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En défense de Pierre Rabhi

Personne n’est obligé de lire, car je vais ici même clamer mon amitié, mon respect, mon affection pour Pierre Rabhi. Vous me direz qu’il n’a plus besoin de moi, et c’est un peu vrai. Il est désormais partout, célébré comme peu de vedettes le sont, et ses livres s’arrachent en librairie. Il n’empêche, car j’ai des choses à dire. En réalité, tout est venu d’une halte d’une heure dans la gare d’une ville moyenne. Comme j’avais ce temps devant moi, j’ai commencé à feuilleter livres et revues avant de tomber sur la Revue du Crieur n°5, éditée conjointement par les éditions La Découverte et Mediapart. Il s’agit d’un magazine d’enquêtes sur la culture et les idées. Honte à moi, c’était la première fois que je mettais le nez dedans.

Or, la tenant en mains, je constate qu’un long article est consacré à Pierre Rabhi, sous la plume de Jade Lindgaard. Cela se présente comme une enquête, mais ça ne l’est pas, ce qui n’est après tout pas le plus embêtant. Car un texte, quel que soit son statut, peut être passionnant. Celui-là est désolant. Je n’en ferai pas la critique totale, qui me mènerait trop loin, et je me contente de quelques points saillants.

Je vois bien que l’auteure est embarrassée, qui oscille entre la réprobation radicale du personnage – ce qu’attend sa revue et, au-delà, cette opinion de la gauche défunte à laquelle elle appartient – et une certaine compréhension, qu’elle paraît partager au moins un peu. Mais cela donne à l’arrivée un pur et simple galimatias dans lequel Pierre est accusé tout à la fois d’être naïf au mieux, « antimoderne », « bête de scène », « communicant redoutable », plaisant compagnon de la jet set mondiale,  et plein d’une « appétence pour le luxe »; mais aussi d’offrir un « antidote au découragement et au défaitisme ».

Dans le détail, c’est assez affreux, car on ne voit pas quand et comment Pierre a pu parler de lui-même au cours de cette supposée « enquête ». Je gage qu’il n’y a guère participé, et le seul travail de terrain qui apparaît consiste en une visite – au sein d’un groupe – du hameau des Buis, non loin de la ferme de Pierre en Ardèche, où a été créé par sa fille Sophie une école. Il s’agit de maisons bioclimatiques où vivent des familles et des retraités.

L’évidence est que « l’enquête » repose sur une base absurde. Rabhi étant pour l’essentiel absent, restent des personnages qui ne sauraient le représenter, surtout dans le cadre d’un jugement global sur une personne de cette importance. Or le mari de Sophie Rabhi, Laurent Bouquet, semble bien prendre la place du grand absent. Il est longuement interrogé et sert à plusieurs pages des sentences dont on aimerait saisir le rapport avec le sujet de ce long texte. Serait-il un porte-parole ? Absolument pas. Et lui demander quantité de choses annexes ne permet pas d’en savoir si peu que ce soit sur le personnage pourtant central de l’histoire.

Au passage, je trouve déplorable – je reste mesuré – que l’auteure se sente obligée, à des fins évidentes de disqualification, d’utiliser des faits résolument périphériques. Ainsi apprend-on que le premier mari de Sophie Rabhi a été condamné en 2004 pour « abus sur mineure ». Ainsi découvre-t-on que l’un des fils de Pierre a pris la défense de l’infâme Alain Soral sur Internet. Quel rapport avec Pierre ? Aucun, mais cela crée une ambiance.

Pour l »auteure, il ne fait pas de doute que Pierre a créé quantité de structures formant une « galaxie Rabhi », dont un lecteur ordinaire conclura que le défenseur de la sobriété n’est en vérité qu’un ruffian. Moi qui m’honore de bien connaître Pierre, je sais à quel point tout cela est grotesque. Le texte est si mal documenté qu’à mon sens, il n’aurait pas dû pouvoir être publié sous cette forme, mais il l’a été.

Au plan politique, la revue accuse Pierre ne pas être sur la même ligne qu’elle, ni plus ni moins. Il ne serait pas anticapitaliste, il ne serait « ni de gauche ni de droite », il aurait figurez-vous exprimé ses doutes – ses doutes ! – sur le mariage pour tous, et serait contre la procréation médicalement assistée. C’est comme si l’on hissait une banderole de 100 mètres de long et 50 mètres de large pour dire que Pierre est un réactionnaire, au fond un homme de droite, décidément opposé au progrès, ce vrai mantra du Crieur.

Mazette, j’en rirais presque. Moi, j’ai aimé immédiatement Pierre, dès mes premiers échanges, et j’ai appelé à voter pour lui dès la présidentielle de 2002. Et dans un journal – Politis – qui n’était pas loin d’être aux antipodes. Il faut avoir l’esprit singulièrement tourné pour ne pas même voir la différence existant entre la politique et la culture. La politique, c’est cette activité humaine si restreinte – mais si lourde de conséquences – qui consiste à dire ce qu’il faut faire. Plus rarement à tenter de le faire. C’est fort loin de marcher à chaque fois, et si je voulais être méchant, je pourrais par exemple faire le bilan complet de ce que la gauche dont se réclame Le Crieur a réussi et surtout raté depuis un siècle. Et pourquoi – ce n’est qu’un tout petit exemple – elle est passée de l’adoration d’une classe ouvrière imaginaire au désintérêt total pour les prolos de chair et d’os. Mais passons, n’est-ce pas ?

La politique, donc. Et puis la culture, au sens anthropologique. Les fondements, les soubassements, les valeurs profondes sur lesquels repose l’édifice, y compris politique. Pierre, qui n’a pas besoin de moi pour se défendre, est un magnifique déconstructeur. Il détruit le socle. Il s’attaque aux pierres d’angle du monde perdu qui est le nôtre. Il clame la pauvreté désormais obligatoire, il clame la solidarité concrète – pas celle des rituelles proclamations « de gauche » – entre le Nord et le Sud, il clame l’immensité de l’esprit, contre deux siècles de délire matériel -, il clame la musique, il clame le bonheur inouï d’un potager bien tenu.

En somme, il prépare avec les forces qui sont les siennes d’autres semailles que celles du siècle passé, gauche et extrême-gauches comprises. Nul ne sait ce qui viendra, mais d’évidence, Pierre met en mouvement des dizaines de milliers d’êtres que le discours politique n’atteint plus. Et l’on voudrait le faire passer pour le profiteur d’un système qu’il aurait créé ? Mais c’est déshonorant ! Pierre Rabhi est un prophète, à qui il ne sera jamais demandé de se transformer en activiste. Moi, qui me considère comme un combattant de l’écologie, moi qui appelle à bouger, à hurler, à monter sur les plus hautes des barricades, je tiens Pierre pour un frère. Vouloir opposer son être et la bagarre écologique et sociale, c’est comme nier le pouce parce qu’on disposerait d’un petit doigt. Il y a mieux à faire que de calomnier.

Trump fait monter le prix du somnifère

 

Amis lecteurs, trumpistes et non-trumpistes, je vous livre ci-dessous le billet que j’ai écrit vers 14 heures pour le site de Charlie, et qui y est encore visible. Il est court, comme vous verrez, et ne contient donc pas les méandres habituels de ma pensée. Mais enfin, il dit quelque chose que je pense. J’en ai réellement marre des  sérénades et des lamentations. Je viens de lire un papier de Reporterre, dont le titre m’a fait sursauter : « Trump, candidat de l’anti-écologie ». Par Dieu, Clinton ne l’était-elle pas, elle qui était la candidate des transnationales, moteur essentiel de la crise climatique ? Comme je suis fatigué, je ne vais pas plus loin. Mais mon point de vue essentiel, le voici : nous avons grand besoin d’un point de vue écologiste sur la marche du monde. Indépendant des modes, des truismes, des habitudes de pensée. C’est urgent, cela brûle même. Assez de jérémiades : Trump est ce qu’il est, mais Clinton tout autant. Au passage, la question du Tafta – et du Ceta – est un sujet-clé, car son sabordage rendrait un immense service à nous tous. Allez-y de vos commentaires.

 


Le billet de Charlie sur son site :

 

Comme il n’est pas encore intronisé, ce ne peut être considéré comme injure à chef d’État : Trump est un gros empaffé, et le restera. Dans le domaine si décisif de la crise écologique, il va probablement frapper très fort. Ainsi qu’on sait peut-être, il ne croit pas au dérèglement climatique, ce qui risque quand même de plomber l’ambiance à Marrakech, où se déroule en ce moment le 22e épisode des sommets climatiques internationaux. Royal et Fabius passeront moins à la télé.

Répétons : ce gros empaffé – bis – n’en a rien à foutre de rien. Mais est-ce bien une raison pour tout à fait regretter Clinton ? Cette si Grande Dame, défendue par tant de si Braves Gens, était pieds et poings liés au pied du big business américain et se demandait ces derniers temps comment se tirer du bourbier du Tafta, ce projet de traité commercial avec l’Europe. La pauvrette était coincée entre, d’un côté, ses supporters des transnationales et, de l’autre, la révolte de plus en plus vive d’une Amérique qui ne croit plus à la mondialisation.

Trump, ce gros empaffé – ter -, vole au secours des altermondialistes et, s’il tient parole, flinguera le Tafta à la hache et au couteau, comme il aimerait faire avec les Mexicains et les musulmans. Est-ce à dire, docteur, qu’on a mal au fion et qu’il n’y a pas de remède ? Certains jours, oui. Certains matins, on ferme les volets, on se bouffe un somnifère et on oublie le monde.

Je me répète : tous sur le pont contre l’aéroport

Amis, lecteurs, simples curieux, je vous rappelle que samedi 8 octobre, des dizaines de milliers de braves se retrouvent à Notre-Dame-des-Landes, pour un énième rassemblement contre le projet d’aéroport. Je gage que celui-ci aura une importance considérable.

Moi, je suis heureux d’avoir évoqué cette abominable affaire il y a bientôt…neuf ans. Ici même. Oui, alors que je commençais Planète sans visa, et que personne en France ne s’intéressait encore au sujet, j’ai publié un article dont je dois dire que je n’ai rien à retrancher. Je crois que j’avais vu clair. Voici la reproduction exacte.


Nantes, cinq minutes d’arrêt (ou plus)

Publié le 26 décembre 2007

Voler ne mène nulle part. Et je ne veux pas parler ici de l’art du voleur, qui conduit parfois – voyez le cas Darien, et son inoubliable roman – au chef-d’œuvre. Non, je pense plutôt aux avions et au bien nommé trafic aérien. Selon les chiffres réfrigérants de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), ce dernier devrait doubler, au plan mondial, dans les vingt ans à venir. Encore faut-il préciser, à l’aide d’un texte quasi officiel, et en français, du gouvernement américain (http://usinfo.state.gov).

Les mouvements d’avion ont quadruplé dans le monde entre 1960 et 1970. Ils ont triplé entre 1970 et 1980, doublé entre 1980 et 1990, doublé entre 1990 et 2 000. Si l’on prend en compte le nombre de passagers transportés chaque année, le trafic aérien mondial devrait encore doubler entre 2000 et 2010 et probablement doubler une nouvelle fois entre 2010 et 2020. N’est-ce pas directement fou ?

Les deux estimations, la française et l’américaine, semblent divergentes, mais pour une raison simple : les chifres changent selon qu’on considère le trafic brut – le nombre d’avions – ou le trafic réel, basé sur le nombre de passagers. Or, comme vous le savez sans doute, la taille des avions augmente sans cesse. Notre joyau à nous, l’A380, pourra emporter, selon les configurations, entre 555 et 853 voyageurs. Sa seule (dé)raison d’être, c’est l’augmentation sans fin des rotations d’avions.

Ces derniers n’emportent plus seulement les vieillards cacochymes de New York vers la Floride. Ou nos splendides seniors à nous vers les Antilles, la Thaïlande et la Tunisie. Non pas. Le progrès est pour tout le monde. Les nouveaux riches chinois débarquent désormais à Orly et Roissy, comme tous autres clampins, en compagnie des ingénieurs high tech de Delhi et Bombay. La mondialisation heureuse, chère au coeur d’Alain Minc, donc au quotidien de référence Le Monde lui-même – Minc préside toujours son conseil de surveillance -, cette mondialisation triomphe.

Où sont les limites ? Mais vous divaguez ! Mais vous êtes un anarchiste, pis, un nihiliste ! Vade retro, Satanas ! Bon, tout ça pour vous parler du projet de nouvel aéroport appelé Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes. Je ne vous embêterai pas avec des détails techniques ou des chiffres. Sachez que pour les édiles, de droite comme de gauche, sachez que pour la glorieuse Chambre de commerce et d’industrie (CCI) locale, c’est une question de vie ou de mort. Ou Nantes fait le choix de ce maxi-aéroport, ou elle sombre dans le déclin, à jamais probablement.

Aïe ! Quel drame ! Selon la CCI justement, l’aéroport de Nantes pourrait devoir accueillir 9 millions de personnes par an à l’horizon 2050. Contre probablement 2,7 millions en 2007. Dans ces conditions, il n’y a pas à hésiter, il faut foncer, et détruire. Des terres agricoles, du bien-être humain, du climat, des combustibles fossiles, que sais-je au juste ? Il faut détruire.

La chose infiniment plaisante, et qui résume notre monde davantage qu’aucun autre événement, c’est que l’union sacrée est déjà une réalité. l’Union sacrée, pour ceux qui ne connaissent pas, c’est le son du canon et de La Marseillaise unis à jamais. C’est la gauche appelant en septembre 1914 à bouter le Boche hors de France après avoir clamé l’unité des prolétaires d’Europe. L’Union sacrée, c’est le dégoût universel.

L’avion a reconstitué cette ligue jamais tout à fait dissoute. Dans un article du journal Le Monde précité (http://www.lemonde.fr), on apprend dans un éclat de rire morose que le maire socialiste de Nantes, le grand, l’inaltérable Jean-Marc Ayrault, flippe. Il flippe, ou plutôt flippait, car il craignait que le Grenelle de l’Environnement – ohé, valeureux de Greenpeace, du WWF, de la Fondation Hulot, de FNE – n’empêche la construction d’un nouvel aéroport à Nantes. Il est vrai que l’esprit du Grenelle, sinon tout à fait sa lettre, condamne désormais ce genre de calembredaine.

Il est vrai. Mais il est surtout faux. Notre immense ami Ayrault se sera inquiété pour rien. Un, croisant le Premier ministre François Fillon, le maire de Nantes s’est entendu répondre : « Il n’est pas question de revenir en arrière. Ce projet, on y tient, on le fera ». Deux, Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux Transports, a confirmé tout l’intérêt que la France officielle portait au projet, assurant au passage qu’il serait réalisé.

Et nous en sommes là, précisément là. À un point de passage, qui est aussi un point de rupture. Derrière les guirlandes de Noël, le noyau dur du développement sans rivages. Certes, c’est plus ennuyeux pour les écologistes à cocardes et médailles, maintenant majoritaires, que les coupes de champagne en compagnie de madame Kosciusko-Morizet et monsieur Borloo. Je n’en disconviens pas, c’est moins plaisant.

Mais. Mais. Toutes les décisions qui sont prises aujourd’hui, en matière d’aviation, contraignent notre avenir commun pour des décennies. Et la moindre de nos lâchetés d’aujourd’hui se paiera au prix le plus fort demain, après-demain, et jusqu’à la Saint-Glin-Glin. Cette affaire ouvre la plaie, purulente à n’en pas douter, des relations entre notre mouvement et l’État. Pour être sur la photo aujourd’hui, certains renoncent d’ores et déjà à changer le cadre dans vingt ou trente ans. Ce n’est pas une anecdote, c’est un total renoncement. Je dois dire que la question de l’avion – j’y reviendrai par force – pose de façon tragique le problème de la liberté individuelle sur une planète minuscule;

Ne croyez pas, par pitié ne croyez pas, ceux qui prétendent qu’il n’y a pas d’urgence. Ceux-là – tous – seront les premiers à réclamer des mesures infâmes contre les autres, quand il sera clair que nous sommes tout au bout de l’impasse. Qui ne les connaît ? Ils sont de tout temps, de tout régime, ils sont immortels. Quand la question de la mobilité des personnes sera devenue une question politique essentielle, vous verrez qu’ils auront tous disparu. Moi, je plaide pour l’ouverture du débat. Car il est (peut-être) encore temps d’agir. Ensemble, à visage découvert, dans la lumière de la liberté et de la démocratie. Peut-être.

Publié dans Développement

Henri Guaino, héros de Crimée, vainqueur du Kilimandjaro

J’ai écrit des portraits de grands sagouins militaires pour Charlie cet été, et le dernier, imaginaire lui, était consacré au spécialiste du bazooka Henri Guaino. Le voici. J’espère que cela vous fera sourire.

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Pendant deux mois, Charlie propose des portraits de chefs militaires. C’est notre concours de l’été : qui est le plus grand assassin ? Que volent les têtes et que s’empilent les cadavres ! Dans cette uchronie, on rendra hommage au président Henri Guaino, ci-devant ministre de la Défense et de l’Attaque. Après avoir maté les Barbaresques au loin, il a su comme personne rétablir l’ordre dans la bagatelle de 1321 quartiers jadis appelés « difficiles ».

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Henri Guaino est né malheureux en 1957, car la Garde Républicaine avait refusé tout net de descendre en Arles pour l’occasion. Très vite il mordit sa mère, très vite il se mordit les doigts. Maman Guaino fut obligé, pour le sauver, de l’emmailloter comme on faisait en Afrique bien avant que la race blanche ne vienne y proposer les couches Pampers. Traumatisme.

Enfant, il fut triste et solitaire, s’amusant à tirer des fléchettes empoisonnées sur le globe terrestre que tonton Raymond lui avait acheté à la place du père Noël, empêché. Il acquit une telle dextérité que jamais la France ne fut touchée par les pointes de fer. Mais le Mali, le Sénégal, le Tchad, la Mauritanie et le Congo, pardon, un vrai gruyère. Jeune garçon sage, il essaya trois fois d’entrer à l’ENA, mais il échoua, sans bien comprendre ce qui lui arrivait. Ou le comprenant trop bien. Il nota scrupuleusement le nom de tous les reçus et y découvrit celui de Abdoulaye Baldé (Sénégal), Joseph Charles Doumba (Cameroun), David Houdeingar (Tchad) et Patrick Katsuva (Congo). Pour l’occasion, il ressortit le jeu de fléchettes de son enfance.

Comme il ne savait plus où il habitait, il alla partout. Chez les gaullistes de gauche – Séguin -, chez les gaullistes de droite – Pasqua -, chez les autres, comme Chirac. Mais son envol commença avec Sarkozy, quand il écrivit pour lui le Discours de Dakar. Extrait : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, (…) ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles ». Vengeance.

Serait-il oublié sans sa glorieuse réplique, au moment de l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016 ? En deux mots, un djihadiste tue ce jour-là 85 personnes au volant de son 19 tonnes, et Guaino trouve alors une parade radicale : « Il suffit de mettre à l’entrée de la promenade des Anglais un militaire avec un lance-roquette et puis il arrêtera le camion, voilà c’est tout ! ». On s’en souvient, cette sortie valut à Guaino le poste de ministre de la Défense dans le premier gouvernement Robert Ménard, après le triomphe de Sarkozy à la présidentielle de mai 2017. Mais pas à n’importe quel prix. Sur TF1, il revendiqua de la sorte sa nomination : « Vous avez vu comme moi que l’intitulé du poste a changé, à ma demande. Je suis à partir de ce soir ministre de la Défense et de l’Attaque ».

Trois semaines plus tard, il était devant la Jungle de Calais, assis dans la tourelle d’un char Leclerc de 57 tonnes. Certes, ses tirs d’obus de 120 mm coulèrent au passage un ferry rempli de 680 vacanciers britanniques. Mais le concassage par les lourdes chenilles aura bel et bien fait disparaître pour deux mois dans la boue le campement de romanichels afghans qui déshonorait la France. Le reste est dans toutes les mémoires.

Le 25 octobre 2017, la ville d’Alger fut copieusement arrosée de missiles tirés depuis le porte-avions Charles-de-Gaulle, à bord duquel se trouvait M. Guaino. Ridicule d’exagération, la Fédération internationale des droits de l’homme prétendit que l’attaque avait fait 3200 morts et 8000 blessés. Mais pourquoi Alger ? S’il est vrai que la cible de départ semble avoir été Rakka, en Syrie, était-il pour autant acceptable d’accuser le ministre de s’être trompé de bouton ? Indigné comme rarement, M. Guaino lâcha au cours des séances de questions à l’Assemblée : « Mais que ce monsieur Mélenchon prenne ma place ! Il verra alors que toutes les villes barbaresques se ressemblent comme deux gouttes d’eau ».

Les premières années du quinquennat, qui devait devenir un décennat, démontrèrent la puissance des armes françaises sur le champ de bataille. Guerre de Crimée – 702 000 morts -, conquête du Pôle Nord, du Kilimandjaro – au-dessus des 5800 mètres -, et de l’île Saint-Christophe-et-Niévès (en riposte à la fourberie anglaise dans le dossier européen). Un bilan étonnamment positif puisque la France, au total, n’aura eu à déplorer que 317 000 morts, contre plus d’un million dans le camp de nos ennemis. Répondant aux grotesques accusations de torture systématique – un rapport évoque sans preuve l’énucléation de 28 000 prisonniers birmans -, M. Guaino préféra la légèreté, notant : « De toute façon, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ». À quoi l’antinational Besancenot, juste avant d’être arrêté, osa répliquer : « Moi, je vois bien les œufs cassés, mais où est l’omelette ? »

Pouvait-on défier les grands de ce monde et composer éternellement avec les djihadistes français ? Quand il annonça le 2 janvier 2018 la fusion immédiate de son vaste ministère avec celui de l’Intérieur, mais aussi l’interconnexion avec les fichiers de la sécurité sociale, de Pôle Emploi, des Allocations familiales, des gagnants au Loto et au PMU, du RSA, d’Air France et de la SNCF, du Club Méditerranée et des clubs Mickey, chacun comprit que l’histoire était en marche.

Dans la foulée, on retira la nationalité française aux harkis et à leurs descendants, avant d’en remettre un premier contingent aux autorités comoriennes, très conscientes du cadeau fait par la France. Et bien sûr, on embastilla. Au total, au 1er mars 2022, 1 million 633 258 Arabes et assimilés étaient en détention administrative illimitée. Qui dans des prisons nouvelles. Qui sur des paquebots réquisitionnés. Qui sur le Larzac. Qui sous la tente dans les Alpes. Qui aux îles Kerguelen. Qui sur la Lune. Qui en orbite géostationnaire.

On n’oubliera pas, dans ce tableau de la Renaissance nationale l’arasement total de 1 321 de ces quartiers qu’on disait « difficiles », et leur remplacement in situ par un gigantesque concours national de Roses nouvelles, gagné deux années de suite par la merveilleuse Maman Guaino, nom délicatement donné à une grande fleur jaune très odorante.

Où sont partis les habitants anciens ? Telle est la vaine polémique qu’a tentée une opposition incapable d’énoncer la moindre idée constructive. Le président Guaino, puisqu’il est désormais notre chef suprême, a coutume de répondre à la manière d’un coup de fouet sur la croupe d’un baudet : « Où sont-ils allés ? Mais qu’est-ce que j’en sais, moi ? La France est-elle un pays de liberté, oui ou non ? ».

 

Stéphane Le Foll et l’éternelle vérole des pesticides

Il y a neuf ans ces jours-ci, j’ai publié un livre avec mon ami François Veillerette (Pesticides, révélations sur un scandale français, chez Fayard). Il s’est étonnamment bien vendu, bien que je ne dispose d’aucun chiffre précis, arrêté. Entre 30 000 et 40 000 exemplaires, je crois. François comme moi sommes fiers de ce livre, qui nous a coûté pas mal de sueur. Je me souviens fort bien de notre rencontre avec celui qui allait devenir notre éditeur, Henri Trubert. Nous étions réunis un soir – d’hiver, me semble-t-il – dans son bureau : François bien sûr, Henri bien sûr, moi bien sûr, et Thierry Jaccaud, le rédacteur-en-chef de L’Écologiste, qui nous introduisait chez Fayard.

Je ne connaissais pas Henri, mais je lui ai parlé franchement. Faire un livre sur les pesticides ne nous convenait pas. Nous voulions le clash, l’accusation flamberge au vent, et même courir le risque d’un ou plusieurs procès. S’il ne sentait pas le projet – et ses risques -, eh bien, il n’avait qu’à le dire à ce stade, car notre détermination était totale. Il s’agissait pour nous de décrire un système en partie criminel. Nous citerions des noms, nous ne nous jouerions pas les gens bien élevés, car bien élevé, je ne l’étais pas. Je dis je, car je ne peux parler ici que de moi. Je ne suis réellement pas bien élevé.

En mars 2007, donc, le livre est sorti et il a fait du bruit et il a fait du bien. Encore aujourd’hui, je pense qu’il a marqué un territoire. Je doute qu’on puisse redescendre en-dessous et oublier, fût-ce une seconde, que les pesticides sont d’incroyables poisons chimiques de synthèse, imposés par des pouvoirs politiques aux ordres, faibles et stupides, inconscients. Et achetés ? Dans certains cas, j’en suis convaincu, bien que ne disposant pas des preuves qui valent devant un tribunal.

Six mois après la parution, le granguignolesque Grenelle de l’Environnement, décrété par un Sarkozy aussi manipulateur et limité qu’il a toujours été. J’ai fait la critique radicale de ce vilain show ici même, en temps réel – ce que je préfère, et de loin – et notamment parce qu’il a été le théâtre d’une farce atroce (ici). Les ONG présentes dans une commission s’étaient hâtées de triompher, car Borloo  venait d’annoncer la diminution de l’usage des pesticides de 50 % en dix ans. Avant que Sarkozy, dûment rappelé à l’ordre par la FNSEA, ne donne la bonne version de l’annonce : on diminuerait la consommation des pesticides de 50 % en dix ans, oui. Mais à la condition que cela soit possible. Et, ainsi qu’on a vu, cela n’a pas été possible.

J’ai critiqué à l’époque François Veillerette et son Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (MDRGF), devenu Générations Futures. Je précise qu’il reste un ami cher, ainsi que Nadine Lauverjat, qui le seconde, et que j’embrasse au passage. Seulement, quelque chose ne tourne pas rond. La bagarre contre les pesticides, en France, passe par Générations Futures (ici), et elle est sur le point de devenir ridicule. Pourquoi ? Mais parce que la France s’est dotée en 2009 d’un plan Écophyto1, armé d’un budget de 40 millions d’euros par an. Il s’agissait comme à vu, à la suite du Grenelle, de diminuer de 50 % l’usage des pesticides d’ici 2018. Sans préciser d’ailleurs, preuve de la malhonnêteté intrinsèque du projet, s’il s’agissait d’un tonnage général, du poids de matière active, des pesticides jugés les plus inquiétants, etc.

Or donc, un flou dissimulant une embrouille. Les pesticides ne se sont jamais aussi bien portés chez nous. En 2013, augmentation de 9,2%. En 2014, de 9,4%. En 2015, on ne sait pas. Dans un monde un peu mieux fait, où l’on tiendrait l’argent public pour la prunelle de nos yeux à tous, les guignolos à la manœuvre auraient été chassés -restons poli – à coups de balai. Mais dans celui-ci, Stéphane Le Foll, notre ministre de l’Agriculture, a été autorisé à lancer le plan Écophyto2, avec 71 millions d’euros à claquer chaque année. Avec les mêmes acteurs, voyez-vous : les chambres d’agriculture, la FNSEA. La FNSEA ! Ces gens ne manquent pas d’un humour singulier, car qui est le patron de la FNSEA ? Xavier Beulin, gros céréalier de la Beauce, mais aussi P-DG de la holding agro-industrielle Avril (ils avaient honte de leur nom précédent, Sofiprotéol). Chiffre d’affaires d’Avril en 2014 : 6,5 milliards d’euros, dont une partie sous la forme de vente de …pesticides. Ah, ah, ah !

Le Foll. Si j’écrivais ce que je pense de cet homme, je passerais devant un tribunal, et j’y serais condamné. Ce serait justice, car on ne doit pas injurier quelqu’un, du moins publiquement. Que dire ? Cette créature de Hollande – il a été son factotum pendant onze années, quand notre bon président était Premier secrétaire du PS et en tirait les innombrables ficelles – est devenu salarié permanent du Parti socialiste dès 1991. Sans Hollande, il le serait resté. Avec lui, le voilà devenu ministre et porte-parole. On le voit à la télé. J’espère que cela lui plaît. Dans quatorze petits mois, tout sera en effet terminé.

Qui se souviendra de lui ? Moi. Le monsieur se donne des airs, et promeut en vaines paroles l’agro-écologie quand dans le même temps et par ses actes, il défend la Ferme des 1000 vaches et les pesticides. Les pesticides ? Eh oui ! Comme il a dealé – notez que le résultat politicien n’est pas fameux – avec la FNSEA de Beulin, il n’a plus rien à refuser à l’agro-industrie. Et d’ailleurs, il n’a pas hésité à envoyer une lettre aux députés. Lesquels discutaient ces jours-ci d’une éventuelle interdiction des pesticides néonicotinoïdes tueurs d’abeilles dans le cadre de la Loi Biodiversité. Dans cette lettre – quelle fourberie, quand même ! – il demandait aux élus de ne surtout pas voter cette interdiction. Laquelle a finalement été obtenue de justesse, avec prise d’effet en 2018.

Voilà en tout cas la situation, et elle est insupportable. Le Foll est un pur et simple bureaucrate du PS, qui fait où on lui dit de faire. Mais le charmant garçon, comme tant d’autres aussi valeureux que lui, aimerait en plus qu’on l’aime. Eh bien, pas ici. Ni aujourd’hui ni jamais. Comme on disait et comme on ne dit plus : il a choisi son camp. Et c’est celui des salopards. Dernière interrogation : l’association Générations Futures ne gagnerait-elle pas à se poser de nouvelles questions ? Quand un combat si ardent échoue d’une manière aussi totale, je crois que le moment est venu de la remise en cause. Comment faire reculer vraiment le poison des pesticides ? Comment ne pas demeurer l’alibi d’un système prompt à tout digérer au profit de son équilibre final ? Oui, que faire ?