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Un lobby en direct live

Nelly, une bise pour toi ! Nelly Pégeault, la rédactrice-en-chef de la revue Nature et Progrès, m’envoie hier un courriel. Sensationnel. C’est la copie d’un communiqué de deux fiers entrepreneurs, Passion Céréales et France Betteraves. Si, cela existe. Des promoteurs de l’agricuture industrielle, vous aviez deviné, je pense.

Bon, que veulent ces preux ? Dénoncer les travaux – à peine publiés – du prix Nobel de chimie Paul Crutzen, accablants pour les biocarburants. Leur vrai bilan énergétique – du même coup écologique – serait un désastre. Je lis le communiqué, et tique aussitôt. Car enfin, qui a lu les travaux de Crutzen ? Encore personne. Pas moi, pas ces messieurs-dames. Personne. Pourtant, d’après ce texte d’experts indiscutables, l’étude Crutzen « suscite déjà des réactions au sein de la communauté scientifique internationale ».

Ah. Et de renvoyer à une adresse inconnue de moi, celle d’un organisme « scientifique », The Institute of Agricultural Economics and Farm Management, installé à Munich. Ah. Je suis obligé de résumer mon jeu de pistes, ce qui est bien dommage, car j’en ris encore, confortablement installé devant une tasse de café (bio, équitable).

Le directeur de l’institut, Alois Heissenhuber, d’après ce que me permettent mes connaissances en allemand, a eu une carrière universitaire très modeste. Et il n’est en tout cas pas chimiste. Son institut compte fort heureusement pour lui un staff important. Mais qui paie ces salaires ? Mystère complet. L’Institut ne le confesse pas. En revanche, je puis vous dire qui sont les correspondants en France de notre bon Alois. Certes, ils ne sont pas présentés de la sorte sur le site de l’Institut (1). Mais allez voir directement, c’est assez rigolo.

En réalité, Anne Schneider et Benoît Carrouée travaillent tous deux pour l’industrie du colza et du tournesol. Au service donc des biocarburants, dans le cadre d’une structure étonnante que je décris d’ailleurs dans mon livre à paraître. Son nom ? Proléa. Croyez-moi, cette chose-là, qui regroupe des grands, dont Lesieur, pèse lourd.

Est-ce bien tout ? Mais non ! Dans Proléa, il y a Unigrains, une énorme société financière au service de l’agriculture industrielle. Son PDG, Henri de Benoist, a été mis en examen, le pauvre homme, en 2004. Il était également à l’époque vice-président de la FNSEA et président de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB). Et la justice de mon pays le soupçonnait d’avoir favorisé le détournement de taxes parafiscales au profit de la FNSEA.

Une drôle d’affaire, qui avait frappé au passage Luc Guyau, l’ancien président de la FNSEA, mais qui pour l’heure est enlisée. Ne croyez pas les menteries sur la sévérité de la justice. L’instruction a été achevée en 2005, mais le parquet général, qui dépend du ministère, a requis cet été un non-lieu général. Si tout se passe bien, et je prie pour Luc Guyau et Henri de Benoist, tout cela ne sera bientôt qu’un mauvais souvenir.

Cette fois, est-ce terminé ? Hé, je ne suis pas pressé, moi. L’agriculture industrielle est en train de connaître une nouvelle révolution, dont je vous reparlerai plus d’une fois. Retenez le nom de ce sigle, appelé à un avenir retentissant : Moma (2). Moma, pour Mouvement pour une organisation mondiale de l’agriculture. Rien ne sera étranger à cette énième invention, probablement la plus puissante de l’histoire de l’agriculture française. Rien. Ni les OGM. Ni les biocarburants, dont le vrai nom est nécrocarburants. Ni la relance des pesticides, à base de molécules encore plus actives, dans le dos du Grenelle de l’Environnement.

Retenez cet acronyme forgé par leurs communicants. Moma ! Est-ce mignon ! Moma, viens par ici. Moma, arrête tes gamineries. Moma, moman, maman. Parmi les fondateurs, ces deux noms : Henri de Benoist et Luc Guyau. Imaginez qu’ils aient été envoyés en prison ! Moma en aurait pleuré.

Sur ce, je dois travailler pour qui me paie. Car voyez-vous, ce site est gratuit. Nelly, encore une bise.

(1) http://www.wzw.tum.de

(2) http://www.momagri.org

Le beurre indonésien (et l’argent qui va avec)

Un jour de la fin février 1994, j’ai été heureux. Cela s’était déjà produit. Cela arriverait encore. Heureux. Il y avait du soleil, le vent froid m’obligeait parfois à courber la tête, je mangeais des gâteaux aux figues en buvant de temps à autre de l’eau fraîche.

J’étais au paradis, plus proche qu’on ne le dit parfois, sur les pentes du Mourre Nègre, autrement appelé Luberon. Une bien modeste montagne, une imposante colline si vous préférez. J’entendais parfois les trilles du petouso, le troglodyte mignon et je me souviens fort bien avoir aperçu un croupatas dans le ciel, un grand corbeau. Attention, un grand corbeau n’est pas – pas seulement – un corbeau grand. C’est une espèce à part entière, un acrobate sans fil qui plonge sans fin.

L’air sentait le buis, et les chênes verts bruissaient comme ils font depuis quelques très longs millénaires. Ce jour-là, j’allais découvrir une expression inconnue : la pelouse sommitale. Sommitale veut dire du sommet. Là-haut, vers 1100 mètres d’altitude, tout changeait. Les premières orchidées de la saison, et du monde donc, perçaient. On voyait le Ventoux, la montagne de Lure, le début des Alpes. J’étais seul.

Au retour, dans le vallon de La Fayette, je remarquai les vestiges d’anciennes charbonnières. Jadis, hier, des carbonieri, des pauvres venus le plus souvent d’Italie avaient passé là, en plein bois, des mois entiers, pour fabriquer du charbon de bois. J’étais toujours heureux, mais également ému. Le sort des pauvres m’importe.

Même de ceux-là, que je ne connais pas. Avant-hier, le président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono a réclamé, depuis la tribune de l’ONU (1), des aides massives à son pays. Il estime que la préservation des forêts tropicales concerne le monde entier. Que la lutte contre le changement climatique passe par cela.

C’est une bouffonnerie, intégrale. Une farce macabre comme je n’en vois pas chaque jour, heureusement. Car l’Indonésie est en train de tuer ses ultimes forêts primaires, parmi les plus riches au monde en nombre d’espèces animales et végétales. Je parle là de millions d’hectares. En mai 2007, on apprenait qu’elle allait entrer en fanfare dans le livre des records Guiness. Pourquoi ? Je vous jure que je n’invente pas : parce que l’Indonésie est le pays qui, désormais, détruit le plus vite ses forêts. Elle est devenue pour cette raison le troisième émetteur de gaz à effet de serre de la planète, après la Chine et les États-Unis. Les mafieux locaux, qui tiennent tout, brûlent des arbres chargés de carbone sur des centaines de kilomètres, avant d’y planter des palmiers à huile. Lesquels donneront des biocarburants – pardon, des nécrocarburants – pour les voitures du Nord.

Je doute que Susilo Bambang Yudhoyono ne soit pas au courant. Certains jours, la fumée des incendies atteint la Malaisie, à des centaines de kilomètres de là. En 1965 – et cela a duré quelques années – les militaires indonésiens ont massacré environ 500 000 personnes, qui faisaient de l’ombre au profit. Ce pays est désormais aux mains des vainqueurs. Et une poudrière. Et une bombe humaine, religieuse, sociale, prête à exploser. Cela viendra, il ne faudra pas attendre longtemps. Ceux qui brûlent et dévastent souhaitent ouvrir quelques comptes bancaires numérotés en plus, et le Nord leur enverra sans aucun doute de quoi garnir ces nouveaux portefeuilles. Le Nord, c’est nous. N’avons-nous pas désespérément besoin de leurs biocarburants pour continuer nos ronds sur le périphérique et nos échappées du samedi ?

Je le parie : l’Indonésie aura le beurre et l’argent du beurre. La destruction des forêts, l’huile végétale, et les félicitations du jury. Et moi je pense à mes petits carbonieri du Luberon. Et au souvenir de ce qui aurait pu être.

(1) http://www.actualites-news-environnement.com

Méfiez-vous du Danois (et des autres)

Je vous enverrai tout à l’heure un autre texte. Mais je voulais avant cela attirer votre attention sur un calamiteux dossier de l’hebdomadaire Courrier International. Cela m’embête bien, car je le lis avec plaisir, mais qu’y faire ?

Ce dossier de couverture (n° 881) concerne la crise climatique, et il est titré : Le réchauffement n’existe pas*, avec, en plus petit, à la suite d’un deuxième astérisque, Du moins pour ceux qui n’y croient pas. J’ai ouvert le journal avec curiosité et intérêt. Je pensais qu’il se penchait sur ceux – les lobbyistes de tout poil – qui nient le phénomène. Et il y a bien un article sur le sujet, en effet.

Mais pour le reste, l’équipe a fait un mauvais travail, collationnant nombre de « curiosités », inévitables pour qui sait trois bricoles sur la psychologie humaine. Et les non moins inévitables erreurs de détail qui accompagnent toute recherche, quelle qu’elle soit. À fortiori quand il s’agit de travaux d’Hercule qui confrontent l’humanité à son destin, de manière inédite.

Hélas, Courrier joue avec le feu, omettant l’essentiel, c’est-à-dire le consensus mondial croissant, utilisant le point de vue de personnes isolées et de journaux aussi indiscutables que The Wall Street Journal, qui ne peut, ontologiquement parlant, admettre la gravité de la situation. Ajoutons à cela l’accent mis sur des intellectuels, seuls ou en bande, qui entonnent tous le refrain de l’héroïsme en chambre. Ces braves protestent contre le sort fait aux minoritaires, ces réprouvés qui n’auraient pas le droit d’exprimer leur scepticisme sur le réchauffement climatique. Tartuffes, va !

Le pire est sans doute cet extrait d’un papier du Danois Bjorn Lomborg, cet homme dont je vous ai déjà parlé. Le monsieur récidive, et sort un livre, Cool it, qui ravira mon grand camarade Claude Allègre (voir https://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=50 ). Lomborg, convaincu de malhonnêteté scientifique par une commission danoise officielle (1), tient table ouverte chez les médias du monde entier. Et désormais à Courrier International. Sans que cet hebdo daigne rappeler les faits. Je dois dire que c’est un mauvais signe. Allez voir, si vous lisez convenablement l’anglais, une critique sur le nouvel opus de Lomborg (2). C’est éclairant. Et décourageant. Les médias sont incorrigibles.

(1) http://fist.dk

(2) http://www.salon.com

Le gang des saucissonneurs

Cela faisait longtemps, au moins quelques jours. Eh oui, nouveau service consacé au Grenelle de l’environnement (1). Je le (re)dis, il s ‘agit d’un rendez-vous organisé par Sa Seigneurie Sarkozy, fin octobre, à Paris. Six groupes de travail, qui comprennent nombre d’ONG écologistes, mais aussi des industriels, et des lobbyistes, doivent rendre leur copie à cette date. Et lancer en France une « révolution écologique » aussi vague qu’improbable.

Bon, j’en ai déjà dit bien du mal. Pour ne pas perdre le rythme, je continue. Hier, je déjeunai avec une amie, et tombai bien d’accord avec elle. Le Grenelle, quelle régression de la pensée ! Et voici pourquoi en quelques mots. L’écologie scientifique, c’est la complexité. Qui oblige à l’intégration d’une telle multitude de données, avec boucles de rétroactions, que l’esprit humain ne parvient jamais qu’à l’approximation. Vous me direz que ce n’est déjà pas si mal, et je tomberai aisément d’accord avec vous.

N’empêche. Approximation. Comment décrire un écosystème ? Avec quels concepts, avec quels mots, par l’art de quelles connaissances ? Mystère. Ceux qui prétendent y être parvenus sont à mes yeux des naïfs. Ou d’extraordinaires vantards. Un peu des deux, peut-être. Quel scientifique saurait réellement dire ce qu’est une forêt tropicale ? Ou les relations entre les courants marins, le réchauffement global, le krill, les tsunamis, la mort de la morue, le sort des baleines à bosse ? Oui, qui ?

Néanmoins, les (vrais) écologistes ont su créer des outils. Et, mieux, des visions. J’ai en tête par exemple la carte fabuleuse créée par mon ami Roberto Epple, un Suisse allemand. L’Europe y figure sous la forme de bassins versants des fleuves. Les pays ayant disparu, on découvre, stupéfait, saisi, que l’Europe, c’est l’Elbe, le Danube, la Loire, la Volga, le Rhin. Et d’un coup, tout change. Tout s’éclaire.

Des concepts sont nés au fil des décennies, qui nous seront bien utiles dans cet avenir si menaçant. Il faut, bien entendu, concevoir les problèmes dans leur globalité. L’eau, par exemple, douce et salée. Donc, le bassin versant d’un fleuve, ensemble cohérent. Ou les sols. Ou la pollution chimique, de quelque manière qu’elle se répande. Ou la forêt, de quelque manière qu’on s’en occupe.

Est-ce le cas au Grenelle de l’Environnement ? Non, vous imaginez bien. À vieille pensée, vieux découpage. Je vais vous dire : je ne crois même pas que les lobbies soient derrière cette opération. Ce n’en est pas une, d’ailleurs. Elle exprime seulement l’insondable ignorance de la presque totalité de la société française. Le point de vue y est segmenté, compartimenté, chacun plaide pour telle micro-mesure, tel misérable engagement, tel obscur dossier. La vie, la vie réelle du monde et des écosystèmes naturels qui le portent, y est saucissonnée. Découpée en tranches fines, pour que chaque convive puisse repartir avec quelque chose dans le ventre.

C’est ridicule. Et un peu honteux pour les écologistes qui siègent. Car ils ont déjà cédé sur l’essentiel. Les mots et ce qu’ils désignent. Ces mots si chèrement conquis en quarante années d’efforts. Ces mots qui sont notre richesse commune, notre vraie grande richesse. Voyez-vous, on peut à bon droit parler d’une défaite culturelle de première ampleur. Ceux qui ne savent rien ont imposé leur vocabulaire, qui est inepte. Parmi les six commissions du Grenelle, je retiens ces intitulés : « Promouvoir des modes de développement écologiques favorables à la compétitivité et à l’emploi », « Construire une démocratie écologique : Institutions et gouvernance », « Construire un environnement respectueux de la santé », « Préserver la biodiversité et les ressources naturelles ». Vous irez regarder les autres sur le site indiqué en bas.

Que vous dire ? Ce n’est pas de l’écologie. C’est de la langue de bois, supposée réunir tout le monde le temps d’une danse publique et de quelques discours. Où est le groupe : « Comment sauver les eaux de France ? ». Je ne cite cet exemple que pour me faire comprendre. Où est-il ? Nulle part. La question n’étant pas posée, elle ne sera pas réglée. Grenelle, défaite des mots et de la pensée. Et du même coup, triomphe annoncé du peinturlurage. En vert. Hélas.

Nota bene :  le titre de cet article est une vacherie. Il ne faut pas m’en vouloir, enfin pas trop. Les saucissonneurs donnent du fil à retordre, depuis une dizaine d’années, à notre vénérée police nationale. Ces voyous, très soudés entre eux depuis des décennies – ils viennent souvent des mêmes cités -, repèrent leurs victimes soigneusement. Parfois en allant lire, gratuitement, dans les bibliothèques publiques, le Who’who, livre qui donne des milliers d’adresses de célébrités grandes et petites. Les voleurs entrent ensuite, saucissonnent leurs victimes – d’où leur nom -, et les pillent consciencieusement. Voilà. Dieu me pardonne !

(1) www.legrenelle-environnement.gouv.fr/

Maurice Tubiana et le sac de Jérusalem

J’ai entre les mains un livre grandiose, et je regrette de ne pas pouvoir vous le prêter. Je le tiens d’un ami breton que je salue au passage, Jean-Yves Morel. Son titre : le cas des nitrates. Son éditeur : l’Institut scientifique de l’environnement. Il s’agit en fait de actes d’un colloque qui s’est tenu les 13 et 14 novembre 2000 dans l’un des plus beaux palais de la République : le Sénat.

Ce colloque est l’oeuvre d’un lobby très puissant qui tente, depuis des années, de faire sauter un verrou ennuyeux. L’Europe exige en effet, par la loi, que les eaux de captage qui servent à « fabriquer » de l’eau potable ne dépassent jamais la barre fatidique des 50 mg de nitrates par litre. Pour l’agriculture industrielle, c’est mission presque impossible. Il faut sans cesse ruser.

Au Sénat, ces 13 et 14 novembre, il y a du beau linge dans les salons. L’affaire a été montée par des lobbyistes professionnels, mais l’Académie de médecine est fortement représentée, jusqu’au Comité scientifique du colloque. Maurice Tubiana, qui deviendra le président honoraire de l’Académie de médecine, en est. Ainsi que l’ineffable Christian Cabrol. D’autres interviennent ès qualités, comme André Rico ou un certain Étienne Fournier.

L’affaire est pliée au départ, car tous sont convaincus, et le disent, que les nitrates ne représentent aucun risque sanitaire. Pour avoir (presque) tout lu, je puis vous dire que c’est insupportable. Tout le monde pense pareil ! Sauf madame Brigitte Pignatelli, chercheuse au Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). On ne sait le pourquoi de sa présence – une menue erreur, au contraire un calcul ? -, mais elle est peu à peu stupéfaite par ce qu’elle entend.

Ces gens, supporte-t-elle pendant deux jours, jurent que les nitrates n’ont aucun effet néfaste sur les hommes. Le colloque aurait-il pour but d’influencer qui de droit pour faire disparaitre cette affreuse norme de 50 mg par litre d’eau ? Pignatelli est en tout cas secouée comme un prunier par ces nobles personnalités. Le compte-rendu, dont on peut être sûr qu’il est édulcoré, témoigne d’une violence verbale peu ordinaire. Pignatelli se bat avec courage, seule contre tous. Et finit par lâcher : « Je suis très étonnée de l’affirmation absolue sur l’innoccuité des nitrates ».

Bon, abrégeons. L’Institut de l’environnement, organisateur, a été créé notamment par deux géants de l’agriculture industrielle bretonne, Gourvennec et Doux. Le professeur Étienne Fournier a défendu l’amiante jusqu’à l’avant-veille de son interdiction définitive en France, ce qui lui a valu une plainte pour publication et diffusion de fausses nouvelles, classée sans suite il est vrai. Bien le bonjour, tout de même, aux dizaines de milliers de morts ! Le professeur André Rico est l’auteur d’une phrase immortelle, prononcée ailleurs : « Ce n’est pas à nous de prendre des décisions par rapport à ceux qui vont naître ; les générations futures se démerderont comme tout le monde« . »

Même Emmanuel Grenier a droit à son exposé en séance ! Dans un colloque « scientifique » sur les nitrates. Qui est-il ? Présenté comme rédacteur en chef de la revue Fusion, ce qui ne mange pas de pain, il apartient en fait à une structure imaginée aux États-Unis par un certain Lyndon LaRouche. Je ne peux tout raconter. Cette nébuleuse défend de façon militante la chimie, le nucléaire – dans la revue Fusion, aujourd’hui défunte – et sa petite maison d’édition en France, Alcuin, a publié des livres d’une rare violence anti-écologiste. Dont un livre de désinformation grossière sur le trou de la couche d’ozone.

Tel est, preux lecteurs, l’aréopage réuni en 2000 pour défendre, sous la haute autorité morale de Maurice Tubiana, les nitrates. Et venons-en à l’actualité. Si vous n’avez pas eu les oreilles remplies par le flot radio et télé hier, c’est que vous êtes au fond de la forêt équatoriale africaine. Tant mieux pour vous. Un rapport conjoint des Académies de médecine et des sciences, épaulées par des membres du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), vient d’annoncer que le cancer était au fond une affaire privée.

Ce rapport pointe la responsabilité écrasante de l’alcool et surtout du tabac dans la survenue des cancers. Rassurez-vous, je ne vais pas vous infliger une contre-expertise. D’autres le feront, infiniment mieux que je ne saurais. Je note que, selon les auteurs, l’environnement au sens large, c’est-à-dire l’alimentation, les pollutions de l’air et de l’eau notamment, ne concourreraient qu’à hauteur de 0,5 % dans les causes du cancer. Quant aux expositions profesionnelles à des cancérigènes, elles ne provoqueraient que 4 % des cancers chez l’homme et 0,5 % chez les femmes.

Parmi les deux responsables de ce rapport, Maurice Tubiana. L’Académie de Médecine n’en est pas à son premier rapport disons baroque. Je n’en dresse pas la liste exhaustive, je n’ai pas la place, et vous n’auriez pas la patience. En 1996, l’Académie publie un rapport sur l’amiante dont une résolution de l’Assemblée nationale estime qu’il a « minimisé les risques et conforté les thèses su lobby de l’amiante ». L’Académie de M. Tubiana s’est, de même, montrée plus qu’indulgente avec les OGM, tandis que sa cousine des Sciences estimait, en 1994, que la dioxine ne posait pratiquement pas de problème de santé publique, ouvrant la voie à l’incinération industrielle des déchets en France.

Un dernier exemple, pour la route. L’Académie de médecine a toujours tenu pour négligeables les faibles doses de radiation nucléaire, empêchant de fait la prise de mesures de protection en France après les retombées de Tchernobyl. Eh oui, si cela ne pèse de rien, à quoi bon affoler les populations ? Imparable. Hélas, c’est faux. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), on ne peut plus officiel, a publié voici 18 mois des études spectaculaires qui démontrent que, tout au contraire, de très faibles expositions peuvent avoir un effet sérieux sur les organismes vivants. Dont nous sommes, ou bien m’aurait-on aussi caché cela ?

Bref, L’Académie sait se tromper. Et d’ailleurs avec une constance qui force l’intérêt et mène droit aux interrogations. Mais je ne veux pas insinuer ce que je ne pense pas. Je suis bien certain que Maurice Tubiana est sincère. Il croit, il croit, il croit. Et aucun journaliste de la presse en place, sauf grave erreur de ma part, ne s’avise d’explorer ce terrain dangereux.

Il n’est pas le seul à croire, au reste. D’autres ont cru que la ligne Maginot nous sauverait de la barbarie. Ou que le biologiste stalinien Lyssenko avait inventé une science « prolétarienne ». Parmi eux, de futurs prix Nobel, mais oui ! Ou encore, il y a seulement trente ans, que Superphénix ferait de la France l’Arabie Saoudite de l’Europe. Je vais vous dire quelque chose qui ne me rajeunit pas. Depuis l’épouvantable sac de Jérusalem, en 1099, les Croisés me foutent la trouille. Et il y en a beaucoup.