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Comment se lancent les débats (sur la viande)

Je viens à peine, plus haut, de signaler une tribune que j’ai écrite ce mardi dans le journal Le Monde. Et voilà que je découvre que le même numéro est barré par un titre de “une” sur la viande. Et quel titre, mes chers aïeux ! Ni plus ni moins que Manger moins de viande pour sauver la planète ? La journaliste qui signe le papier, Gaëlle Dupont, m’a appelé ici même, d’où je vous écris, et ma foi, je n’ai aucune raison de me plaindre. Avant de vous livrer ci-dessous son texte, laissez-moi vous dire mon plaisir. Il y a trois mois, juste avant que ne paraisse Bidoche, mon livre sur l’élevage industriel, personne ou presque ne se hasardait sur ce terrain. Je ne prétendrai pas – ce serait ridicule – être le seul à m’être bougé, mais il est au moins certain que mon travail aura servi à quelque chose. Ce quelque chose qui n’est presque rien, mais qui m’oblige, sans aucun doute possible. L’article de Gaëlle Dupont :

Manger moins de viande, c’est bon pour la planète. Impossible d’ignorer le message : la consommation de produits carnés a fait, à l’occasion du sommet de Copenhague sur le climat, l’objet d’attaques inédites.

L’ancien Beatles Paul McCartney a ouvert les hostilités en appelant, début décembre, depuis la tribune du Parlement européen, à ne pas en consommer un jour par semaine. Plusieurs personnalités françaises, dont les politiques Corinne Lepage et Yves Cochet, l’écologiste Allain Bougrain-Dubourg et le botaniste Jean-Marie Pelt, ont observé à Copenhague une « grève de la viande ». Leur message : l’industrie de l’élevage est une « aberration » qui produit des dégâts considérables sur l’environnement. Un repas avec viande et produits laitiers équivaut, en émissions de gaz à effet de serre, à 4 758 km parcourus en voiture, contre 629 km pour un repas sans produits carnés ni laitiers. Pour protéger la planète, il est donc aussi efficace – sinon plus – de se priver de viande que de rouler à vélo ou de baisser le chauffage.

Les éructations des ruminants produisent 37 % du méthane émis du fait des activités humaines. Le potentiel de réchauffement global du méthane est 23 fois supérieur à celui du CO2. Le stockage et l’épandage de fumier sont responsables de 65 % des émissions d’oxyde nitreux, le plus puissant des gaz à effet de serre. La déforestation pour convertir des terres en pâturages ou en cultures fourragères (destinées à l’alimentation du bétail) est responsable de 9 % des émissions de CO2. Selon la FAO, 70 % des terres autrefois boisées d’Amérique du Sud sont aujourd’hui consacrées à l’élevage.

L’élevage est, de fait, responsable de 18 % des émissions totales de gaz à effet de serre, davantage que les transports, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Il est, de plus, responsable d’autres dégradations : pollution des eaux, érosion des sols, perte de biodiversité…La production de viande capte en outre des ressources considérables en terres et en eau. Elle mobilise 70 % des terres arables. Environ 9 % des quantités d’eau douce consommées chaque année y sont consacrées.Dans toutes leurs projections, les experts désignent l’augmentation de la demande de viande comme un des principaux facteurs des pénuries à venir. Or la consommation de produits carnés connaît une croissance fulgurante. Relativement stable dans les pays développés (autour de 80 kg par an et par habitant), elle augmente fortement dans les pays en développement, à mesure que la population croît, mais aussi que l’urbanisation et les revenus progressent.« La viande est un signe extérieur de richesse », commente Fabrice Nicolino, auteur de Bidoche (éd. Les liens qui libèrent), un réquisitoire contre l’industrie de l’élevage publié en septembre. « En consommer démontre l’accès à un statut social privilégié. » Sa consommation devrait passer, dans les pays en développement, de 28 kg par an et par habitant en moyenne aujourd’hui à 37 kg en 2030.Il faut entre trois et neuf calories végétales, selon les espèces, pour produire une calorie animale. Déjà, quelque 40 % des céréales cultivées dans le monde sont destinées à alimenter le bétail. Selon les projections de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), pour répondre à la demande, la production mondiale de viande devra doubler d’ici à 2050, passant de 229 à 465 millions de tonnes. « Où ferons-nous pousser les céréales pour nourrir tous ces animaux ?, interroge M. Nicolino. Si la tendance se poursuit, on peut s’attendre à avoir une concurrence entre alimentation animale et humaine. » D’où la baisse de consommation prônée par les détracteurs de la viande. Selon ceux-ci, cela aurait, en outre, des avantages pour la santé, car la viande accroît le risque de maladies cardio-vasculaires, d’obésité et de diabète.

L’interprofession bovine a vite riposté à ce feu nourri de critiques, par le biais d’une page de publicité dans la presse. Elle met en avant plusieurs arguments. Tout d’abord, dans la majorité des élevages en France, les vaches sont nourries à l’herbe, un mode d’élevage respectueux de l’environnement, qui ne concurrence pas l’alimentation humaine et permet de séquestrer du carbone.

La consommation de viande dans le pays est, par ailleurs, en baisse : elle est passée de 150 grammes par jour en 1999 à 117 grammes en 2007. « Certaines catégories de la population n’en mangent pas assez, comme les femmes et les personnes âgées », commente Pascale Hébel, du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc). Le Centre d’information des viandes (CIV) souligne, de son côté, que la viande fournit des nutriments indispensables (fer, vitamine B12, zinc, sélénium). Le gouvernement recommande d’ailleurs, dans le cadre du programme national nutrition santé, de consommer de la viande, du poisson ou des oeufs une à deux fois par jour, tout en alertant sur les dangers de la consommation de viande grasse.

« L’homme ne serait pas devenu ce qu’il est s’il n’était pas omnivore », s’insurge Louis Orenga, président du CIV, qui voit dans cette campagne « une utilisation d’arguments environnementaux pour promouvoir le végétarisme ». C’est effectivement l’Association végétarienne de France (AVF) qui est à l’origine de la grève de la viande de Copenhague. Paul McCartney et Rajendra Pachauri, président du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), qui a soutenu son appel, sont tous deux végétariens.

« L’alimentation a une dimension psychologique importante, explique Alain Méry, président de l’AVF. L’argument environnemental parle plus aux gens que la défense des animaux, qui est culpabilisante. » Selon M. Méry, les réticences sur le sujet restent cependant « très fortes » en France. M. Orenga, lui, voit dans la campagne du « jour sans viande » une menace. « Les politiques continueront-ils à soutenir financièrement une activité dont le grand public est persuadé qu’elle pollue et est dangereuse pour la santé ? », s’interroge-t-il.

A la FAO, sans recommander la diminution de la consommation de viande dans les pays du Nord, les experts prônent « une stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre visant l’élevage de manière spécifique« , affirme l’économiste Pierre Gerber, parlant au nom de l’organisation. « Les modes de production vont devoir changer, sans quoi la croissance de la production se fera au prix d’atteintes très importantes à l’environnement », poursuit-il.

Des recherches sont en cours pour réduire la production de méthane par les ruminants. Des scientifiques de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) sont parvenus à faire baisser leurs émissions d’un tiers en intégrant dans les rations de l’huile de lin. Un chercheur de l’université du Missouri, Monty Kerley, affirme qu’une sélection génétique rigoureuse permettrait de diminuer la ration alimentaire des vaches de 40 %. Des changements de méthodes culturales permettraient aussi de stocker davantage de carbone dans les sols. Reste à savoir si ces techniques seront suffisantes, et si tous les paysans du monde, y compris les plus petits, auront la volonté et les moyens de les mettre en oeuvre. L’élevage fait vivre un milliard de personnes pauvres dans le monde.

 Gaëlle Dupont

Belote et rebelote avec la tête au carré (France Inter)

Je suis verni. Et c’est vrai, je suis verni. Les médias ont accordé un bel accueil à mon livre Bidoche (L’industrie de la viande menace le monde, éditions LLL). Pour ceux qui auraient envie de m’entendre gueuler pis qu’un putois, il est encore temps de m’écouter dans l’émission Les grandes gueules, sur RMC (ici), qui s’est déroulée mardi 24, il y a deux jours.

Par ailleurs, et je prends cela comme un hommage, l’émission La tête au carré de Mathieu Vidard (France Inter) rediffuse demain l’émission consacrée au livre le 28 septembre dernier. Moins de deux mois après, oui, je considère cela comme un hommage. Si cela vous tente, aucune raison de vous priver. C’est à 14 heures demain vendredi 27 novembre.

Hugo Chávez est un salaud (3)

Je ne sais si vous connaissez l’Acrimed, autrement dit Action-Critique-Médias (ici). Née après les grandes grèves de 1995, cette association altermondialiste de la gauche radicale observe d’un œil attentif le fonctionnement de la presse. Et ne manque pas de distribuer des mauvais points à ceux qui faillissent aux règles de l’honnêteté. J’ai eu l’occasion, il y a quelques années, d’échanger avec Henri Maler, l’un des créateurs de l’Acrimed, des courriels au sujet du président vénézuélien Hugo Chávez. Je ne connaissais pas Maler, et ne le connais toujours pas. Mais des amis m’avaient dit qu’il n’était pas aussi fermé que la plupart de ses proches à l’Acrimed. Et moi, je voulais que des vérités sortent sur ce salaud de Chávez (ici et ).

J’ai perdu mes échanges avec Maler, qui au reste n’ont mené nulle part. Et l’Acrimed, au lieu que d’enquêter à fond sur les liens pourtant avérés entre Chávez et le fasciste argentin Ceresole, a comme il était écrit, attaqué le journal Libération, accusé d’avoir présenté Chávez comme un antisémite, ce qu’il est (ici). Eh bien, quoi de neuf sur le front ? Avant de répondre, je précise une nouvelle fois que je parle de ce salopard pour la raison qu’il détourne de combats bien plus importants une masse de jeunes qui voient en lui un révolutionnaire à la manière de. L’écologie, l’épuisante bagarre contre la crise écologique perdent des combattants qui préfèrent passer leur temps à disserter sur les mérites supposés de ce bas caudillisme qu’est le chavisme.

Et maintenant, le neuf. Pouah !  Chávez vient de clamer son amour de cette ignoble crapule de Carlos, poussah terroriste vénézuélien emprisonné en France. Je n’ai ni le temps ni l’envie de rappeler qui est Carlos, à quoi ressemble son lamentable itinéraire. Ou vous le savez, ou vous le saurez bien sans moi. Mais ce n’est pas tout. Incapable de s’arrêter en si bon chemin, Chávez a pratiquement réhabilité feu le dictateur ougandais Idi Amin Dada. Pas si mal, non ? Et qualifié le satrape Robert Mugabe, qui condamne son pays, le Zimbabwe, à la famine et à la terreur, de « frère » (ici). Mugabe le raciste, qui a ruiné l’agriculture de son pays, qui était jadis l’un des greniers à blé de l’Afrique australe. Mugabe, qui a truandé massivement les présidentielles et les législatives de 2008, comme l’a fait à Téhéran cet autre frère de Chávez – raciste, lui aussi – qu’est le tyran Ahmadinejad.

Sûr, sûr, sûr que l’Acrimed, Le Monde Diplomatique et Daniel Mermet vont rouvrir le dossier Chávez. Sûr, sûr, sûr qu’ils vont nous dire pourquoi ils se sont à ce point trompés, une fois encore. Pourquoi ils ont à ce point trompé leur monde. Sûr, sûr, sûr.

La Société Générale fait des cachotteries

Le Tunnel sous la Manche n’aura rien changé. Il y a là-bas, et ici. Malgré la vitesse électronique des échanges « informationnels ». À l’heure où je vous écris ce 20 novembre 2009, aucun journal français, à ma connaissance, n’a repris le sensationnel papier paru hier matin dans le quotidien britannique Telegraph (ici). La Société Générale, la filiale britannique de notre Société Générale a écrit un rapport qui fait claquer des dents les boursicoteurs. Il conseille aux clients fortunés de la banque de se préparer à un éventuel « effondrement économique global » dans les deux prochaines années.

Hélas, ce n’est pas un hoax, un bobard de mauvais goût. Le rapport suggère des investissements destinés à éviter la destruction totale de biens. En deux mots, il faudrait se débarrasser de valeurs dites cycliques, telles que la bagnole, le voyage, les technologies ! Et de se tourner davantage – c’est sous-entendu – vers le marché alimentaire et agricole, qui se montrerait bien plus solide et servirait du coup de refuge. En avant vers la razzia sur les terres agricoles du Sud !

Que se passe-t-il selon le rapport ? En bref, rien n’est maîtrisé, contrairement à ce qu’on lit partout. Les passifs privés ont été transférés par les États vers de nouvelles structures qui sont très instables. L’endettement global est devenu fou, atteignant 350 % du PIB aux États-Unis. Le problème de la dette serait bien plus grave qu’à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, d’autant que le vieillissement de la population rend son remboursement bien plus incertain.

So what ? L’auteur du rapport, Daniel Fermon, déclare au Telegraph que son texte a tétanisé les clients de la banque des deux côtés de l’Atlantique, ajoutant : « Tout le monde veut savoir quel sera l’impact. Beaucoup de hedge funds et de banquiers sont inquiets ». Vous aurez remarqué avec moi qu’on parle des deux bords de l’Atlantique. Et non de la Manche, qui nous sépare résolument de la Grande-Bretagne. Attendons de voir ce que va dire la presse française, pour l’heure singulièrement muette.