Archives de catégorie : Journalisme

Ça ne plaisante plus (sur l’aéroport Notre-Dame-des-Landes)

Vous le savez, tout le monde devrait savoir qu’un projet d’aéroport – Notre-Dame-des-Landes – menace d’engloutir 1400 hectares de bocages merveilleux. Merveilleux et préservés au point qu’ils sont classés par nos grands bureaucrates dans la série ZNIEFF (zone naturelle d’intérêt écologique). Cela se passe à Nantes, ville dirigée par un pauvre monsieur Ayrault, socialiste comme ce parti en pond chaque matin dans ses incubateurs intensifs. La droite et la gauche sont TOTALEMENT d’accord pour pulvériser un lieu de beauté et le changer en une zone aéroportuaire à l’air surchargé de kérosène. S’il était besoin d’une preuve, la voici. Tous ces gens préfèrent la fuite en avant.

Il n’y a donc pas d’autre choix que la bataille frontale. C’est ainsi. Mais elle commence – déjà – à prendre une très vilaine tournure. Une habitante des lieux, une habitante des lieux menacés – je remercie M., évitant de la nommer – m’envoie à l’instant la copie d’un article du quotidien nantais Presse Océan en date du 8 août dernier. Je crois, connaissant un petit peu la musique, qu’il est la première pierre d’un redoutable édifice (ici). On veut, c’est clair, criminaliser le mouvement naissant pour mieux l’écraser.

Attention ! Je ne prétends pas qu’il existe, caché quelque part, un ténébreux personnage occupé à tirer les ficelles. Je ne suis ni ne serai jamais conspirationniste. Mais il est manifeste que, consciemment ou non, les partisans les plus militants de l’aéroport songent déjà à une contre-offensive, au demeurant fort classique. L’article de Presse Océan, insupportable de bout en bout, signale peut-être le début d’une nouvelle manche.

Que dit-il ? Prenons son titre : « Le visage des encagoulés ». Sous-titre : « Ils appartiendraient à la mouvance “anarcho-autonome” ». Cela ne vous rappelle rien ? Si. Tarnac. Julien Coupat. La traque insensée d’armées de flics tentant à toute force de démontrer qu’une bande de jeunes se sont attaqués aux lignes de chemin de fer. Alliot-Marie, hier ministre de la police, s’est déconsidérée un peu plus – mais est-ce possible ? – en affirmant sur l’air des lampions que ces jeunes révoltés étaient des apprentis terroristes.

C’est la même chanson à Notre-Dame-des-Landes. La même. Le titre de Presse Océan renvoie à un vol organisé dans un supermarché de Vigneux-de-Bretagne. Une photo illustre le tout, prise par une caméra de surveillance. Deux « encagoulés » se servent dans ce qui semble être un présentoir de bouteilles de Champagne. Ma foi, j’espère pour eux qu’il était bon. Et ? Tout le reste n’est que filandre. Un abominable tricotage, partant de ce fait divers, aboutit au projet d’aéroport. Car certains opposants locaux jamais nommés auraient fait affaire avec ces « anarcho-autonomes », ces détrousseurs de marchands. Toutes les sources du journaliste sont masquées, incertaines donc, ce qui ne veut pas dire douteuses.

Moi qui connais ce métier, je vois bien qu’aucun militant n’a accepté de parler au plumitif. Moi qui connais ce métier, je vois combien les « sources proches du dossier », évoquées, ne doivent pas être trop éloignées de la gendarmerie du coin. Au reste, cette dernière est utilisée comme référence. Et quelle ! Les gendarmes « soupçonnent clairement certains de ces partisans [anarcho-autonomes ] d’avoir participé jeudi au pillage du Super U de Vigneux-de-Bretagne ». Soupçonnent ! Pas de preuve, pas d’interpellation, juste un soupçon. Et tout l’article part néanmoins de là !

Je vous laisse juge de ce passage, où rien n’est authentifié. Où rien n’est, comme on dit, sourcé. Quelle belle vie que celle de romancier ! Lisez donc : « Les profils de ces activistes varient. “Côté âge, ça va du mineur au retraité”. La plupart sont désocialisés : étudiants attardés, Rmistes, allocataires de pension X ou Y… À l’intérieur même de cette mouvance, des sous-groupes émergent. Le milieu a ses codes. Lacets rouges sur des Rangers ? Ce sont les Redskins. Il a aussi ses slogans : “Soyons touTEs des électrons libres et de notre union naîtra la bombe atomique sociale”. Côté message politique, la confusion règne. “Ils veulent tout se réapproprier, sans aucun système de hiérarchie. Mais l’autogestion n’a jamais été un mode de fonctionnement politique”. Ils se réunissent parfois dans un local associatif, baptisé le B17, siège d’associations et partis politiques à Nantes, en bas de la rue Paul-Bellamy ».

Un minuscule commentaire : qui a prononcé les phrases placées entre les guillemets à l’anglaise ? Une déontologie de base contraint tout journaliste à le préciser quand des mots apparaissent comme des citations. Car autrement, n’est-ce pas, tout devient possible. Oui, qui a pu dire, selon vous, «Côté âge, ça va du mineur au retraité» ? Vale, il n’est pas encore question de pleurer. La vie et le combat impliquent de prendre des coups. Voici ce que j’appellerai un crochet du droit, sévère. Il s’agit simplement de rester souple, de reculer d’un pas, puis de revenir avec un magnifique uppercut qui fera trembler ces mâchoires imbéciles. J’y ajouterai personnellement un straight-punch, autrement dit, un direct. Mais cela peut attendre.

Adresse au Monde Diplo et à l’Acrimed (sur le Nicaragua)

Pour ne rien vous cacher (ou presque), je suis installé face à mon vallon du bout des terres habitées. Le vent souffle et fait plier les frênes, le ciel est bleu, et ce matin de rêve, tôt, un long bras, aussi blanc que langoureux, occupait le dessus du ruisseau. L’humidité, bien sûr. Regarder mon ruisseau est une perpétuelle leçon de choses. Aujourd’hui, donc, formation et dissolution d’un nuage. Je vous l’assure, c’était d’une beauté à douter de notre intrinsèque faiblesse.

Je devrais, je le sens, vous parler plutôt du monde incroyable qui m’entoure, et que je peux parcourir à pied, inlassablement. Ce soir peut-être, avant la nuit, Patrick me montrera une vaste mare qu’il a découverte ces dernières semaines, à quelques centaines de mètres du hameau. Or il habite ici depuis trente-cinq ans ! Voyez, je ne suis pas près de bien connaître ce pays qui se referme peu à peu à l’homme. Bien entendu, qui dit mare permanente, surtout ici, signifie présence d’animaux, comme autour d’un marigot africain. Je crois que je vais une fois de plus vers le bonheur.

Oui, mais. Oui, mais il y a une paire de jours, j’ai dû descendre vers la plaine, et me rendre à la gare de M. Là, j’ai acheté – ce qui ne m’arrive jamais – le journal Le Monde Diplomatique. Pourquoi ? Parce qu’il contenait une double page consacrée au Nicaragua. Avec un long article du journaliste Hernando Calvo Ospina – que je ne connais pas – (ici), suivi d’un encadré de l’un des piliers du journal, Maurice Lemoine (ici). Le Nicaragua, pour des raisons qui appartiennent à mon passé et à mon cœur, est en moi jusqu’à la fin de mes jours.

J’ai lu. Je ne cherche pas à insulter – à quoi bon ? -, mais ces deux papiers appartiennent à mes yeux, sans conteste, à la tradition stalinienne de la pensée politique. J’en ai souvent parlé, et si j’y reviens, c’est parce que cette maladie de l’âme, qui a une histoire, Dieu sait, reste un obstacle sur la voie d’une pensée nouvelle, où la crise écologique deviendrait le cadre général, et non plus un quelconque ajout. Je ne vais pas vous embêter à faire l’exégèse des deux textes. Et je me contenterai d’un seul exemple : les élections municipales qui se sont déroulées en novembre 2008 au Nicaragua.

Le président en place, Daniel Ortega, est sandiniste. Après avoir été chassé du pouvoir en 1990, il y est revenu, avec 38 % des voix, en 2006. Il fait partie de ce petit groupe guerillero appelé Front sandiniste de libération nationale (FSLN) qui a pris le pouvoir en 1979, après avoir chassé de force ce fils de pute appelé Anastasio Somoza. Je me permets cette expression de « fils de pute », car elle a – aurait – été employée par le président américain Roosevelt en 1939. Parlant alors du père d’Anastasio, qui tenait déjà le pouvoir à Managua, il avait – aurait – déclaré : « Somoza may be a son of a bitch, but he’s our son of a bitch ». C’est-à-dire : « Somoza est peut-être un fils de pute, mais c’est le nôtre ».

Résumons : en 1979, le fils du dictateur, dictateur lui-même, est renversé par les sandinistes, dont Ortega. Lequel est un homme de pouvoir comme vous n’imaginez guère. Un caudillo dans l’âme. Pour revenir au poste de commandement, il s’est livré à des manœuvres qui rendraient Sarkozy sympathique. Et il y est parvenu. En 2006, donc. En 2008,  comme je l’ai écrit plus haut, élections locales. Truandées en grand. En Très Grand. Je vous demande de me croire sur parole ou, si vous lisez l’espagnol, de vous rendre compte par vous-même (ici). Cette épouvantable manipulation a mené le pays, une fois de plus, au bord d’affrontements meurtriers. Mais nul lecteur du Monde Diplomatique n’en saura rien.

Et pourtant ! Une très grande part des sandinistes historiques sont dans l’opposition au caudillo Ortega, bien entendu ami proche du président vénézuélien Hugo Chávez. Dans le désordre, je citerai Ernesto Cardenal, Sergio Ramírez, Dora María Téllez, Henry Ruiz, Luis Carrion, Victor Tirado et encore beaucoup d’autres. Un mot sur Cardenal, prêtre et poète immensément populaire, qui a rompu avec le FSLN dès 1994, déclarant alors : « [Ortega] a manipulé les élections du parti avec toutes sortes de manœuvres, insultant et calomniant Sergio Ramírez et tous ceux qui ne lui sont pas inconditionnels. Dans ma lettre de démission je parle de despotisme, de verticalisme, de la direction autoritaire de Daniel. Je dénonce aussi le manque d’éthique, la corruption et dans quelques cas, les vols ».

Un mot également sur Dora María Téllez. Connue au Nicaragua comme la louve blanche qu’elle est, Dora fut à 22 ans, en 1978, l’une des principales responsables de la prise d’assaut du parlement somoziste, au cours duquel la totalité des parlementaires de la dictature d’alors furent pris en otage par la guerilla sandiniste. Ce sont ces gens, tous ces gens souvent admirables qui considèrent aujourd’hui Ortega comme un traître et un salaud. Mais de tout cela, aucun lecteur ne trouvera la moindre trace dans ce grand journal altermondialiste qu’est Le Monde Diplomatique.

En place et lieu, ils auront droit à un long article de savante désinformation. Je ne doute pas que le vertueux Serge Halimi, directeur du mensuel, publiera dès le mois prochain un rectificatif qui remettra les pendules à l’heure. Et en attendant, j’espère vivement que l’association Acrimed (ici), qui traque sans cesse la désinformation chez les autres, saura aussi la reconnaître chez ses amis du Monde Diplomatique. Que tous sachent que je publierai sans aucune censure leur éventuel commentaire à cet article.

Leçon de géographie chinoise (et de morale)

Un journaliste peut-il devenir un épidémiologiste ? Peut-il se transformer en un lanceur d’alerte scientifique de premier rang ? La réponse est oui. Et le nom du gagnant est Deng Fei. Ce Chinois vient de publier dans une revue de Hong-Kong, Fenghuang Zhoukan, une série de données tristement passionnantes. Dans un premier temps, il a épluché systématiquement la presse officielle de son pays. Je n’ose imaginer l’ennui.

Mais il est vrai que les journaux d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier, et que des moments de vérité y surgissent fatalement. Que cherchait-il ? Des liens possibles entre dégradation des conditions écologiques locales et apparition de cas de cancers (ici, lire le petit article nommé Cancer Villages in China). Réussite complète, si j’ose écrire, dans un rayon de 50 km autour de Pékin. Mais chemin faisant, Deng Fei décide de mener son enquête à l’échelle de la Chine entière. C’est ce travail-là qui circule, relayé par un internaute qui en a fait une carte aux normes internationales de l’inévitable Google.

On a beau savoir, c’est stupéfiant. Je ne vous donne ci-dessous qu’un aperçu, mais sachez que certains cas ont été décrits en français ici. Chacun mériterait une enquête internationale, qui ne viendra jamais, on s’en doute. Prenez l’exemple du village de Guanshan Qiao, dans la province du Jiangxi. Depuis des lustres, six fours à chaux fonctionnant au charbon envoient jour et nuit des particules de cendres sur les potagers, dont la production s’est effondrée. Même lorsqu’il pleut, le dessus des feuilles est couvert d’une pellicule blanche. Les cancers ont explosé.

Dans le village de Yinggehai, 118 habitants sont morts d’une manière étrange en dix ans. La proximité d’une gigantesque décharge pourrait bien être l’explication.

Dans le village de Shangba, les canards qui plongent dans l’eau rougeâtre des mares meurent en quelques heures. Des activités minières sans contrôle, et surtout leurs énormes déchets pollués,  ont changé le lieu en un dépotoir. Les habitants souffrent de maladies de peau et du foie, du cancer aussi, bien entendu.

Dans le village de  Huangmengying, une centaine de personnes sont mortes de cancer entre 1990 et 2004, soit près de la moitié de tous les décès. La rivière locale est un égout. Certains habitants achètent de l’eau (un peu plus) potable.

Vous imaginez bien que la liste est sans fin. J’ai sur ma table, au moment où je vous parle, un livre d’une immense valeur, Le rapport Campbell. Publié par un éditeur québécois, Ariane, il est passé inaperçu au moment de sa sortie française en 2008. Quel dommage ! Car T. Colin Campbell est probablement l’un des meilleurs nutritionnistes vivants, et dans ce livre, il nous offre le cadeau d’une vie de recherche. Campbell a mené en Chine, dans les années 70 et 80, la plus vaste étude nutritionnelle jamais conduite. Avec le concours de l’université Cornell et de l’Académie chinoise de médecine préventive.

Concernant le cancer, le travail de Campbell et de ses amis est inouï. D’abord par le constat : dans certains cantons, on observe jusqu’à 100 fois plus de cancers que dans d’autres, alors qu’aux États-Unis, les différences d’un État à l’autre varient entre deux et trois fois, au plus. Un tel résultat ne saurait être expliqué en quelques lignes. Disons que la piste du cholestérol sanguin est première. Il est chez les Chinois l’un des précurseurs des maladies dites « occidentales », comme le cancer. Quand son taux passait en moyenne, dans l’immense échantillon chinois, de 170 mg/dl à 90mg/dl, les cancers du foie, du poumon, du cerveau, de l’estomac, de l’œsophage, du sein, du rectum, du côlon, la leucémie infantile, la leucémie adulte baissaient. Or, le taux moyen de cholestérol trouvé au cours de l’étude chinoise était de 127 mg/dl, soit 100 de moins que la moyenne américaine !

Pour comprendre l’importance de ces chiffres, il faut rappeler que longtemps, l’Amérique officielle a proclamé que des problèmes de santé apparaissaient chez l’homme en dessous de 150 mg/dl de cholestérol sanguin. À ce compte-là, 85 % de la population chinoise aurait dû être malade ! Bien entendu, les découvertes de Campbell ne se limitent pas au cholestérol. D’une façon générale, les protéines animales augmentent la présence de cholestérol dans le sang, tandis que celles d’origine végétale la diminuent. D’une manière certaine, les cantons chinois les plus pauvres, consommant beaucoup de végétaux, de fibres alimentaires et peu de gras, comptaient beaucoup moins de maladies cardio-vasculaires, de diabète et de cancers. Mais bien davantage, évidemment, de tuberculoses, de maladies parasitaires, de rhumatismes et de pneumonies.

Pourquoi vous parler de Campbell ? Mais simplement pour faire comprendre ce que veut dire le « développement » foudroyant de la Chine. Ce « développement » aura fait de ce pays l’atelier du monde, capable de sortir pour une bouchée de pain n’importe quel produit que nous achetons ici avec le plaisir de le payer moins cher. En consommant chinois, y compris l’une de ces clés USB dont je me sers, il est indiscutable que nous participons au grand massacre là-bas. Un dernier mot : combien de génuflexions en souvenir de l’esclavage ? Combien de prosternations et d’excuses ? Combien ? Les hommes d’il y a trois siècles avaient pourtant bien peu de moyens et de valeurs à leur disposition pour combattre l’infamie.

Mais nous, qui savons tout ? Mais nous, qui sommes gorgés d’informations sur tout ? Mais nous, qui ne parlons jamais – ou si peu – de ce qui se passe au-delà des marches de notre empire de pacotille ? Ne mériterions-nous pas une leçon ? Une véritable grande leçon de morale humaine ?

Comment j’ai fait affaire avec un curé (sur les Cahiers de Saint-Lambert)

CLIQUEZ ICI, C’EST UNE SURPRISE

(Le texte qui suit se lit mieux après celui qui précède, mais le diable est dans les détails, et charité bien ordonnée commence par soi-même. À moins que vous ne me donniez le bon Dieu sans confession, ce que je refuserai, soyez-en tous certains.)

Un jour, j’ai rencontré Dominique Lang. C’était il n’y a pas bien longtemps, car j’étais déjà vieux. Mais j’ai été vieux très jeune. Dominique est un prêtre catholique qui doit approcher de quarante ans, à moins qu’il ne les ait eus depuis notre rencontre. Nous nous sommes vus pour des raisons professionnelles, et puis la roue a heureusement tourné. Je veux dire que nous nous sommes parlé. Il faut répéter, si nécessaire, que tout nous sépare. Presque tout.

Dominique appartient à la congrégation des Assomptionnistes et vit dans un monastère non loin de Paris, entouré d’une trentaine d’hectares de bois, Saint-Lambert. Le temps ayant fait son office entre nous, il est arrivé qu’on parvienne à l’essentiel, qui est, comme vous le savez, l’incroyable crise de la vie sur terre. Chez les catholiques, cet incessant ravage devrait, pense-t-on, soulever les cœurs. Car enfin, la Créature – l’homme – n’est pas tout. Dieu ne lui aurait-il pas, par hasard, offert en même temps les splendeurs de la nature, c’est-à-dire la Création ?

D’une manière qui me demeure incompréhensible, les cathos, qu’ils soient de droite ou de gauche, semblent dans leur immense majorité indifférents à la mort des espèces, à la disparition des espaces, à la dislocation des écosystèmes. Mais dans le même temps, et malgré tout, l’Église catholique reste en France une puissance spirituelle et temporelle d’une rare force. Qui influence de toute façon des millions de personnes chez nous, et des centaines de millions ailleurs. Malgré la désertion des églises le dimanche. Malgré les divorces. Malgré ce pape aussi théologien qu’insupportable. Malgré tout.

Dominique Lang, qui a obtenu dans une vie précédente un doctorat scientifique, s’intéresse pour de vrai à cette crise multiforme dont je vous rebats tant les yeux. Nous en avons parlé. Nous avons imaginé ensemble – qui a pensé ceci, qui a dit quoi et à quel moment, je ne m’en souviens nullement – divers projets. Plutôt de douces rêveries qui deviendront peut-être de vrais projets. Ainsi, dans nos esprits, le monastère de Saint-Lambert s’est changé en un clin d’œil en une magnifique vitrine écologique. La forêt alentour, si malmenée, est devenue en un éclair un paradis de la biodiversité revenue. Saint-Lambert s’est changé en une sorte de Communauté de Sant’Egidio de l’écologie.  Sant’Egidio, groupe catholique italien né en 1968, se veut un état d’esprit. Qui a permis de servir de médiation dans d’atroces conflits entre humains. Sant’Egidio a ainsi pu réunir des adversaires mortels pour parler du Kosovo, de l’Algérie, du Guatemala, de la Palestine. Entre autres. Inutile de préciser que, le plus souvent, cette médiation n’a pu régler le conflit.

Bref, une communauté de Sant’Egidio de l’écologie où, le temps d’une halte dans l’affrontement, des ennemis pourraient se parler. L’idée est là, à portée de mains, dans nos cerveaux. Et resurgira probablement. En attendant, nous avons décidé de créer une revue. Modeste mais fière. Petite mais ambitieuse. Les Cahiers de Saint-Lambert ont un sous-titre sans équivoque dont je ne suis pas peu satisfait : « Ensemble face à la crise écologique ». Ce n’est donc pas une énième ritournelle reprenant je ne sais quel oxymore bien connu. Comme ce soi-disant « développement durable ». Cette revue a un socle : la crise écologique. Elle a un objectif : réunir ceux qui s’ignorent encore. Et elle se donne comme moyens la pensée, le débat et l’action. La priorité sera donnée, toujours plus, aux initiatives de terrain, concrètes aussi bien qu’exigeantes.

Pour l’heure, et pour ne rien vous cacher, nous sommes essentiellement trois. Dominique Lang, qui fait office de directeur. Moi qui joue le rédacteur-en-chef. Et Olivier Duron, un ami de très longue date qui se trouve être un graphiste de grand talent. La forme – que personnellement j’adore – de cette revue, c’est lui. J’ajoute qu’il est un écologiste. Un écologiste qui pense. Cette étonnante rareté était nécessaire, essentielle même à notre aventure.

Vous êtes, ou plus sûrement vous n’êtes pas catholique, du moins pratiquant. Mais vous m’honoreriez en allant visiter le site de notre si fragile revue. On peut, entre autres, y feuilleter électroniquement (ici) le numéro 1. Car nous en sommes au numéro 2, même si personne ne le sait. Je vous prie donc sincèrement d’y aller voir et de donner votre avis, même s’il est négatif. En revanche, si le ton vous plaît, si vous y voyez un intérêt, sachez que nous sommes à la recherche de 500 abonnés très, très vite. Faute de quoi nous disparaîtrons. C’est dit. Vous pouvez aussi faire circuler cette information dans tous vos réseaux personnels ou sociaux. Et prévenir directement ceux de vos proches qui pourraient se montrer intéressés.

J’en ai fini. Planète sans visa va avoir deux ans, et reçoit de plus en plus de visiteurs. J’en suis très heureux. Ce lieu demande du travail, comme vous l’imaginez sans doute. Mais les informations y sont gratuites, ce qui est pour moi une chose importante, à laquelle je tiens. Il n’empêche que cette fois, sans l’ombre d’une hésitation, je vous demande un franc coup de main. Ne faites pas l’imbécile. Ne détournez pas le regard. C’est à vous.

CLIQUEZ ICI, C’EST UNE SURPRISE

Grippe porcine (suite sans fin et révélations françaises)

(Sans blague, une révélation de taille vous attend à la fin de cet article. Et si vous en avez le temps, faites connaître, car cela peut intéresser autour de vous.)

Dans l’univers des journaux, que je pense bien connaître, il existe très peu de journalistes au sens que je donne à ce mot. Beaucoup n’écrivent pas, ou mal, beaucoup ne lèvent guère le cul de leur chaise, beaucoup ne savent pas de quelle manière commencer une enquête. Au point qu’ils n’en font jamais. Je précise que je ne vais pas au bout de ce que je pense. Oui, c’est pire dans ma tête.

J’ai longtemps cru que les journalistes traquaient l’information, sans autre souci que le public auquel elle est destinée. Je dois reconnaître que c’est un point de vue ridicule, qui ne résiste pas au premier regard sur la profession. Bon, passons sans transition aux félicitations. Je viens de lire un article sensationnel dans l’un des meilleurs journaux que je connaisse, le quotidien américain The New York Times. Pour ceux qui ont la chance de maîtriser l’anglais, c’est ici.

Ses auteurs, Doreen Carvajal et Stephen Castle, montrent par un excellent travail sur le terrain la manière concrète dont le monde avance vers le vide. Et c’est évidemment saisissant. D’une certaine façon, le titre raconte le tout : Un géant américain du porc transforme l’Europe de l’Est. J’écris  d’une certaine façon, car je pressens qu’un cheffaillon sera passé par là pour minorer l’impact prodigieux de l’article lui-même. Il ne s’agit pas d’une transformation, mais d’une révolution brutale, inouïe, déshonorante pour la société des hommes.

Je vous ai parlé de cette entreprise américaine il y a quelques jours (ici), car elle est au centre de l’affaire de la grippe porcine au Mexique, que les bureaucrates internationaux de la FAO, de l’OMS et des Nations Unies ont rebaptisée A pour faire plaisir à l’industrie. Anyway, la transnationale Smithfield Foods est le plus gros producteur mondial de porcs industriels. Si le cœur vous en dit, jetez un œil sur le site du monstre, ce n’est pas sans intérêt (ici).

Que racontent les journalistes du New York Times ? Qu’un typhon nullement tropical s’est abattu sur la Roumanie et la Pologne, deux pays qui avaient pu – paradoxe du système stalinien – maintenir des agricultures paysannes. Cela change, et très vite. Car Smithfield Foods n’est présent dans ces pays-là que depuis cinq ans. De cette date, leurs hommes ont enrôlé – disons convaincu – des responsables politiques locaux de la plus haute importance. Citons, pour que vous situiez le niveau, le président roumain lui-même, Traian Basescu, travaillé au corps par une exceptionnelle agence de lobbying, McGuireWoods. Américaine bien sûr, cette bottega oscura – la boutique obscure chère aux Italiens – a été payée pendant des années par le gouvernement de Bucarest pour tenter d’arracher son entrée dans l’Otan. On est entre bons amis. Autre lobbyiste remarquable : Nicholas Taubman, ami de George W.Bush, qui fut ambassadeur en Roumanie, mais qui est aussi et surtout un homme d’affaires international.

Avec une telle équipe, qui aurait pu perdre ? Avec une entreprise pesant des milliards d’euros dans des pays si pauvres mais si avides, comment les paysans auraient-ils pu gagner ? Smithfield Foods est déjà le premier producteur de porcs en Roumanie, mais évidemment, avec de menus désagréments au passage. En 2007, par exemple, une grippe porcine – tiens donc – a dévasté trois “établissements” de Smithfield Foods en Roumanie, dont deux fonctionnaient sans aucune autorisation. Oui da. Ce n’est pas tout, vous pensez bien : au total, 67 000 porcs ont été tués ou détruits. Certains malades, et d’autres qui ne l’étaient pas, car le principe de précaution n’est pas une vaine parole chez les grands industriels.

Je pourrais continuer sur des pages. Ce qui se passe en Pologne et en Roumanie est aussi atroce que ce qui arrive au Mexique. En Roumanie, le nombre de petits fermiers possédant des porcs est passé de 477 000 en 2003 à seulement 52 000 en 2007, soit une diminution de 90 % ! La Pologne a vu disparaître 56 % de ses 1,1 million de porchers entre 1996 et 2008. Vive l’Europe, messieurs ! Oui, vive l’Europe, car notre belle Union donne à Smithfield Foods des dizaines de millions d’euros de subventions pour la « modernisation » de ce pauvre élevage est-européen. Sur les marchés d’Abidjan (Côte d’Ivoire), raconte le Times, le kilo de porc made in Poland se vend 1 dollar et 40 cents le kilo. Quand la viande produite sur place coûte 2 dollars 50.

Beuark !, qu’ajouter de plus ? Tout de même quelque chose. Smithfield Foods est une transnationale. Par définition, elle se moque bien des frontières. Et elle est chez nous. Ne me dites pas que vous le saviez : Smithfield Foods est le plus grand groupe français de charcuterie, sous le nom d’Aoste (ici). Cochonou, Julien Bridou, c’est elle ! Et bien d’autres encore. Je vous espère aussi rassuré que je le suis. Et pour parachever mon impeccable œuvre d’information, voici la liste des lieux qui abritent en France des entreprises  Smithfield Foods : Landivisiau et Quimper (Finistère); Douai, Saint-André-les-Lille (Nord); Monein (Pyrénées-Atlantiques); Saint-Symphorien sur Coise, Bron (Rhône); Saint-Étienne (Loire); Yssingeaux (Haute-Loire); Vernoux, Boffres (Ardèche); Peyrolles (Bouches du Rhône); Aoste (Isère). À nous le jambon de Bayonne, le saucisson sec, les bonnes saucisses comme à la maison !

Voilà. Mon travail est fait. Si j’étais un rebelle, je sais bien ce que je vous dirais. Si j’étais un ennemi ouvert et définitif de ce monde mortifère, je vois bien jusqu’où je me laisserais entraîner. Mais je suis journaliste, n’est-ce pas ? Un simple journaliste qui ne fait que son job. Sans gagner un rond ni espérer en avoir. Portez-vous bien. Si possible.