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Rhubarbe et séné (sur un défunt ministère)

On a beau être habitué à tout, on s’étonne encore. Même moi, heureusement d’ailleurs. Le 19 décembre dernier, j’ai écrit un article sur la réorganisation du ministère de l’Écologie. Pardonnez-moi de vous y renvoyer (ici), mais je ne saurais être plus clair aujourd’hui. J’y décrivais la disparition pure et simple de ce ministère tape-à-l’oeil, englouti par le ministère de l’Équipement.

D’un côté, en face d’une situation aussi dégradée que celle nous connaissons, ce n’est rien. Mais de l’autre, quel message effarant ! Créé en 1971 par décision du prince, appelé alors Georges Pompidou, ce ministère aura accompagné – et justifié – au long des (presque) quarante dernières années la disparition d’une infinité de paysages, d’espaces et d’espèces. Peut-on parler d’un ministère de la liquidation ? Je le pense.

Il faut croire que cela ne suffisait pas aux grands ingénieurs qui mènent la danse technique de notre pays. Ceux des Ponts-et-Chaussée ont réussi un coup préparé de longue date, et pris le pouvoir silencieusement sur ce qui leur échappait encore du dit ministère de l’Écologie. Je l’ai donc écrit le 19 décembre, mais si j’y repense, c’est que Corinne Lepage vient d’écrire un texte qui dit la même chose, d’une manière certes différente.

Pour ceux qui l’ignoreraient, Corinne Lepage, ministre de l’Environnement il y a dix ans – sous Juppé -, est adhérente du MoDem de Bayrou. Publiée sur le net (ici), son analyse mérite lecture. Je vous en livre ci-dessous un large extrait, car tout le monde n’aura pas le temps de lire la totalité du texte. Voici :

« En premier lieu, la dimension si fondamentale de la connaissance, de l’évaluation et de la prévision disparaît définitivement en tant qu’entité identifiée, achevant la tâche commencée avec la disparition de l’IFEN [ Institut français de l’environnement, Note de F.Ni ] en tant que structure autonome. Dès lors, les données environnementales, sans lesquelles aucune politique ne peut être mise en place – alors que la France accuse déjà un retard immense au regard des données communiquées par l’Agence européenne de l’environnement – ne vont plus bénéficier d’aucune priorité et surtout seront gérées de manière « politique » sans aucune autonomie par rapport aux directions concernées. L’évaluation économique, dont on a vu l’importance avec la sortie du rapport Stern par exemple, est renvoyée aux oubliettes ce qui signifie que les choix pourront continuer à s’effectuer sans aucune visibilité de long terme ; Le secret, cher à nos gouvernants pourra, nonobstant la convention d’Aarhus, continuer à dissimuler le mauvais état écologique de la France.

En second lieu, le ministère de l’équipement et plus précisément le corps des ponts a réalisé le rêve qu’il poursuivait depuis toujours : absorber le ministère de l’environnement. De fait, la direction de la nature et des paysages ainsi que la direction de l’eau, qui existaient pourtant depuis M.Poujade, premier ministre de l’Environnement sont supprimées. En revanche, les grandes directions de l’équipement demeurent : ce qui signifie que dans l’esprit des  »grands réformateurs » du corps des ponts, il est plus important de continuer à faire des routes et des aéroports que de gérer l’eau ou les ressources naturelles. Ainsi, il n’existera plus dans la structure gouvernementale aucune direction chargée de veiller spécifiquement sur la nature et ses ressources puisque cette mission sera intégrée avec le territoire et les habitats.
Les grandes missions transversales comme la mission effet de serre disparaissent également, alors que celle de la route, de la mer et de l’aménagement du territoire demeurent. On peut admettre que le nouveau commissariat au développement durable absorbe la délégation du même nom, qui malgré les qualités de son titulaire n’a jamais démontré son utilité. Il n’en va pas de même de la MIES, d’autant plus que le gouvernement prétend faire de ce sujet un point focal de son action. Ajoutons à cela que si logiquement la direction de la prévention des pollutions et des risques se transforme en grande direction des risques, la réorganisation du ministère s’accompagne en revanche d’une externalisation d’une partie des contrôles !

Enfin, ce qui faisait la richesse du ministère, c’est-à-dire des personnels qui n’étaient ni énarques ni issus des grands corps, est anéantie puisque les directions seront partagées entre ENA, Mines et Ponts dans la grande tradition française ».

Oh, je n’écris pas de la sorte, non. Mais enfin, il est savoureux de voir qu’une ancienne ministre est capable, dans certaines circonstances, de manger le morceau. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. J’ajouterai pour finir quelques commentaires généraux. L’absorption du ministère de l’Écologie n’a été rapportée, à ma connaissance, par aucun journal important. Autrement dit, nul ne sera au courant d’une régression tout de même significative. Nul. Personne. Et peut-être jamais. Notre société est bel et bien informée.

Par ailleurs, ceux qui – FNE, Greenpeace, WWF, Fondation Hulot, excusez mon radotage – qui ont accepté les règles du Grenelle de l’Environnement à l’automne dernier, ont traité avec des ectoplasmes. Je veux parler de Borloo et de Kosciusko-Morizet. Politiciens jusqu’au bout des ongles – qui peut décemment l’ignorer ? – ces deux personnages n’ont aucun pouvoir qui ne leur soit concédé par leurs maîtres, ceux qui dirigent en réalité, et pour l’éternité, leur ministère. Et ce pouvoir ne se peut voir que par temps clair, à l’aide d’une loupe binoculaire.

Autrement dit, tout s’est joué sur la scène par excellence des journaux télévisés, où tous les acteurs de ce mimodrame se seront échangé sans cesse la rhubarbe et le séné. Que dire de plus ? Si : je crois qu’il existe chez la plupart des commentateurs, en plus du reste, une peur fondamentale. Et cette peur, c’est celle de paraître si peu que ce soit un critique résolu du monde existant. On peut farcir les journaux de colonnes à la gloire des Excellences et des Grenelle de tous ordres, mais il ne faut surtout pas montrer les coulisses. Jamais. Car sinon, on se désigne. Car sinon, on se rapproche dangereusement du territoire jamais atteint qu’on appelle, quand l’on est malpoli comme je suis, la liberté.

PS : J’ai commis une grossière erreur d’accord, rectifiée grâce au coup d’oeil de Jean-Paul Brodier. J’avais écrit : « les acteurs de ce mimodrame se seront échangés sans cesse la rhubarbe et le séné ». Il fallait bien entendu ne pas accorder le verbe échanger. Merci pour de vrai !

Quand le lion sera historien

L’autre jour, je discutais avec une femme qui me disait aimer beaucoup certain proverbe africain. Je n’ai pas vérifié, et peut-être n’est-il pas africain. Il n’est pas impossible que ce ne soit pas, d’ailleurs, un proverbe. N’importe, car le voici : « Tant que les lions n’auront pas leur propre historien, les histoires de chasse glorifieront toujours le chasseur ».

Pas mal, non ? Moi, j’aime. Et je pensais à cela tout à l’heure en découvrant dans le journal Le Monde – qui me tombe de plus en plus souvent des mains, est-ce normal ? – un article sur les prix agricoles (ici). Un de plus ? Je confirme. Celui-là, s’appuyant sur une étude conjointe de la FAO et de l’OCDE, prévoit un malheur planétaire durable. L’augmentation des prix alimentaires ne serait pas un feu de paille, mais une bombe à mèche très lente. Les experts susnommés prévoient en effet, dans les prochaines années « une hausse d’environ 20 % pour la viande bovine et porcine, de 30 % pour le sucre, de 40 % à 60 % pour le blé, le maïs et le lait écrémé en poudre, de plus de 60 % pour le beurre et les oléagineux, et de plus de 80 % pour les huiles végétales ».

Cette flambée, obéissant à des facteurs structurels, n’aurait aucune chance de disparaître au cours des dix prochaines années. Or donc, et c’est moi qui pose la question, que pourront faire ceux de nos frères – car je n’ai pas rêvé, officiellement, ce sont bien des frères – qui survivent avec un dollar par jour ? J’ai la désagréable impression qu’ils iront se faire foutre, allongés dans une caisse en carton, pour l’éternité.

Ces chiffres effarants n’existent que pendant la fraction de seconde où ils passent devant la rétine fatiguée d’un de ces cadres moyens ou supérieurs qui lisent Le Monde. Car qui lit ce journal ? Sitôt lu, sitôt oublié. Il n’en restera rien, sauf pour ceux qui ont tant besoin de tout. D’où ce retour au lion. Ah ! si Le Monde était écrit par un paysan bambara désespéré ou un cul-terreux de l’Uttar Pradesh, certes, on n’y lirait pas les mêmes choses.

Peut-être saisirait-on enfin ce que signifie un suicide aux pesticides parce que le puits est à sec et que l’achat d’une pompe supplémentaire n’est pas possible. Ce que la vente d’une fillette au marchand de putes ou au chef des mendiants peut provoquer dans la tête d’une mère ou d’un père ou d’une fillette. Ce que c’est que pleurer sur la poussière d’un champ où il ne pleuvra pas. Ce que c’est que mâcher une racine pour tromper celle qui vous mange la tête et l’âme, la reine Famine.

Mais heureusement, le journal Le Monde – et tous autres – est réalisé par des journalistes qui maintiennent une saine distance avec les faits dont ils rendent compte. Le journalisme n’est pas l’école de l’émotion, mais celle de la congélation. Et c’est pourquoi vous ne lirez nulle part dans nos journaux gorgés de publicité pour la bagnole, l’avion et le nucléaire le texte renversant de cet entretien avec l’Indienne Vandana Shiva (ici).

Shiva, pour ceux qui ne la connaissent pas, est l’incarnation d’un mouvement dont on parle peu en vérité, celui qu’on appelait il y a quinze ans l’antimondialisation. Physicienne, écologiste, écrivain, elle dirige Research Foundation for Science, Technology and Natural Resource Policy, une fondation très active en matière de défense de la biodiversité. Celle qui est défendue depuis des milliers d’années par les paysans pauvres, celle qui permit l’existence en Inde d’une centaine de milliers de variétés de riz, adaptées aux moindres conditions locales. Elle a également créé une ONG qui n’a rien à voir avec les nôtres, car celle-là se bat. Son nom ? Navdanya (ici), qui veut dire « neuf graines ». Cette association regroupe des dizaines de milliers d’adhérents et promeut une agriculture paysanne qui doit beaucoup à ce que nous nommons l’agriculture bio. Un réseau d’une vingtaine de banques de semences a d’ores et déjà permis de sauver de l’anéantissement environ 8 000 variétés de riz. 8 000 !

Que nous dit Shiva dans l’entretien signalé plus haut ? Je ne peux que vous conseiller de le lire, si l’anglais ne vous rebute pas. Et je ne vais pas le paraphraser, non. Sachez que c’est un grand texte, appuyé lui sur des réalités certaines. Sur l’Inde, dont tant d’ignorants nous disent qu’elle rejoint à marches forcées le Nord, Shiva rétablit un à un les faits qui décideront de l’avenir de ce pays. Nous sommes loin, c’est-à-dire tout près, de la voiture Tata chère au coeur de Pierre Radanne (ici).

Contrairement à ce que la propagande voudrait faire croire, la situation indienne est catastrophique. La perspective de l’autosuffisance alimentaire s’éloigne de jour en jour. Lisez, lisez avec moi s’il vous plaît. L’Inde connaît une croissance de 9,2 % par an. Celle que mesurent des indices aussi faux que le PIB. 9,2 % ! Prodigieux ! clame le choeur universel des nigauds. Dans le même temps, l’Inde bat l’Afrique pour le nombre de ses affamés. L’Afrique ! clame le choeur universel des pleureuses.

Eh bien oui, l’Afrique est dépassée par l’Inde, où 50 % des enfants souffrent de différents niveaux de malnutrition. Où un million d’entre eux meurent de faim chaque année. Je vous le dis, je vous l’assure, Shiva n’est pas folle. La réalité est aux antipodes de notre réalité. Mais le lion n’est pas près d’avoir son historien.

Eillen, Marulanda, le Monde Diplomatique et nous

Vous avez entendu comme moi : el jefe est mort. Le chef Manuel Marulanda, patron des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), a fini par rejoindre dans un lieu improbable la ribambelle de « grands timoniers » qui l’ont précédé dans la tombe. Il fallait entendre les sanglots de l’un de ses admirateurs sur la radio de la guérilla ! Pouah ! Dans le même genre, on aura vu Timoleon Jimenez, autre chef des Farc, annoncer à la télévision vénézuelienne Telesur : « Le grand leader est parti ». Pouah, derechef.

Moi, je pensais alors à Tanja Nijmeijer, cette jeune Hollandaise dont le nom de guerre, chez les Farc, est « Eillen ». Entrée dans la guérilla en 2002, elle a abandonné à l’été 2007, dans un campement investi par l’armée, un journal de bord. Lisons ensemble, cela se passe (presque) de commentaires. En novembre 2006 : « J’en ai marre, marre des Farc, marre des gens, marre de cette vie en communauté. Marre de ne rien avoir à moi toute seule. Tout ça vaudrait la peine si on savait pourquoi on lutte. Mais vraiment, je n’y crois plus. C’est quoi cette organisation où certains ont du fric, des cigarettes, des gâteaux, et où les autres doivent mendier, pour être rejetés et réprimandés ? C’était comme ça quand que je suis arrivée il y a quatre ans, et ça n’a pas changé. Une organisation où une fille avec de gros seins et une jolie tête peut déstabiliser un plan qui avait été longuement préparé ensemble. Où on doit travailler toute la journée pendant que les commandants se racontent des conneries. Moi, qui sait si je sortirai un jour de cette jungle… […] Je veux m’en aller, quitter au moins cette unité. Chacun sait qu’il est ici plus ou moins comme un prisonnier. […] J’en ai assez du bla-bla sur le fait d’être communiste, honnête, ne rien gâcher, obéir. Et de voir à quel point les commandants sont hypocrites, vulgaires et traîtres. »

Et en avril 2007 : « L’offensive approche, aujourd’hui ou demain nous changeons de lieu. J’ai cinq points de suture à la cuisse, je me suis fait ça avec une pelle. […] Je ne sais pas, Jans, vers quoi nous allons. Qu’est-ce que ça deviendra quand nous aurons le pouvoir ? Les femmes des commandants roulant en Ferrari Testarossa, avec des implants mammaires et mangeant du caviar ? On dirait bien. ».

Tout cela n’aurait aucun rapport avec le sujet de ce blog, savoir la crise écologique ? Ce n’est pas si sûr. Car dans un pays comme la France, le vieux, le rance, le passé résistent dans les cerveaux, et résistent bien. Pour que des idées nouvelles surgissent et s’installent dans des têtes mieux faites, il faut de la place. Or cette place est largement occupée.

Chez beaucoup d’altermondialistes, qui croient mieux comprendre que quiconque, le stalinisme mental demeure un cadre. Je ne peux ni ne veux livrer ici une trop longue explication. Mais enfin, il y a un lien, irréfragable, entre Joseph Staline, Mao, Castro et les archéoguérillas comme celle des Farc. On trouve chez les staliniens de toute nuance la même conception de la politique, dont l’exercice est vertical, s’appliquant toujours du haut vers le bas supposé. Le peuple n’est rien, le parti est tout. Et bien sûr, le parti est avant tout le chef. Celui qui commande, celui qui montre la voie, celui qui brille de tous ses feux.

Je voue une détestation sans bornes à cette tradition, que je considère comme une maladie mortelle de l’esprit. Ces gens, tous ces gens se vautrent dans une abjecte soumission à l’autorité, laquelle accompagne comme il se doit le massacre. En Colombie, les Farc représentent la régression. La droite militaire aussi, cela va de soi. Il existe bel et bien un terrorisme d’État, et les paramilitaires sont bel et bien des assassins. Mais nous parlons des Farc. Et ces « communistes »-là font honneur à leur tradition.

D’abord, en policiers et juges intraitables, ils s’arrogent le droit d’emprisonner pour de très longues années des centaines d’otages civils. Il s’agit d’un crime, ni plus ni moins. Les responsables des Farc sont en outre machistes, malmènent les paysans qui ne les suivent pas, maltraitent les Indiens de la forêt, soutiennent l’industrie de la coca, antithèse parfaite de l’agriculture vivrière, s’allient donc avec les narcos, et ne rêvent que de production lourde et de « développement ». En clair, ce sont des ennemis. De l’homme comme de la nature.

Or ces braves gens trouvent de très nombreux relais. Notamment en France. Notamment grâce au soutien permanent accordé à leur petite armée par notre grand journal altermondialiste, Le Monde Diplomatique. Croyez-le ou non, je ne cherche pas à polémiquer. Cela ne sert à rien avec une publication comme celle-là.

Vous trouverez aisément sur le Net les archives gratuites du Monde Diplomatique et les articles consacrés à la Colombie depuis des années. Certes, la ligne éditoriale sur ce sujet délicat a évolué avec le temps. Il n’est plus possible de cacher toute la réalité. Mais ce qui demeure certain, c’est que le journal « comprend » mieux qu’aucun autre en France les staliniens armés des Farc.

Et pour en revenir à l’écologie, je me répète, vous me pardonnerez. Pour que surgisse enfin un mouvement prometteur, d’avenir, conquérant, paradigmatique pour parler savant, il faudra bien que recule encore cette insupportable (non)pensée. Je dois reconnaître que la mort de Marulanda me semble une bonne nouvelle.

Vont-ils s’ouvrir ? (sur les barrages chinois)

Les barrages vont-ils tenir ? Le terrifiant tremblement de terre chinois va-t-il emporter au passage ce signe parfait de la gabegie énergétique ? Il va de soi que je ne le souhaite pas, même si je déteste profondément cette manière de traiter l’eau, bien commun, bien éternel et surtout merveille des merveilles.

Les dernières informations disponibles en français (ici) montrent surtout que les bureaucrates stalino-maoïstes au pouvoir là-bas ont peur. Ce qui n’est pas bon signe. Nul ne sait en fait combien d’ouvrages hydro-électriques sont réellement menacés. 200, 400 ? Et de quelle taille ? La presse française, pour parler vulgairement, est à la ramasse.

Certes, les informations sont rares et difficiles d’accès. Mais est-ce seulement cela ? Le regard porté sur les événements n’entre-t-il pas aussi en ligne de compte ? Le quotidien américain The New York Times de ce jour consacre un excellent article au sujet, que je ne peux que conseiller à ceux qui lisent l’anglais (ici). Il faut y ajouter une infographie éclairante (ici).

La situation est visiblement très grave, et l’on ne saura que bien plus tard quelles en sont les conséquences. Certains barrages ne sont que des façades de béton derrière lesquelles ont été enfournées des milliers de tonnes de terre et de rochers. Et l’on découvre à peine que leur localisation n’a pas tenu compte de menus détails tels que l’existence de failles géologiques majeures

Pire si c’est possible : la région dévastée comprend les villes de Guangyuan et Mianyang (l’orthographe des noms est anglaise, excusez-moi), où sont construites des armes nucléaires nécessitant la manipulation de plutonium. Ces installations ont-elles été touchées ? Mystère, sinistre mystère.

Je crois qu’il n’y a pas besoin de faire de grands efforts pour tirer quelques leçons de ce drame épouvantable. La Chine est lancée dans un programme de guerre écologique contre elle-même et le monde. Sans précédent connu à ce rythme et à ce niveau de destruction. La nature, la vraie nature de la nature vraie rappelle cette évidence que l’aventure humaine doit composer avec cette puissance incomparable.

Mais là-bas, dans ce prodigieux pays qu’on appelle la Chine, rien ne sera possible tant que la clique au pouvoir sera là. La corruption et la folie de consommation que nous y entretenons pour garantir notre niveau de gaspillage empêchent le changement. Qui viendra donc d’une autre voie. J’aimerais croire qu’elle ne sera pas aussi brutale que le tremblement de terre de ces derniers jours. Mais je suis bien loin d’en être sûr.

Sur la pointe des pieds

Je m’esquive, je me sauve, je disparais dans la nature. Ne comptez donc pas sur moi au cours des prochains jours, car je regarderai le ciel, en plein jour comme au milieu de la nuit. Je rejoins le monde enchanté où les animaux mènent leur vie sans que nous en ayons seulement conscience. Il y a deux jours, j’ai mangé avec Vincent Munier, un exceptionnel photographe dont je vous ai déjà parlé (c’est ici). Et nous avons parlé, entre autres choses, de la nuit, ce nouveau monde perpétuel.

La nuit. Cette nuit qui me lavera un peu de toutes ces misères accumulées. Je ne vous embêterai donc pas en vous parlant du sort inouï fait aux orangs-outans sur l’autel des biocarburants. Je ne vous dirai pas le temps passé à les admirer dans leur vilaine cage du Jardin des Plantes de Paris. Et vous n’aurez pas droit au pleur qui me vient quand je songe aux éléphants du parc des Virunga, en République démocratique du Congo, ce pays martyr de la folie humaine.

Au fond, je vous envie. Vous aurez la paix. Et moi aussi, avec un peu et même beaucoup de chance. On se retrouve mercredi prochain, si vous êtes toujours là.