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Décadence au programme (Lauvergeon à Libération)

Est-ce que le nom de Flavius Romulus Augustus vous dit quelque chose ? Romulus Augustule, de son nom francisé, fut le dernier empereur romain. Pendant des siècles, Rome parut la puissance majeure du monde connu par nos lointains ancêtres. Et puis le désastre, étendu sur des dizaines d’années au moins. Le recrutement massif de mercenaires « barbares » pour tenir lieu de fières Légions autochtones, des défaites et massacres, le sac de Rome à trois reprises, et puis la fin. Ce que l’historien britannique Edward Gibbon décrivit dans son célébrissime essai L’Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, paru entre 1776 et 1788.

Au total, tout a une fin. L’histoire de Rome, terminée dans sa phase impériale en l’an 476 de notre ère – date de l’abdication de Romulus Augustule – aura duré environ douze siècles. C’est beaucoup. L’empire industriel auquel nous nous sommes soumis ne tiendra pas aussi longtemps. Même si beaucoup refusent de voir, ce qui est l’habitude générale, les signaux de la décadence sont pourtant innombrables. J’ai appris dans la nuit, et par hasard, un fait certes minuscule, mais qui dit à quel point de sénescence nous sommes.

De quoi s’agit-il ? De la nomination de madame Anne Lauvergeon à la tête du conseil de surveillance du journal Libération (ici). C’est effarant. Lauvergeon, de gauche à la sauce Mittterrand, dont elle fut une très proche conseillère, a dans la suite été une patronne. D’abord à la banque Lazard frères, spécialisée dans ces fusions-acquisitions qui sont la marque de fabrique du capitalisme le plus actuel. Dégraissage, chômage de masse, stock-options, destruction de la nature. Elle a ensuite rejoint Alcatel, fier symbole de la dérégulation générale des activités économiques planétaires.

Mais c’est comme grand Manitou du nucléaire français qu’elle est réellement connue, et ce sera pour longtemps. En 1999, un certain Dominique Strauss-Kahn la nomme PDG du groupe Cogema. Lauvergeon annonce sans rire, et comme un bandeau publicitaire collé en travers du corps : « Nous n’avons rien à vous cacher ». Cette phrase est textuelle, je n’aurais osé l’inventer. En 2001, elle crée Areva, dont elle prend la tête. Sarkozy vient de l’en éjecter il y a quelques jours. Mais pendant douze années, Lauvergeon aura incarné le nucléaire, de gauche comme il se doit. Ingénieur des Mines, elle a poussé une irresponsabilité abyssale jusqu’à lancer le nouveau réacteur nucléaire EPR, qui est un désastre financier et bien entendu une menace atroce. Sans état d’âme, elle a vendu du nucléaire à qui voulait bien en acheter. Sans tenir compte – il n’y a pas marqué La Poste sur son front – le moins qu’il fût de la stabilité politique des clients ni des risques de dissémination de savoir-faire technique dans un monde chaque jour plus dangereux.

En bref, cette femme est une ennemie. Pas un adversaire. Je connais le sens des mots. Elle est une ennemie, car aucun compromis n’est envisageable avec ce genre d’ego boursouflé par la puissance perpétuelle. Elle est du monde de la mort, malgré toutes les apparences qu’on voudra bien lui donner. Et voilà donc que le journal Libération, laissant là le peu d’honneur qui lui restait, va donc la nommer à la tête de son conseil de surveillance. Je rappelle que Libé est mort depuis des lustres et que son propriétaire, Édouard de Rothschild, est banquier d’affaires, comme le fut Lauvergeon. En somme, on s’aime. Entre soi. Et contre tous les autres.

Décadence, donc. Oui, et nous n’avons pas touché le fond. Un sursaut est-il en l’occurrence possible ? L’année de Fukushima, un seul trouverait grâce à mes yeux : une démission collective de l’équipe du journal, emmenée par Nicolas Demorand, le directeur de la rédaction. N’est-il pas de gauche ? Mais n’est-il pas de gauche comme l’a été et le reste probablement Anne Lauvergeon ? Tous les empires, aussi picrocholins qu’ils paraissent, sont mortels. C’est presque le titre (Tout empire périra) d’un livre de Jean-Baptiste Duroselle, que j’ai lu il y a une trentaine d’années. Quand Libération était. Le temps passe.

Ce qui est insupportable au WWF (sin límites)

On peut en rigoler – sait-on jamais -, mais ce qui suit est une page de l’histoire du mouvement écologiste mondial, même s’il faut pour l’occasion utiliser de pesants guillemets. Vous n’êtes pas obligé de lire, mais ne venez pas vous plaindre plus tard que vous n’étiez pas au courant. Car ce qui suit est une vérité en marche, qui cherche encore son chemin, et qui le trouvera si vous agissez vous-même. Un grand merci à Christian Berdot pour son irremplaçable coup de main.

On peut prendre cela pour une pub. Mais comme elle serait en faveur du site Arrêt sur images, de Daniel Schneidermann, excellent à mes yeux même quand on n’y parle pas de moi,  je crois que l’on peut aussi parler d’information. Voici ce que je découvre ce jour, et que je vous donne à lire (l’original est ici). Mais avant cela, un ajout dont ne parle pas Arrêt sur images, ce qui est très dommage. Dans le film de la télé allemande ARD sur le véritable WWF, le reporter interroge l’Argentin Jorge Rulli. Un homme valeureux, dont je connais le travail, et qui a perdu un oeil et un rein sous les tortures de la junte militaire fasciste qui a régné là-bas entre 1976 et 1983.

Commentaire de la télé allemande  :  « Le Prince Bernhard [le premier président du WWF] créa aussi le « Club des 1001 », une sorte de comité de soutien au WWF. Parmi les membres, on  trouve de grands entrepreneurs comme Henry Ford, Friedrich Flick ou Giovanni Agnelli ; ou aussi des terroristes d’État, comme Mobutu Sese Seko, le dictateur du Zaïre ; ou bien José Martinez de Hoz, numéro deux de la dictature militaire argentine, grand propriétaire foncier, grand chasseur d’animaux sauvages, fondateur du WWF-Argentine. En tant que ministre de l’économie, Martinez de Hoz ouvrit son pays à l’agrobusiness international ».

A la recherche de pistes à Buenos Aires. Nous avons rendez-vous sur la Place San Martin, avec Jorge Rulli. Il a combattu 5 ans contre la dictature militaire. Il a perdu sous la torture, un œil et un rein. Dans l’immeuble vit son ennemi juré d’alors, José Martinez de Hoz. Il est en résidence surveillée pour crimes contre l’humanité. De l’autre côté de la place, se trouve l’immeuble de Monsanto, la plus grande entreprise de biotechnologies au monde ; pour Jorge Rulli, le dirigeant secret de l’Argentine.

Jorge Rulli : « Monsanto et le WWF sont les deux bras d’un seul et même corps. Un bras, Monsanto, a imposé en Argentine son modèle de production dans le pays. L’autre bras, le WWF, essaye de rendre ce modèle présentable en société. Il veut nous convaincre que le soja GM est bon et qu’on peut même le produire de manière durable. Le WWF fait en sorte que nous et l’opinion publique en Europe acceptions le soja de Monsanto. » Fin du texte allemand.

Je reprends la parole. Ceux qui défendent la politique mondiale du WWF devront tôt ou tard s’expliquer devant un jury d’honneur. J’en lance l’idée avec solennité. Ou c’est vrai, et nous devons tourner le dos à la canaille. Ou c’est faux, et les diffamateurs doivent être traînés devant un tribunal. Ou, ou. Il n’est pas de troisième terme à l’alternative. J’ai moi-même écrit des choses gravissimes dans Qui a tué l’écologie ?, sans provoquer le moindre début de réponse. N’est-ce pas, je vous prends à témoins, une forme évidente d’aveu ?

J’ajoute un autre extrait du documentaire allemand. Citation de l’Américain Jason Clay, responsable premier du WWF au plan international, qui est au centre des relations entre l’industrie transnationale et cette association prétendument écologiste : « Nous devons geler l’empreinte écologique de l’agriculture. Pour cela, nous proposons 7 ou 8 mesures que nous devrions discuter. Premièrement : les biotechnologies. Nous devons produire plus, avec moins de moyens. Les manipulations génétiques ne doivent pas se limiter aux céréales que nous devons replanter chaque année. Nous devons les utiliser aussi avec les fruits tropicaux mais aussi avec les plantes à tubercules et les plantes à racines. Ces fruits doivent produire plus de calories à l’hectare. Nous devons décider : quels aliments sont nécessaire et où. Il faut au moins 15 ans pour qu’un procédé génétique atteigne le marché. Si on calcule à partir d’aujourd’hui, c’est en 2015. La pendule tourne, le temps presse. »

C’est grave ? C’est dramatique. Et maintenant, lisons ensemble le papier d’Arrêt sur images.

 L’ARTICLE D’ARRÊT SUR IMAGES

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17h01 lu

« Pacte avec le Panda », le film allemand qui égratigne le WWF
Par la rédaction le 06/07/2011

Rien ne va vraiment plus au WWF. Au moment-même où des salariés de WWF France réclament le départ du directeur général de l’ONG, un reportage de la télévision allemande ARD mettant gravement en cause l’association (internationale, et pas seulement son antenne française) connaît une deuxième vie sur internet. Diffusé le 22 juin dernier, le documentaire tente de démontrer qu’il y aurait un décalage entre le discours de l’association et la réalité de son action sur le terrain.

« Le pacte avec le Panda – que cache le WWF ? » C’est le titre du documentaire diffusé sur l’ARD (et actuellement disponible sur Youtube en allemand). Pendant un an, l’auteur du documentaire Wilfried Huismann est allé sur le terrain pour vérifier l’action du WWF. Et le résultat de son travail n’est passé inaperçu en Allemagne (le journal Süddeutsche Zeitung en a fait un long compte-rendu). En France, il faut chercher sur internet pour trouver des retours sur ce film : sur le blog de Fabrice Nicolino (qui a lancé l’alerte sur les gaz de schiste) ou sur Agoravox et Alterinfo.

Que montre de documentaire ? D’abord que l’association donnerait un peu trop facilement des « certificats de développement durable » à des entreprises douteuses. « Le WWF semble travailler avec des entreprises de génie génétique comme le géant Monsanto, ou la multinationale Wilmar et cautionne ces dernières en assurant qu’elles produisent respectivement du soja et de l’huile de palme durables », selon le journal Süddeutsche Zeitung.

Deuxième reproche du documentaire : il y aurait un décalage entre les engagements de l’association et ce qui est effectivement fait sur le terrain. « Exemple en Indonésie : le WWF fait des collectes pour l’orang-outan de Bornéo, espèce menacée. Sur place, l’équipe de télé de la première chaîne allemande (ARD) ne trouve aucun projet de protection du WWF, en faveur des orang-outans. Au contraire, le WWF coopère avec une grosse entreprise qui détruit les dernières forêts de Bornéo pour mettre en place des plantations de palmiers à huile, ce qui est fatal aux orang-outans », indique le résumé publié sur le blog de Nicolino.Dans une logique de recherche de fonds, l’ONG n’hésiterait pas à se compromettre, comme l’a relevé Agoravox qui cite la voix off du documentaire : « Le WWF a toujours été proche des milieux financiers. (…) En 1967, des milliers d’oiseaux de mer sont morts, suite à un accident de tanker sur les côtes françaises. La direction du WWF a alors interdit toute critique. Raison invoquée : «Cela pourrait mettre en danger les fonds que nous recevons de l’industrie.» »

WWF sur Agoravox

Les réponses apportées par WWF

Face à ces critiques, le WWF a répondu point par point sur son site. D’abord, sur ses liens avec des entreprise de génie génétique : « Le WWF ne coopère avec aucun groupe actif dans le génie génétique, Monsanto compris. Le WWF est en revanche membre de la Table ronde pour un soja responsable (RTRS), un forum ouvert auquel tous les acteurs de la chaîne de production du soja peuvent participer, du petit agriculteur au grand groupe d’entreprises. Monsanto en fait également partie. Ce n’est pas pour autant que le WWF collabore avec Monsanto ».

A propos de l’huile de palme, l’ONG reconnaît avoir « formé gratuitement des collaborateurs de certaines sociétés productrices d’huile de palme (…) [mais afin] d’analyser et d’identifier les zones forestières précieuses dans le but d’empêcher la déforestation ». Elle semble tout de même entretenir des relations étroites avec les producteurs de cette industrie, puisque l’association confirme qu’elle « a créé la Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO) en 2004 avec des entreprises du secteur de l’huile de palme, des entreprises de l’industrie alimentaire et des banques, dans le but de rendre la production d’huile de palme plus durable ».

La réponse du WWF France

S’agissant de la protection des orang-outans de Bornéo, le WWF assure qu’il n’a pas accepté d’accorder une certification durable à une plantation au détriment d’une réserve d’orang-outans. « La plantation PT Rimba Hararpan Sakti montrée dans le film n’est pas encore certifiée et ne peut donc de ce fait pas être qualifiée de durable, indique le site. Une surface de seulement 0,5% de forêt vierge serait parfaitement insuffisante en vue d’une certification ». L’association reconnaît tout de même qu’il est bien prévu « de faire certifier la plantation (…). Le projet prévoit une protection d’environ 4000 (et non 80!) hectares, soit environ un tiers de la superficie totale de la plantation ».

Enfin, sur les liens étroits entre les industriels et l’ONG, le WWF assume : « Les entreprises dominent les affaires. Sans leur implication, nous n’atteindrons jamais notre objectif qui est de préserver les habitats menacés, tant pour l’homme que pour la nature. C’est la raison pour laquelle nous essayons d’influencer positivement les entreprises par des discussions et des partenariats. ».

L’occasion de revoir notre émission ligne j@une dans laquelle Fabrice Nicolino contestait l’action de grandes ONG comme WWF.

La caste se rebiffe (au sujet de DSK)

Badinter ! Silence dans les rangs. Total respect. Abolition de la peine de mort. Bon, je ne joue pas le jeu une seule seconde. Sur Inter ce matin, Robert Badinter se dit « bouleversé et indigné » par cette « mise à mort médiatique volontaire » de DSK, qui est son ami. Et il ajoute : « Pourquoi n’a-t-il pas été mis en liberté sous caution? Parce qu’il est Français ? Parce qu’il dirige le FMI? ». Je me contenterai d’un mot : Badinter n’est pas que l’icône que l’on sait. Il aura consacré une bonne part de sa vie professionnelle à défendre, comme avocat d’affaires, de grands ou plus petits capitalistes. Pas de malentendu ! Je défends évidemment le principe que tout homme, fût-il le pire, doit pouvoir se défendre dans des conditions dignes, et choisir pour cela un avocat de qualité.

Simplement, il faut raconter les histoires jusqu’au bout. Badinter a défendu des hommes comme Marcel Boussac, le baron Empain, l’Aga Khan, ou encore Hubert Flahaut, directeur de la société Givaudan, productrice du talc Morhange (200 enfants morts, plongés dans le coma ou victimes de séquelles neurologiques). Encore une fois, un tel métier est nécessaire, essentiel même. Mais ne rapproche-t-il pas spontanément d’un DSK, lui-même avocat d’affaires une vingtaine d’années plus tard ? Et que dire à ce compte de l’épouse féministe de Robert Badinter, Élisabeth, grand héritière de l’empire Publicis et présidente de son conseil de surveillance ? Ne semble-t-elle pas très proche, socialement, culturellement – et politiquement – d’Anne Sinclair, épouse de DSK et grande fortune elle-même ?

Autre élément que vous connaissez aujourd’hui forcément : l’affaire Banon. Dans l’émission « 93, Faubourg Saint-Honoré », diffusée en 2007 sur Paris Première (ici), Tristane Banon raconte comment DSK l’aurait agressée sexuellement. À l’heure où j’écris, il n’y a aucune plainte, et nul ne peut en toute certitude se prononcer sur le fond. Mais. Mais il y a le reste, qui est considérable. Regardez si vous avez le temps ce bout de film. Autour de la table de Thierry Ardisson, il y a Jacques Séguéla, Thierry Saussez, Jean-Michel Aphatie, Roger Hanin, Gérald Dahan, Claude Askolovitch et Hedwige Chevrillon. Je n’ai pas même le goût de tous vous les présenter. Notez cependant qu’il y a là deux des plus « grands » pubeux de Paris, qui tutoient tous les grands chefs de la politique. Ils appartiennent aujourd’hui à la Sarkozie, corps, âme et porte-monnaie inclus.Il y a là également le beauf de Mitterrand, qui connaît la moitié du microcosme. Il y a là deux des principaux journalistes politiques de la place. Le très ambitieux Claude Askolovitch d’une part, et Jean-Michel Aphatie de l’autre.

Réunis, ces êtres peuvent en une heure ou moins sonner le tocsin d’une manière telle que toute la France sorte sur le pas de sa porte. Or, rien. Ou plutôt, écoutez la réaction dominante. Nul ne vole au secours de DSK. Ardisson confirme qu’il sait, et les autres, en ne s’indignant de rien, démontrent qu’ils en ont aussi entendu parler. Mais surtout, je pense aux rires gras qui se font entendre. Je n’ai pas souhaité regarder de près, et je n’accuserai personne en particulier. Le seul qui se marre ouvertement, c’est Ardisson. Pour les autres et dans le détail, je ne sais. Tel ou tel s’est peut-être tu, accablé. Cela reste possible. Ce qui est certain, c’est qu’aucun n’a bougé ensuite. Aucun. Pas la moindre enquête, pas la moindre suite.

Réfléchissons ensemble, car c’est réellement dramatique. Ou Tristane Banon ment, et il faut organiser la défense démocratique d’un homme politique injustement accusé. Ou elle dit vrai, et la responsabilité morale de ces grands personnages devrait les mener plus loin, ne serait-ce que pour informer la nation qu’elle pourrait, un jour, avoir comme président de la République un prédateur sexuel. Mais rien de tout cela. On se marre un bon coup. Et on passe au rendez-vous suivant. C’était la rubrique « Un pour tous, tous pour un ». Une histoire d’Ancien Régime. Une histoire de caste, qui sera détruite tôt ou tard, de gré ou de force. Tel est en tout cas mon espoir le plus véridique.

Éric Zemmour est-il un trou du cul (sur les gaz de schistes) ?

Il n’est pas exclu que vous ne connaissiez pas Éric Zemmour. Si. Mais ce n’est pas moi qui pourrais, dans ce cas, bien vous le présenter. Je n’ai pas de télé. Or, c’est visiblement un héros fabriqué par cette si jolie lucarne dans laquelle un peuple se sera suicidé. N’exagérons rien quand même : il m’est arrivé, sur mon ordinateur, de le voir blablater dans des émissions de Laurent Ruquier, en compagnie d’un homme qu’il m’arriva d’estimer jadis, Éric Naulleau.

Par précaution, je vous renvoie à l’inévitable page Wikipédia concernant Zemmour (ici). C’est un écrivant et journaliste de droite, qui se croit provocateur quand il n’est guère que client perpétuel au café du Commerce. Le monde est désormais si ennuyeux, si vain, si vide du moindre relief intellectuel que le premier qui rote est admiré comme un phare de la pensée la plus exquise. Zemmour n’aime pas les homos, ne considère les femmes que si elles se soumettent à son si puissant pouvoir masculin, et veut supprimer ce qui, dans la loi, condamne le racisme comme un délit. Il est magnifique.

Mais n’est-il pas, au détour de quelque envolée, également un trou du cul ? Ce sera ma question du jour. Je viens de l’écouter sur RTL, où il dispose d’une petite tribune quotidienne (ici). Sujet abordé le 27 avril 2011 : les gaz de schistes. Bien entendu, Zemmour ignore absolument tout du sujet. Pendant les deux premières minutes – sur un peu plus de trois -, il lit consciencieusement ce qu’il aura recopié ailleurs. C’est à peu près exact, à quelques sérieuses réserves près.

C’est ensuite que notre grand homme de poche se souvient qu’il est un rebelle, un opposant courageux à la pensée unique, celle de la gauche, croit-on deviner. Celle des écologistes, qui est la même, croit-on entrevoir. Et c’est à ce moment un festival, d’où il ressort que la mobilisation contre les gaz de schistes est un « refus de la science », que c’est « l’idée même du Progrès qui est rejetée, et la Science ostracisée ». Je dois convenir que les capitales à science et progrès sont de mon seul fait, car Zemmour, rappelons-le, se contente de lire un texte. Mais enfin, je crois que les majuscules y sont.

Ensuite ? La France « fut jadis ce pays de la Raison, qui adulait Pasteur et Marie Curie, qui avait inventé la montgolfière, l’avion et l’automobile. Mais c’était il y a fort longtemps ». J’ajoute que l’on voit Zemmour dans les locaux de RTL et que sa tête ne laisse place à aucun doute. Un, il envoie des mimiques à l’animateur, pour lui signifier apparemment combien ce qu’il va dire le navre. Deux, tout le reste de ses mouvements faciaux me paraît montrer qu’il prend un pied géant au cours de sa (trop) courte péroraison.

Que vous dire d’autre ? Zemmour est désormais la mascotte de la droite de l’UMP, qui voit en lui un couillu susceptible de montrer à l’électorat qu’elle en a bel et bien, malgré les apparences. Voilà donc où nous en sommes. Zemmour pourrait aisément servir de point zéro à partir duquel calculer les oscillations de la non-pensée. Cette non-pensée qui sert de discours, c’est indiscutable, à des millions des nôtres.

Est-il un trou du cul ? Je me rends compte que je n’ai pas fourni la réponse. Peut-être la trouverez-vous sans moi ? Cela ne me semble pas hors de portée.

Sur mon livre, sur la télé, sur les gaz de schistes

Pause, et nouvelles de mon livre Qui a tué l’écologie ? Il se vend. Il a été réimprimé. J’ai enregistré une heure de l’émission Ligne Jaune, produite par le site de Daniel Schneiderman, Arrêt sur image. Étaient présentes, côté invités, deux personnes que j’apprécie, la sénatrice d’Europe-Écologie Marie-Christine Blandin, et la porte-parole du réseau Sortir du Nucléaire, Charlotte Mijeon. Ceux que j’attaque durement dans mon livre – le WWF, Greenpeace, la fondation Nicolas Hulot et France Nature Environnement (FNE) – ont tous refusé de débattre avec moi. C’est étrange, mais c’est logique. Ils espèrent que tout rentrera bientôt dans l’ordre, et que mon livre sera oublié. Peut-être ont-ils raison, peut-être tort. On verra bien. Un mot sur Guy Birenbaum, maître de séance. Comme pour mon livre précédent, Bidoche, il a été un hôte parfait.

Ensuite, j’ai filé au Fouquet’s. Oui. Moi. Là où Sarkozy a fêté son élection. Je devais participer à un débat sur des télés du Net – Terre tv et Néoplanète -, en face de Teddy Follenfant, défenseur de ce que je pourfends le plus : le « développement durable ». Ce qui est fâcheux en la circonstance : Teddy Follenfant m’est très sympathique. Je ne partage absolument pas son point de vue, mais il m’est sacrément sympathique. Où étions-nous ? Salon James Joyce. Je le jure. James Joyce.

Demain, je suis auditionné par l’Assemblée nationale au sujet des gaz de schistes. Je dirai ce que je sais. La mainmise des ingénieurs des Mines sur ce dossier clé, et la proximité de Nicolas Sarkozy, à travers ses grands amis Paul Desmarais et Albert Frère. Le soir, vers 23 heures, je dois passer en direct dans l’émission de Frédéric Taddéi, Ce soir ou jamais, sur France 3. Chaque jour suffit sa peine. Je me couche.

 PS : on trouvera ci-dessous une recension de mon livre signée Bernard Langlois. Je me suis énormément engueulé avec lui lorsque je travaillais pour Politis, dont il est le principal fondateur. Le temps a passé. Et je suis très heureux des mots qui suivent. Qu’il sache – et il le sait – que je l’en remercie vivement.

mardi 29 mars 2011 à 11:53

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Il y a écolos …

par Bernard Langlois

… et écolos !

Dans un récent billet, le talentueux Yéti en appelle à l’union du Front de gauche et d’Europe-Ecologie-Les-Verts (dont on note au passage, concernant ces derniers, qu’ils n’ont pas même été capables de se mettre d’accord sur une raison sociale, ce qui donne cet alliage patronymique ridicule …), union qui en ferait, selon lui et l’analyse qu’il fait des résultats des dernières cantonales, la deuxième force politique juste derrière le PS et avant le FN et l’UMP.

Ce qui n’est pour le moment qu’un vœu pieux (et probablement destiné à le rester) suppose plus d’accointances qu’il n’en existe entre les deux formations (qui sont aussi déjà deux alliances) et le Yéti a l’œcuménisme généreux. Je ne lui en veut pas : j’ai cru aussi assez longtemps que ce genre de choses était possible, on appelait ça « la belle alliance » : rouge-rose-verte.

Je n’y crois plus. Car entre un PCF resté très largement productiviste (et nucléariste), le très républicain et anti-européen [1] Parti de Gauche, et le magma écologiste cornaqué par Cohn-Bendit, où les européistes les plus ardents côtoient des alter-mondialistes convaincus, et qui se rallierait volontiers à une candidature de Nicolas Hulot, lequel accommode sans vergogne ses opinions écologistes à une sauce capitaliste et libérale au sein de sa fondation, — entre tous ces gens-là, cher Yéti, il y a tout de même un peu trop de différences pour que le plat soit goûteux.

Du reste, comme tu sais, les militants verts vraiment de gauche ont déjà rallié Mélenchon, derrière Martine Billard, devenu la vice-présidente du PG.

Il y a en effet écolos et écolos.

Deux livres récents en témoignent :

D’abord (par ordre de parution),

— le dernier essai d’Hervé Kempf, l’excellent et radical spécialiste du Monde. Après Comment les Riches détruisent la planète, et Sortez du capitalisme, Kempf creuse son sillon et dénonce cet entre-deux où nous sommes (dans le monde occidental et en France notamment) qui n’est plus la démocratie, si pas encore tout à fait la dictature, et qu’il nomme l’oligarchie (on pourrait aussi bien dire la ploutocratie). Et il décrit trois choix politiques possibles, trois scénarios du futur : « Oligarchique, de gauche productiviste, écologiste. Les deux premiers scénarios sont croissancistes, c’est à dire adhérent à l’idéologie selon laquelle la croissance économique améliore la situation générale. » Cette idéologie-là est une impasse, qu’elle soit de gauche ou de droite et conduit le monde à sa perte. Pour imaginer une troisième voie, Lisez L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie [2] .

Ensuite (il vient juste de sortir) et pour être vraiment déniaisé (et tant pis pour les optimistes, même si l’auteur se croit tenu de conclure par « un cri d’espoir » …) !), il faut lire le petit dernier de Fabrice Nicolino (après Pesticides et Bidoche) où il tire sur tout ce qui bouge et dézingue à peu près tout ce qui a pignon sur la rue Ecologie : Boorlo et affidés bien sûr, et son Grenelle, Hulot et son pacte attrape-tout, les politiques de EELV, évidemment, à qui il ne consacre que quelques lignes cinglantes (« Queue de comète du mouvement de 68, hédonistes petits-bourgeois, indifférent en fait aux peuples du Sud, ce parti n’a aucune chance de nous aider à affronter la crise écologique planétaire. ») , mais, de façon plus surprenante, les grandes associations comme WWF, Greenpeace et France Nature Environnement (FNE), qui comptent certes des militants sincères, mais dont les dirigeants, notabilisés, compromis, parfois même coupables de liens très douteux, lui semblent perdus pour la cause … La marque de fabrique de Nicolino : une enquête fouillée et une plume trempée dans le vitriol. Lisez Qui a tué l’écologie ? [3]

Tout ça étant écrit avant Fukushima …

A votre bonne santé, et vive le printemps qui perce !

Notes

[1] Je sais : le terme est impropre, car on peut être pour une forme d’Europe différente de celle qui nous est imposée par le Marché.

[2] Seuil, 160 p., 14 euros.

[3] LLL, Les Liens qui Libèrent, 297 p. 20, 50 euros.