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Éric Fottorino et Sylvie Brunel (un beau duo)

Tout le monde ne lit pas le journal Le Monde. Moi-même, qui l’ai découvert par miracle lorsque j’avais 14 ans – ce qui aura probablement modifié le cours de ma vie -, je ne suis plus un fidèle. Plus d’une fois, il me tombe des mains. Est-ce bon signe pour le quotidien ? Pour moi, peut-être ? ¿Quién sabe?

Hier au soir, en tout cas, je l’ai lu. Depuis quelques mois, je savais que l’équipe du journal préparait une nouvelle rubrique quotidienne de deux pages, appelée Planète. Centrée, m’avait-on dit, sur la crise écologique. Et j’en étais heureux, bien que l’initiative arrivât fort tard compte-tenu de l’aggravation des problèmes. Il n’empêche : j’en étais bien satisfait.

La une du Monde datée du mercredi 24 septembre 2008 ouvre à droite sur un éditorial d’Éric Fottorino, le patron (ici). Sous le titre Bienvenue sur notre Planète, il présente le nouvel espace réservé donc à… Et c’est là que les choses se compliquent et s’emberlificotent. Car dans la première partie, qui figure donc en couverture, le mot écologie n’est pas prononcé. Bizarre, bizarre, je vous assure cher cousin et cher lecteur que cette absence m’a semblé bizarre. D’autant que la présentation faite par Fottorino fleure bon la bluette. Planète devra aider Le Monde – je cite – à « expliquer le monde tel qu’il est et surtout tel qu’il vient, apporter des des débuts de réponse clairs à des phénomènes complexes ».

Comme j’aime la langue de bois ! Quelle musique inimitable ! Ce n’est pas tout, car il me fallait tourner la page pour terminer la lecture de l’éditorial. Et là, le sublime. Directement et sans détour, le sublime. Une nouvelle citation : « Notre intention n’est pas d’accumuler dans ces pages un stock accablant de mauvaises nouvelles ! Se borner à rendre compte des catastrophes planétaires, des cyclones, raz de marée, fontes des glaciers et autres destructions forestières serait inapproprié, de même qu’observer les migrations par le seul prisme des réfugiés écologiques ou des sans-papiers désespérés. Au contraire, tout un chacun, individu, entreprise, Etat ou groupe d’Etats, unions régionales ou mondiales, est en mesure d’apporter des solutions aux défis naturels de ce troisième millénaire ».

Je compte sur votre propre lecture critique, et me contente d’un mot sur l’admirable et, je l’espère, inoubliable : « Se borner à rendre compte… ». Pardonnez, j’en oubliais un deuxième. Le Monde ne versera pas dans un « scientisme forcené ». L’adjectif forcené est une trouvaille géniale, surtout sous la plume de Fottorino, qui est aussi un écrivain. On peut donc espérer – sait-on jamais ? – qu’il connaît le sens des mots. Et donc, je note qu’il rejette noblement le « scientisme forcené ». Mais pas le scientisme, dont je rappelle qu’il est une sorte de foi dans les vertus supposées de la science à régler les principaux problèmes humains. Éric, merci.

Et ce n’est pas tout. Cet éditorial est un régal, un festival de l’idéologie, camouflée comme il se doit sous les ors de la raison et des grands principes. Car Fottorino ose enfin évoquer la menace des menaces, ce dérèglement climatique qui désorganise déjà la vie de centaines de millions d’humains. Je sais que ce n’est pas très grave quand il s’agit de sortir chaque jour un journal, tâche glorieuse de notre grand journaliste-écrivain. Je le sais, et le prie respectueusement de pardonner ce qui suit.

Qui est ? Disons un pleur, se changeant faute de mieux en rire débondé, frôlant un peu – j’avoue tout – l’hystérie. Car Fottorino, signant un article-clé du grand quotidien de référence français, nie tout simplement la crise climatique en cours. Non le réchauffement, mais la crise. Oh certes, d’une manière telle qu’aucun esprit honnête ne saurait lui en faire reproche. Oh ! on sait encore écrire, et l’on prend les précautions idoines. Pourtant, Fottorino nie. Comment ? En s’appuyant d’une manière hypocrite sur la géographe Sylvie Brunel. Laquelle est une anti-écologiste primaire, dans la belle tradition de ce grand couillon de Luc Ferry.

« Spécialiste de l’humanitaire » – elle a été présidente d’Action contre la faim (ACF) -, elle ne cesse de pourfendre les gens dans mon genre. Je n’ai pas le temps d’insister, mais je vous promets un article complet sur elle, car elle le mérite, ô combien. Proche des thèses de Claude Allègre et de son clone Lomborg (“L’Écologiste sceptique”), elle ne croit rien des menteries sur la dégradation des écosystèmes. Rien. J’ajoute, pour avoir lu certains de ses textes, sur lesquels je reviendrai, qu’elle est formidablement ignorante. Mais à un point qui étonne un peu, tout de même. Y compris sur le sujet de prédilection qui est le sien, ce fameux « développement » qui ruine le monde. Brunel, qui le défend ardemment et constamment, est bien obligée de noter qu’il n’a pas atteint ses objectifs. Mais pourquoi ? La réponse, qui figure dans l’un de ses derniers livres (Le développement durable, PUF, coll. Que sais-je ?) est d’une profondeur telle qu’elle finirait par faire douter (d’elle). Je vous la livre : « Ce ne sont ni l’argent ni les moyens qui manquent, mais une volonté concertée ». Mazette, nous sommes dans la stratosphère de la pensée planétaire.

Malgré ce détour, je n’ai pas oublié Fottorino. S’appuyant donc sur l’excellente Brunel, il conclut son noble édito de la sorte : « Gare aux idées reçues, aux modes qui se démodent. “Historiquement, les phases de réchauffement ont toujours été porteuses de progrès”, écrit Sylvie Brunel, citant les opportunités liées selon elle à une montée des températures : la libération de terres cultivables sur les hautes latitudes, l’augmentation de la période propice à la croissance des végétaux, l’ouverture de nouvelles routes circumpolaires “qui permettront d’économiser l’énergie nécessaire aux trajets actuels qui contournent les continents par le sud” ».

Oui, vous avez bien lu. Éric Fottorino et Sylvie Brunel considèrent que le réchauffement climatique est une chance pour l’humanité, un progrès. Je sais bien qu’ils le croient sincèrement. Mais comme je suis un voyou, j’ajouterai qu’il ne faut pas non plus désespérer Lagardère, qui se trouve être le premier actionnaire extérieur du journal le Monde. Mais oui, notre cher marchand d’armes (entre autres) national joue un rôle clé, désormais, grâce à Jean-Marie Colombani, dans l’avenir d’un quotidien qui fut jadis – comme le temps passe – à peu près indépendant. Un dernier mot sur la pub, cette industrie du mensonge encore plus décisive pour les fins de mois de la presse. Je formulerai l’hypothèse suivante : Le Monde ne peut pas dire la vérité sur l’état de la planète, car celle-ci s’oppose frontalement à la marche des affaires. À la fuite en avant de l’industrie et de ses innombrables produits inutiles, qui tuent la vie sur terre. Le réchauffement climatique est une chance, car sinon, la pub ira ailleurs. Et Le Monde périra. Ite missa est.

PS : Vous faites comme vous voulez, mais je vous conseille de conserver soigneusement le texte de Fottorino. Nous pourrons avec un peu de chance le montrer plus tard à nos enfants et petits-enfants, de manière à ce qu’ils s’étonnent avec nous de l’état de la (non) pensée et de la presse en France, en 2008. Je vous le dis et vous demande de me croire : cet éditorial est un grand document.

Un certain 11 septembre

Quand je pense spontanément au 11 septembre, c’est celui de 1973 qui s’impose. Je venais d’avoir 18 ans, et ma pensée politique était incandescente. Je rêvais de révolution. Et de guerre, je l’avoue. Nous étions quelques uns, et je crois que nous étions sérieux, qui envisagions de rejoindre le Chili, où une pesante crapule, Pinochet, venait de rétablir l’ordre de sa caste. Pendant quelques jours et même semaines, nous fantasmions en effet sur une résistance armée aux putschistes, et le retour aux Brigades internationales de la guerre d’Espagne.

Aujourd’hui, quand je pense au sublime pays que fut ce Chili de 4 000 km de long, j’ai envie de cracher sur tous, ou à peu près. Sur les restes de Pinochet, pour sûr. Mais aussi sur ces socialistes au pouvoir, qui ont tout accepté, jusqu’à ce modèle dit de Chicago, inspiré par l’économiste Milton Friedman. L’ultralibéralisme, c’est-à-dire la destruction de la nature et le knout pour les plus faibles des hommes. Les seuls que je sauverais de mon dégoût sont les Indiens Mapuches, qui tentent, dans ce monde devenu fou, de conserver leur âme. Avez-vous déjà entendu leur musique ? Leurs chants destinés à Ñuke Mapu, notre terre-mère à tous ? À tout hasard, cette adresse en français (ici).

Mais je m’égare, comme si souvent. Que vous dire de l’autre 11 septembre ? Je suis aux antipodes des conspirationnistes de tout poil. Au point que Thierry Meyssan, l’homme de L’Effroyable imposture, m’a fait l’honneur d’un procès. Je l’avais il est vrai insulté dans un journal, ce qui ne se fait pas. Pas pour ses billevesées sur les attentats du 11 septembre, d’ailleurs. Même pas. Mais pour ce que son Réseau soi-disant Voltaire rapportait sur le compte de René Dumont et Hubert Védrine. Je ne supporte pas le ragot, la rumeur, la calomnie.

11 septembre 2001, donc. Juste une remarque de bon sens. Si les réseaux islamistes qui justifient Vigipirate, le fichier Edvige et tant d’autres atteintes aux libertés ici, ou le Patriot Act là-bas, étaient aussi puissants qu’on nous le dit, serions-nous à ce point tranquilles ? Les journaux, qui rapportent ce que les services spécialisés leur offrent sur un plateau doré, racontent n’importe quoi. À les lire, à les croire, des centaines de cellules dormantes de volontaires kamikazes attendraient dans nos villes d’Occident.

Je vais vous dire : ce n’est plus dormir, cela. Cela s’appelle mourir. Je sais parfaitement que, tôt ou tard, les bandes liées à Al-Qaida frapperont durement, ici ou là. Je n’en suis évidemment pas heureux. Mais enfin, combien de grands attentats en sept années ? En dehors de ceux de Londres et de Madrid, combien ? Si des milliers d’hommes étaient décidés à frapper au coeur de nos pays en permanence, que ne le feraient-ils en permanence ?

Il s’agit donc, assurément, d’un mensonge éhonté. Qui renvoie à une réalité que personne n’interroge. Quels sont les informateurs de ce storytelling, de cette fable ? Et quels sont les intérêts des informateurs ? La presse, habituée depuis toujours à quémander l’information sensible aux différents organismes militaires – qui sont seuls autorisés à la diffuser -, la presse écrit d’invraisemblables sottises. Sur ce sujet et peut-être même quelques autres. Y a quelque chose qui cloche là-dedans, j’y retourne immédiatement.

L’industrie du mensonge vous salue bien

J’ai eu l’occasion, il y a quelques jours, de participer à un débat entre journalistes et photographes, à Paris. À l’invitation de l’association Ça presse, j’ai bredouillé quelques mots sur le sujet de la soirée, qui était la censure. Et je me suis retrouvé un peu seul pour évoquer l’incroyable abdication de la presse devant le poids de la publicité.

Je ne veux pas surtout pas vous perdre dans des détails. La question n’est pas de savoir, à mes yeux, quelle part de publicité est acceptable. Car un principe évident est en cause, et je m’étonne encore, malgré mon grand âge, qu’il soit à ce point négligé. La publicité n’est autre que l’industrie du mensonge. Ni plus ni moins. Elle est là pour manipuler et convaincre de l’intérêt qu’auraient les humains à détruire ce qui tient encore de guingois.

Je ne déteste pas la publicité, je la hais. Je ne rêve que de sa disparition totale et définitive, même s’il est préférable en ce domaine de se montrer patient. Et je dois constater que l’immense majorité des journalistes n’osent pas même rêver d’un pays dans lequel le mensonge industriel et l’information seraient séparés de manière étanche. En bref, je plaide pour l’interdiction de toute forme de pub dans quelque support d’information que ce soit.

Accepter la moindre exception, c’est au bout du compte, fatalement, avaler toute leur merde. À la petite cuiller peut-être, mais toute. Voyez l’exemple qui suit, tiré de mes lectures de journaux les plus récentes. Dans le numéro 2276 du Nouvel Observateur – du 19 au 25 juin -, je compte dix pages de pub couleur pour les bagnoles les plus lamentables du marché. Par exemple la Toyota Land Cruiser, dont on ne donne pas le prix – ce serait vulgaire, non ? -, mais (en tout petit) les émissions de gaz à effet de serre au kilomètre parcouru. Eh bien, amis du climat ! Ce carrosse balance dans l’air entre 236 et 243 grammes de CO2 par km. Abstrait ? Oui, abstrait. Sachez que la Commission européenne prépare une directive, d’ailleurs ridiculement pleutre, qui prévoit d’imposer une norme à 130 grammes en moyenne. La Toyota  en est au double !

Donc, dix pages de pub du même genre, qui font de la bagnole, si j’ose cette image baroque, la vache à lait indiscutable du grand journal de la gauche intellectuelle française. Les 4×4 et les Mercedes, qui précipitent le monde dans un chaos prévisible, permettent à ces grandes consciences universelles que sont MM. Jean Daniel et Jacques Julliard de nous livrer chaque semaine leurs états d’âme sur le Proche-Orient et le sort de Bertrand Delanoë. Aucune autre industrie que celle de l’automobile n’est plus décisive pour les comptes du Nouvel Obs. Mais chut !

Dans ce même numéro 2276, pages 50 et 51, deux larges bandeaux enserrent l’article d’ouverture sur notre inépuisable Sarko. Bandeau de gauche : « Les biocarburants sont-ils efficaces dans la lutte contre l’effet de serre ? ». Bandeau de droite : « Oui, le diester lutte contre le réchauffement climatique ». Là, tout de même, je ris. Amèrement, mais à gorge déployée. Car la propagande est souvent plus imaginative. Or en ce cas précis, rien d’autre qu’une affirmation, à prendre ou à laisser. Pas de preuves, pas de référence à une obscure étude. Rien. Et le Nouvel Obs empoche, lui qui n’a jamais rien écrit d’important sur un phénomène pourtant planétaire, qui ravage peuples et nature. Heureusement que l’hebdo est de gauche !

Dans Le Monde daté du 24 juin 2008, page 11, autre vaste publicité. Abengoa Bioenergy, The Global Ethanol Company, vous parle. Et vous éclaire, pardi, puisqu’une « information manipulée » prétend que « la production de bioéthanol risque d’aggraver la pauvreté et la faim dans le monde ». Par parenthèses, apprécier la forme verbale utilisée, qui renvoie à un futur improbable ce qui n’est pas un risque, mais déjà une réalité.

Et poursuivons. Cela ira vite, car le reste n’est que mensonge global. L’éthanol aiderait au développement des économies locales, et profiterait aux petits paysans. D’ailleurs, il existerait de considérables zones cultivables, à cultiver justement. Enfin, les biocarburants de deuxième génération achèveraient de transformer l’affaire en un conte de fées. En « remplaçant » ceux de la première génération, tirés de plantes alimentaires. Eh bien, j’ai la preuve absolue de la manipulation, ce qui n’est pas si fréquent. Reportez-vous à un article que j’ai écrit il y a seulement trois jours (ici), nommé opportunément : Oh ! les salauds. Un certain Robert Wooley, l’un des directeurs de la compagnie Abengoa, a révélé devant une commission du Congrès américain que les biocarburants de deuxième génération ont besoin, pour éventuellement émerger un jour, du développement massif de ceux de la première génération. Le jatropha, les arbres transgéniques à cellulose, les algues de la propagande n’existeront jamais que si on laisse les marchands cultiver du palmier à huile, du maïs ou du colza destinés à la bagnole.

C’est ce qu’on appelle un flagrant délit. En France, dans la publicité du Monde, une gentille farce. Et aux Amériques, la vérité. Les tartuffes du Monde – et de tout autre journal vivant des mêmes expédients – prétendront faire confiance au lecteur, capable de faire la différence, de lire, de comprendre, de « contextualiser ». Mais qui ignore que ces stratégies visent à saturer l’espace public de fausses indications, d’emplir les cerveaux rendus disponibles d’une petite musique qui retentira toujours au bon moment ? Qui oserait nier, au passage, que cet argent apporté par l’industrie des biocarburants est chaque jour plus nécessaire pour boucler les fins de mois ? Qui ne s’interrogerait sur l’absence, dans le journal de référence qu’est hélas Le Monde, du moindre article complet sur le lobby mondial en faveur des carburants végétaux ?

C’est affreux, c’est insupportable, c’est réellement une infamie. Des journalistes parisiens surpayés – du point de vue qui est le mien, TOUS les journalistes (*) sont surpayés – acceptent que leur revenu soit assuré par l’argent du crime. Du crime, je contresigne ce propos grave. Car derrière cette propagande, il y a des gens à terre, affamés, désespérés. Et leur vie vaut la nôtre. Évidemment.

Je ne rêve pas, malgré certaines apparences. La vérité de la presse est la vérité du monde qu’elle commente. Il y a eu, dans les années Trente du siècle passé, une presse vénale, qui acceptait des valises de billets des ambassades parisiennes les plus diverses. L’Italie de Mussolini – mais tant d’autres ! – achetait régulièrement la « ligne » de grands quotidiens à son endroit, surtout après les aventures militaires en Afrique. L’élan illusoire mais vif de la Résistance fit surgir des journaux tant soit peu différents, qui furent un à un avalés par la machine.

Nous sommes de nouveau au fond du trou. La publicité et l’industrie, notamment militaire, ont provisoirement gagné la partie, et commandent aux gazettes. Je n’oublierai jamais que le journal Le Monde – et ses équipes – a accepté sans broncher l’arrivée de Lagardère dans ce quotidien jadis vivant. Non. Jamais, même si je devais vivre 110 ans. Lagardère, présenté par un Colombani – que soutenait alors Edwy Plenel – comme un magnifique aristocrate, raffiné, esthète, libéral bien sûr, était aussi un marchand d’armes. Surtout, essentiellement un homme qui vendait de la mort partout où les biocarburants n’avaient pas encore passé leur lance-flammes.

Je sais bien qu’il vaut mieux être propre sur soi pour être écouté. Bien élevé. Calme et pondéré. Surtout ne jamais paraître un dangereux excité ! Damned, je m’ai encore trompé.

(*) Je mets de côté les nombreux précaires, qui font tourner les machines, et que tous les insiders oublient si facilement.

PPDA contre la Méditerranée

Rien mais beaucoup : au moment où j’ai cliqué sur les actualités d’un certain Google, 741 articles en langue française, parmi ceux sélectionnés, parlaient du départ de PPDA du journal télévisé de TF1 (ici). Et deux évoquaient l’étude montrant que 97 % de la totalité des requins de Méditerranée ont disparu en 150 ans environ.

Inutile de commenter bien longtemps. Ce dernier événement est d’une portée simplement incommensurable. Il signifie un bouleversement que l’esprit humain est incapable de se représenter. Lorsque que des animaux aussi hauts dans la chaîne alimentaire que les requins meurent, tout est désorganisé. Les niches écologiques changent d’occupants, une sorte de roulette aux dimensions géantes se met en place, qui redistribuera toutes les places sans que nous ayons le moindre mot à dire.

Si l’on ajoute à cela la disparition (commerciale) on ne peut plus certaine du thon rouge en Méditerranée, pour cause de stupidité de masse et de cupidité, il est évident que nous assistons à un effondrement inédit.

On le sait, croyez-vous ? Non, on pourrait le savoir. La presse française porte une part de responsabilité écrasante et tragique dans la sous-information générale. Elle n’est pas la seule, mais elle est au premier rang.

Sur le grand appel (pathétique) de Politis

Certains d’entre vous, compte tenu de son sujet, ne liront pas ce texte. Je n’y peux pas grand chose, et j’ajouterai pour aggraver mon cas que ces lignes ne sont peut-être pas très intéressantes. Ce n’est pas de la coquetterie de seconde zone, juste une interrogation sincère. Disons qu’il m’était sans doute nécessaire d’écrire ces mots pour mesurer à quel point je me suis éloigné de la gauche estampillée telle, quelle qu’elle soit. Ce n’est jamais que la confirmation d’un processus entamé il y a plus de vingt ans, et qui est désormais achevé. Mille excuses à ceux qui n’ont plus envie d’entendre parler de cela. Mille.

C’est (presque) insignifiant, mais tout de même. L’appel dont je vais vous parler montre où est demeurée – le mot juste – la plus grande part de ce qu’il est convenu d’appeler la « gauche de la gauche ». J’ai eu l’occasion de le dire, et je le répète : je ne suis pas de gauche. Mais c’est de cet univers mental et historique que je viens, et je ne saurais l’oublier. Jamais.

Le hasard a mis sous mon nez un Appel du journal Politis, signé par quelques milliers de personnes déjà, et qui s’intitule : l’Appel à gauche (ici). Il se trouve que j’ai travaillé longtemps pour ce journal, que j’ai contribué à fonder en 1988. Je l’ai quitté deux ans plus tard, mais à partir de 1994, j’y ai assuré chaque semaine une page sur l’écologie, contenant une chronique. Comme pigiste, extérieur à la rédaction, donc. Dès cette époque, qui s’enfuit au loin, j’étais en désaccord complet avec la ligne de Politis.

Car cette ligne, qui n’a pas changé, consistait à rassembler autour de vieilles idées de gauche un pôle capable de peser sur les décisions prises au sommet par le parti socialiste, avec un zeste d’écologie, mais d’écologie politique, longtemps incarnée par les seuls Verts. Je dis un zeste, car jamais l’écologie véritable n’aura fait bouger les lignes internes de Politis. J’en porte une part de responsabilité, cela va de soi. On m’y tolérait, plus ou moins selon les années, mais sans jamais se rapprocher de mon point de vue. Lequel était autre, en effet, qui ne pouvait en aucun cas se mélanger à l’ancien.

Au-delà de tout ce qui a pu m’opposer à eux sur un plan personnel, Bernard Langlois et Denis Sieffert incarnent très bien ce que je rejette au plus profond de moi. Langlois, l’âme du Politis des premières années, et Sieffert celle des suivantes, ne sont pas les mêmes personnes, cela se saurait. Le premier a visiblement compris de l’intérieur certaines réalités nouvelles. Il sent le neuf. Mais cela ne l’empêche pas de rêver de la même gauche qu’il y a quarante ans. Un PSU qui réussirait son coup. Je n’ai pas la force de me moquer.

Le second a été formé dans le cadre classique de la politique la plus classique. Intelligent, il a compris en partie les enjeux intellectuels de la crise écologique. Mais comme la nature lui est totalement indifférent, cela ne le conduira pas, jamais, à rompre avec le cadre d’une gauche social-démocrate teintée de vert.

Sous sa conduite, Politis sera devenu le flambeau d’un courant permanent en France depuis la division de la gauche officielle en 1920. Je veux parler des oppositions dites de « gauche » au PCF et à la social-démocratie. Qu’elles se soient appelées « Cercle communiste démocratique » – 1930 -, « Gauche révolutionnaire » – 1935 -, PSOP – 1938 -, puis après-guerre, Rassemblement démocratique révolutionnaire, PSA, PSU, Union dans les luttes – 1980 – et tant d’autres, ces tendances n’ont jamais rien donné ni ne donneront jamais rien.

Nul n’est obligé de me croire. D’ailleurs, je n’ai pas de preuve, ni le temps ici d’exposer en détail mes arguments. Une chose est sûre et certaine : Politis est une vieille affaire. J’en suis parti en 2 003, au moment de la mobilisation contre la réforme des retraites, dans un clash retentissant. Je crois que je le raconterai en détail un autre jour, cela peut intéresser. Disons d’un mot que je ne pouvais défendre ce mouvement-là, et que je n’ai évidemment pas changé d’idée. Langlois et Sieffert non plus, d’ailleurs, de leur propre point de vue.

Venons-en à cet « Appel à gauche » tout récent. C’est un texte de compromis, bien entendu, et sans cela, il n’aurait pas été repris par tous ces gens-là. Parmi les signataires, des décroissants – Paul Ariès -, des lambertistes – le député Marc Dolez -, des staliniens, dont nombre prétendent ne jamais l’avoir été – Asensi, Gayssot, Braouezec, etc -, des Verts – Contassot, Bavay -, des socialistes en nombre, sans compter d’innombrables ratons-laveurs parmi lesquels des journalistes, des intellectuels divers et variés. En bref, du beau monde.

Suis-je impressionné ? Non, je dois dire. Amusé serait plus près de la réalité. Car, voir plus haut, ce type de pétition a déjà été diffusé des dizaines de fois en France depuis un siècle. Mais amusé, oui, je crois que je peux le dire. Par exemple, mais je dois faire vite, le nom d’un Gayssot me comble. Cet inusable apparatchik, qui faillit succéder à Georges Marchais à la tête d’un parti à l’histoire ignoble, copine d’une manière admirable avec le potentat de Montpellier et néanmoins socialiste Georges Frêche. Je vous fais grâce d’innombrables détails, mais j’insiste sur le mot ignoble pour parler de l’activité stalinienne, en France et partout ailleurs. J’accepte en retour lazzi et quolibets de tous ceux qui ne seraient pas d’accord sur le qualificatif. C’est le mien.

Bref. Que dit l’appel ? Plutôt, que ne dit-il pas ? À part une minuscule allusion à la crise écologique, désormais obligatoire dans tout texte, il ne dit rien du réel. Je veux parler du vrai réel, celui qui commandera fatalement notre avenir commun. Ainsi de l’apparition de limites physiques indépassables, même pour de vaillants marxistes. Ainsi de l’affaissement des principaux écosystèmes naturels, dont ils se moquent absolument, mais qui déterminent néanmoins tout projet humain.

Rédigé dans une langue indigente, cet appel propose de refaire ce qui a déjà tant échoué. Et il échouera donc au rivage de la mer morte des illusions tenaces. Je sais bien que ces mots ne peuvent que choquer ceux qui les tiennent pour vérité. Je n’écris pas pour les choquer, ce serait dérisoire. J’écris seulement pour dire ce que je pense. Cet appel est pathétique, et je ne m’en réjouis pas.