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Pyrrhus, Procruste et Sisyphe (sans oublier Thésée)

Pyrrhus 1er – Pyrrhos chez les Grecs – était un étrange général. Car il gagnait tout en perdant. Il lui vint même à l’esprit qu’il pourrait conquérir l’Empire romain, à une époque où – autour de 280 avant JC -, Rome restait une colossale puissance. Il infligea au moins deux raclées aux légions, il est vrai, mais au prix de telles pertes qu’il dut inventer un stratagème pour ne plus avoir à combattre. On lui prête un mot célèbre : « Si nous devons remporter une autre victoire sur les Romains, nous sommes perdus ». Depuis cette époque lointaine, une victoire à la Pyrrhus est une histoire plutôt difficile à saisir. Incertaine et même douteuse.

Bien entendu, je veux vous entretenir du Grenelle de l’Environnement, qui s’achève ce jour. À l’heure où j’écris ces mots, je découvre un communiqué de l’Alliance pour la planète, qui regroupe nombre d’ONG, parmi lesquelles le WWF ou Greenpeace. Son titre : Victoire sur les pesticides ! L’Alliance « félicite Jean-Louis Borloo de son engagement à réduire de 50 % les pesticides en dix ans ». Et mon ami François Veillerette ajoute – son association, le MDRGF est membre de la coalition – que « La France, premier pays consommateur de pesticides en Europe, s’engage enfin sur la voie d’une agriculture moderne et respectueuse de l’environnement et de la santé ».

On attend d’autres déclarations dans la journée, dont celle de Sa Seigneurie Nicolas S., et je ne jouerai pas les Pythies. Néanmoins, j’ai dit, écrit et même répété que ce gouvernement surprendrait son monde par des annonces fortes. Je suis à peu près sûr qu’il lâchera quelque chose sur les OGM et de même sur les émissions de gaz carbonique. Quant aux travaux pour de nouvelles normes énergétiques dans l’habitat ancien, c’est déjà acquis : cela, même Jacques Chirac l’aurait fait. Depuis le début, il est une condition essentielle d’un Grenelle réussi : que le pouvoir en place paraisse sérieux, déterminé, jusques et y compris en face des lobbies industriels. Nous devrions donc être étonnés. Attendons.

Faut-il pour autant applaudir ? Une autre historiette : sur la route d’Eusis à Athènes, Thésée fait une halte chez Procruste, qui lui offre son lit. Mais quel lit ! Procruste a la détestable habitude d’étirer les bras et les jambes de ceux qui sont trop petits pour occuper toute sa couche. Et de couper les membres qui pourraient dépasser. La morale de cette fable est évidente : le cadre préexiste et s’impose en toute occasion.

Si Thésée ne se laisse pas faire, tout indique que les participants du Grenelle ont oublié le message. Car ils se seront montrés des invités parfaits, acceptant le cadre qui leur était imposé. Du début à la fin et quel que soit le résultat final. Je ne jugerai pas aujourd’hui l’annonce sur les pesticides, mais je peux dire que je ne suis pas d’accord avec l’enthousiasme de François Veillerette. Car s’il suffit d’un propos de politicien professionnel pour applaudir, mamma mia, où sommes-nous donc rendus ?

Les pesticides sont un poison planétaire, cumulatif et global. Faut-il négocier la diminution de notre niveau d’intoxication ? Je ne crois pas. Au moment où la FAO elle-même reconnaît que l’agriculture biologique est capable de nourrir toute la planète, je trouve curieux – restons pour une fois mesuré – qu’on ne moque pas un plan qui prévoit de passer de 2 à 6 % de la Surface agricole utile (SAU) dédiée à la bio en France. Et en cinq ans. Mais sans doute suis-je un extrémiste ?

Et puis, tout de même : l’industrie agrochimique a parfaitement compris depuis des lustres que le temps béni de l’impunité avait passé. Son objectif est et demeure de s’adapter à de nouvelles situations, avec des opinions publiques très remontées. Outre qu’il faut regarder dans les coins les moins éclairés – pour cause -, je fais le pari que ces dix ans donnés à l’industrie lui permettront surtout de mettre sur le marché de nouvelles molécules, plus actives à des concentrations plus faibles. Un tel projet pourrait s’accorder à la perfection à ce que vient d’annoncer Borloo.

Mais de toute manière, franchement, qui sera comptable dans dix ans du bilan de ce Grenelle ? Sarkozy, en toute hypothèse, ne sera plus en poste – il nous reste au pire à tenir 9 ans et quelques mois. Borloo ? Hum. Kosciusko-Morizet ? Hum. Les ONG seront là, elles, pas de doute. Je vois qu’elles sont équipées comme les chats, de manière à toujours retomber sur leurs pattes. Si le gouvernement ne lâche rien, c’est qu’il est aux ordres des lobbies. Il faut renforcer le pouvoir des associations. Et s’il donne quelque chose, c’est que les ONG ont su faire pression. Donc, il faut continuer, adhérer et en tout cas financer le mouvement.

En entrant dans le grand lit de Sarko-Procruste, les associations écologistes se condamnaient à légitimer le processus et à reconnaître sa validité. C’est chose faite. Reste à évoquer deux grandes figures éternelles. La première s’appelle Sisyphe, que toute le monde connaît. Vivant aux enfers, ce malheureux est condamné à pousser un rocher jusqu’au sommet d’une montagne. Mais il n’y parvient jamais, car la pierre dévale au bas de la pente avant que d’être arrivée en haut.

Évidemment, ce n’est pas franchement rigolo. Je crois qu’en partie, tel est le sort qui attend ceux qui prétendent changer l’ordre des choses. Rien n’est jamais fini, rien n’est jamais acquis, tout recommence à jamais. Comme la vie, jusqu’à maintenant en tout cas. Concernant le Grenelle, je n’hésiterai jamais à reconnaître, si cela doit advenir, que je me suis trompé. Certains amis personnels, comme Jean-Paul Besset par exemple, porte-parole de Nicolas Hulot, semblent certains qu’un grand tournant est en cours. Je dois avouer que j’aimerais le croire, lui, plutôt que moi. Nous jugerons ensemble, et pas pour le cadre de la photo, pas sous la pression imbécile du journal de 20 heures et des flashes. Répondre aux défis de la crise écologique n’a rien à voir avec l’étude des sondages, la communication, la démocratie dite d’opinion, pas davantage avec ce fatras de mesures techniques et technologiques qui démobilisent la société et l’entretiennent dans l’illusion qu’il suffit d’adapter à la marge pour que tout continue à jamais.

Non, mille fois non. Nous sommes dans le labyrinthe. Je suis, vous êtes, nous sommes tous des Thésée. Perdus comme lui dans le dédale inventé par Dédale. Mais vous savez que l’histoire se termine bien. Je crois malgré tout, peut-être contre l’évidence, que la pelote d’Ariane est là, quelque part. Reste à la trouver.

Shanghaï, les putes, le champagne (et le reste)

Vous ne situez pas nécessairement ??. Shanghaï. Cette ville de la côte Est défie la description. Je ne vais pas vous encombrer l’esprit. Installée au bord de la mer de Chine, elle est la ville la plus peuplée du pays, et comptait, en 2006, 2804 habitants pour chaque km2. C’est évidemment la capitale économique de ce pays en pleine explosion. Avec ses 18 millions d’habitants, elle ne représente que 1,5 % de la population chinoise mais déjà 20 % de son PIB. Combien de gratte-ciel ? Les chiffres varient, mais l’estimation tourne autour de 5 000. Il y aurait 20 000 chantiers permanents en ville.

C’est bon, cela. Pour nos industries, et pour notre niveau de vie, c’est même excellent. Les problèmes en suspens n’empêchent pas nos contructeurs automobiles, Areva, EDF, Alstom et compagnie de se battre au couteau contre les Allemands, les Anglais, les Américains et tous ces vautours qui nous gâchent la vie. Des problèmes ? La Chine officielle reconnaît (1) que Shanghaï s’enfonce sous le poids de ses immeubles et parce que l’on a trop pompé dans les nappes phréatiques sur lesquelles elle a été bâtie. Ces phénomènes de déplétion sont connus de tous les spécialistes depuis des décennies. Vous pompez, vous créez du vide, ce vide aspire et détruit. Au passage, l’eau salée toute proche s’infiltre.

La ville, toujours selon des chiffres officiels, bureaucratiques certes, mais officiels, s’est enfoncée d’environ deux mètres en un siècle. Je retape : deux mètres. Et cela continue au rythme d’1,5 cm chaque année. Faut-il vous parler des problèmes d’approvisionnement en eau potable ? Soit, vous l’aurez voulu (2). L’eau, à Shanghaï, n’est plus potable depuis longtemps. L’essentiel des canalisations en fer datent d’une soixantaine d’années, avant l’arrivée d’un certain Mao au pouvoir. Depuis, on n’a fait que bricoler. Quand l’eau arrive – si elle arrive -, elle est chargée de toutes sortes de particules que personne ne songe à analyser. À quoi bon ?

Et au-dessus, dans le pays des hommes ? Le Parti communiste chinois va réunir dans les prochains jours son congrès, événement important s’il en est. Le sort des mingong en dépend. Les mingong sont des vagabonds, ceux qu’on appelait chez nous, jusqu’au 19ème siècle, des chemineaux. Car ils cheminent. Environ 150 millions de déracinés, chassés de leurs campagnes par l’irruption du marché mondialisé, errent d’un bout à l’autre du pays, campant dans la plus petite gare par centaines et milliers (3). Beaucoup travaillent, à n’importe quel prix, sur n’importe quel chantier dégueulasse, à Shanghaï par exemple. Et beaucoup ne travaillent pas. C’est, de loin, le plus grand exode de toute l’histoire humaine. Franchement, est-ce que vous le saviez ?

Préparant leur congrès, les bureaucrates se sont débarrassés en route d’un personnage longtemps tout-puissant à Shanghaï : Chen Liangyu. Membre du bureau politique du parti, il régnait sans aucune entrave, avant d’être emprisonné à la suite de luttes de clans. Les autres ne sont pas meilleurs, ils ont seulement gagné cette partie-là.

Que reproche-t-on à Chen ? Trois fois rien. Il aimait les putes, le champagne, le tennis, la bagnole et l’Opéra. En conséquence de quoi il avait une douzaine de maîtresses et entretenait bien davantage de prostituées, consommant avec elles et d’autres des quantités étonnantes de champagne français. On peut dire qu’avec lui, le BTP a été servi : un court de tennis géant (300 millions de dollars), et un circuit automobile de F1 (1 milliard dollars). Certains lui reprochent tout de même l’affaire de l’Opéra, dont l’ancien bâtiment était situé trop près d’une autoroute. Au lieu de tout détruire avant que de reconstruire, Chen a simplement déplacé le vieil Opéra après qu’il eut été déposé sur des rails, en bloc. On devine que les pots de vin eussent pu être plus importants si l’on avait rasé.

Pourquoi diable vous ennuyer avec ces histoires lointaines ? Bah. Rappelez-vous, car cela pourra vous servir un jour, que le camarade Chen avait été nommé à Shanhaï en 1992. Les gratte-ciel de la mégapole, c’est lui. Le « miracle économique » chinois dont tant de pompeux imbéciles vous parlent chaque matin, c’est largement lui. Et le krach écologique qui se prépare là-bas lui devra beaucoup, croyez-moi sur parole. Une phrase à double sens est paraît-il beaucoup utilisé par les habitants de Shangai quand ils évoquent le sort de leur cité martyre. La voici : « Il ne faut jamais oublier que Shanghaï est construite sur de la boue ». Pas mal, non ?

(1) http://www.chinadaily.com

(2) http://mcsinfo

(3) http://www.scienceshumaines.com

Un lobby en direct live (bis repetita)

Patrick Nottret m’a signalé dès le 3 octobre la parution d’une pleine page de pub dans le journal Libération du même jour. Il s’agissait, je cite son courrier, d’une « Lettre ouverte au président de la République », intitulée : « Monsieur le Président, ne cédez pas aux marchands de peur », et signée Orama. Cette publicité ( le mot est écrit en tout petit) demande à Sarko de ne pas geler les OGM. On y lit entre autres que « Ces OGM sont un progrès pour l’environnement », et on trouve des perles du genre : « Face à la pression des groupuscules qui ont choisi la violence pour exprimer leurs idées et à la stratégie du hold-up médiatique développé par ces « marchands de peur », nous tenons à faire entendre notre voix », etc. On y fait également appel aux scientifiques de l’INRA pour cautionner l’innocuité des OGM. Et ça se termine par une référence à la France « pays des Lumières, non à l’obscurantisme, etc. »

Évidemment, explosion de rire garantie. Et j’en remercie l’ami Patrick. Rire est un devoir patriotique, et j’espère bien recevoir un jour la médaille du Mérite. En attendant mon heure de gloire, on me permettra un petit commentaire. Un autre copain, Yves Le Quellec, éternel défenseur du Marais poitevin, m’en donne l’occasion. Il m’envoie de son côté un lien fabuleux, que je vous offre aussitôt en cadeau princier (1).

Vous y verrez comment le lobby de l’agriculture intensive « produit » des articles de presse destinés à présenter ses goûteuses inventions. Le premier s’appelle : « Grenelle de l’Environnement, faites entendre la voix des scopeurs ! ». Vous me direz que c’est énigmatique, et c’est vrai. Mais ce chef d’oeuvre est tout de même signé Orama, ce mystérieux sigle qui achète des pages dans Libération, et ailleurs.

Voyons de plus près. Les scopeurs, je vous l’apprends, sont les industriels de l’agriculture qui ont choisi les céréales, les oléagineux et les protéagineux. Jusque là divisés en plusieurs branches, par exemple l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB), ils ont décidé d’unir leurs forces. Leur point commun, c’est le syndicat. Le Syndicat : la FNSEA. Gaffe, amis de la nature !

Et cela a donné Orama. Quel drôle de nom, n’est-ce pas ? Je vous ai parlé il y a quelques jours de Moma, voici Orama. N’oubliez jamais que des gens sont payés pour trouver ce genre de mots. Orama, donc, c’est de la haute philosophie betteravière. « Le mot ORAMA signifie en grec ancien  » ce que l’on voit « . Cet élément est souligné dans le logo d’ORAMA, où le A central renversé symbolise un œil ouvert et, par conséquent, l’ambition de l’Union de faire preuve de la plus grande lucidité dans ses analyses et dans son action ». Tout est rigoureusement sic (2), tiré de documents officiels d’Orama, l’oeil qui voit tout.

Et comme je suis sûr qu’il y a parmi vous de sérieux clients pour une séance de masochisme appliqué, permettez-moi de vous offrir un extrait de l’article susmentionné, Faites entendre la voix des scopeurs. Voilà : « À côté d’orientations raisonnables, les rapports des groupes de travail du Grenelle de l’Environnement publiés la semaine dernière font également état d’orientations à caractère fortement idéologique. La presse le met bien en évidence. C’est vrai en particulier en ce qui concerne les pollutions diffuses et les utilisations de produits phytosanitaires. En conséquence, la phase des consultations régionales et par Internet du «Grenelle» étant ouverte, il est nécessaire que soit entendue la voix des praticiens que sont les exploitants spécialisés dans les cultures arables. Face au langage le plus souvent radical des organisations écologistes quant aux pollutions diffuses et à l’utilisation des produits phytosanitaires, les scopeurs sont tous en mesure de rappeler quelles sont les réalités, quelle capacité à évoluer ils ont déjà montré et comment de nouveaux progrès peuvent être accomplis en la matière (…) Il faut redire que les exploitants ne cultivent plus les bordures de cours d’eau, les laissant en herbe sur 5 mètres de large, et que, mises bout à bout, ces bandes enherbées représentent la distance de la terre à la lune ».

Si vous avez lu jusqu’ici, convenez que cela valait la peine. De la terre à la lune ! Jules Verne était un grand ami d’Orama, vous ne le saviez pas ? Permettez un ultime ajout. Le journal Libération devait rendre compte hier de mon livre La faim, la bagnole, le blé et nous (Une dénonciation des biocarburants). Puis a repoussé à ce matin. L’article prévu, riquiqui déjà, est devenu un gros entrefilet. Bon, ce n’est ni la première ni la dernière fois que cela arrive et, croyez-le ou non, je m’en fous.

C’est comme ça. Mais je note que Proléa (3), qui regroupe les grands industriels des oléagineux, est au coeur d’Orama, qui a payé la pub dont je vous parlais au début. Or, Proléa, c’est le lobby des biocarburants. J’arrête là ce qui deviendrait vite un syllogisme foutraque. Non, non, et non, je n’imagine aucun lien direct entre tout cela. Pour une raison simple : il n’y en a pas. Mais je crois tout aussi certain que dans le monde de l’économie réelle, et la presse en fait partie, un petit livre rebelle indiffère le plus souvent. Et embête éventuellement. Tandis qu’une pleine page de publicité, payée cash, remplit de joie ceux qui acceptent de la passer.

(1) http://www.agpb.com

(2) http://64.233.183.104

(3) http://www.prolea.com

Nuit de Chine, nuit câline ?

En Chine, c’est la nuit. Désolé, mais je ne suis pas porteur de bonnes nouvelles. Si je vous envoie ce mot, c’est parce que je viens d’apprendre une étrange affaire. À Pékin, le gouvernement en place s’avise que le barrage des Trois-Gorges est peut-être une mauvaise idée.

Avant de commenter cette audacieuse pensée, permettez-moi de rappeler quelques faits. Le barrage chinois des Trois-Gorges est le plus grand ouvrage hydroélectrique de l’histoire humaine. Installé sur le fleuve Yangzi – Le Fleuve bleu -, haut de 185 mètres, il forme à l’amont un lac de retenue de 600 kilomètres de long. Près de deux millions de personnes ont été déplacées, car leurs villages ont été détruits. Il est officiellement terminé depuis mai 2006. Coût officiel : 25 milliards de dollars. Mais dans les coulisses, on parle de 50 à 75 milliards de dollars réellement dépensés.

Nous sommes clairement dans un au-delà du délire humain. Et seule une dictature encore vaillante, comme celle qui règne là-bas, pouvait venir à bout d’un tel projet. Lequel a permis au passage, ce qui n’est pas loin d’être son seul mérite, de faire émerger en Chine une contestation écologiste. On s’en serait bien passé.

Pourquoi y revenir ? Parce que monsieur Wang Xiaofeng, le directeur des Trois-Gorges, a pour la première fois dit une partie de la vérité au cours d’un séminaire, et que ses propos ont été rapportés. Selon lui, et je le cite scrupuleusement : « Nous ne pouvons sacrifier notre environnement contre des perspectives de prospérité à court terme ». Et d’ajouter aussitôt ce que je sais – moi l’ignorant- depuis une quinzaine d’années : ce grand désastre va entraîner une pollution massive, une érosion massive, une raréfaction massive des ressources en eau, une raréfaction massive des (rares) terres arables du pays.

Inutile de perdre du temps en compagnie de ce Tartuffe. Maintenant que le barrage est fait, et que les paysans ont été sacrifiés, comme il est plaisant de reconnaître l’évidence ! Tartuffe, bien sûr, et criminel, évidemment. Mais je ne veux pas nous laisser sur cette affreuse nouvelle. La lutte contre le barrage, je vous le disais, a fait éclore un véritable mouvement. Il existe en Chine des centaines, peut-être des milliers d’ONG plus ou moins écologistes. Et la bureaucratie chinoise elle-même, du moins une part d’elle, est terrifiée. Le mot n’est pas trop fort : terrifiée par le monstre qu’elle a fait naître.

Je vous suggère, si vous lisez un peu l’anglais, d’aller visiter le site Internet du Centre pour l’assistance légale aux victimes de la pollution (1). Ses animateurs, Chinois vivant en Chine, jouent à cache-cache avec la police et l’État. Mais cela vaut la peine. J’essaierai de vous indiquer plus tard d’autres adresses du même genre. Savez-vous que des valeureux, dans ce pays prêt à tout sacrifier au fric et à la bagnole, tentent d’y sauver les derniers tigres ?

Un dernier point, et je vous laisse, car ce 3 octobre sort chez Fayard mon livre intitulé : La faim, la bagnole, le blé et nous (une dénonciation des biocarburants). Cela crée quelques obligations. Une dernière chose : qui a fourni à la Chine une grosse partie des turbines géantes du barrage des Trois-Gorges ? Qui ? Cocorico ! C’est nous. Nous, Alstom Hydro Power, géant français et transnational installé à Grenoble. J’ai trouvé une adresse presque miraculeuse (2) où l’on raconte les efforts héroïques de ces bâtisseurs pour satisfaire leurs clients chinois. On a le droit de pouffer, car c’est à peu près tout ce qui nous reste.

L’un des ingénieurs d’Alstom rapporte ceci : « Le diamètre externe de la roue des Trois-Gorges est 23 % plus grand que tout ce que nous avions fabriqué jusqu’à présent. Son diamètre est de 10,6 mètres pour une hauteur de 5 mètres ». Et ils l’ont tout de même fabriquée. Et nous conserverons donc, avant l’effondrement général, le niveau de vie matériel que nous envie la terre entière. À commencer par les Chinois.

(1) http://www.clapv.org

(2) http://www.infrastructures.com

Socialisme et peau de lapin (sur DSK)

On ne descendra pas beaucoup plus bas. Et c’est déjà cela. La nomination de Dominique Strauss-Kahn à la tête du Fonds Monétaire International (FMI) restera, quoi qu’il advienne, le sommet inversé de la fin d’une époque, celle de la gauche. Ce mot ancien, ce mot de cimetière, ce mort-vivant éclaire comme le font les étoiles disparues.

L’affaire est certes entendue depuis des lustres, mais je dois avouer qu’une telle clarté de cristal éblouit les yeux. D’abord, quelques mots sur ce monsieur DSK. Il est avant tout l’ami de l’industrie, nationale ou transnationale. Avocat d’affaires, il a conduit un grand nombre de deals – ces gens aiment l’anglais – pour de très puissantes entreprises. J’oublie, car ne n’est que détail, sa mise en examen mouvementée dans l’affaire de la mutuelle des étudiants, la MNEF.

Sachez, ou rappelez-vous, que DSK a présidé entre 1993 et 1997 un lobby appelé le Cercle de l’Industrie, regroupant une sorte de gotha des (grandes) affaires. Dans le but exclusif de favoriser ses clients auprès de la Commission européenne, à Bruxelles. Mais quel beau métier, vraiment !

En 1994, car l’appétit vient en mangeant, DSK devient un lobbyiste appointé du nucléaire. Il signe un contrat avec EDF, et puis s’en va faire son travail occulte chez ses amis du SPD allemand, qu’il travaille au corps. Sa mission consiste à convaincre Siemens de rejoindre Framatome et EDF dans le vaste chantier de l’EPR, le nouveau réacteur nucléaire français. C’est beau, la gauche.

Après avoir ainsi copiné, DSK n’hésite pas une seconde quand le devoir l’appelle au gouvernement de la France, en 1997. Taper sur le ventre de Vivendi, Renault et Areva durant tant d’années, puis devenir ministre de l’Économie et retrouver les mêmes en face de soi, avec pouvoir d’État en sus, cela s’appelle la classe. La classe internationale.

DSK a-t-il la moindre idée réelle de ce qu’est la pauvreté ? Non, bien sûr. Quand il était le maire de Sarcelles, sa voiture avec chauffeur le ramenait chaque soir dans son bel appartement parisien. Connaît-il la misère ? Bien sûr que non. Du Sud, il ne connaît que son riad de Marrakech. Une superbe maison traditionnelle, dans un quartier de superbes maisons traditionnelles où il peut recevoir dignement ses superbes clients traditionnels.

Non, DSK ne sait rien du monde réel, et je crains qu’il ne veuille guère en entendre parler. Il vient en tout cas d’être nommé patron du FMI, institution majeure de la destruction du monde et de la dévastation écologique. Tout va bien. Ses amis socialistes, de Pierre Moscovici à Jean-Christophe Cambadelis – défense de rire – applaudissent. Le FMI. Les plans d’ajustement structurel. Les pressions sur les grouvernements mafieux, pour qu’ils serrent davantage la gorge de leurs peuples. La faillite organisée de l’Argentine, en décembre 2001. La fin programmée des forêts, des agricultures, des paysans. Le FMI.

Je me rassure comme je peux. Je n’ai rien, RIEN à voir avec ces gens-là, ces socialistes en peau de lapin. Les mêmes qui beuglaient Nach Berlin en septembre 1914, après avoir promis d’empêcher la guerre. Les mêmes qui lâchèrent la République espagnole aux abois, en 1936. Les mêmes qui menèrent l’ignoble guerre algérienne, au son du canon et de la gégène. Je me rassure. RIEN. RIEN.