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Un magnifique Appel mexicain (pour Notre-Dame-des-Landes)

Ça ne pouvait pas mieux tomber pour Planète sans visa. Je venais à peine de mettre en ligne l’article précédent – je me permets de dire qu’il faut le LIRE –, que je recevais le beau texte de solidarité qui suit. C’est un signe des cieux. Un signe facétieux des dieux qui veillent sur nous. Peut-être. En tout cas, le Mexique que j’aime tant, ce Mexique des paysans, des Indiens et de leurs défenseurs envoie un abrazo fraternal à ceux de Notre-Dame-des-Landes. La boucle se boucle, il me semble.
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Le 25 octobre, dans le cadre de la rencontre/séminaire « Mexique – Europe : ils ne passeront pas », des centaines de personnes se sont réunies au Centre intégral de formation indigène/université de la Terre de San Cristóbal de Las Casas au Chiapas. Parmi les participants se trouvaient des internationaux, des habitants de San Cristóbal de Las Casas et de nombreux paysans et délégués des communautés de Bachajón, de Tila, de la forêt des Chimalapas (Oaxaca) ainsi que d’autres villages et hameaux du Chiapas, venus partager et écouter les expériences de résistance face aux mégaprojets, en Europe et au Mexique. L’initiative de cette lettre de soutien, signée depuis par de nombreuses organisations, personnes et collectifs mexicains, est née dans la foulée de ces rencontres.

DU MEXIQUE, LETTRE DE SOUTIEN À LA LUTTE DE NOTRE DAME DES LANDES

30 octobre 2012

Aux gens de Notre-Dame-des-Landes et de la France en résistance

À l’ACIPA, à l’ADECA, à la coordination des opposants au projet d’aéroport,

Aux associations « COPAIN »,  aux habitants et habitantes qui résistent et à tous les occupants et occupantes de « la Zone à défendre » ZAD,

Aux médias alternatifs et sincères,

À l’Autre Campagne et à la Sexta Internationale,

Aux luttes contre les mégaprojets et pour la défense de la Terre de toutes les parties du monde

Ici, au Mexique, c’est rage et indignation que nous ressentons après avoir été informés de l’expulsion et de la destruction de maisons, de forêts et de terres de culture par la police française à Notre-Dame des Landes, depuis le 16 octobre dernier. Une zone agricole est menacée par le gouvernement socialiste français et son premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui veut imposer sur ces champs de l’ouest de la France un nouvel aéroport de taille internationale, et ce malgré l’opposition des paysans et des paysannes, des jeunes et d’une bonne partie de la population. Nous savons que ce chantier est complètement inutile vu qu’il y a déjà beaucoup d’aéroports en France, et nous sommes au courant du réchauffement climatique global provoqué par la multiplication des avions que seuls les riches peuvent se payer. Nous savons aussi, car ils voulaient l’imposer aux villages d’Atenco dans l’État de Mexico, que la construction d’un aéroport entraîne à elle seule la convoitise pour les terres, l’urbanisation accélérée et l’implantation d’industries dans des zones encore rurales, où l’environnement a été préservé. Ce que ces projets amènent, c’est la division et le contrôle social de la population, et encore une fois ce sont les paysans qui se retrouvent spoliés par des constructions imposées de force et uniquement destinées aux gens de la ville ayant beaucoup d’argent.

Malgré l’énorme distance qui nous sépare, nous voulons vous dire que nos luttes sont semblables : votre lutte est un miroir de la situation de pillage que nous vivons sur nos terres. Il est important pour nous de nous informer de ce qui arrive en Europe, parce que ce sont des modèles qu’on veut nous imposer ici aussi et que nous non plus, nous ne voulons pas perdre nos terres, nos territoires et nos modes de vie.

Nous voulons vous dire également qu’au Mexique, nous luttons aussi contre le pillage des terres, comme c’est le cas des communautés de Tila et de Bachajon au Chiapas, où les terres sont menacées d’être spoliées pour des projets touristiques, ou bien encore dans l’Isthme de Tehuantepec, où les terres sont enlevées aux villages indigènes ikoots et binniza, et où sont imposées des centaines et des milliers d’éoliennes produisant de l’énergie pour les multinationales et où, tout comme à Notre-Dame des Landes, la police est envoyée pour surveiller les chantiers ; ou encore à Huexca, dans l’État de Morelos, où des CRS ont été envoyés il y a quelques jours pour imposer un gazoduc et une usine thermo-électrique d’une entreprise espagnole, et cela malgré les risques liés à la proximité du volcan Popocatépetl ; comme à Atenco, où le projet d’aéroport est toujours d’actualité ; comme ce qu’il se passe contre les communautés zapatistes au Chiapas, que le gouvernement veut  déposséder des terres récupérées grâce au soulèvement  de 1994 ; comme, enfin, dans des dizaines et des centaines d’autres villages et de communautés partout au Mexique, où ils nous dépossèdent de la terre et nous imposent des projets de mort, mines à ciel ouvert, barrages hydroélectriques, autoroutes, « villes rurales », et tant d’autres projets de « développement » qui cherchent à en finir avec nos communautés et nos terres collectives.

Ces projets inutiles bénéficient seulement aux entreprises telles que OHL, ENDESA, GAMESA, EDF, MALL, GOLDCORP, BLACKFIRE, IBERDROLA, MONSANTO, parmi d’autres. C’est à cause de ces entreprises qu’ils nous répriment et nous envoient la police et les CRS ; mais aussi qu’ils corrompent, achètent les élections et imposent des gouvernements, comme cela fut le cas du président Enrique Peña Nieto et de tant d’autres marionnettes politiques. Leur cupidité et leur désir sans limites d’imposer ces mégaprojets en arrivent même à l’ignominie d’instrumentaliser des groupes paramilitaires, d’imposer les cartels de la drogue et de payer des tueurs à gage pour nous assassiner.

Partout dans le monde, chaque jour nous voyons plus clairement jusqu’à quel point peuvent en arriver ceux d’en haut afin de mettre en place des politiques qui piétinent les peuples au bénéfice du pouvoir économique. Ils sont capables d’inventer une guerre d’extermination contre tous ceux qui s’opposent comme nous à leurs plans de mort. Mais chaque fois qu’ils nous frappent, nous sommes encore plus conscients du système destructeur auquel ils veulent nous soumettre.

Compagnons et compagnes, nous ne fraternisons pas seulement dans la lutte contre la répression : nous voyons aussi que nous partageons la même conscience que notre planète n’appartient pas aux hommes politiques et aux riches qui sont leurs collègues, mais bien aux peuples et aux êtres vivants qui l’habitent. Nous partageons aussi la pleine conscience du fait que nous luttons partout contre ces gouvernements qui se disent démocratiques mais qui nous imposent ces projets, nous divisent et nous détruisent pour satisfaire la dictature de l’argent.

C’est pour cela que nous voulons vous donner du courage dans votre lutte, dans cette étape difficile où ils saccagent vos maisons et vos terres. Nous voulons vous dire que bien que nous ne soyons pas près de vous, vous n’êtes pas seuls et seules. Nous sommes très nombreux à lutter jour après jour contre ces projets de mort pour défendre nos terres, nos territoires et nos façons d’être, c’est-à-dire pour défendre la vie. Nous sommes très nombreux à lutter contre les entreprises transnationales et les gouvernements corrompus. Ce qu’il nous manque seulement, c’est de nous rencontrer, nous écouter et mieux nous solidariser dans la lutte. C’est le moment de réfléchir et de nous organiser face à la soumission à laquelle ils nous condamnent. C’est le moment de nous retrouver sur cette planète qui se rebelle.

COMPAGNONS ET COMPAGNES :

NOUS NE SOMMES PAS SEULEMENT QUELQUES-UNS, NOUS SOMMES DES MILLIERS! PAS UN PAS EN ARRIÈRE!

NOUS SOMMES AVEC VOUS !

À BAS LES PROJETS DE MORT ¡

VIVE LA SOLIDARITÉ !

VIVE LA LUTTE DE NOTRE-DAME DES LANDES !

VIVE LA LUTTE CONTRE LES MÉGAPROJETS INUTILES!

Signatures:

COLLECTIFS  ET ORGANIZACIONS DU MEXIQUE

Collectif à l’initiative du forum « Mexique – Europe: ils ne passeront pas »; Front des Villages en Défense de la Terre (FPDT), Atenco ; Assemblée des Villages Indigènes de l’Isthme en Défense de la Terre et du Territoire APIIDT), Isthme de Tehuantepec ; Organisations Indigènes pour les Droits Humains à Oaxaca (OIDHO), Oaxaca; Communautés Paysannes et Urbaines Solidaires (COMCAUSA) ; collectif « la Rébellion de Tehuantepec », Isthme de Tehuantepec ; Groupe Solidaire de la communauté La Venta, Isthme de Tehuantepec ; Union des Communautés Indigènes de la Zone Nord de l’Isthme (UCIZONI) ; Radio Communautaire « Las voces de los pueblos » 94.1 Matias Romero, Oaxaca ; Assemblée Nationale des Victimes Environnementales (ANAA); Alliance Mexicaine pour l’Autodétermination des Peuples (AMAP) ; Mouvement Agraire Indigène Zapatiste (MAIZ) ; Réseau National de Résistance au prix cher de l’électricité (Mexique) ; Réseau Mexicain d’Action face au libre-commerce (RMALC) ; Lien Urbain de la Dignité, Puebla ; Nœud des droits humains, Puebla ; Secteur National Ouvrier et des Travailleurs de la Ville, des Champs, de la Mer et de l’Air de l’Autre Campagne ; Syndicat National des Travailleurs d’Uniroyal ; Coalition des Travailleurs Administratifs et Académiques du Syndicat des Travailleurs de l’Université Nationale Autonome de Mexico ; Collectif Action intelligente des chômeurs, étudiants et travailleurs ; Centre autonome d’apprentissage et de formation politique des travailleurs et travailleuses de l’Autre Campagne ; Dorados de Villa ; Communauté Autonome Ernesto Guevara de la Serna ; Communauté Autonome Ollin Alexis Benhumea Hernández ; Secteur des Travailleurs de l’Autre Campagne-Oaxaca ; La Otra Huasteca Totonacapan ; Brigade de rue de soutien à la femme « Elisa Martínez », A.C. ; Réseau Mexicain du Travail Sexuel ; Espace social et culturel LA  KARAKOLA (Mexico DF) ; collectif POZOL, Tuxtla Gutierrez ; Zapateando (média libre adhérent de l’Autre Campagne) ; Agence d’Information Indépendante Noti-Calle ; Notilibertas ; émission radio « Les fils de la Terre » ; revue La Guillotina, Mexico, D.F. ; Croix noire Anarchiste de México ; Nodo Solidale Mexico ; Collectif Azcapotzalco, Mexico DF ; Coordination Nationale « Plan de Ayala »-Mouvement National (CNPA-MN) ; Organisation zapatiste « Education pour la libération de nos Peuples » ; collectif «Caracol Matlatl », Toluca (Etat de México) ; revue électronique Désinformémonos ; Kolektivo « de Boka en Boka», San Cristobal (Chiapas) ; Commune autonome de San Juan Copala, Oaxaca ; Comuneros du village de San Pedro Atlapulco (Etat de México) ; Centre des Droits Humains Digna Ochoa, A.C. (Tonala, Chiapas) ; Conseil Autonome de la zone côtière du Chiapas ; Front civique Tonaltèque AC (Tonala, Chiapas) ; Réseau contre la Répression et pour la Solidarité – Chiapas.

INDIVIDUS

Manuel Antonio Ruiz, Lycée communautaire José Martí ; Ricardo Alvarado (Toluca, México) ; Sonia Voisin (Lyon, Francia), Priscila Tercero, Adhérantes de l’Autre Campagne ; Gloria Muñoz Ramírez; Marcela Salas Jaime Quintana ; Sergio Castro ; Adazahira Chávez ; Felix Garcia Lazcarez ; Dr. Alfredo Velarde Saracho ; Elsa Mocquet, La Milpa, A.C. (San Cristobal, Chiapas) ; Alèssi Dell’Umbria (Marsella-Oaxaca)

COLECTIFS DE SOLIDARITE EUROPEENS

Groupe B.A.S.T.A., Münster, Allemagne ;  Les trois passants, Francia ; Plate-forme de Solidarité avec le Chiapas et le Guatemala de Madrid, España; Caracol Solidario, Franche-Comté ; Espoir Chiapas/Esperanza Chiapas; Comité de Solidarité avec les Peuples du Chiapas en Lutte, Paris; Collectif Chiapas – Ariège ; Comitat Chiapas – Aude ; Nodo solidale, Italie; centre social « le Passe-Partout »  et « Groupe CafeZ », Liège (Belgique).

Kempf et Superno sur Notre-Dame-des-Landes

Je ne le dirai jamais assez : la bagarre de Notre-Dame-des-Landes est essentielle pour tout écologiste qui se respecte. Je n’ai pas le temps d’y insister, et vous donne donc à lire deux textes qui ne sont pas de moi. D’abord une chronique d’Hervé Kempf, parue dans son journal, Le Monde. Ensuite un billet du blogueur lorrain Superno. Je les salue tous les deux.

Une cause nationale

Hervé Kempf – 21 octobre 2012

Le lourd silence de Cécile Duflot, de José Bové, de Daniel Cohn-Bendit, de Nicolas Hulot et de tant d’autres sommités, le désintérêt des médias, la passivité d’Europe Ecologie Les Verts, le « courage fuyons » des élus PS informés des enjeux écologiques, l’apathie de la grande majorité des associations environnementales, le désir si manifeste de tout ce joli monde de tourner la page n’y font rien : ce qui s’est déroulé cette semaine et se poursuit ces jours-ci autour de Notre Dame des Landes, en Loire-Atlantique, est vital, crucial, essentiel. Si ceux pour qui les mots « crise écologique » veulent dire quelque chose perdent cette bataille, si cet aéroport se faisait, le mouvement écologique en serait aussi durablement affaibli qu’il l’avait été, en 1977, par les événements de Creys-Malville.

On s’étonne que ne soit pas comprise l’importance de ce bras de fer. Mais peut-être faut-il, de nouveau, en expliquer les enjeux. Il s’agit, donc, d’un projet d’aéroport qui occuperait près de 2000 hectares de terres au nord de Nantes. Vieux d’une quarantaine d’années, il a ressurgi au début des années 2000. La résistance tenace, non violente, assise sur des expertises solides, de paysans, d’élus, d’écologistes, de citadins, d’habitants anciens et nouveaux, a retardé le projet. Elle a permis de voir que se cristallisent ici toutes les problématiques qui forment le complexe écologique de ce début du XXIe siècle. Ce n’est pas Trifouilly-les-Oies, c’est une cause nationale.

Alors que le Programme des nations unies pour l’environnement vient d’annoncer que les zones humides, essentielles à la biodiversité et à la régulation des écosystèmes, ont perdu dans le monde la moitié de leur superficie depuis un siècle, on s’apprête en France à détruire un site dont 98 % des terres sont des zones humides. Alors que semaine après semaine, les climatologues publient des études montrant la gravité du changement climatique, on s’apprête en France à construire un aéroport qui stimulera le trafic aérien, important émetteur de gaz à effet de serre. Alors que l’artificialisation des sols et la disparition des paysans sont officiellement déplorées, on la planifie ici, ce qui la justifiera ailleurs. Alors que le pouvoir du capital et les partenariats public-privés sont partout dénoncées, on donne les clés du projet à la multinationale Vinci.
Il y a des moments où il faut savoir dire non. Il est temps que se fassent entendre ces « Non ».

Source : Cet article est paru dans Le Monde daté du 21 octobre 2012. On peut le trouver ici : http://www.reporterre.net//spip.php?article3367

Superno (ici)

 

Assourdissant silence médiatique sur la guerre civile contre l’écologie à l’Ayraultport de Notre-Dame-des-Landes

[La démocratie et l’écologie selon Jean-Marc Ayrault. Cette photo a été prise ces dernières heures à Notre-Dame-des-Landes. Je n’en connais pas l’auteur, mais s’il se fait connaître je le créditerai et le remercierai.]

Ce qui se passe en ce moment même à Notre-Dame-des-Landes est un scandale véritable. Et le deuxième scandale, c’est que tout le monde s’en fout !

La télé, les grands médias, n’en parlent quasiment pas. Un entrefilet sur France Info, un bandeau de quelques secondes sur Itélé, point barre. Ah si, un petit article dans “Le Monde”, un autre sur rue 89. Mais rien dans les JT nationaux.

Sur Internet, c’est à peine mieux. Il faut dire que depuis que Hollandréou et sa clique ont pris le pouvoir, la plupart des blogueurs “de gauche” sont de plus en plus mal à l’aise, le cul entre deux chaises, et se ridiculisent à défendre des gens et des trucs indéfendables (genre le TSCG et le prix Nobel à l’UE). Et puis il faut bien dire qu’il y a des sujets autrement plus importants . Ah, si c’était Sarkozy qui s’était amusé à faire la même chose, c’eût été la révolution !

Je ne suis même pas sûr que chacun d’entre vous connaisse les détails du projet de Notre-Dame-des-Landes, et sache ce qui se passe là-bas, maintenant.

Je vais donc essayer de vous le résumer.

Tout d’abord, il y a déjà un aéroport à Nantes, l’aéroport de Nantes Atlantique (anciennement Château-Bougon), à quelques kilomètres au sud-ouest de la ville. Un bel aéroport, d’ailleurs. En place depuis des dizaines d’années. 3 200 000 passagers par an. Et capable d’en accueillir bien plus, puisque lorsque le volcan islandais a fait des siennes, ce sont 20 000 passagers par jour qui y sont passés dans des conditions correctes. On peut donc supposer que son seuil de saturation est au delà de 7 millions de passagers par an.

Il a même obtenu en 2011 le prix européen du meilleur aéroport décerné par l’ERA (European Region Airlines Association). C’est dire s’il est pourri et bon à jeter.

Au passage, il y a au total 14 aéroports dans l’ouest de la France. Cela pourrait sembler suffisant…

Seulement voilà. Aéroport ancien et opérationnel, ça veut dire possibilité de bétonnage supplémentaire limité. Pas bon pour la “croissance”. Et pas bon pour le bétonneur Vinci, société multinationale bien connue pour sa rapacité et son influence sur les politicards, et qui cogère l’aéroport de Nantes Atlantique.

Le maire de Nantes depuis plus de 20 ans s’appelait jusqu’en juin dernier Jean-Marc Ayrault. Un notable régional médiocre, un roublard de la politique comme on en connaît hélas tant. Or, quand un élu le reste trop longtemps, chacun sait qu’il a une fâcheuse tendance à se monarchiser ou se dictateuriser, on ne connaît que trop bien le problème en Lorraine avec Metz et Nancy.

Toujours partant pour faire parler de lui ou pour laisser une trace dans l’histoire régionale, le maire écoute forcément d’une oreille attentive les margoulins cupides qui se pressent autour de lui.

Ayrault, comme Hollande et tous les “socialistes” archaïques, en est resté aux 30 glorieuses, au béton, au nucléaire, et à la sacro-sainte “croissance” qui s’est évanouie mais pour laquelle ils sont prêts à tout sacrifier dans l’espoir de son retour, un peu comme un amoureux éconduit qui ne comprend pas que c’est foutu, elle ne reviendra jamais. En particulier, ils ne semblent jamais avoir entendu parler de Peak Oil ou de réchauffement climatique.

Complètement plongés dans la politique, avec une vision rétrécie qui ne dépasse jamais l’horizon de la prochaine élection, ils n’ont pas vu le temps passer, le monde changer. Oh, ils ont bien entendu parler d’écologie, mais ils n’y ont rien compris. Des conseillers en comm leur ont dit d’en parler ? OK on en parle. Mettez-moi un ou deux ministres écolo, fermez moi une vieille centrale nucléaire, une bagnole hybride pour le président, Montebourg qui se promène en voiture électrique, et voilà, ça fait la rue Michel. Pour le reste ? Ben on change rien, c’est croissance, nucléaire, béton et bagnole.

Il est d’ailleurs assez symptomatique de voir sur Twitter des arguments en faveur de l’Ayraultport qui soient défendus par Théo Aubin, le cheffaillon régional des “jeunes de la droite populaire” ! (Au passage, visez l’oxymore ! Jeunes sur leur carte d’identité, et déjà tellement vieux cons dans leur tête !). Ça ne vous interpelle pas ?

Le projet de Notre-Dame-des-Landes est ancien. On avait même failli réussir à le justifier pour faire atterrir… le Concorde ! C’est dire le niveau et la clairvoyance de nos dirigeants. Qui n’a pas évolué depuis 40 ans.

Mais un jour, j’imagine que quelqu’un de désintéressé à dû souffler à l’oreille de Ayrault qu’un deuxième aéroport à Nantes ce serait bien pour la croissance, pour le rayonnement régional, pour celui du maire, aussi, hein, hé hé…

Et l’aéroport actuel ? Comme le vieux chien dont on veut se débarrasser, on l’accuse de la rage. Ah ? Euh… Oh… Il est vieux et tombe en ruines… Avec la croissance du trafic, il sera bientôt saturé… Et puis il est… dangereux !

Comme on l’a vu, cet aéroport est loin de la saturation. Et personne ne l’a jamais trouvé dangereux, ni les pilotes, ni la Direction Générale de l’Aviation Civile. Et s’il doit tomber en ruines, c’est que plus un investissement n’y est fait en raison du nouveau projet.

Souvent, dans les projets régionaux, les clans s’affrontent et cela peut donner des catastrophes aberrantes. Tout près de chez moi, il y a l’exemple magnifique de l’aéroport de Metz-Nancy-Lorraine et de la gare de Cheminot. Après une guerre Metz-Nancy, l’aéroport a été construit, pour ne froisser personne, à exacte distance entre les deux. Sauf qu’il est perdu dans le trou du cul du monde et qu’il faut faire 25m pour y aller. D’ailleurs il y a très peu de trafic, et c’est un gouffre à pognon qui fermera tôt ou tard. Ensuite, il fallait construire une gare TGV. Là encore, deux clans se sont battus. Les uns voulaient cette gare à Cheminot, près de l’aéroport, d’autres à Vandières. C’est la première solution qui a été retenue. Merveilleux. Sauf que cette gare, qui se trouve aussi dans le trou du cul du monde, n’est reliée à rien. Même pas à l’aéroport, distant de quelques km seulement, et encore moins au réseau TER. Du coup, il est à nouveau question de construire une nouvelle gare à Vandières. Bref. Et on confie l’avenir de nos enfants à cette engeance…

Ayrault n’a pas eu ce problème à Nantes. Dès qu’il s’agit de “croissance ou de béton”, l’UMP est toujours d’accord. Comme le PCF. Et les barons du Grand Ouest, comme Fillon et Raffarin, ont soutenu ce projet ridicule et scandaleux. Pour être honnête, il y a un peu d’opposition. Le Parti de Gauche, par exemple (au passage on notera encore une fois que le “Front de Gauche” est un attelage très étrange…). EELV, bien sûr, dont on reparlera. Le Modem, aussi. Ségolène Royal. Et Philippe de Villiers (qui lui n’est pas contre l’aéroport, mais le trouve trop loin de la Vendée, et voudrait donc… construire un nouveau pont sur la Loire… Du béton, des bagnoles, on n’en sort pas). Mais tous ces gens-là ne pèsent pas grand-chose face au Front du Béton.

Le nouveau projet d’aéroport se situe au nord-ouest de Nantes, plus loin, à une vingtaine de kilomètres de la ville. Tant mieux, c’est toujours autant d’autoroutes et de béton à construire. La surface totale du terrain à saccager est de 1650 hectares. Monstrueux ! Cette ZAD (“Zone à Aménagement Différé”, que les opposants ont rebaptisée “Zone à Défendre”) se trouve dans un secteur rural et fragile. Inutile de préciser que l’eau du secteur a du souci à se faire. Au moment où l’agriculture bio peine à décoller car elle ne trouve pas de terrains pour l’accueillir, inutile de préciser qu’on est en présence d’une ineptie sans nom.

C’est un projet principalement privé, mené par Vinci, qui en obtiendra la concession pour 55 ans ! Le coût du projet, sous-estimé à un peu plus de 500 millions d’euros (la moitié d’argent public), serait en fait au total (comprenant donc les autoroutes) de 4 milliards d’euros.

Mais rien n’arrêtera les bétonneurs et leurs complices politiciens. Les gouvernements passent, et le projet se poursuit. On habille bien entendu l’ignominie avec les habits du droit (enquête d’utilité publique…). Le Grenelle de l’environnement Sarkozyste en 2007 aurait dû enterrer le projet définitivement, mais non, il se poursuit. Il faut dire qu’on a mis le paquet dans le greenwashing et l’intoxication médiatique. À écouter ces andouilles, ce site sera un merveilleux paradis écologique. Non polluant, autosuffisant en énergie. Labellisé “Haute Qualité Environnementale”. Pour un peu, ils nous feraient croire que seuls des avions à pédales ou à élastique vont s’y poser.

Voilà pour ce rapide résumé. Passons maintenant à l’actualité.

Depuis quelques années, et malgré la quasi-unanimité des politiciens du Front des Bétonneurs, la résistance s’est organisée sur place. Des riverains. Des écolos. Une association, l’ACIPA, compte désormais 3000 membres. Et même des citoyens engagés venus de loin : Notre-Dame-des-Landes est devenu un symbole de la résistance à l’absurdité. Des séminaires y ont eu lieu, réunissant décroissants, écolos, et “Vraie Gauche”. Force est de constater que la situation a comme un arrière-goût de Larzac, 40 ans après.

Tiens, le Larzac. Voilà qui doit faire mal au cul à quelques “socialistes” qui dans leur jeunesse y sont venus affûter leurs dents de lait contre le pouvoir de droite de l’époque. Mais comme les notaires de Jacques Brel, ils sont désormais passés dans l’autre camp..

Des propriétaires qui ont eu la malchance de se trouver sur la zone ont été sommés de déguerpir. Nombreux sont ceux qui refusent de vendre leur maison à Vinci. Et des maisons expulsées sont squattées par des opposants. La résistance s’est concentrée dans la ferme maraîchère du sabot où les derniers irréductibles se sont installés.

Et c’est dans ce contexte que les bétonneurs ont commencé à passer à l’action. Hier, ils ont envoyé 1200 flics (CRS, gendarmes mobiles, BAC…) déloger les empêcheurs de bétonner en rond. Mille deux cents ! Plus que l’effectif total de l’armée Luxembourgeoise ! Milice au service de Vinci. Des scènes de guerre civile dans le bocage nantais (cf photo d’illustration). Des robocops qui gazent les manifestants pacifiques, et selon certains témoignages, tirent au flash ball. C’est ça, la “gauche” ?

Les flics ont reculé hier soir le temps de la nuit, mais sont revenus ce matin. Et à l’heure où j’écris ces lignes les affrontements se poursuivent. Dans le silence télévisuel.

L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est un projet pharaonique et anachronique. C’est le triste résultat de raisonnements faits par des cerveaux malades de gens drogués depuis leur enfance par l’idée de “croissance”. Ces gens-là sont persuadés que le trafic aérien va poursuivre une croissance exponentielle, alors que dès qu’on regarde la situation sans œillères, on voit clairement que le secteur aérien sera l’un des premiers touchés par la crise de l’énergie et l’effondrement économique qui va s’ensuivre (et qui a déjà commencé).

[ça donne envie, hein ?]

Et puis ce qui est saturé, ce sont les plages et les stations balnéaires de la région, prises d’assaut en été. Même si le trafic aérien était multiplié par 3, où mettrait-on ces touristes ? On bétonnerait 3 fois plus Saint Jean de Monts ? On mettrait des mezzanines sur les plages ? C’est ridicule.

Comme le dit si bien Paul Ariès pour illustrer l’absurdité du concept de “croissance”, le problème n’est pas de faire grossir le gâteau, le problème c’est de changer la recette. Et dans cette recette, le kérosène, le béton est les avions n’ont pas leur place.

La croissance infinie n’existe pas, inutile de courir après. Il ne faut pas chercher toujours plus de croissance, il faut réfléchir aux moyens de vivre mieux sans croissance et les mettre en place. Respecter la planète au lieu de l’exploiter jusqu’à en faire un désert inhabitable et surchauffé. Si on écoute les croissancistes, on va creuser des puits de gaz de schiste dans tous les jardins, saloper toutes les nappes phréatiques pour repousser l’inéluctable de quelques années.
Ces “socialistes” n’ont rien compris à l’écologie. Pire, ils ne comprennent plus rien à rien. Notre-Dame-des-Landes juste après le TSCG, personne ne peut avaler ça. Quoi qu’ils en disent, ils veulent poursuivre et amplifier le nucléaire. Ils veulent faire baisser le prix de l’essence, et le nouveau “bonus/malus écologique” confirme le choix du “tout-diesel” cancérigène. Des aveugles, des incompétents, des irresponsables. Je n’ai pour ces gens que mépris. D’ailleurs, quand on voit qu’ils veulent pénaliser de 130 000 euros les impudents qui ont osé dire non au TSCG, quand on voit la procédure “démocratique” (similaire à celle utilisée par les communistes dans Tintin au Pays des Soviets) qui va se terminer ce soir par la nomination d’Harlem Désir au poste de premier secrétaire, on se dit que rien ne va plus dans ce parti.

Notre-Dame-des-Landes est encore plus symbolique depuis que son promoteur, Ayrault, est devenu premier ministre. Bon, il est en train de se planter, les Valls ou Touraine guignent déjà sa place en coulisses. Et pendant que les CRS gazent les résistants du “Sabot”, Môôssieur Ayrault part 4 jours en Asie du Sud-Est. Même pas de couilles !

Dans ces œuvres de malfaisance, le P”S” est toujours épaulé par les “écolos” d’EELV. Ils ont toujours deux ministres, des députés, des sénateurs, des voitures de fonction, du travail pour des dizaines de collaborateurs. Pour garder ce train de vie confortable, ils sont contraints de tout avaler. Ils n’ont rien dit pour le TSCG, rien pour le nucléaire, rien pour le diesel… Ils ne diront plus rien pour rien.

À Notre-Dame-des-Landes, ils n’ont jamais été à la pointe du combat, adoptant tout juste une opposition de principe. On se souvient d’un passage éclair d’Eva Joly, du seau d’épluchures jeté sur Nicolas Hulot. Mais depuis qu’ils sont au pouvoir, c’est pire.

Pour certains, c’est manifestement un supplice de se voir ainsi écartelé entre des convictions et la soupe. Le président d’EELV, Pascal Durant, s’est tout de même fendu d’un article sans ambiguïté. Les élus locaux ont aussi mis leur grain de sel. Et Yannick Jadot a trouvé sur Twitter le temps de condamner le projet et le déploiement de militaires.

Mais Cécile Duflot, d’ordinaire très prolixe sur Twitter, est totalement muette de saisissement sur le sujet. Idem pour son collègue Pascal Canfin. Extinction de voix totale. Et pendant qu’on prépare le bétonnage à Notre-Dame-des-Landes, la députée européenne EELV de la région Est, Sandrine Bélier, continue comme si de rien n’était à parler de biodiversité. Ce très grand écart est ridicule. Ces “écolos” ne sont même pas fichus de se rendre compte qu’ils cautionnent ces saloperies, qu’ils doivent quitter ce gouvernement où ils n’auraient d’ailleurs jamais dû entrer.

Le Canard Enchaîné nous apprenait cette semaine que l’élue EELV parisienne mise en examen pour un blanchiment d’argent présumé était aussi actionnaire d’une site internet de “sex shop bio”, et qu’elle vendait entre autres joyeusetés un “lubrifiant anal à l’extrait naturel d’écorce de goyave”. J’espère qu’elle en a mis quelques hectolitres de côté à l’attention de ses collègues ministres, parce qu’il y a là un marché de grande ampleur à la croissance prometteuse.

Terminons en remerciant les lanceurs d’alerte, des gens bien connus sur ce blog, et sur lesquels on peut compter :

Fabrice Nicolino, qui qualifie Jean-Marc Ayrault de “pauvre imbécile”. C’est inexact : il n’est pas pauvre du tout !

Corinne Morel Darleux, du Parti de Gauche, qui une fois de plus sauve l’honneur des politiques. Son billet sur Vinci.

Hervé Kempf et son site “reporterre.net”, auteur d’un article au titre ironique : la transition écologique a commencé

Si ce silence médiatique se poursuit, les opposants ne tiendront pas longtemps. Hollandréou a lâchement cédé aux “geonpis”, parce qu’ils ont été capables d’organiser un battage médiatique de grande ampleur. Avis aux vrais blogueurs de Gauche. Nous devons lui faire comprendre que ce projet est une folie et que comme Mitterrand en 1981 qui avait mis fin au délire au Larzac et à Plogoff, il se grandirait en reconnaissant cette colossale erreur.


Plus d’infos sur le sujet :L’association ACIPA, à suivre notamment sur son Twitter @ACIPA_NDL ou encore ici
https://zad.nadir.org/spip.php?article353
http://leflochingtonpost.wordpress.com/2012/10/16/occupation-militaire-a-notre-dame-des-landes/
http://lutteaeroportnddl.wordpress.com/
http://www.zebigweb.com/_NDDL.html
http://www.gauche-anticapitaliste.org/content/notre-dame-des-landes-quon-leur-envoie-la-troupe

Annie n’aime pas les sucettes (ni la Légion d’Honneur)

J’ai une très grande affection pour Annie Thébaud-Mony. Directrice de recherche – honoraire – à l’Inserm, elle mène inlassablement des combats à mes yeux cruciaux. Pour le désamiantage en France du Clemenceau. Contre la destruction d’un village d’Intouchables en Inde par Michelin. Pour la reconnaissance des dizaines de cancers du rein de l’entreprise martyre Adisseo (Allier). Contre le traitement inhumain infligé chez nous aux sous-traitants du nucléaire. Tant d’autres. J’ai l’honneur de participer avec elle à l’association Henri Pézerat (ici), du nom de celui – que je chéris tant – qui fut son compagnon jusqu’à sa mort en 2009. Et voilà qu’on vient de lui balancer la Légion d’Honneur.

L’affaire est tragi-comique. Une ministre se réclamant de l’écologie – Cécile Duflot – ne trouve rien de mieux à faire, quelques semaines après son entrée au gouvernement, que de distribuer des breloques par poignées (ici). Comment diable oser pareille chose ? Moi, j’en suis resté à la détestation définitive des décorations d’État, qui abaissent et avilissent même ceux qui les reçoivent. J’en suis resté à Benjamin Péret, surréaliste quand ce mot avait un sens. Dans son merveilleux Mort au vaches et au champ d’honneur, il écrit ceci : « La bouche revint alors près de moi et me dit : “Quelle poésie ! Et ça t’amuse, imbécile ? Je peux faire des vers de cette espèce toute la journée. Je me contente d’en écrire chaque année au 14 juillet et je les envoie au Président de la République. C’est pourquoi l’on m’a décorée de la Légion d’honneur comme une saucisse empaillée”».

Du même Péret, ce poème de 1929, paru dans le tome 12 de La Révolution Surréaliste, et qui s’appelle La loi Paul Boncour.

Partez chiens crevés pour amuser les troupes
et vous araignées pour empoisonner les ennemis
Le communiqué du jour rédigé par des singes tabétiques annonce
le 22e corps d’armée de punaises
a pénétré dans les lignes ennemis sans coup férir
À la prochaine guerre
les nonnes garderont les tranchées pour le plus grand plaisir des rengagés
et pour se faire trouer l’hostie à coup de balai
Et les enfants au biberon
pisseront du pétrole enflammé sur les bivouacs ennemis

Pour avoir hoqueté dans ses langes
un héros de trois mois aura les mains coupées
et la légion d’honneur tatouée sur les fesses

Tout le monde fera la guerre
hommes femmes enfants vieillards chiens chats cochons
puces hannetons tomates ablettes perdrix et rats crevés
tout le monde

Des escadrons de chevaux sauvages
d’une ruade chasseront les canons de l’adversaire
et quelque part la ligne de feu sera gardée par des putois
dont l’odeur conduite par un vent propice
asphyxiera des régiments entiers
mieux qu’un pet épiscopal
Alors les hommes qui écrasent les sénateurs comme une crotte de chien
se regardant dans les yeux
riront comme les montagnes
obligeront les curés à tuer les derniers généraux avec leurs croix
et à coups de drapeaux
massacreront les curés comme un amen

Donc, Duflot. Qui ose décorer Annie Thébaud-Mony. Mais Annie ne veut pas. Elle explique ci-dessous pourquoi. Merci à Jean-Paul Brodier, de Metz, pour son aide technique.

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Fontenay-sous-Bois, le 31 juillet 2012

Madame Cécile Duflot
Ministre de l’égalité, des territoires et du logement
Hotel de Castries
72 rue de Varenne – 75 007 Paris

Madame la ministre,

Par votre courrier du 20 juillet 2012, vous m’informez personnellement de ma nomination au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur et m’indiquez que vous êtes à l’origine de celle-ci. J’y suis très sensible et je tiens à vous remercier d’avoir jugé mon activité professionnelle et mes engagements citoyens dignes d’une reconnaissance nationale. Cependant – tout en étant consciente du sens que revêt ce choix de votre part – je ne peux accepter de recevoir cette distinction et je vais dans ce courrier m’en expliquer au près de vous.

Concernant mon activité professionnelle, j’ai mené pendant trente ans des recherches en santé publique, sur la santé des travailleurs et sur les inégalités sociales en matière de santé, notamment dans le domaine du cancer. La reconnaissance institutionnelle que je pouvais attendre concernait non seulement mon évolution de carrière mais aussi le recrutement de jeunes chercheurs dans le domaine dans lequel j’ai travaillé, tant il est urgent de développer ces recherches. En ce qui me concerne, ma carrière a été bloquée pendant les dix dernières années de ma vie professionnelle.

 Je n’ai jamais été admise au grade de directeur de recherche de 1e classe. Plus grave encore, plusieurs jeunes et brillant.e.s chercheur.e.s, qui travaillaient avec moi, se sont vu.e.s fermer les portes des institutions, par manque de soutien de mes directeurs d’unité, et vivent encore à ce jour – malgré la qualité de leurs travaux – dans des situations de précarité scientifique. Quant au programme de recherche que nous avons construit depuis plus de dix ans en Seine Saint Denis sur les cancers professionnels, bien que reconnu au niveau national et international pour la qualité scientifique des travaux menés, il demeure lui-même fragile, même s’il a bénéficié de certains soutiens institutionnels.

 J’en ai été, toutes ces années, la seule chercheuse statutaire. Pour assurer la continuité du programme et tenter, autant que faire se peut, de stabiliser l’emploi des jeunes chercheurs collaborant à celui-ci, il m’a fallu en permanence rechercher des financements – ce que j’appelle la « mendicité scientifique » – tout en résistant à toute forme de conflits d’intérêts pour mener une recherche publique sur fonds publics. Enfin, la recherche en santé publique étant une recherche pour l’action, j’ai mené mon activité dans l’espoir de voir les résultats de nos programmes de recherche pris en compte pour une transformation des conditions de travail et l’adoption de stratégies de prévention.

 Au terme de trente ans d’activité, il me faut constater que les conditions de travail ne cessent de se dégrader, que la prise de conscience du désastre sanitaire de l’amiante n’a pas conduit à une stratégie de lutte contre l’épidémie des cancers professionnels et environnementaux, que la sous-traitance des risques fait supporter par les plus démunis des travailleurs, salariés ou non, dans l’industrie, l’agriculture, les services et la fonction publique, un cumul de risques physiques, organisationnels et psychologiques, dans une terrible indifférence. Il est de la responsabilité des chercheurs en santé publique d’alerter, ce que j’ai tenté de faire par mon travail scientifique mais aussi dans des réseaux d’action citoyenne pour la défense des droits fondamentaux à la vie, à la santé, à la dignité.

 Parce que mes engagements s’inscrivent dans une dynamique collective, je ne peux accepter une reconnaissance qui me concerne personnellement, même si j’ai conscience que votre choix, à travers ma personne, témoigne de l’importance que vous accordez aux mobilisations collectives dans lesquelles je m’inscris. J’ai participé depuis trente ans à différents réseaux en lutte contre les atteintes à la santé dues aux risques industriels.

  Ces réseaux sont constitués de militants, qu’ils soient chercheurs, ouvriers, agriculteurs, journalistes, avocats, médecins ou autres… Chacun d’entre nous mérite reconnaissance pour le travail accompli dans la défense de l’intérêt général. Ainsi du collectif des associations qui se bat depuis 15 ans à Aulnay-sous-bois pour une déconstruction – conforme aux règles de prévention – d’une usine de broyage d’amiante qui a contaminé le voisinage, tué d’anciens écoliers de l’école mitoyenne du site, des travailleurs et des riverains. Ainsi des syndicalistes qui – à France Télécom, Peugeot ou Renault – se battent pour la reconnaissance des cancers professionnels ou des suicides liés au travail. Ainsi des ex-ouvrières d’Amisol – les premières à avoir dénoncé l’amiante dans les usines françaises dans les années 70 – qui continuent à lutter pour le droit au suivi post-professionnel des travailleurs victimes d’exposition aux cancérogènes. Ainsi des travailleurs victimes de la chimie, des sous-traitants intervenant dans les centrales nucléaires, des saisonniers agricoles ou des familles victimes du saturnisme.

 Tous et chacun, nous donnons de notre temps, de notre intelligence et de notre expérience pour faire émerger le continent invisible de ce qui fut désigné jadis comme les « dégâts du progrès », en France et au delà des frontières du monde occidental. La reconnaissance que nous attendons, nous aimerions, Madame la ministre, nous en entretenir avec vous. Nous voulons être pris au sérieux lorsque nous donnons à voir cette dégradation des conditions de travail dont je parlais plus haut, le drame des accidents du travail et maladies professionnelles, mais aussi l’accumulation des impasses environnementales, en matière d’amiante, de pesticides, de déchets nucléaires et chimiques…

 Cessons les vraies fausses controverses sur les faibles doses. Des politiques publiques doivent devenir le rempart à la mise en danger délibérée d’autrui, y compris en matière pénale. Vous avez récemment exprimé, à la tribune de l’Assemblée nationale, votre souhait d’écrire des lois « plus justes, plus efficaces, plus pérennes. En qualité de Ministre chargée de l’Egalité des territoires et du logement, vous avez un pouvoir effectif non seulement pour augmenter le nombre des logements mais légiférer pour des logement sains, en participant à la remise en cause de l’impunité qui jusqu’à ce jour protège les responsables de crimes industriels. En mémoire d’Henri Pézerat qui fut pionnier dans les actions citoyennes dans lesquelles je suis engagée aujourd’hui et au nom de l’association qui porte son nom, la reconnaissance que j’appelle de mes vœux serait de voir la justice française condamner les crimes industriels à la mesure de leurs conséquences, pour qu’enfin la prévention devienne réalité.

Pour toutes ces raisons, Madame la ministre, je tiens à vous renouveler mes remerciements, mais je vous demande d’accepter mon refus d’être décorée de la légion d’honneur. Avec l’association que je préside, je me tiens à votre disposition pour vous informer de nos activités et des problèmes sur lesquels nous souhaiterions vous solliciter.

Je vous prie d’agréer, Madame la ministre, l’expression de ma reconnaissance et de
mes respectueuses salutations

Annie Thébaud-Mony

 

Planète sans visa l’avait bien dit (sur l’Espagne en ruines)

Cette fois, je ne saurais nier. Oui, ce qui suit est de l’autopromotion. Selon la vieille logique que chacun connaît, si je ne dis pas du bien de moi, qui le fera ? Alain Lipietz, peut-être ? Le fait est, amis de Planète sans visa, que j’ai écrit ici, il y a deux ans, et trois, et quatre, ce qu’il fallait penser du « miracle économique » espagnol. Les banques devraient m’embaucher, elles gagneraient de l’argent.

Plus sérieux : pourquoi personne ne parle ? On va encore nous servir la sauce idéologique selon laquelle les banques voraces seraient coupables. Mais merde, à la fin ! Il est dans la nature de ces entreprises de chercher à faire du blé quel que soient les coûts humain et écologique de leurs opérations. Le problème est ailleurs. Pourquoi cette horrible complicité des classes politiques européennes ? Pourquoi cette affolante propension des peuples à se gaver de biens matériels inutiles, dispendieux, destructeurs de tout ? Les socialos français – ils ne sont pas les seuls – ont ENCENSÉ la politique criminelle de leurs copains espagnols du PSOE. Ils ont applaudi la destruction accélérée du littoral ibérique. Ibérique, car le Portugal est lui aussi concerné. Ayrault, notre Premier ministre, veut à toute force un second aéroport à Nantes, sa ville, au moment où des dizaines d’aéroports espagnols, financés par l’impôt, sombrent dans l’insolvabilité et la ruine.

Je vous en prie ! Assez de jérémiades ! Assez d’explications qui jamais ne rendent compte de rien. Le monde doit changer de base, je crois que cela a déjà été écrit.

Ci-dessous, pour ceux qui veulent voir, de leurs propres yeux éblouis, deux articles anciens de Planète sans visa, et même un troisième. 2010, 2009, 2008 : qui dit mieux ?

Espagne, castagnettes et dominos

Après la Grèce, l’Espagne ? Je n’ai pas le temps, hélas, de rechercher quelques perles égrenées par nos économistes-en-chef, nos politiques princiers, de droite et de gauche bien sûr. Il y a une poignée d’années, l’Espagne était LE modèle que nos élites proposaient à une France jugée malade, en tout cas assoupie. Son taux de croissance faisait chavirer le cœur de tous les abrutis qui croient penser, quand ils ne font que braire. Le problème est que tout reposait sur un château de cartes, un lointain château en Espagne que personne ne possèderait un jour.

La politique criminelle des élites espagnoles tient en peu de mots : corruption de masse, destruction de la nature, délire immobilier. On a détruit là-bas ce qui restait de rivage après la stupéfiante flambée franquiste des années soixante du siècle passé. Et construit, souvent au bord de l’eau, mais aussi dans d’improbables banlieues, des milliers de programmes immobiliers qui jamais ne trouveront acquéreurs. Jamais. Certains sont achevés, mais sans aucune adduction. D’autres sont commencés, et se trouvent à divers stades. Mais le cochon de client s’est évaporé. Il s’agissait d’une chaîne de Ponzi, la même pyramide que celle qui a conduit l’escroc Madoff en taule. Tant que les gogos achètent et que d’autres gogos se lancent à leur suite, tout marche à la perfection. Mais dès que le doute s’installe, c’est l’effondrement.

Cela fait longtemps que j’ennuie mon entourage en répétant que l’Espagne est d’une fragilité de verre. On conspue aujourd’hui les gouvernements grecs dans les rues d’Athènes. Il n’est pas exclu que l’on fasse pire demain avec ceux du Parti populaire (PP) espagnol et du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Car ils ont mené la même politique et créé les conditions du chaos. Je vous, je nous le demande : qui paiera pour ces appartements morts-nés ? Qui paiera le prix de la corruption et de la dévastation écologique ? N’oubliez pas que des banques ont massivement prêté aux margoulins pour faire leurs galipettes monétaires. Je vous l’annonce, pour le cas où vous ne le sauriez pas : celles de France sont plombées par le désastre immobilier espagnol. Pas toutes, non, et pas à la même échelle. Mais si mes informations sont bonnes, on peut s’attendre à des surprises. Et elles seront mauvaises.

Tiens, je vous remets pour le même prix un article de Planète sans visa, qui n’a, après tout, qu’un an. Il renvoie à un article qui en a deux.

Zapatero, Zapatera, socialauds d’Espagne et d’ailleurs

Je souhaite ardemment que personne ne vienne prendre leur défense, ici tout au moins. Car ailleurs, je sais combien ils sont choyés, aimés, cajolés. Madame Ségolène Royal – dite la Zapatera – ne s’est-elle pas excusée il y a quelques jours, au nom de nous tous, auprès de son si cher ami José Luis Rodríguez Zapatero, Premier ministre espagnol en titre ? Ne lui a-t-elle pas demandé de pardonner des propos prêtés à notre Sarkozy national ? Si.

Or que font donc les socialistes espagnols ? Ils détruisent avec frénésie ce qui reste de ce pays de légende. En janvier 2008, avant donc l’annonce de la crise économique que vous savez, j’ai écrit (ici) sur quoi reposait le soi-disant miracle espagnol, avec ces taux de croissance admirés d’un bout à l’autre de notre Europe si malade. Tenez, je me cite : « Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ? ».

Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.

Pourquoi ce rappel ? Mais parce que les socialistes au pouvoir à Madrid s’attaquent aujourd’hui au grand joyau ornithologique de la péninsule, l’Estrémadure. Je connais ce lieu, qui est rude au regard et au corps. Froide l’hiver, brûlante l’été, la région abrite une sorte de savane arborée méditerranéenne, la dehesa. Comme un compromis entre la nature et l’homme, immémorial, sur fond de chênes verts, d’oliviers sauvages, de genêts, d’arbousiers et de troupeaux. C’est aussi le pays des oiseaux. Des grandes outardes. Des vautours fauves, moines, percnoptères. Des grues. Des oies. Des canards. L’Éstrémadure est si pauvre que les bureaucrates madrilènes l’ont laissée en paix, tout occupés qu’ils étaient à ronger les côtes sublimes du pays.

Fini. Le gouvernement vient de décider une série de mesures scélérates au dernier degré. La plus extravagante est peut-être le cadeau fait à une transnationale étasunienne, Florida Power and Light (ici), qui pourra construire deux usines solaires cette année à Casas de Hito, en Estrémadure. 600 millions d’euros d’investissement – on ne sait rien d’autres arrangements éventuels, qui peuvent se produire néanmoins – et 100 emplois à la clé. 100 emplois en échange d’un paradis des oiseaux. En 2007, on a dénombré à Casas de Hito 11 325 grues. Et sept espèces d’oies, et 140 000 canards hivernant à trois kilomètres, sur le lac de barrage de Sierra Brava. Je dois vous avouer que je n’ai pas regardé de près les dangers que feront peser sur les oiseaux sauvages ces installations. Et vous renvoie à une pétition des naturalistes espagnols de SEO (ici). Ils sont déprimés. Moi aussi.

D’autres projets simplement criminels menacent l’Estrémadure. Une raffinerie de pétrole à Tierra de Barros, des centrales électriques, des parcs éoliens lancés dans des conditions douteuses de légalité, et qui sont apparemment dangereux pour des oiseaux comme les vautours. Lesquels sont magnifiques, à la différence de ceux qui traînent dans les bureaux des promoteurs d’Ibérie comme de France.

Je vois bien que naît sous nos yeux encore ébahis un capitalisme vert censé nous clouer le bec. Si vous avez le moindre doute, jetez un œil ici, je crois que nous nous comprendrons. Eh bien ? Au risque flagrant de me répéter, il n’est pas question de considérer ces gens-là, qui incluent évidemment nos socialistes comme de vagues cousins un (long) temps égarés. Ce sont des adversaires. Ce sont des ennemis. Et je vous jure que je les exècre. Zapatero, Zapatera, toutes ces camarillas, tous ces sbires, tous ces fifres et sous-fifres, tous ces petits marquis, ces Dray, Mélenchon, Royal, Hollande, Fabius, Weber, Bartolone, Aubry, Rebsamen, Le Guen, Hamon, Delanoé, Désir, Bloche, ad nauseam. J’ai pris le parti des oiseaux et du vol libre au-dessus des cimes, celui des migrations, celui de Nils Holgersson, celui de la beauté. J’ai pris le parti du soleil, de la lune, de la pluie et des arbres. Et ce n’est pas le leur.

Au sujet de madame Kosciusko-Morizet (et d’Yves Paccalet)

Me voilà empêtré dans mes propres proclamations. Quand j’ai commencé Planète sans visa, en août 2007, absurdement encouragé par mon cher Alban, j’ai commis une déclaration d’intention. Laquelle disait, au détour d’un paragraphe : « Ce site parlera donc de la crise écologique, à ma manière. Sans concessions, sans inutiles précautions, sans vain respect pour les hommes et les institutions qui ne le méritent pas. S’il doit avoir un sens, ce sera celui d’écrire librement ». Librement ! Madonne, pourquoi ce librement ? Je me sens depuis tenu, ce qui est un comble à propos de ce noble adverbe. Mais tant pis, c’est trop tard.

Je connais Yves Paccalet depuis une vingtaine d’années. Cet écrivain, naturaliste et voyageur, a accompagné Cousteau dans nombre de ses missions, et cosigné avec lui plusieurs livres. À partir de 1994, et pendant plusieurs années, j’ai fait avec lui ce que Terre Sauvage, magazine pour lequel nous travaillions, appelait des Sentiers Sauvages. Chaque mois, nous marchions sur des chemins, de traverse et de beauté le plus souvent, et nous racontions cela aux lecteurs. Yves réalisait un Carnet du naturaliste, à partir d’une longue balade, et moi je faisais trois autres marches en solitaire, dans la même région. C’était un bonheur incroyable, autant qu’insolent.

J’ai donc bien connu Yves Paccalet, et même si je suis loin d’avoir été d’accord avec lui sur tel ou tel événement de sa vie publique, je lui ai constamment conservé mon estime. Il est un écologiste, bien que conseiller régional Europe-Écologie. Il est un formidable amoureux de la nature, et un authentique pédagogue. À ces titres, il a beaucoup fait pour notre cause commune, ce qui suffirait comme éloge. Mais j’ajoute que ce que j’ai pu voir de l’homme privé me le rend proche. Sera-ce assez pour me faire pardonner ? Espérons toujours.

Je viens de lire un désastreux papier, par lui signé, sur le site du Nouvel Observateur (ici). Disons qu’il s’agit d’un hymne amoureux à l’endroit de madame Kosciusko-Morizet, ci-devant ministre de l’Écologie, devenue ces derniers jours porte-parole du candidat Sarkozy. Franchement ! Que dit Paccalet ? Qu’elle est intelligente, qualificatif répété à deux reprises dans un panégyrique qui reste court. Intelligente, et fine : ce deuxième terme se rapporte-t-il encore à l’esprit ou au corps ? Si je m’autorise cette question, c’est évidemment parce que Paccalet  provoque le doute, évoquant même les talons hauts de son idole. Je le cite : « Je l’avoue : j’aurais aimé (j’en ai l’âge, hélas !) avoir une fille de la stature de Nathalie Kosciusko-Morizet. Brillante polytechnicienne et subtile dialecticienne ».

Mazette ! elle lui a vraiment tapé dans l’œil. Cela, c’est bien son droit, après tout. Seulement, le dérapage est là, et bien là. Paccalet ne se rend apparemment pas compte de l’effet désastreux du rapprochement – lequel figure dans son texte – entre la Légion d’Honneur que lui a remise personnellement madame la porte-parole, et son jugement délirant. Commençons par la « preuve » d’intelligence de la dame, telle que rapportée par Paccalet. Je n’ai pour ma part vu que deux choses. Un, elle est polytechnicienne. Dieu du ciel ! quelle blague. Deux, « elle sait de quoi elle parle, et elle le formule avec conviction. Elle connaît ses sujets : climat, énergie, eau, pollutions, agriculture, OGM ou biodiversité ».  Ce qui est le minimum pour un responsable public semble donc à Paccalet un exploit intellectuel. Bah ! Le pire est que ce n’est même pas vrai. Elle connaît mieux les questions qu’un Borloo, qui s’en tapait ouvertement. Mais cela ne signifie pas qu’elle savait. Car, je vais vous dire, si elle « aurait su, elle aurait pas venu », pour reprendre l’expression du Petit Gibus. Si elle avait compris les enjeux de la crise écologique, elle n’aurait certes pas accepté de servir une telle politique.

Non, Yves, elle ne « connaissait » pas ses sujets. Mais continuons. Paccalet écrit sans hésiter cette énormité : « Elle incarna une droite sincèrement préoccupée d’éviter le désastre climatique, la pollution de l’air et des eaux, ou encore le saccage des forêts et des mers ». Mais où ? Mais quand ? Où sont les actes ? Où sont même les vraies paroles, celles qui engagent ? Et où sont donc les résultats ? Nous voilà entré dans le vaste domaine, mal éclairé, de la désinformation. Et ce n’est pas fini. Madame l’ancienne ministre de l’Écologie – Paccalet devient psy – défendrait désormais, depuis qu’elle est le porte-parole de Sarkozy, « des positions idéologiques et politiques qu’elle ne partage pas, voire qu’elle déteste ». Ce qu’elle doit souffrir, la malheureuse ! D’autant que la voilà « contrainte d’ânonner des textes de Claude Guéant tout juste démarqués de ceux du Front national…». C’est simplement ridicule. Madame Kosciusko-Morizet, victime d’un odieux guet-apens, serait obligée de répéter ce que ses geôliers l’obligent à dire. Mais que fait donc la police, Yves ?

En excellente logique, constatant à quelle point l’héroïne est une pure écologiste, Paccalet lui suggère de quitter l’UMP et de rejoindre Europe-Écologie, dont les rangs sont « accueillants ». Je manque peut-être d’humour, mais je prends le propos au premier degré. Et je me dis à moi-même : comment une telle confusion est-elle possible ? Ma réponse, sans m’attarder sur des considérations psychologisantes pourtant évidentes, c’est que ce texte d’amoureux transi renvoie à l’indigence du mouvement écologiste officiel. Politique, en la circonstance. Europe-Écologie ne se contente pas d’être dirigée par des apparatchiks définitifs comme Jean-Vincent Placé. Ce mouvement est aussi représenté, et massivement, par des gens capables de confondre en pleine lumière une paille et une poutre. Capable de propulser comme candidate à la présidentielle une femme – respectable, aucun doute – qui hésitait il y a seulement deux ans à rejoindre Bayrou, et qui apprend en ce moment deux phrases et trois mots d’écologie dans le dictionnaire. Non, il y a comme de l’abus.

Madame Kosciusko-Morizet est une banale politicienne. Obsédée par son image et sa carrière. En 2005, elle se laisse photographier dans son jardin de banlieue en robe légère, jouant de la harpe. En 2007, elle lance la grande entourloupe du Grenelle de l’Environnement, qui lui aura permis d’avancer ses pions et de crédibiliser la fable d’un Sarkozy écologiste. Hé, Yves, que reste-t-il de cette fameuse « révolution écologique » dont vous parliez tant à l’époque, toi et tes amis ? En 2008, elle censure sans état d’âme le livre pourtant achevé de son mari, intitulé : Où c kon va com ça ? J’ai raconté dans mon livre Qui a tué l’écologie ? cette scène surréelle où la ministre, en son ministère, reçoit l’éditeur de son époux, tournant les pages du manuscrit, et répétant en boucle : « ça, c’est subversif ! ça c’est subversif ! ». Entendez, bien entendu, gênant pour la carrière de l’épouse.

Je poursuis. Entre le printemps 2010 et novembre de la même année, date d’un remaniement ministériel, la belle amie de Paccalet aura visité tous les chefs militaires de la France. Pourquoi ? Parce qu’elle faisait le siège de Sarkozy en vue de devenir ministre de la Défense. Et pourquoi ? Mais évidemment pour la raison, qu’elle a exprimé en toutes lettres dans un livre, qu’elle vise la présidence de la République, en 2017 ou 2022. Un ministère régalien lui apparaissait comme le meilleur moyen d’avancer dans cette direction. L’écologie, Yves ? Mais elle s’en fout évidemment. Ce qui compte, et qui ne le voit en dehors de toi et quelques autres enivrés ? c’est sa seule personne. Voyons !

Ayant été bien long, je conclus rapidement. Elle vient donc de lâcher le ministère et défend en toute conscience les mots de son maître. Reconnaissons que, si elle avait dû dire le contraire, elle n’aurait pas hésité davantage. Sachez du moins qu’elle a laissé derrière elle ce qui ressemblera sous peu à des champs de ruine. Primo, le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) est sur le point d’être supprimé, et sur ses ordres. Cet organisme créé en 1946, consultatif, mais où les vrais protecteurs de la nature pouvaient à l’occasion être majoritaires, va être fondu dans un grand machin-chose où les lobbies industriels, la FNSEA, les chasseurs et les services d’État seront très largement les plus nombreux. In memoriam.  Deuzio, l’Agence pour la maîtrise de l’énergie (Ademe) est en passe de se retrouver, par la magie d’un décret, sous la coupe des préfets de région. Si cela se produit, inutile de faire un dessin. Les énergies renouvelables et la lutte contre la gabegie énergétique, polope !

Ces deux régressions claires, sans appel, ont été préparées sous le règne « écologiste » de la polytechnicienne si chère au cœur d’Yves Paccalet. Je dois avouer pour ma part, insensible au charme de madame Kosciusko-Morizet, que je la tiens pour l’une des plus redoutables adversaires du combat écologiste. Le vrai, pas son simulacre.