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Le jour où il aurait fallu s’arrêter

J’écoute désormais du coin de l’oreille, et continue de dormir de l’autre. À quoi bon mobiliser tout son esprit pour de telles sornettes ? Ce matin, Jacques Attali, pérorant comme à son habitude sur France-Inter. La crise économique. Les moyens d’en sortir. Les magnifiques idées qu’un magnifique penseur – lui – a imaginées dans le secret de son cerveau surdéveloppé. Etc. Ad nauseam.

On reparlera tantôt de ce grand minuscule monsieur, car le procès dit de l’Angolagate est annoncé lundi prochain, et il en sera. Je ne préjuge de rien, et c’est sincère. Je ne sais rien du dossier, sauf qu’il est infâme. Jacques Attali, Jean-Christophe Mitterrand, Jean-Charles Marchiani, Paul-Loup Sulitzer, Charles Pasqua sont poursuivis à des titres divers dans le cadre d’un présumé trafic d’armes géant à destination du président angolais Edouardo Dos Santos. Une honte absolue, qui n’a profité dans tous les cas qu’aux corrompus du parti au pouvoir, le MPLA.

Mais je voulais juste vous dire deux mots du jour où l’on aurait dû tout arrêter pour de vrai. Le krach économique, dont je ne sous-estime certes pas la puissance destructrice, n’est encore rien en face du krach écologique vers lequel nous nous précipitons avec ardeur. Il existe une ONG canadienne, Global Footprint Network, qui a mis au point un indicateur écologique frappant, c’est le moins que l’on puisse dire. Allez lire – c’est un lecteur de ce blog, salut ! – ce qu’en dit Sandro Minimo (ici). Le résumé est simple : le 23 septembre passé, nous avons dépassé la limite.

Adapté, développé à partir de la notion d’empreinte écologique, le Global Overshoot Day est le Jour du dépassement global. Entre le 1 janvier et le 23 septembre, estime Global Footprint Network, nous aurions consommé, nous les humains, tous les biens naturels que nous offre la terre chaque année. Au-delà, les « intérêts » ayant été croqués, nous dévorerions à pleines dents le « capital ». La date fatidique aurait été l’an passé le 6 octobre, et la situation ne cesserait donc de se dégrader. Selon les comptables canadiens, les activités humaines auraient commencé à dépasser les possibilités de renouvellement des écosystèmes naturels en 1986.

Je ne garantis rien de tout cela, et personne ne peut le faire sérieusement. Ce qui est certain, en revanche, c’est que la tendance lourde, et même fatale, est là. Il est évident pour quelqu’un comme moi, je dis bien évident, que nous surexploitons d’une manière folle la planète. Non parce que je serais plus malin, mais simplement – si je peux écrire de la sorte – pour la raison que je digère chaque jour des informations significatives. Et que je les organise dans un cadre de pensée différent. Profondément différent de celui où se perdent des milliers d’Attali.

Il faut sortir du cadre. Si possible ensemble.

Une ordonnance en passant (sur la bouffe et la dépression)

C’est assez vache, mais je dois vous avouer que je n’ai pas fait d’EDM cette année 2008. Ni les années précédentes. Et ce n’est pas le cas de tout le monde, il s’en faut. Car l’EDM est l’acronyme d’épisode dépressif majeur, ce qui n’est pas rien, car il signifie bien entendu une grave maladie, fût-elle passagère. On mange moins, on sourit peu à ses enfants, on perd de l’intérêt pour les puissantes et enivrantes choses de l’amour. Non, ce c’est pas gai. Or, selon une étude que je trouve – sans rire – angoissante (ici), 5,5 millions de Français auraient connu un EDM au cours de l’année 2008, soit la bagatelle de 8 % de la population ! J’ignore quel sort est dévolu aux bébés et aux enfants dans ce genre de travail, mais j’ai quelque mal à croire qu’ils y soient inclus. Autrement dit, si je ne me trompe pas, le pourcentage chez les Français d’un certain âge – disons à partir de quinze ans – est encore supérieur.

Après vérification, je confirme : l’étude porte sur les Français de 15 à 75 ans. Pourquoi pas avant ? Pourquoi pas au-delà ? C’est comme ça. Disons 8 %, sachant que d’autres travaux montrent des chiffres plus bas. Mais aussi, si l’on tente de cerner le nombre de « subsyndromiques » (ici), qui ne réunissent qu’une partie des symptômes de l’EDM, on arrive au pourcentage affolant de 19 % de la population française. Atteinte chaque année de tout ou partie d’un EDM. Lequel s’appelle apparemment, aussi, « symptôme de la tristesse ». Je ne vous fais pas de dessin, c’est inutile, on imagine.

Mon arbitraire bien connu me conduit droit à une autre étude, de l’Insee celle-là. L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) est une administration centrale du ministère de l’Économie. Un gros machin officiel, quoi. Ses chiffres suintent généralement un ennui mortel, mais pas toujours. Une enquête toute récente montre en effet que de 1960 à 2006, la part des dépenses consacrée à la bouffe – à domicile – est passée de 25 % du budget total à 12 %. Une division par deux, en 45 ans seulement. Encore plus spectaculaire : le repas, en dehors du dessert, ne représente plus que 6 % du budget en 2006. Le reste, ce reste gigantesque qui se chiffre en dizaines de milliards d’euros, va aux produits sucrés, dont les crèmes, yaourts et autres gâteaux fatalement industriels (ici).

Vous n’échapperez pas à mes commentaires. Et d’un, la multiplication des objets matériels les plus débiles qui soient n’a pas rendu nos contemporains heureux. Se battre pour le téléphone portable n’a pas réglé la question. Ni l’achat de cette si belle voiture dotée de la clim et du GPS. Ni celui de la télé à écran plasma. Ni le crédit pour le canapé en cuir fauve. Ni rien. J’ai comme le pressentiment que nos frères humains d’il y a un demi-siècle souffraient moins d’EDM. Mais je n’ai pas de preuve, certes. Quoi qu’il en soit, la profusion matérielle paraît avoir de sérieux effets collatéraux, comme on dit dans ces guerres modernes où seuls les civils partent au cimetière.

Autre réflexion : j’en ai marre, je sature. C’est que je ne supporte plus le discours sur la bouffe bio qui coûterait plus cher, qui serait en quelque sorte un sport de riches, une niche pour les bobos, et donc une infamie sociale de plus. Merde ! Je répète un peu plus fort : MERDE ! Les marchands et leurs publicitaires ont créé, créent chaque jour un peu plus un monde de frustration et de compétition de tous contre tous. De tout contre tout.

Par un phénomène qui semble n’intéresser personne, des points de vue au départ divergents finissent par se rejoindre en une construction sociale que je juge délirante. La droite, la gauche, les syndicats, l’industrie bien sûr se retrouvent tous autour d’un point de vue unifié : les Français manqueraient de pouvoir d’achat. La vie serait trop chère. Le prix de la nourriture flamberait. Sur ce dernier point, avec votre autorisation, laissons de côté les derniers événements, qui posent un problème particulier, surtout aux vrais pauvres de la planète, d’ailleurs.

Laissons de côté, et jugeons la tendance lourde. Le malheur social, évident, c’est que l’entreprise industrielle qui domine le monde vide le porte-monnaie de tous pour disperser jusqu’au lieu le plus reculé ses maudites productions. Faites donc la liste de tous les objets inconnus avant 1960 qui se trouvent en ce moment chez vous. Et essayez donc d’évaluer leur coût. Et leurs conséquences psychiques sur la vie de chaque jour, y compris familiale. Tentez l’expérience, vous risquez de vous étonner vous-même.

Dans le même temps donc, je n’entends généralement que pleurnicheries sur la bouffe. Et des récriminations sur la bio. Je dois dire, sans hésiter, que la nourriture ne nous coûte pas assez cher. Et je ne parle pas là, seulement, de ceux qui, comme moi, peuvent payer. Non, de tous. Il faut revenir à un point de vue simple : la nourriture, vitale pour le corps, essentielle au psychisme, a un coût important. Derrière, un monde de paysans, qui doivent pouvoir travailler leur terre sans la meurtrir, sans pesticides donc. Devant, un peuple qui doit enfin refuser les immondes inventions et chimères que les supermarchés présentent pourtant comme des aliments.

D’une certaine façon, il s’agit d’un combat neuf. Décisif en ce qu’il met tout en cause, d’un seul et même mouvement de la bouche et du tube digestif. Il nous faut trouver les moyens d’un immense élan pour l’alimentation. Et proclamer sans gêne que nous devons payer davantage, mais pour autre chose que les saloperies habituelles. Je pense que c’est aussi la meilleure façon de lutter ensemble contre les EDM, ces épisodes dépressifs majeurs qui détruisent en silence les vies, les familles, les avenirs. J’attends votre point de vue avec intérêt.

Éric Fottorino et Sylvie Brunel (un beau duo)

Tout le monde ne lit pas le journal Le Monde. Moi-même, qui l’ai découvert par miracle lorsque j’avais 14 ans – ce qui aura probablement modifié le cours de ma vie -, je ne suis plus un fidèle. Plus d’une fois, il me tombe des mains. Est-ce bon signe pour le quotidien ? Pour moi, peut-être ? ¿Quién sabe?

Hier au soir, en tout cas, je l’ai lu. Depuis quelques mois, je savais que l’équipe du journal préparait une nouvelle rubrique quotidienne de deux pages, appelée Planète. Centrée, m’avait-on dit, sur la crise écologique. Et j’en étais heureux, bien que l’initiative arrivât fort tard compte-tenu de l’aggravation des problèmes. Il n’empêche : j’en étais bien satisfait.

La une du Monde datée du mercredi 24 septembre 2008 ouvre à droite sur un éditorial d’Éric Fottorino, le patron (ici). Sous le titre Bienvenue sur notre Planète, il présente le nouvel espace réservé donc à… Et c’est là que les choses se compliquent et s’emberlificotent. Car dans la première partie, qui figure donc en couverture, le mot écologie n’est pas prononcé. Bizarre, bizarre, je vous assure cher cousin et cher lecteur que cette absence m’a semblé bizarre. D’autant que la présentation faite par Fottorino fleure bon la bluette. Planète devra aider Le Monde – je cite – à « expliquer le monde tel qu’il est et surtout tel qu’il vient, apporter des des débuts de réponse clairs à des phénomènes complexes ».

Comme j’aime la langue de bois ! Quelle musique inimitable ! Ce n’est pas tout, car il me fallait tourner la page pour terminer la lecture de l’éditorial. Et là, le sublime. Directement et sans détour, le sublime. Une nouvelle citation : « Notre intention n’est pas d’accumuler dans ces pages un stock accablant de mauvaises nouvelles ! Se borner à rendre compte des catastrophes planétaires, des cyclones, raz de marée, fontes des glaciers et autres destructions forestières serait inapproprié, de même qu’observer les migrations par le seul prisme des réfugiés écologiques ou des sans-papiers désespérés. Au contraire, tout un chacun, individu, entreprise, Etat ou groupe d’Etats, unions régionales ou mondiales, est en mesure d’apporter des solutions aux défis naturels de ce troisième millénaire ».

Je compte sur votre propre lecture critique, et me contente d’un mot sur l’admirable et, je l’espère, inoubliable : « Se borner à rendre compte… ». Pardonnez, j’en oubliais un deuxième. Le Monde ne versera pas dans un « scientisme forcené ». L’adjectif forcené est une trouvaille géniale, surtout sous la plume de Fottorino, qui est aussi un écrivain. On peut donc espérer – sait-on jamais ? – qu’il connaît le sens des mots. Et donc, je note qu’il rejette noblement le « scientisme forcené ». Mais pas le scientisme, dont je rappelle qu’il est une sorte de foi dans les vertus supposées de la science à régler les principaux problèmes humains. Éric, merci.

Et ce n’est pas tout. Cet éditorial est un régal, un festival de l’idéologie, camouflée comme il se doit sous les ors de la raison et des grands principes. Car Fottorino ose enfin évoquer la menace des menaces, ce dérèglement climatique qui désorganise déjà la vie de centaines de millions d’humains. Je sais que ce n’est pas très grave quand il s’agit de sortir chaque jour un journal, tâche glorieuse de notre grand journaliste-écrivain. Je le sais, et le prie respectueusement de pardonner ce qui suit.

Qui est ? Disons un pleur, se changeant faute de mieux en rire débondé, frôlant un peu – j’avoue tout – l’hystérie. Car Fottorino, signant un article-clé du grand quotidien de référence français, nie tout simplement la crise climatique en cours. Non le réchauffement, mais la crise. Oh certes, d’une manière telle qu’aucun esprit honnête ne saurait lui en faire reproche. Oh ! on sait encore écrire, et l’on prend les précautions idoines. Pourtant, Fottorino nie. Comment ? En s’appuyant d’une manière hypocrite sur la géographe Sylvie Brunel. Laquelle est une anti-écologiste primaire, dans la belle tradition de ce grand couillon de Luc Ferry.

« Spécialiste de l’humanitaire » – elle a été présidente d’Action contre la faim (ACF) -, elle ne cesse de pourfendre les gens dans mon genre. Je n’ai pas le temps d’insister, mais je vous promets un article complet sur elle, car elle le mérite, ô combien. Proche des thèses de Claude Allègre et de son clone Lomborg (“L’Écologiste sceptique”), elle ne croit rien des menteries sur la dégradation des écosystèmes. Rien. J’ajoute, pour avoir lu certains de ses textes, sur lesquels je reviendrai, qu’elle est formidablement ignorante. Mais à un point qui étonne un peu, tout de même. Y compris sur le sujet de prédilection qui est le sien, ce fameux « développement » qui ruine le monde. Brunel, qui le défend ardemment et constamment, est bien obligée de noter qu’il n’a pas atteint ses objectifs. Mais pourquoi ? La réponse, qui figure dans l’un de ses derniers livres (Le développement durable, PUF, coll. Que sais-je ?) est d’une profondeur telle qu’elle finirait par faire douter (d’elle). Je vous la livre : « Ce ne sont ni l’argent ni les moyens qui manquent, mais une volonté concertée ». Mazette, nous sommes dans la stratosphère de la pensée planétaire.

Malgré ce détour, je n’ai pas oublié Fottorino. S’appuyant donc sur l’excellente Brunel, il conclut son noble édito de la sorte : « Gare aux idées reçues, aux modes qui se démodent. “Historiquement, les phases de réchauffement ont toujours été porteuses de progrès”, écrit Sylvie Brunel, citant les opportunités liées selon elle à une montée des températures : la libération de terres cultivables sur les hautes latitudes, l’augmentation de la période propice à la croissance des végétaux, l’ouverture de nouvelles routes circumpolaires “qui permettront d’économiser l’énergie nécessaire aux trajets actuels qui contournent les continents par le sud” ».

Oui, vous avez bien lu. Éric Fottorino et Sylvie Brunel considèrent que le réchauffement climatique est une chance pour l’humanité, un progrès. Je sais bien qu’ils le croient sincèrement. Mais comme je suis un voyou, j’ajouterai qu’il ne faut pas non plus désespérer Lagardère, qui se trouve être le premier actionnaire extérieur du journal le Monde. Mais oui, notre cher marchand d’armes (entre autres) national joue un rôle clé, désormais, grâce à Jean-Marie Colombani, dans l’avenir d’un quotidien qui fut jadis – comme le temps passe – à peu près indépendant. Un dernier mot sur la pub, cette industrie du mensonge encore plus décisive pour les fins de mois de la presse. Je formulerai l’hypothèse suivante : Le Monde ne peut pas dire la vérité sur l’état de la planète, car celle-ci s’oppose frontalement à la marche des affaires. À la fuite en avant de l’industrie et de ses innombrables produits inutiles, qui tuent la vie sur terre. Le réchauffement climatique est une chance, car sinon, la pub ira ailleurs. Et Le Monde périra. Ite missa est.

PS : Vous faites comme vous voulez, mais je vous conseille de conserver soigneusement le texte de Fottorino. Nous pourrons avec un peu de chance le montrer plus tard à nos enfants et petits-enfants, de manière à ce qu’ils s’étonnent avec nous de l’état de la (non) pensée et de la presse en France, en 2008. Je vous le dis et vous demande de me croire : cet éditorial est un grand document.

Mais où va donc la merde ? (De l’Érika à ArcelorMittal)

J’ai été négligent, et même imbécile. À propos de l’Érika. Vous vous souvenez de cette marée noire de décembre 1999 ? Sans doute, mais je résume tout de même. Le samedi 11 décembre 1999, à quatorze heures, l’Erika signale une avarie par radio. Le pétrolier est dans le golfe de Gascogne, dans des creux de six mètres. Le 12, à six heures, il se trouve au sud de Penmarc’h, en Bretagne. À huit heures, l’Érika se brise en deux et lâche dans un premier temps 10 000 tonnes de fioul.

Dominique Voynet, ministre de l’Environnement de Jospin, est en vacances à La Réunion, et se perd dans des déclarations qui lui sont encore reprochées aujourd’hui, dont celle-ci :  « Ce n’est pas la catastrophe du siècle ». Elle a raison, c’est certain, mais la politique lui donne tort, gravement. Au total, plus de 11 000 tonnes de fioul seront récupérées dans ce qui reste de cuves, mais 20 000 polluent des centaines de kilomètres de côtes. Entre 150 000 et 300 000 oiseaux de mer sont tués dans l’aventure, dont 80 % des guillemots de la zone. J’adore le guillemot, j’en ai d’ailleurs sauvé un en 1987, mais je n’ai pas le temps de vous raconter la chose, pourtant pittoresque.

Propriétaire du fioul – mais pas du navire -, TotalElf amuse la galerie, je vous passe les détails. À croire notre grand pétrolier, ce fioul serait de la catégorie 2, pleine d’hydrocarbures aromatiques, assurément cancérigènes. Cela la fiche un peu mal, mais enfin, on ne fait pas tourner les turbines à l’eau de rose, en tout cas pas encore. C’est juste à ce moment-là que je me suis montré imbécile. Car pendant des années, je n’ai cessé de recevoir des avis, textes, analyses, rapports, alertes du laboratoire indépendant Analytika, dirigé par Bernard Tailliez (ici). Et je les ai tous négligés.

Oh, je dois bien avoir une ou deux bonnes raisons pour cela. Mais surtout des mauvaises. Ces avertissements me semblaient, je crois, trop écolos pour être vrais. Je ne connaissais pas Analytika, je me méfiais de la bonne parole que le labo diffusait d’abondance. Je pense que j’avais tort. En résumé, sachez que très vite, l’Association des Bénévoles d’Erika (ABE), demande au laboratoire une analyse du fioul retrouvé sur les côtes. Or, surprise, celle-ci révèle la présence de chlorure d’ammonium quaternaire. Je ne vais pas faire le malin, j’ignore tout du sens de cette découverte.

Mais pas Tailliez. Confirmée depuis, la bizarrerie mène tout droit à une hypothèse hautement dérangeante : l’Érika n’aurait pas transporté du fioul n°2, utilisable, mais une infâme cargaison de déchets industriels spéciaux (DIS). Citation d’un rapport final d’Analytika : « Qu’il s’agisse de “boues de forage” ou de “déchets de raffinerie”, il est clair que tout ou partie de la cargaison de l’Érika était donc en fait constituée de DIS (déchets industriels spéciaux) ». Oh, oh, oh.

N’ayant pas enquêté, ignorant en outre dans le vaste domaine de la chimie industrielle, je suis bien en peine de confirmer quoi que ce soit. Mais désormais, je crois Tailliez. Oui, je crois que la cargaison de l’Érika contenait en réalité de purs et simples déchets de raffinage du pétrole, dont il fallait se débarrasser au moindre coût. Ailleurs, au loin. Ayant travaillé sérieusement sur le monde impitoyable du déchet dans le passé – notamment sur l’affaire Montchanin -, j’en ai retenu une leçon qui aurait dû servir avec l’Érika : tout est possible. Sur cette planète mondialisée, où l’on peut faire disparaître les pires poisons, de la région de Naples à la lagune proche d’Abidjan, tout est possible.

Et jouer le jeu du traitement, du retraitement, de la valorisation des résidus de l’activité industrielle coûte si cher que les tentations de contourner la loi sont constantes. Si je reviens ce jour sur l’Érika, c’est parce qu’une autre affaire vient d’éclater, qui concerne ArcelorMittal, géant mondial de la sidérurgie, avec 310 000 employés répartis dans 60 pays. Excusez du peu : on parle d’un trafic portant sur des millions de tonnes de déchets industriels, sous la forme – tiens donc – de fioul naphtalisé (ici). Au lieu d’être retraités à un coût bien sûr élevé, ce fioul aurait été revendu comme carburant de basse qualité pour des supertankers, grâce à une cascade de sociétés-écrans.

Vrai ? Vraisemblable en tout cas. Et j’oserai sans hésiter cette hypothèse générale : le trafic de déchets est consubstantiel à une industrie ivre de profits à court terme et de concurrence au couteau. Le monde tel qu’il va ne peut pas s’encombrer, dans sa marche triomphale vers l’abîme, de menues saloperies qui grèveraient ses résultats financiers. Et ce qui vaut pour les plus grands et les plus forts vaut également pour les plus petits. Je vous laisse méditer sur le sort des déchets nucléaires quand cette industrie intrinsèquement folle aura été confiée aux intérêts privés. Vous l’avez peut-être oublié, mais tel est bien le projet de Son Altesse Sérénissime Nicolas 1er, roi de France, empereur putatif de notre malheureux univers.

Gustav et les banquiers de Wall Street

Redite et radotage : le dérèglement climatique en cours augmente le nombre et l’intensité de certains phénomènes comme les ouragans (ici). La saison 2008 n’est pas encore finie – elle devrait s’achever en novembre – et déjà neuf tempêtes tropicales ont eu lieu. Chaque année en moyenne, entre 1900 et 1930, six tempêtes et ouragans – ce n’est pas la même chose – étaient recensés. Sur la période 1995-2005, la moyenne est passée à 15. Ike, le dernier cyclone en date, a ravagé ces tous derniers jours le Texas.

On a peu parlé de Cuba. J’ai vu sur des sites internet outrageusement favorables à Castro que l’île caraïbe, grâce à son organisation, avait vaillamment résisté aux ouragans Gustav, puis Ike. J’aurais aimé, je vous le jure bien. Non pour le régime, mais pour le peuple cubain, bien sûr. Ce n’est pas le cas. Certes, Cuba n’a rien à voir avec Haïti. Le gouvernement, aussi despotique qu’il soit, protège du moins la population civile, autant qu’il peut. Mais jusqu’où ? Le quotidien espagnol El País dispose à La Havane d’un excellent correspondant, Mauricio Vincent. Et il s’est rendu il y a quelques jours dans la ville de Los Palacios, au sud-ouest de La Havane (ici, en espagnol).

Rude destinée que celle de Los Palacios. Le 31 août, Gustav frappe  (ici une vidéo). Un anénomètre de l’Institut météo est arraché après avoir enregistré une rafale de vent de 340 km/heure. Le 9 septembre, alors que les habitants rafistolent, Ike arrive. Cette fois, même pour des Cubains qui en ont tant vu, c’est trop.Vincent décrit des gens désespérés, sans maison, sans électricité, sans téléphone, sans travail. L’un d’eux lui dit : « Nous allons avoir faim à Cuba ». Et le journaliste commence son article de la sorte : « Le gouvernement cubain a reconnu son incapacité à faire face à la dévastation, par manque de moyens ».

Voyez-vous, cela m’atteint. Oui, je me sens atteint. Car cette situation nouvelle dit bien où nous en sommes. Un pays du Sud, mais doté d’infrastructures et de volonté – Cuba -, avoue l’évidence qu’il est dépassé par les événements. Dépassé. Et ce n’est hélas qu’un début. Que se passera-t-il demain, et après-demain ?

Pensant à ce drame lointain, je l’ai rapproché de la débâcle financière en cours dans notre monde à nous. J’ai lu des articles du Figaro, de Libération, des Échos sur la stupéfaction des salariés de Lehman Brothers. Du jour au lendemain, la banque qu’ils croyaient solide comme le roc s’effondre. Ils se retrouvent fétus jetés au vent. L’un d’eux, Anglais : « La vie de milliers de gens a été anéantie du jour au lendemain. Ils doivent payer pour leur maison, l’école des enfants, la vie à Londres. En plus, retrouver un emploi va être très difficile : des milliers de personnes vont se retrouver en même temps sur le marché de l’emploi  ! ».

Certes, il vaut mieux être un chômeur de luxe en Europe que sans toit ni avenir à Los Palacios. Mais comment mieux dire que les échéances se rapprochent pour tous ?

PS : Nous vivons dans un système admirable. Le dernier exemple date de cette nuit (en Europe). L’État américain, celui de Bush et des ultralibéraux, vient de nationaliser de fait l’assureur AIG. 85 milliards de dollars d’argent public dans ce fleuron privé. En somme, business as usual. Les gains et profits pour les propriétaires. Les pertes pour la société tout entière.