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Comment faire pour couler un journal ? (1ère partie)

Je vais vous raconter une histoire, en deux parties au moins. Une histoire de journal. En 1988, il y a juste vingt ans, j’ai participé à la création de Politis. Il s’agissait alors, clairement, de lancer un hebdomadaire à gauche de la gauche. Je ne croyais plus, déjà, à ce cadre-là. Mais je mentirais en disant que je voyais clair. J’étais dans le flou, dans le doute complet sur l’état de la pensée critique. Le monde me filait entre les doigts. Sa marche m’épouvantait, mais je ne voyais comment l’infléchir.

Étais-je écologiste ? Sûrement pas dans le sens que je donne aujourd’hui à ce mot. Mais à l’aune de ces années enfuies, nul doute : j’étais un écologiste. J’ai d’ailleurs joué un rôle central dans l’évolution de ce journal en direction de l’écologie. Je ne me vante pas. C’est ainsi. Jean-Paul Besset, qui était alors rédacteur-en-chef de Politis, partageait en grande part mon sentiment. Et Bernard Langlois, bien que plus distant, ne nous était pas hostile.

Résumons. Politis, né en janvier 1988, connut d’emblée crise sur crise, avant de connaître une (relative) embellie à partir de 1989. Des journalistes de valeur – sans épuiser la liste, Jean-Michel Aphatie, Laurent Carpentier, Paul Moreira, Vincent Jacques-Le-Seigneur – sortaient à rythme vif de bons articles, de solides dossiers. Nous étions sur une pente ascendante, mais toujours dans une extrême fragilité. Il fallait de l’argent, il aura toujours fallu de l’argent à ce journal pauvre.

Bernard Langlois, avec qui je suis fâché depuis, pour d’autres raisons, cherchait continûment des sous. Et il en trouvait. Sans lui, ce journal serait mort trente fois. Au début de 1990, profitant de son amitié avec le Premier ministre de l’époque, Michel Rocard, il obtint de Matignon une aide providentielle. De mémoire, voici ce dont je me souviens. Matignon – et Jean-Paul Huchon, qui dirigeait le cabinet de Rocard – avait organisé un complexe montage financier pour sauver Politis. La Macif, coopérative bien connue, alors proche des rocardiens, apporterait cinq millions de francs de l’époque. Le promoteur Pellerin – celui de La Défense, oui ! – 500 000 francs. Et l’entreprise Spie-Batignolles 500 000 francs aussi.

Je pourrais mentir et prétendre que je n’ai rien su. Mais non. Si je n’ai rien connu des détails, j’ai appris les grandes lignes de cet accord plus ou moins secret, et l’ai donc accepté. Politis, journal à gauche de la gauche, s’apprêtait à être sauvé par de francs ennemis. Sur fond d’occultes rapports de forces politiques et même judiciaires.

À ma décharge, je précise un point. Au printemps 1990, tandis que Langlois trouvait les formes de cet accord contre-nature, j’avais dessiné avec Jean-Paul Besset les contours d’un coup d’État. Nous étions convaincus, tous deux, qu’il fallait rompre le cordon qui nous liait à l’extrême-gauche, et nous étranglait au passage. Nous voulions un autre journal. Écologiste. Révolutionnaire, à bien y réfléchir. L’objectif était de changer le titre du journal en septembre 1990, et d’avancer. Je jubilais à l’avance.

Et puis est venu Brioude. Je ne vérifie pas, me fiant à ma mémoire. Dans le courant de mai, un homme m’a appelé depuis cette petite ville d’Auvergne, puis est venu me voir au siège du journal, rue Villiers-de-l’Isle-Adam, près de la place Gambetta, à Paris. Il s’appelait Jean Coudert. C’était inouï. Un laboratoire de solvants industriels, la Speichim, manipulait en pleine ville des produits chimiques parmi les plus dangereux de la planète.

J’y suis allé, à l’invitation de Jean. Je me souviens du directeur de l’usine, qui m’avait invité à déjeuner, et qui pensait, avec toute la naïveté des gens en place, qu’il m’avait convaincu. Eh non ! Le spectre de Bhopal n’était pas loin. Tout un quartier était meurtri. Des gens se disaient malades. Des gens étaient tombés dans leurs jardins. Les témoignages, concordants, impressionnaient. Mais sur place, j’avais aussi appris que la Speichim, responsable du malheur, appartenait à Spie-Batignolles, notre futur propriétaire.

Futur, car rien n’était conclu. Malgré les pressions de Matignon, Spie et Pellerin n’avaient aucune envie de payer pour un journal de sans-culottes. Je suis rentré à Paris avec un article sous le bras, qui incendiait – le jeu de mots est involontaire – Spie. Et je suis allé voir l’ami Jean-Paul. Besset avait la pipe au bec, comme à chaque moment du jour, et il m’a répondu quelque chose comme : « Eh ben, comme ça, on verra bien si on est indépendants de nos actionnaires ! ». Et je suis allé voir Bernard Langlois, qui en avait déjà tant vu. Il n’a pas hésité davantage. L’affaire était vraie. L’affaire était grave. Elle serait donc dans Politis.

Elle a paru, sur quatre pages bien serrées, sous ce titre que je vous laisse découvrir : Brioude, une bombe au coeur de la ville ? C’était une bombe, le mot était bien trouvé. Au bout du compte, pour Jean Coudert et les habitants du quartier nord de Brioude, cet article changea la donne, dans le bon sens. Mais pour nous, à Politis, ce fut une catastrophe.

Le dossier sur Brioude parut fin juin, et nous partîmes en vacances le coeur léger, espérant je vous le rappelle le lancement d’un nouveau journal en septembre. Mais Spie envoya tout promener, et comme dans un château de cartes, Pellerin et la Macif suivirent le mouvement. Dépôt de bilan. Besset, moi et au total la moitié de l’équipe s’égaillèrent aux quatre vents. Il n’y aurait pas de journal écologiste en France cette année-là.

Que voulions-nous faire ? Nous ne le saurons jamais. Mais il existe une trace, datant de l’année suivante, 1991. Besset et moi avions écrit le « projet Apache », qui ne vit jamais le jour, faute d’argent, et peut-être de détermination. J’aimerais vous livrer trois extraits de sa présentation défunte, car j’ai toutes les raisons de les juger éclairants. Voici :

« Nous vivons dans cette vérité cachée et pourtant évidente, oubliée aussitôt que connue : le mode d’organisation de nos sociétés, étendu par la force et la corruption à l’ensemble de la planète, ne mène nulle part où nous ayons envie d’aller ».

« Le catalogue est déprimant : de la baleine à l’éléphant, de l’eau de nos sources à celle des fonds marins, du choléra au sida, du Bengladesh martyr au Pérou qui s’engloutit, et jusqu’à l’Afrique, berceau de l’humanité devenu son linceul, nous semblons perdre jusqu’au sens premier des mots, jusqu’au respect élémentaire du vivant. Et c’est pourtant la glose, le futile, le spectacle, le dérisoire, le vide qui dominent ce que nous refusons d’appeler l’information ».

« Notre journal considère l’homme. Nous parlerons donc de l’homme réel : c’est dire qu’il faudra changer la perspective, c’est assurer d’emblée que Paris ne sera pas le centre de l’univers. Car le grand personnage de notre histoire est un parfait inconnu : c’est un paysan. Cet homme trime, se repose quelques heures sous un toit de chaume et meurt quarante ans avant nous. Et s’il n’est plus paysan, c’est qu’il campe sous un toit de tôle ondulée aux confins de la ville et de l’opulence : il n’aura jamais l’électricité ni l’eau courante, jamais un médecin n’atteindra le chevet de son enfant malade. Notre journal criera pour cet homme-là et pour tous ceux qui refusent de le voir. Il criera aussi fort, aussi loin, aussi longtemps qu’il le pourra. L’homme dont nous souhaitons parler a besoin d’air, d’eau, de nourriture, de ses frères animaux, de liberté. Notre journal montrera pourquoi on lui refuse tout cela, et à qui profitent les crimes contre l’humanité perpétrés chaque jour. Notre journal part à l’aventure sans amis, mais il les trouvera, car aussi paradoxal que cela semble, il est empli d’espoir ».

Ma foi, il me semble qu’il n’y a pas à rougir. (À suivre)

En défense de Sarkozy (bis repetita)

Je vous l’avoue, je pensais que mon article précédent sur Sarkozy passerait comme lettre à la poste. Tel n’est pas le cas, il s’en faut de loin. J’ai passé une bonne heure à réfléchir au sujet, avant de m’endormir hier, et me sens ce matin comme contraint d’y revenir. J’ajoute que j’ai lu, sur la même question, l’édito de Jean Daniel dans le Nouvel Obs, l’article des directeurs de la rédaction de l’hebdo, Guillaume Malaurie et Michel Labro, une chronique d’Alain Duhamel dans Libération, un commentaire de Louis-Marie Horeau dans Le Canard Enchaîné, et le long papier de Philippe Val dans Charlie-Hebdo.

Bon, je ne vais pas commenter les commentateurs. Un mot pour regretter l’extraordinaire mais habituel corporatisme qui relie tous les prosateurs, à des concentrations très diverses, il est vrai. L’énoncé le plus triste est selon moi celui de Labro et Malaurie. Mais baste.

Je le répète : à mes yeux du moins, le territoire de la vie privée est sacré. L’État, la presse, quiconque ne peuvent y pénétrer qu’en cas de crime, et après usage de mille précautions. C’est le fondement d’une civilisation. L’homme a le droit de parcourir comme il l’entend ce territoire qui lui est concédé. À ses risques et périls, certes, et en acceptant la responsabilité qui accompagne toute aventure. Et la vie en est une.

Je vous prie de m’en excuser à l’avance, mais je vais me montrer solennel. Une certaine classe intellectuelle française, qui domine largement le débat public, a constamment admis le compagnonnage avec le totalitarisme. Je ne parle pas là, évidemment, du fascisme. Mais du stalinisme. La France des journaux et des universités s’est montrée tragiquement incapable d’affronter la question stalinienne pendant le temps où elle a été posée. Aucun rapport ? Je crois que si.

Entre le tout début des années 20 et le milieu des années 70, soit cinquante ans, le cauchemar soviétique puis l’enfer maoïste ont trouvé chez nous des défenseurs acharnés, et un peuple de sourds-muets. Malgré Ciliga, Serge, Souvarine, Kravtchenko, Rousset, Chalamov, Leys. Les choses ont commencé – commencé – à changer à partir de L’Archipel du Goulag, en 1974.

Je ne dresserai pas la liste de tous ceux qui, aujourd’hui encore, exercent le pouvoir symbolique en France, après avoir soutenu le pire. Ce serait trop impressionnant. Un seul exemple : la place absurde, insupportable même, de Sartre, dans notre Panthéon national. Celui que tant associent à l’idée de liberté a défendu jusqu’au délire Joseph Staline, Fidel Castro, Mao. Dans cet ordre saisissant, qui signifie globalement des dizaines de millions de victimes totalement innocentes.

Et je ne parle pas des staliniens français directement engagés dans le soutien à la dictature. De ces grands démocrates d’aujourd’hui qui applaudissaient en 1979 l’entrée de l’Armée rouge en Afghanistan ou la répression bureaucratique contre Solidarité dans la Pologne de décembre 1981. À votre avis, si l’Union soviétique existait encore, quelle serait aujourd’hui leur position ?

Si j’évoque ce que personne ne souhaite plus regarder en face, c’est que le stalinisme a été le poison le plus violent – mortel – de l’histoire de la pensée humaine. Le fascisme était le fascisme, qui entendait réaliser son programme abject, et qui y est largement parvenu. Le stalinisme, au contraire, a détourné un à un le sens des mots les plus nobles de la civilisation des hommes. Le stalinisme, dans le temps où il asservissait, massacrait, torturait, clamait son amour inconditionnel des peuples et de la fraternité.

Même si je devais rester le seul – ce ne sera pas le cas -, je ne cesserai, jusqu’à ma fin, d’entretenir le souvenir des morts de la Kolyma et des assassinés de la Lubianka. Je n’oublierai jamais. Je ne pardonnerai jamais. Jamais. Mais, encore une fois, quel rapport avec notre pauvre Sarkozy ?

Le voici, selon moi bien entendu. La société totalitaire pénètre, s’octroie en permanence le droit de pénétrer la vie et l’esprit de ses membres. L’un des pires crimes, y compris dans le parti communiste français des années cinquante du siècle passé, était de cacher quoi que ce soit à la grande organisation. Le mariage même – tiens – était une affaire politique. L’oeil voyait tout. Et le knout n’était jamais bien loin.

Moi, je plaide pour la liberté. Et pour la bagarre définitive contre la domination et l’exploitation. Seulement, je ne céderai jamais sur la liberté. Ceux qui se montrent incapables de distinguer entre l’atteinte intolérable à la liberté de Sarkozy et tout le reste, ceux-là ne distinguent pas, à mon avis du moins, l’essentiel et le second. L’essentiel, c’est le principe des frontières, des frontières infranchissables. Où l’on rejoint d’ailleurs celui des limites, cher à tout écologiste sincère. Car c’est d’ailleurs, pardonnez l’incise, parce que les hommes refusent toute limite que la crise écologique paraît aujourd’hui sans issue.

Donc, un principe. Et par ailleurs une attaque au pénal de Sarkozy contre Le Nouvel Observateur, que je me refuse à envisager ici. Justement parce que cette affaire n’est pas du tout de même nature. Je terminerai par ce que je considère comme une évidence : notre monde malade a besoin des forces morales contenues dans la défense des droits de Sarkozy, que tant détestent.

C’est aussi parce qu’il est insupportable que nous devons à ce point le défendre. Voler au secours de sa soeur en danger, ou de son fils, ou de son ami le plus cher, ou de son double politique, est-ce si difficile ? Il y a un lien dialectique évident entre la vie privée de Sarkozy et la défense des libertés en général, de la presse en particulier. Et le voici : celui qui juge insupportable l’intrusion par voie de SMS dans la vie de qui que ce soit a toutes chances de critiquer les procès faits à la liberté d’information. Je ne suis pas certain, en revanche, que ceux qui trouvent normal qu’on flique l’intime d’une personne deviennent jamais de vrais combattants de la liberté. Mais je peux me tromper.

En défense de Sarkozy (l’affaire du SMS)

Le journal Le Nouvel Observateur se moque de la crise écologique d’une façon étonnante, comme je l’a déjà écrit ici (fabrice-nicolino.com). Ce qui n’est pas loin d’être une infamie intellectuelle et morale. Qui l’est, d’ailleurs, à quoi bon hésiter ? Ce journal, qui serait celui des intellectuels de gauche – et des grosses bagnoles, et des grands voyages, et des statues du commandeur -, regarde ailleurs tandis que tout s’embrase. Ailleurs, c’est-à-dire nulle part. Ailleurs, c’est-à-dire dans le tréfonds privé d’une personne humaine.

Le SMS. Oui, le fameux SMS qu’aurait envoyé Sarkozy à Cécilia quelques jours avant de convoler avec Carla. Pour ceux qui seraient encore ignorants, Le Nouvel Observateur a publié une minuscule info prétendant que notre président a proposé à son ancienne épouse de revenir à la maison. Et donc de rompre avec la future. On me suit ?

Je trouve cela lamentable de bout en bout. Mais avant de vous dire deux mots du journaliste Airy Routier, signataire de ce scoop, je voudrais rappeler cette évidence : même Sarkozy a droit à sa part d’intimité. Même lui. Même mon pire ennemi, ce qu’il n’est d’ailleurs pas. Un SMS, jusqu’à plus ample informé, c’est une correspondance privée. Je rapporte cela de discussions avec d’autres, car pour ma part, je n’en ai jamais envoyé. Une correspondance privée.

Un message émis dans la sphère intime peut avoir de multiples sens, dont certains échappent même à son auteur. Il peut être vrai, faux, il peut signifier le contraire de ce qu’il dit, il peut mentir comme un arracheur de dents, il peut gémir, se contorsionner, pleurer, exulter, crier si fort que les murs de Jéricho s’effondreraient.

On peut, on doit bien entendu critiquer durement Sarkozy, y compris sur les éléments de vie familiale qu’il met en scène à des fins politiques. Et il y a à faire. Mais regarder derrière son épaule, épier ce qu’il a envie de dire, même si c’est délirant, à tel(lle) ou tel(le) de ses proches ? Jamais ! Le Nouvel Observateur a franchi une ligne imaginaire, qui sépare la liberté de la totalité. D’un côté des marges, des coins et recoins, des caches où pleurer, baiser et déconner à tout va. De l’autre, une vision morbide où l’homme a des comptes à rendre sur tous les aspects de son comportement. Devant un tribunal grotesque, le pire qui soit : celui de la foule.

Non. Non ! Je respecte pour ma part la vie privée de Nicolas Sarkozy. Mais en ce cas, que dire de monsieur Routier, journaliste au Nouvel Obs, où siègent tant de donneurs de leçons, où trône une seigneurie appelée Jean Daniel, entre deux publicités clinquantes pour la destruction du monde ? Oui, que dire ?

Je ne l’ai jamais rencontré. Peut-être est-il sympathique, même si j’en doute. Je me souviens, la liste n’est pas exhaustive, de trois faits d’armes – publics, eux – de ce journaliste. Dans l’interminable feuilleton Elf, au cours duquel s’engloutit Le Floch-Prigent, il prit souvent le contre-pied de la juge Éva Joly. Il estimait, ce qui est son droit, que madame Joly abaissait la loi au nom de la lutte contre la corruption. On peut avoir un autre point de vue, ce qui est mon cas. On peut penser que Routier, en prenant si souvent le parti de personnages aussi vertueux que Roland Dumas, faisait aussi des choix moraux. Ce qui est mon cas.

Autre histoire digne d’intérêt. Au début de 2001, Routier a signé chez Grasset un livre d’entretiens avec le président gabonais Omar Bongo, Blanc comme nègre. Bongo. L’ancien espion français d’avant l’indépendance, devenu maître chez lui pour l’éternité relative de sa vie. Bongo. Elf. La Françafrique. L’assassinat de Robert Luong, amant de madame, le 2 octobre 1979, en France. Bongo. Et Routier. La morale en actes.

Enfin, la bagnole, cette saloperie de bagnole. En mars 2007, Airy Routier a publié chez Albin Michel le livre La France sans permis, se prévalant en quatrième de couverture de son titre de rédacteur-en-chef au Nouvel Obs. Quel bel ouvrage ! Routier, délinquant automobile – c’est public -, y raconte comment il a peu à peu perdu la totalité des points de son permis de conduire. Un autre aurait attendu pour pouvoir reprendre le volant, mais pas lui. Pas Airy Routier ! Il continue donc, défiant les radars de l’Inquisition, et le raconte dans ce livre qui est une ode aux beaufs d’ici et d’ailleurs.

La sécurité routère n’est en effet que le masque de l’hydre fiscale bien connue des poujadistes. Citations : « Taxer les automobilistes, quoi de plus tentant pour un Etat en mal de recettes ? ». « C’est, pour le ministère des finances, une affaire en or ». « Il apparaît clairement que l’argument de la sécurité routière n’est plus qu’un maquillage visant à justifier et à masquer la levée d’un impôt nouveau auprès des seuls automobilistes ». C’est beau, non ?

Le professeur Claude Got, pourfendeur de la bêtise humaine, a consacré de longs développements sur le Net (www.securite-routiere.org) à cette « oeuvre », qu’il place aussi haut, dans l’échelle de la manipulation, que le livre de Thierry Meyssan sur le 11 septembre 2001 (L’Effroyable imposture). Juste une citation : « Airy Routier est un menteur, nous verrons que son livre contient des dizaines d’erreurs factuelles, ou d’affirmations sans preuves, subtiles ou grossières ».

Et alors ? Rien d’autre que de l’information, vérifiée. J’ai voulu montrer que le journaliste Airy Routier se dispense de règles simples, qui rendent pourtant la vie entre humains moins difficile. Héros certain de la décadence morale dans laquelle nous sommes tous, bon gré mal gré, plongés, il continuera de parader, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Et ce SMS, alors ? Est-il vrai, est-il faux ? Il pue, si vous voulez mon avis.

Le grand mage parle de 2008

On dirait que je serais le grand mage. Celui qui voit et surtout prévoit. Celui qui peut le dire. Eh bien, je peux vous dire que la presse française, en ce début d’année 2008, va découvrir la faim dans le monde, l’explosion du prix des céréales et même – je suis fou, mais tant pis – le déferlement des biocarburants.

Oui, 2008 va être une grande année. Question imbécile : pourquoi diable la presse dite sérieuse – Le Monde, Libération, Le Figaro, Le Nouvel Obs, L’Express, etc. – n’a-t-elle encore consacré aucune Une à ce qui est, d’évidence, le problème le plus dramatique du moment ? Deuxième question imbécile : pourquoi le ferait-elle maintenant ?

Étant mage, il m’est assez aisé de répondre aux deux interrogations. Mais avant cela, permettez-moi de préciser mon propos. Sur cette terre fragile et tourmentée, des hommes autant hommes que vous et moi ont les crocs. J’écris les crocs, car l’image est nécessaire. La faim, les crocs. Officiellement, ils sont 854 millions. Mais il faut ajouter une autre catégorie plus vaste, celle des humains vivant (?) avec un dollar par jour. Les estimations commencent à 1,1 milliard. Et si l’on passe à la somme rondelette de 2 dollars par jour, on atteint alors près de la moitié de la population mondiale. Entre 2,7 et 3 milliards de nos frères on ne peut plus théoriques sont dans ce cas.

Eh bien, et le mage va vous surprendre, lorsqu’on dispose d’un trésor pareil, on en consacre la plus grande part à la nourriture. Au Sénégal, qui n’est pas le pire pays de la planète, la rue dispose d’une expression claire pour désigner ce qu’est devenue la vie. Il s’agit, pour l’immense majorité de la population locale, de trouver la DQ. C’est-à-dire la dépense quotidienne. On se lève, mais sans savoir encore comment assurer la DQ. Il vaut mieux ne pas avoir la grippe, et ne parlons pas de la flemme, si douce sous nos latitudes.

Bon, la hausse vertigineuse du prix des « denrées agricoles » frappe et frappera massivement ces autres absolus que sont les pauvres du monde. Quelle est l’explication de ce tsunami social ? Selon le directeur général de la FAO, Jacques Diouf, pourtant libéral bon teint, les biocarburants sont une cause première (www.lemonde.fr). Et il annonce à nouveau des émeutes et des conflits très graves.

Revenons aux oignons du grand mage. Pourquoi ce silence quasi total de notre presse ? Je dis quasi, car il serait aisé à un contradicteur de trouver des articles épars, ici ou là. Bien entendu ! Ce qui reste indiscutable, c’est que l’opinion française est sous-informée. Considérez cela comme un euphémisme. Ne parlons pas de TF1, qui n’a pas de temps de cerveau disponible à perdre. Mais tous les autres ? Le grand mage, à la réflexion, n’a pas d’explication définitive. Mais je peux écrire sans hésitation que la presse, dans sa presque totalité, défend ardemment l’organisation générale des sociétes humaines, telles qu’elles sont. Je ne pense même pas au rachat massif des titres par la grande industrie. Je parle de la publicité, cette industrie du mensonge qui fait vivre les équipes en place.

Puis, sachez que la presse est désespérément moutonnière. TF1 regarde Le Parisien qui regarde Le Monde, éventuellement l’AFP. Tant qu’une institution ne fait pas un choix clair, les autres rédactions considèrent en général qu’il faut ne rien faire soi-même. Or Le Monde, organe central de la presse française, se tait, pour l’essentiel. Je vous dirai mon sentiment sur cet insupportable silence un autre jour, car il a aussi des causes particulières. En tout cas, Le Monde se taisant – j’utilise ce journal comme symbole du grand sérieux, mais on peut remplacer par un équivalent -, les autres ne pipent.

Cela va-t-il changer ? Oui, je le pense. Car Le Monde est très impressionné par la presse américaine, et à un moindre degré britannique. Or notre quotidien a publié hier vendredi, comme chaques semaine, une sélection d’articles du New York Times, considéré comme indépassable. Et le titre de couverture, accompagné d’une photo terrible – les mains d’un paysan égrenant les fruits d’un palmier à huile – dit à peu près tout : An Insatiable Demand.
Nul besoin de traduction.

L’article de Keith Bradsher, chef du bureau du Times à Hong Kong, est d’une clarté de cristal. Et rappelle que l’augmentation stupéfiante du prix de l’huile de palme – près de 70 % en 2007 – plonge les pauvres d’Asie dans un grand malheur, car l’huile pour eux, c’est l’alimentation de chaque jour. Or cette huile, je vous le rappelle, est massivement transformée pour produire des biocarburants, qui seront vendus surtout chez nous, au Nord.

Où en étais-je ? Même un mage peut s’égarer en route, quelle horreur ! Je reprends : la presse française, moutonnière et docile, cache pour l’heure à ses lecteurs un vrai grand drame. Je sais bien que c’est moins intéressant que le prochain disque de Carla Bruni. Mais ce n’est pas grave, car cela va changer, grâce au NYT, le Times, quoi.

Une ultime prophétie : de l’instant où la machine s’emballera, c’est à qui prétendra avoir été le plus clairvoyant. Et il ne fera pas bon, alors, rappeler que certains ont tiré la sonnette d’alarme bien avant, dans le silence et l’indifférence. Début octobre, certains le savent, j’ai publié un livre appelé La faim, la bagnole, le blé et nous. Un pamphlet contre les biocarburants. J’ai très vite convoqué une conférence de presse, car la madame qui dirige l’Ademe, agence publique que je secouais très fort dans mon livre, cette madame montrait les dents contre moi.

J’ai fourni ce jour-là quantité d’informations importantes, dont une mise en cause réitérée de l’Ademe, du ministère de l’Écologie, de M.Borloo, etc. Et ? Et à peu près rien. La presse officielle se passionnait alors pour le Grenelle de l’Environnement, et se battait pour recueillir des bribes de ce qui apparaîtrait plus tard comme insignifiant. Le grand silence est aussi un grand désert, parole de mage averti.

Christophe Hondelatte est-il respectable ?

Ne cherchez pas, ce message n’a pas de rapport avec les questions que j’aborde ici d’habitude. Encore que. Je veux vous parler d’un journaliste, connu, Christophe Hondelatte. De son sens des responsabilités. De la valeur de ses proclamations. Et de ma totale indignation.

Voyons. Il y a de cela dix-neuf ans, en février 1989, je me suis intéressé, à contre-coeur, à une histoire abominable. Je travaillais alors pour un journal naissant, Politis. Un homme, Christian Marletta, avait été condamné à la prison à vie, en 1985, après avoir été arrêté en 1982, à Marseille.

La justice l’avait estimé coupable de l’enlèvement, de l’assassinat et du dépeçage d’une gosse de douze ans, Christelle. Depuis sa prison, il clamait son innocence. Je ne le croyais pas. Je ne crois pas facilement à l’erreur judiciaire. Mais assez vite, depuis Paris, il m’est apparu que cet homme n’avait pas été jugé dans des conditions acceptables.

Cela n’aurait pas suffi à m’entraîner dans une enquête. La barbarie des faits bloquait en moi la défense du principe. Mais. Mais à force de parler à tel ou tel, au téléphone, j’ai pensé qu’il fallait aller sur place. J’ai passé des semaines dantesques à Marseille, dont je suis le seul à connaître le poids écrasant. J’ai pensé, et je pense toujours, que Marletta n’est pas le coupable de cette abomination. J’ai pensé, et je pense encore que j’ai rencontré le véritable auteur de cet assassinat. Bien entendu, bien entendu, je peux me tromper. Telle n’est pas la question.

J’ai continué, au fil des ans, à défendre cet homme, et j’ai tenté, avec quelques autres, de le faire libérer. Je voulais qu’il sorte, et j’ai fait pour cela ce dont j’étais capable. Tout en étant obsédé par la responsabilité que je prenais. Cela n’a pas suffi. Marletta est resté vingt-quatre ans en prison. Depuis l’an passé, il suit une formation professionnelle et vit dans un petit village.

Il ne doit plus rien à la société des humains. Il est libre. Dans l’hypothèse même de sa culpabilité, il a payé. Mais cela, c’est compter sans la perversité des médias de masse, toujours à l’affût d’une audience plus haute que celle du concurrent. Il y a quelques mois, j’ai appris que Christophe Hondelatte, journaliste de télé bien connu, préparait une émission sur Marletta, dans le cadre de sa série Faites entrer l’accusé, sur France 2.

Comprenant sur l’instant qu’une telle émission ne pourrait que ruiner les chances de réinsertion de Marletta, surtout dans un village où tout le monde se connaît, j’ai appelé des collaborateurs de Hondelatte, dont son réalisateur, Nicolas Glimois. J’ai cru, dans ma stupidité, les avoir convaincus de renoncer.

Voici trois semaines, j’ai appris que l’émission était programmée pour le mardi 22 janvier. Un ami m’a donné le numéro de portable de Hondelatte, à qui j’ai laissé trois messages très explicites. Il m’a, de son côté, laissé un très court propos sur mon répondeur. Mais ce matin, miracle, je l’ai eu directement. Impossible de vous raconter dans le détail, tant ma colère était grande. Le fait certain, c’est que Hondelatte a prétendu que Marletta ne s’était pas opposé à l’émission. Vous allez juger par vous-même. Il a insisté, je vous le jure, sur les vertus « pédagogiques » de son travail. Il a aussi utilisé cette expression, qui n’est pas passée : « Mon pauvre ami… ». Alors, je l’ai violemment secoué, avant de lui raccrocher au nez.

Ce n’est pas encore terminé. Le 28 janvier 2005, à la suite d’un portait de lui publié dans le quotidien Libération, Hondelatte a tout envoyé promener. Il présentait jusqu’à ce jour le journal télévisé de 13 heures, sur France 2. Sans prévenir, sans préavis d’aucune sorte, il est parti. On ne donnait pas cher, à l’époque, des suites de sa carrière. Pourquoi cet emportement ? Parce que Libération avait évoqué ce que le journal considérait comme un secret dans la vie privée de Hondelatte.

C’est cet homme qui croit pouvoir s’asseoir, sans aucun état d’âme, sur la personne de Christian Marletta et tous ceux, dont je suis, qui l’accompagnent au long de cette vie si singulière. Christophe Hondelatte est-il respectable ? Vous n’avez pas besoin de ma réponse, mais je tiens néanmoins à vous livrer un extrait d’une lettre qui lui a été adressée par Marletta. Après tout, ce long papier que je viens d’écrire a peut-être à voir avec ce que je vous livre chaque jour ou presque. Car sans un considérable sursaut moral, qui balaierait – provisoirement en tout cas -, les si nombreux Hondelatte de la création, comment pourrait-on avancer ? Comment pourrait-on, avec quelque chance de succès, défendre la vie sur terre ?

Voici l’extrait de la lettre de Christian Marletta à Christophe Hondelatte :
Monsieur,

Je m’adresse à vous en dernier recours au sujet de l’émission relative à «l’ affaire Marletta » laquelle sera prochainement diffusée contre ma volonté et celle de mes proches.
Ma nouvelle vie s’annonçait bien. Seul point noir, votre émission !
Toute ma famille et moi-même sommes consternés. Actuellement je suis en formation professionnelle et, d’ores et déjà, ce stage devrait déboucher sur une embauche. J’ai rencontré les journalistes avec mon avocate (M° Dreyfus-Schmidt Corinne) pour les convaincre de renoncer à l’émission. Pas question, il paraît que ce sera une « oeuvre pédagogique » !
Je leur ai bien expliqué combien cela serait négatif pour ma vie et celle de mes proches (…)

Je veux croire que cette lettre, que ma conscience et le respect de mes proches m’ont dictée, vous conduira à renoncer à votre projet. Dans le cas contraire, vous saurez que vous me portez gravement atteinte ainsi qu’à tous mes proches et à ceux qui, professionnellement, me font confiance.

Salutations
Christian Marletta.