Archives de catégorie : Journalisme

Et si on s’y mettait ensemble (vers une autre information) ?

Je viens de piquer (ici) un article de l’an passé, que je vous recommande de lire. Je vous avoue que je réfléchis en ce moment à l’éventuelle création d’une structure souple qui permettrait de financer des articles, reportages, enquêtes sur la crise écologique planétaire qui nous frappe si durement. Et qui ne trouvent évidemment pas leur place dans la presse telle qu’elle est. Cela impliquerait – nous en sommes loin – que les internautes français acceptent de contribuer à la « fabrication » d’une information socialement essentielle. Pas de panique ! Ce n’est jamais qu’une idée. Mais derrière elle, il y cette grande vérité que la véritable information a un coût.

Un reportage du New York Times payé par des internautes

SpotUS.JPG

Cette semaine, le New York Times a publié dans sa rubrique Sciences un article un peu particulier : il retrace l’histoire d’un amas de déchets flottant dans l’océan Pacifique. Mais surtout, il est signé par une pigiste… « payée par la foule » dans le cadre d’une initiative inédite.

Les frais engagés par la journaliste Lindsey Hoshaw pour réaliser son reportage lui ont été réglés d’avance non pas par le commanditaire de cet article, le NY Times, mais par des centaines de donateurs, via Spot.Us, qui se définit comme « un projet à but non lucratif visant à être pionnier du journalisme payé par la communauté ». Sur son site Internet, Spot.Us déclare d’ailleurs vouloir permettre au public « de lancer des enquêtes avec des donations déductibles fiscalement, sur des sujets importants et peut-être négligés (sous-entendu par les rédactions classiques) ». A ce jour, le reportage de Lindsey Hoshaw a récolté 6 000 dollars de dons.

Un peu sur le modèle des sites musicaux où les internautes peuvent plébisciter et financer en ligne, et donc permettre aux artistes de se faire produire par des internautes (tels Akamusic.com ou MyMajorCompany), SpotUS propose aux internautes de choisir le sujet d’article (leur story favorite) qui les intéresse le plus, parmi les pitch présentés sur le site, et visiblement postés par des journalistes freelance (équivalent aux journalistes-pigistes ici). Il y a plusieurs tarifs présentés selon le type de reportage prévu (investigation, reportage sur une entreprise). L’internaute qui finance un reportage peut en connaître la progression via le blog du journaliste. C’est donc une sorte de place de marché, où l’internaute peut choisir de financer des sujets de reportages qui l’intéressent, ou qui lui semblent peu traités par les médias.

L’initiative de SpotUS me laisse quelque peu perplexe. Le NY Times surfe ainsi sur la vogue (quelque peu dépassée d’ailleurs) du journalisme participatif (dont je me souviens avoir parlé en 2007). Un site comme Newsassignment.net proposait déjà à sa communauté d’internautes de contribuer à la rédaction d’articles.

Certes, c’est un moyen de financer des reportages aux coûts (déplacements, etc) parfois élevés, surtout pour des journalistes indépendants, qui doivent habituellement avancer les frais avant de les voir (éventuellement) couverts par la rédaction qui publiera leur papier. Qui plus est, cela donne au journaliste le temps d’enquêter en profondeur. Du temps et des moyens, une denrée qui se raréfie d’ailleurs pour les journalistes dans les rédactions.

Le truc étant que le modèle de relation classique entre les rédactions et les journalistes indépendants qu’elles font travailler repose sur une commande, puis une rémunération directe par la rédaction au journaliste. Là, SpotUS se pose en intermédiaire (et prélève une commission ?). Normalement, l’article finalisé est publié sous licence Creative Commons, et donc reexploitable gratuitement par autrui. Là, le NY Times avalise ce modèle en publiant dans ses pages un article commandé et « produit » par SpotUS, et financé par des internautes.

Est-ce que l’on verra un jour ce modèle importé en France ? Où se distinguent déjà des intermédiaires entre rédactions et journalistes indépendants, comme la Nouvelle Agence Centrale de Presse (ACP), qui suscite déjà beaucoup de débats… Et vous, qu’en pensez-vous ?

Mise à jour : Quelques compléments à partir d’infos bien intéressantes que m’ont fait parvenir des internautes (que je remercie :): – Dans la lignée de Spot.US, en France, on trouve le projet Glifpix qui repose sur le même principe. Parmi ses fondateurs, on trouve un ancien rédacteur en chef du Monde, Patrick Jarreau, un transfuge de Mopndadori France, Bertand Paris, Eric Scherer, directeur de la stratégie et des partenariats à l’AFP… – Le photojournaliste Cyril Cavalié (qui vient de publier cet excellent bouquin, dont j’ai parlé ici) m’indique qu’il a eu (et bénéficié de) la même idée : « en début d’année, et le don de quelques internautes des réseaux Facebook, Twitter et Flickr qui connaissaient mon travail, m’avait permis de partir à Washington sans commande pour couvrir l’investiture de Barack Obama ».

Ariane de Rothschild est écologiste (qu’on dit)

Juste se marrer un peu, ce qui changera. Un article du Nouvel Obs, écrit par une journaliste réputée qui ignore tout des réalités de base de ce monde. Je n’ai pas le numéro de série sous la main, mais c’est la semaine du 16 septembre, et du reste, vous pourrez tout lire ici-même. Titre de la joyeuseté : Révolution féminine chez les Rothschild. Ça raconte la vie de famille chez les très riches, avec vue imprenable sur le lac de Genève. Monsieur – Benjamin – reçoit en toute simplicité. Il n’est pas rasé, il est vêtu d’un jeans et de toutes bêtes chaussures de bateau, le torse recouvert d’un polo « siglé de son domaine du Mont d’Arbois, à Megève ». Cet homme de 47 ans, qui emploie 3 000 personnes et gère 130 milliards d’euros d’actifs, est d’un naturel confondant.

Et madame ! Ô madame ! Ariane a 45 ans et un « sourire lumineux ». Forcé, à ce prix-là. Elle parle cinq langues, élève en majesté les quatre filles de l’union, mais reste et demeurera « d’abord une professionnelle de la finance ». Bon, j’arrête les niaiseries. J’avoue avoir cru un bref instant à une parodie quelconque, mais Le Nouvel Obs n’est-il pas une splendide parodie de la première à la dernière page ? Malgré la présence d’une poignée de bons journalistes, dont certains franchement excellents, si. Aussi bien, droit à l’essentiel : Ariane est écologiste. Fatalement. Une personne aussi admirable est bien obligée de l’être. Et cela donne ceci : « Écologiste convaincue, Ariane de Rothschild est à l’initiative – avec le cabinet BeCitizen – d’une gamme de fonds d’investissement ditsd’économie positive”, pour “ renverser la dynamique court-termiste de rentabilité à tout prix” ». Au chapitre de l’économie positive – et écologique -, quoi ? Eh bien,  notamment « des projets de barrage et de chemin de fer au Congo, des cultures de biocarburants au Burkina Faso, des routes au Sénégal ». Et la madame Ariane de préciser : « Mes liens avec l’Afrique, où vit toujours mon père, sont restés forts »

Des barrages. Des biocarburants. Je ne vous ferai pas mon cinq centième cours de base sur l’horreur écologique et humaine que ces entreprises entraînent fatalement.  Ce sera toujours pire que ce que je pourrais en dire. Comment qualifier le crime des biocarburants, qui consistent à changer en carburant des plantes alimentaires, dans un monde d’affamés ? Euh, je sens que ce n’est plus très drôle, navré. Mais voilà où en est la presse. Mais voilà à quel degré d’ignorance – car il s’agit en l’occurrence,  au point de départ en tout cas, d’ignorance sans bornes – sont rendus des journalistes fêtés, primés, reconnus par le milieu et les élites de gauche et de droite. C’est fou. Mais le pire, c’est que c’est vrai.

Statistiques et salopards (sur la faim)

Je ne sais pas. Je ne peux rien garantir. D’ailleurs, il n’y a rien à garantir. Seulement, la FAO, cette agence de l’ONU bureaucratisée jusqu’à l’os, infestée par les grands lobbies industriels, vient de proclamer à la face du monde que les affamés chroniques seraient passés de 1,023 milliard en 2009 à 925 millions en 2010 (ici). Ces chiffres sont absurdes, ils sont à la fois politiques et criminels, bien que repris par la totalité de la presse française. Absurdes, car nous sommes le 15 septembre, et comment oser tirer un bilan de cette nature, foutus bureaucrates, sur moins des trois quarts d’une année ? Criminels, car même s’ils étaient vrais – et ils sont faux -, ils ne pourraient que conduire à démobiliser le peu qui se lève contre cette lèpre universelle. Or, de l’aveu même des crapules – je répète, crapules, de la FAO – cette diminution providentielle apparaît après  quinze années d’augmentation constante.

Tout cela n’est que bluff abject. Savoir qui a faim est une entreprise colossale, qui implique l’envoi de milliers de gens de bonne foi, militants et honnêtes, dans les villages des trous du cul du monde, où personne n’ira jamais. Évidemment, la FAO ne s’appuie que sur des courbes et statistiques, des tableaux qui ne disent rien sur rien. C’est lamentable. Je n’insiste même pas, car mon écœurement est sans bornes. La vraie raison de ce ramdam médiatique est que les bureaucrates qui ont le cul vissé sur leur si confortable fauteuil, Viale delle Terme di Caracalla, au siège romain de la FAO, ont besoin de chiffres pour continuer à jouir de secrétariats, de voitures climatisées avec chauffeurs, de notes de frais arrosées de grappa. La FAO, en sa munificence, a promis de réduire de moitié le nombre des affamés à l’horizon 2015. Les chiffres doivent suivre. Et ils suivront. Parce qu’il le faut bien.

Par ailleurs, je vous laisse lire  le début d’un article de Peuples solidaires ( la suite ici). Il n’y a pas de commentaire.

Kenya : Carburant contre paysans

En janvier 2010, les populations de la région de Malindi sont alertées par des fumées inhabituelles émanant de la forêt de Dakatcha. Elles comprennent que des bulldozers ont commencé à raser les arbres : une entreprise étrangère vient d’obtenir l’accord des autorités pour exploiter 50 000 hectares de terres afin de produire du jatropha, une plante dont l’huile sera utilisée comme carburant. Vingt mille personnes pourraient être déplacées et l’équilibre écologique de la région est menacé.
Ce projet est emblématique d’un phénomène global : l’accaparement des terres pour la production d’agrocarburants, dont l’impact sur la faim dans le monde et le climat risque d’être catastrophique. Il est donc essentiel de soutenir les organisations kenyanes qui se mobilisent face à cette situation.

Au Kenya, comme ailleurs en Afrique, le gouvernement est aujourd’hui partagé entre deux politiques contradictoires : d’un côté, il renforce les droits des communautés à cultiver leurs terres ; de l’autre, il cède aux appétits d’entreprises et Etats qui veulent exploiter ces mêmes parcelles.

Ainsi, dans la région côtière de Malindi, le gouvernement vient de confier 50 000 hectares de terres à une entreprise privée qui projette de raser une forêt de 30 000 hectares et d’exploiter les terres des communautés locales. D’après ActionAid Kenya, 20 000 personnes seraient affectées et éventuellement déplacées. Parmi elles, de nombreux paysans dont les productions vivrières nourrissent la population et une communauté indigène, les Wa Sanya, qui vit de la chasse et de la cueillette.

Le recyclage d’un voyou de la pensée (le cas Lomborg)

 Le faussaire Bjorn Lomborg a de nouveau droit aux honneurs de la presse. Le Monde, en l’occurrence. Et pourtant…

Je ne sais pas qui est vraiment le Danois Bjorn Lomborg (ici). Je sais ce que j’ai écrit le 11 juillet 2002 dans le numéro 709 du journal Politis. Il y a huit ans, nul en France ne connaissait Lomborg. Moi, j’avais suivi l’extraordinaire engouement, au Danemark et au Royaume-Uni, de son « grand » livre, paru quelques mois plus tôt, en 2001, The Skeptical Environmentalist. Il serait traduit plus tard en France, mais alors, il n’était qu’une rumeur.

Dans mon article de juillet 2002, j’ai appelé Lomborg « notre Meyssan scandinave », du nom de celui qui nie encore l’explosion d’un avion sur le Pentagone le 11 septembre 2001. Lomborg dénonçait en bloc les écologistes, niait le dérèglement climatique, clamait que dans de nombreux domaines essentiels de la vie – les océans, les forêts, etc -, les choses allaient de mieux en mieux. Phénoménal, non ? Je précisais : « Or Lomborg ruse, truque, manipule les chiffres à l’envi  ». Je n’entre pas dans les détails, ce qui serait bien trop long. Déjà, j’étais fâché contre la presse française, qui donnerait dans les années suivantes tant de place, tant d’entretiens, tant de doubles pages à ce tricheur. Je me posais la question et je me la pose encore. Pouvait-il s’agir d’un hasard ? La proximité avec le Sommet de la terre de Johannesburg, ce même été 2002, n’était-elle pas une clé ? Quels intérêts réels servait cet homme ?

Lomborg a en tout cas fait des dégâts colossaux dans l’esprit public, flattant cette part de si profonde stupidité qui existe hélas chez nous tous, et qui ne demande qu’à être sollicitée.  En 2004, l’éditeur français Le Cherche-Midi – honte, honte, honte ! – a publié L’Écologiste sceptique, la traduction du bouquin de Lomborg, avec une préface remplie de contrevérités essentielles et de stupidités crasses, sous la plume de Claude Allègre. Mon Dieu ! j’ai ce livre chez moi, quelle torture. Le faux me brûle, je n’y peux rien.

En janvier 2003, une très prudente Commission scientifique danoise (Udvalgene vedrørende Videnskabelig Uredelighed) a rendu un rapport terrible sur la malhonnêteté scientifique de Lomborg. Car il a été pris la main dans le sac ! Dans le sac ! Extrait de la conclusion : « Objectively speaking, the publication of the work under consideration is deemed to fall within the concept of scientific dishonesty ». Ce qui veut dire à peu près : « Objectivement considéré, la publication de l’ouvrage en question tombe bien dans le cadre de la notion de malhonnêteté scientifique ».

Dans un monde régi par des règles de droiture élémentaire, un Lomborg aurait été carbonisé à jamais. Mais non, il revient sans cesse, aidé, formidablement aidé par des journalistes qui semblent ne jamais voir le mal là où il est pourtant. Je suis donc consterné, et le mot est bien trop faible, par l’entretien que le journal Le Monde consent à Lomborg dans son édition datée du 14 septembre 2010, page 4 (ici). Le titre : « Le changement climatique est une réalité ». C’est déjà prodigieux, car où est donc l’info, amis ? Ce charlatan a troublé l’opinion en niant ce phénomène, et maintenant, il reconnaît sa réalité. Mais où est l’info ? J’ajoute que Lomborg, dans son livre cité plus haut, s’est affublé de l’apparat scientifique, truffant son texte de milliers de notes de bas de page. Or il n’est pas plus scientifique que moi. Peut-être encore moins, si c’est possible.

Poursuivons. Ce texte est, dans sa totalité, une horreur. Le journal n’ayant pas rappelé qu’il a été convaincu de malhonnêteté scientifique, Lomborg se pavane et parle comme s’il savait mieux que des milliers de gens sérieux, étudiant la dévastation du monde sur le terrain. Le changement climatique ? « Oui, il est réel, il découle de l’activité humaine, et c’est un phénomène important ». Le GIEC honni par les climatosceptiques ? Il est « la meilleure source d’information que nous ayons sur le changement climatique » et « le point fondamental est que le GIEC est correct à 90 % ».  À chaque ligne, sa morgue est proprement insupportable, mais tel n’est pas le pire.

Le pire est que, d’évidence, D’ÉVIDENCE, Lomborg poursuit sur la même voie qu’en 2001. Il ne souhaite plus, le cher ange, défendre la thèse négatrice d’Allègre et compagnie. Mais pour quelle raison ? Telle est bien la question, qui ouvre sur des abîmes. Car dans l’entretien au quotidien Le Monde, il se fait le chantre de l’abandon des politiques – dérisoires, certes – menées depuis Kyoto pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.  Il suggère en fait de poursuivre l’entreprise de démolition du monde, en utilisant les pétroles stockés dans les sables bitumineux et les schistes. Au pire, il resterait, dit-il sans état d’âme, le charbon.

Tout ça pour quoi ? Mais pour promouvoir des solutions techniques, donc économiques, donc financières. Le stockage en profondeur du CO2, la géo-ingénierie, qui prévoit par exemple la construction de miroirs géants pour détourner une partie des rayons solaires, etc. En somme, Lomborg se fait le héraut d’une fuite en avant technologique complète. Il est en phase, on ne peut mieux, avec ce capitalisme vert qui entend faire de la crise écologique un moyen de continuer comme avant, de faire durer ce fameux développement qui nous a menés au désastre actuel. De nouveau, je me pose la question : peut-il s’agir d’un hasard ? Cette concomitance entre le discours d’un faussaire et les intérêts de très nombreuses transnationales n’interroge-t-elle pas ? Je gage que Lomborg servira encore tant et plus au cours de la préparation du Sommet de la terre de Rio, en 2012. Je vous ai déjà dit il y a peu que l’ultralibéral Brice Lalonde en serait le grand organisateur. La convergence des deux me semble certaine.

Au-delà, ma profonde tristesse. Cette façon de faire de Lomborg l’une des vigies de notre époque, sans rien rappeler de ce qu’il est à coup certain, c’est un mauvais coup. Un très mauvais coup.

Comment marche la presse

J’écoutais l’autre soir, pas plus tard que jeudi, Rony  Brauman sur France Culture. Brauman, que je n’ai jamais rencontré, a été le président de Médecins sans frontières, et je l’ai toujours entendu dire des choses percutantes, pertinentes, dérangeantes. Brauman est à l’opposé de ces humanitaires qui ne pensent qu’à la structure – la leur -, au blé, aux caméras. Il pense, ce qui fait tache. Mais jeudi soir, j’ai été pris d’un malaise. Le propos avait pour cadre l’émission Du grain à moudre, vers 18h30, et par extraordinaire, elle était intéressante. On y parlait du rôle si étrange, et pour tout dire, inquiétant, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans la lutte contre la grippe porcine, dite H1N1. Mais à un moment, Julie Clarini a parlé du climat, et Brauman, à mes yeux en tout cas, a dérapé en live.

Finalement, disait-il entre deux phrases sur tout autre sujet, finalement, ma religion n’est pas faite sur la question du climat. Et moi, j’ai eu l’envie de lui dire : pauvre imbécile, si nous attendons tous que tu sois dans de bonnes dispositions, nous serons morts. En l’occurrence, la question n’est pas même – bien sûr, pour moi, elle est réglée – de savoir si le dérèglement est une réalité. Pas même, je vous le jure. La question est de savoir s’il est raisonnable de discuter encore. Et la réponse est NON, NON, NON. Admettons, pour la commodité de ma démonstration, que des idiots boursouflés comme Allègre ont raison. Même en ce cas, la raison, cette raison exigeante dont se réclament les négateurs ne devrait-elle pas TOUS nous mobiliser ?

Je m’explique, ce qui ne sera pas long. Ou les scientifiques du Giec ont tort, ou ils ont raison. S’ils ont raison, il faut abattre les voiles, car l’ouragan qui vient va tout dévaster. Et s’ils ont tort, les mesures que nous prendrions pour faire face à un typhon imaginaire seraient toutes, absolument TOUTES bénéfiques à la vie sur terre et à ses équilibres essentiels. Mais les « climatosceptiques » sont des idéologues, pour qui la réalité est seconde. En conséquence, ils font tout ce qu’ils peuvent pour empêcher des prises de décision qui iraient nécessairement vers une emprise moindre des hommes sur les écosystèmes. Ils montrent ainsi leur inconscience, en quoi ils sont si affreusement humains.

Revenons à Brauman. Mon Dieu ! Comment oser, en 2010, prétendre qu’on ne sait pas ? La seule explication que j’entrevois est qu’il fait partie de cercles qui se piquent d’indépendance intellectuelle, de ceux à «  qui on ne la fait pas ». Fantastique leçon de choses ! On  peut être lucide sur les connivences entre experts de l’OMS et industrie, et aveugle sur la plus grave menace contre les sociétés humaines. Fantastique ! Pour ce que j’ai pu entendre depuis un moment, Julie Clarini et Brice Couturier – les deux animateurs de l’émission de France Culture – font partie de cette tribu parisienne, omniprésente dans les médias, qui ne sait rien de la nature et de ses lois finalement infrangibles. Simplement, se sentant assurés de représenter l’opinion moyenne – moyenne, mais avancée – de leur temps, ils traitent l’écologie avec un mépris apitoyé. Ils sont bons, croyez-moi, dans leur genre. Indiscutablement, ils savent présenter une émission alerte. Ils sont bons, mais ignares.

Au-delà, deux faits. D’abord, une enquête sérieuse de six mois montre que les chercheurs de l’Unité de recherche climatique (CRU) de l’université d’East Anglia (Angleterre) n’ont pas truandé leurs données. Grossièrement résumé, on les accusait de cacher des éléments décisifs, de manière à exagérer l’importance du souk climatique et obtenir ainsi plus de sous ( lire ici). Vous ne vous en souvenez pas forcément( lire ici), mais avant la conférence mondiale sur le climat, à Copenhague – un hasard, sûrement un  hasard -, un opération mondiale de désinformation a eu lieu. Il s’agissait de discréditer ceux qui accumulent par milliers des données sur l’évolution dramatique du climat.

Mais pour monter une telle opération, il fallait compter sur la presse, laquelle est bête comme ses pieds, aveugle, sourde, mais hélas nullement muette, plus moutonnière que ne le sera jamais une brebis. Et le résultat prévisible fut que la presse mondiale largua dans l’espace des milliers et des milliers d’articles ineptes sur 1073 courriels que presque aucun journaliste n’avait lus. Pas le temps, coco. Sept mois, plus tard,  le but des désinformateurs est atteint, et la méfiance règne. Vienne le résultat d’une enquête sérieuse de six mois, et l’on n’obtiendra, dans le meilleur des cas, que 10% du volume consacré au soi-disant scandale appelé par des journalistes – faut-il être abruti ! – Climategate. C’est la fange qui a gagné la partie, définitivement, et les journalistes en sont les premiers responsables.

Assez d’excuses ! Assez d’arguments en défense des pires attitudes ! On attaque les politiques, les agriculteurs industriels, les syndics, les flics, les industriels. Moi, je dis que les journalistes sont des brêles, point barre. Ils ne lisent rien, ne savent rien, et racontent n’importe quoi. Je le sais, j’en suis. Dernier point, une étude de l’Institut de recherche et de développement (IRD). Cet organisme public qui a pris la suite de l’Orstom a une belle réputation, que je crois fondée. Mais peut-être ai-je tort ?

En tout cas, l’IRD vient de rendre publique une étude exhaustive sur les glaciers de Patagonie. Le mieux est encore de citer les chercheurs : « Contrées perdues aux confins du continent latino-américain, la Patagonie et la Terre de Feu, archipel à l’extrémité Sud, abritent les plus majestueux géants de glace du monde. Les glaciers patagoniens, dont le célèbre Pio XI, le plus grand d’Amérique latine avec ses 1292 km², surplombent les vallées chiliennes à l’ouest et argentines à l’est. Ceux de la Terre de Feu, les pieds dans l’océan, plongent dans les méandres des fjords. Ces glaciers reculent. Leur régression vient d’être quantifiée à une échelle régionale. Une vaste étude de chercheurs de l’IRD et de leurs partenaires, portant sur 72 d’entre eux, montre que la grande majorité des glaciers patagoniens et de Terre de Feu ont considérablement diminué depuis 1945 : jusqu’à près de 40% pour certains »

Les négateurs du dérèglement climatique n’en auront jamais assez, car une foi ne se rend jamais aux arguments. La danse macabre continuera donc. Avec la presse, cette presse inouïe, cette presse inculte, cette presse arrogante en maîtresse de cérémonie.