoeuvrés comme il se doit, ont voté un amendement qui prévoit de retirer du marché français les molécules les plus préoccupantes. Un succès ? Mais non, une défaite en rase campagne (polluée). L’amendement est en effet assorti de ce complément : « en tenant compte des substances actives autorisées au niveau européen ». Ce qui signifie, selon le MDRGF lui-même, que « la mesure n’aura aucun effet spécifique en France puisqu’on ne pourrait pas, si cet amendement devait survivre, interdire au niveau français une substance autorisée au niveau européen ! ».
Pas grave ? Jugez par vous-même. Dans l’Union européenne, depuis le 1er septembre 2008 (lire ici), on peut vendre sans contraintes des produits dépassant nos normes nationales de Limite maximale de résidus (LMR). Imaginons que notre norme soit, pour tel pesticide, 0,1 nanogramme par kilo. Eh bien, si cette norme est de 1,0 en Pologne, soit dix fois plus, il faudra bouffer sans protester.
Ce n’est pas théorique. Une association, Global 2 000, a calculé que dans un pays comme l’Autriche, très strict en matière de pesticides, la mesure européenne va provoquer un changement radical. La LMR de certains pesticides pourrait, de fait, être multipliée par plusieurs centaines de fois. Plusieurs centaines de fois !
Est-il besoin d’autres éléments pour juger la pantomime d’octobre passé ? Faire croire que l’on peut inverser le courant en France, en se mettant d’accord sur un coin de table, devant les caméras il est vrai, relève du charlatanisme. Une telle attitude sème la confusion, amollit la prise de conscience, retarde tout un processus intellectuel et moral d’une importance majeure. En bref, c’est une mauvaise action.
Tiens, ce serait comme si Sarkozy, grand ami de Bernard Arnault, François Pinault, Serge Dassault, Vincent Bolloré, Martin Bouygues, annonçait son adhésion au parti communiste chinois. Ou prétendait refonder le capitalisme sur des bases plus morales. On rirait, n’est-ce pas ? Alors, je pouffe.