Quel journal ! Quel affreux journal ! Le Nouvel Observateur, rappelons-le, a été fondé en 1966 par une poignée de journalistes, soutenus financièrement par un capitaliste « de gauche », Claude Perdriel. Et parmi eux, Jean Daniel bien sûr – il va vers ses 96 ans et continue de pontifier chaque semaine ou presque dans l’hebdo -, mais aussi Michel Bosquet, que nous connaissons aussi sous le nom d’André Gorz. Ce dernier s’est imposé dans les années 70 du siècle écoulé comme l’un des grands penseurs de l’écologie politique. Il était, il fut l’homme des fulgurances. Je note ce point, car il est preuve parmi des milliards d’autres que le mouvement des idées n’a rien de linéaire. La régression menace à tout instant.
Pendant des décennies, L’Obs aura bassiné le monde des médias, et bien au-delà, en se présentant comme le journal des intellectuels, de gauche cela va de soi. Le comble est que cela était vrai, car que sont les intellectuels ? Et qu’est-ce donc que la gauche ?J’ai déjà écrit deux articles ici qui disent ce que je pense de ce journal. Le premier, paru en 2007, évoque le rôle de la publicité dans cette interminable descente aux enfers de la pensée (ici). Et le second parle de la mort de Claude Lévi-Strauss (ici).
Si je reviens sur ce cas désespéré, c’est par masochisme, j’imagine. J’ai buté, j’ai cogné, je me suis cogné à la couverture du numéro 2677 (du 25 février au 2 mars). Vous en aurez un aperçu en cliquant ici. Ainsi que le montre la photo ci-dessous, elle est consacré au film Demain, réalisé par Cyril Dion, cofondateur du formidable mouvement Colibris, et Mélanie Laurent, actrice et réalisatrice.
Le film est un très gros succès populaire, et je vous en dirais volontiers du bien, mais je ne l’ai pas vu. J’ai essayé, mais il n’y avait plus de place. Ce qu’on m’en dit me fait l’applaudir quand même. L’affluence signifie au passage, sans effets de manche ni esbroufe, que l’écologie réelle est déjà une force considérable. Passons pour le moment.
Donc, L’Obs. Je pourrais aisément écrire une dizaine de pages fort critiques sur le dossier qu’il consacre à Demain. Mais je vais me concentrer sur quelques points.
1/ Ces gougnafiers « vendent » l’idée d’un couple, supposément plus efficace commercialement. Dion et Laurent sont-ils « ensemble » ? Je ne le crois pas, mais même si tel est le cas, ils ne l’ont jamais laissé supposer. L’Obs se livre donc, d’emblée, à une désinformation. Mais subliminale. Les plus efficaces.
2/ La Une suggère fortement que cet engouement pour le film est une nouvelle fois affaire de bobos-bio. Gentillette. Le mot bio sur le titre – « La nouvelle vague Bio, alimentation, santé, environnement » – s’achève par un grain de blé tourné vers le ciel, comme on aurait mis, il y a quelques années, une petite fleur inoffensive.
3/ Ce même titre de couverture désamorce totalement le propos du film, qui montre l’autonomie retrouvée, partout dans le monde. Il évacue l’essentiel, c’est-à-dire la dimension politique de l’entreprise.
4/ Oser parler d’alimentation, de santé et d’environnement ne signifie qu’une seule chose pour ces pauvres gens de L’Obs : il s’agit d’améliorer son bien-être personnel. Ce n’est jamais qu’une nouvelle poussée d’individualisme. Matière à peu près sacrée, et depuis des lustres, dans les colonnes de l’hebdomadaire.
5/ À l’intérieur, ce serait presque pire. C’est pire. Après un entretien des réalisateurs, au cours duquel on évite sans y penser la moindre question essentielle – ex : « Mais on a encore le droit de boire du café ou de manger des bananes ? » -, enfilade de sujets « bobos » sur la bio, les labels, les prix, les contrôles. Puis une page pratique, forcément pratique, sur « les aliments qui font du bien ». À pleurer.
6/ Enfin, et pour illustrer le tout, un reportage dans le Pas-de-Calais. Tenez-vous bien. Il s’agit de rencontrer un type – intéressant, par ailleurs – qui a une exploitation agricole de 80 hectares. Il cultive 3,5 hectares en bio et le reste – 76,5 hectares – à coup de pesticides. Cerise sur l’agrochimie : il a acheté un drone pour surveiller ses cultures. Un drone. Commentaire du journal : « Thierry Bailliet, 3,5 hectares en bio et le reste en conventionnel, une combinaison qui est selon lui la clé de l’agriculture de demain ».
Voilà, amis et lecteurs de Planète sans visa. Il n’y a résolument rien à sauver d’un journal comme Le Nouvel Observateur, né dans un monde disparu, et qui désormais défendra jusqu’à sa mort ces ruines qui sont tellement les siennes.
Evidemment, la COP21 sera un naufrage. Evidemment, on la présentera comme un triomphe de la société humaine. Il serait facile de moquer la petite armée planétaire des experts, adeptes enamourés d’une novlangue qu’eux seuls connaissent. Franchement, qui comprend des vocables comme QUELROs, INDC (en français loufoque : « contributions prévues déterminées au niveau national »), CPDN,AIJ ? Tous ces acronymes anglais sont le quotidien de juristes et de diplomates que nul ne connaît et qui n’ont donc aucun compte à rendre aux peuples directement concernés. Au reste, les peuples existent-ils ?
Mais bien sûr, il faut aller plus loin. Qui a créé le cadre de la supposée « négociation sur le changement climatique » ? Un nom s’impose, et c’est celui de Maurice Strong. Pratiquement inconnu en France, cet homme, né en 1929, et qui vient de mourir le 28 novembre, peut se vanter d’une vie hors du commun. Côté pile, il a été le vice-président, le président ou le PDG de firmes transnationales nord-américaines : Dome Petroleum, Caltex (groupe Chevron), Norcen Resources, Petro-Canada, Power Corporation. Au cœur, l’énergie. Au cœur, le pétrole.
Côté face, Maurice Strong va incarner le tournant planétaire de l’ONU vers ce que l’on n’appelle pas encore le « développement durable ». Tour à tour, il ouvre le premier des Sommets de la Terre de Stockholm, en 1972, puis préside le Programme des Nations unies pour l’environnement, lancé dans la foulée. Tout en étant président de Petro-Canada – de 1976 à 1978 –, puis conseiller du directeur de la Banque mondiale et de Toyota, entre autres.
Evénements majeurs
Il faut insister sur deux événements majeurs. Tout d’abord, le Sommet de la Terre de Rio, en 1992. Maurice Strong, qui en est le grand organisateur officiel, choisit comme adjoint et bras droit un certain Stephan Schmidheiny. Ce dernier est l’héritier d’une dynastie industrielle – Eternit –, qui a fait sa fortune grâce à l’amiante. Le 3 juin 2013, il a été condamné à dix-huit années de prison en tant qu’ancien dirigeant d’Eternit sur décision d’une cour d’appel italienne. Peine à laquelle il échappera pour des motifs de prescription. Que lui reproche-t-on ? La mort par l’amiante de 3 000 ouvriers italiens.
Après le sommet de Rio, Schmidheiny se lance dans une nouvelle opération en créant le Conseil mondial des affaires pour le développement durable. Près de 200 sociétés industrielles en font partie, dont les grands amis du climat que sont Syngenta, BASF, Bayer, DuPont, Total, Shell, Dow. En 2002, il publie le livre Walking the Talk (BK Editions). Parmi soixante-sept autres monographies, l’une est consacrée au delta du Niger, martyr écologique s’il en est, où la Shell aurait selon l’ouvrage « une longue histoire d’assistance aux communautés auprès desquelles elle travaille ».
Deuxième rendez-vous capital : Kyoto, où se réunit en 1997 la troisième Conférence mondiale sur le climat. Maurice Strong, devenu sous-secrétaire général des Nations unies, y prononce le discours inaugural. Une seule conclusion s’impose : le système onusien est entre les mains d’industriels aux mains sales, de ceux qui vantent encore, et toujours, l’usage de combustibles fossiles qui aggravent la situation climatique.
A Kyoto, où se réunit en 1997 la troisième Conférence mondiale sur le climat, Maurice Strong, devenu sous-secrétaire général des Nations unies, y prononce le discours inaugural. Une seule conclusion s’impose : le système onusien est entre les mains d’industriels aux mains sales
Pourquoi s’acharner sur ces deux cas sidérants ? Eh bien, parce qu’ils semblent avoir montré l’exemple. Commençons par Brice Lalonde, l’un des fondateurs du mouvement de l’écologie politique en France. Devenu sur le tard un ferme soutien de la droite libérale, incarnée un temps par Alain Madelin, il aime tant l’entreprise qu’il est devenu il y a quinze ans l’un des cadres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), temple de l’industrie, où il organise à la fin des années 2000 des tables rondes auxquelles se précipitent les grands patrons de la planète.
En 2007, Nicolas Sarkozy, à peine élu, le nomme « ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique ». C’est le retour sur le devant de la scène, et pas seulement nationale. En 2010, Brice Lalonde devient le « coordonnateur exécutif » du deuxième Sommet de la Terre de Rio, qui doit avoir lieu en 2012. La même place que Maurice Strong en 1992.
Brice Lalonde ne dissimule aucunement ses choix politiques et moraux. Interrogé le 17 mars 2014 sur Europe 1, il se déclare en faveur des gaz de schiste, pourtant moyen certain de relancer l’émission de gaz à effet de serre. Avec, au passage, un argument désopilant : « Le gaz de schiste, il est bon aux Etats-Unis, pourquoi est-ce qu’il serait mauvais en France ? »
Absurde appétit de biens matériels
Reste le cas Laurence Tubiana. Inlassable participante des conférences climatiques depuis vingt ans, elle est de gauche. Le 15 mai 2014, elle est nommée « représentante spéciale du gouvernement français » pour la COP21. Le 3 juin, elle devient « ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique ». Comme Brice Lalonde ? Comme Brice Lalonde. Or, elle a tout de même créé puis dirigé l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).
L’IDDRI est un think tank de plus où l’on multiplie colloques, rapports et conférences. Comme celle organisée en octobre 2007 en l’honneur du roi du soja transgénique, le Brésilien Blairo Borges Maggi. On s’étonnera – ou pas – que parmi ses membres fondateurs se trouvent EDF, Entreprises pour l’environnement (EPE), GDF Suez, Lafarge, Saint-Gobain, Veolia Environnement. Et dans EPE, des industriels aussi responsables que ceux de Bayer, BASF, Vinci, Total, Solvay, Thales.
Où veut-on en venir ? D’abord cette précision essentielle en ces temps conspirationnistes : il n’y a évidemment pas complot. Ces faits ne sont pas cachés, même s’ils sont parfois savamment évacués. Il est possible, il est même plausible, que ces personnes aient leur part de sincérité. Mais la question de la responsabilité des transnationales dans le drame biblique en cours ne peut être esquivée. La logique de ces entreprises est de forer, d’extraire, de manufacturer et de vendre. Et ce faisant, d’entretenir comme le feu sous la soupe, le dérèglement climatique.
Il est évident que le cadre de la COP21 interdit toute vérité. Car lutter contre le dérèglement climatique impose de revoir pour de vrai notre absurde appétit de biens matériels. Lesquels sont, jusqu’à plus ample informé, le moteur – véritablement à explosion – de l’industrie et des entreprises prisées par ces quatre personnes. Par une publicité purement et simplement criminelle. Le dérèglement en cours s’explique en bonne partie par la prolifération d’objets inutiles, dont la production et l’élimination menacent de mort les principaux écosystèmes.
Arrêtons de répéter sans jamais agir qu’il faut changer notre façon de vivre et de consommer. L’heure est arrivée de mettre concrètement en cause la voiture individuelle, les écrans plats, les iPhone, le plastique, l’élevage industriel, le numérique et ses déchets électroniques, les innombrables colifichets – jouets, chaussures, cotonnades et vêtements, cafetières, meubles – venus de Chine ou d’ailleurs, les turbines, centrales, avions, TGV, vins, parfums partant dans l’autre sens.
N’est-il pas pleinement absurde de croire qu’on peut avancer en confiant la direction à ceux-là mêmes qui nous ont conduits au gouffre ?
Fabrice Nicolino est journaliste et essayiste, auteur d’Un empoisonnement universel. Comment les produits chimiques ont envahi la planète (Les Liens qui libèrent, 2014) et Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture (Les Echappés, 124 pages, 13,90 euros).
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/12/03/cette-funeste-conference-climatique-ne-changera-rien_4823377_3232.html#PIbUtfo78MWA2BfY.99
Ce n’est pas démentiel, puisque c’est vrai. On apprend aujourd’hui qu’un aéroport à 200 km au sud de Madrid vient d’être acheté aux enchères 10 000 euros. Par des Chinois. Ciudad Real devait devenir le grand aéroport de Madrid, mais les vents contraires qui découragent l’investissement en ont décidé autrement. Malgré les centaines de millions d’euros d’argent public jetés aux poubelles, le désastre est total. Prévu pour plusieurs millions de voyageurs chaque année, il n’aura accueilli que 100 000 visiteurs en cinq ans. Cette gabegie est évidemment un crime, mais le code pénal ne peut rien contre les vrais grands brigands qui ont lancé ce projet.
Lesquels étaient socialistes, comme un certain Jean-Marc Ayrault, l’ancien maire de Nantes qui veut tant l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Comme je n’ai pas beaucoup d’énergie, je vous envoie ci-dessous des copies. D’abord, un article paru ce dimanche dans Le Point. Et puis des miens papiers de Planète sans visa. Où vous verrez qu’il ne sert à rien d’avoir raison contre le monde entier. Le monde entier sauf vous, cela va de soi.
LE POINT.
Un aéroport à 450 millions d’euros bradé aux enchères à 10 000 euros
L’aéroport de Ciudad Real, près de Madrid, abandonné à la suite de sa faillite en 2014, a été racheté aux enchères pour une bouchée de pain par un groupe chinois.
En cette période de soldes, c’est une très bonne affaire. La SARL d’investissement chinoise Tzaneen international est sur le point d’acquérir l’aéroport Ciudad Real pour la modique somme de… 10 000 euros ! Le complexe avait coûté 450 millions d’euros aux contribuables espagnols. En quatre ans, moins de 100 000 voyageurs ont emprunté les longues allées de ce terminal de 28 000 m2 et d’une capacité de 5 millions de passagers.
Bulle financière et plan de sauvetage espagnol
Premier aéroport privé d’Espagne et symbole de la bulle immobilière des années 2000, l’aéroport de Ciudad Real était destiné à devenir l’aéroport du sud de Madrid, dont il est pourtant éloigné de 200 kilomètres. L’infrastructure a fait faillite en 2010. Elle est en partie responsable du premier sauvetage bancaire du pays, celui de la Caisse d’épargne Caja Castilla-La Mancha, qui avait investi 300 millions d’euros dans ce projet pharaonique.
« Porte d’entrée de l’Europe » à la chinoise
L’acquéreur compte investir entre 60 et 100 millions d’euros prochainement afin de remettre en service l’aéroport, les pistes et le terminal afin d’en faire une « porte d’entrée de l’Europe » à la chinoise. Estimées à 40 millions d’euros, les infrastructures vendues aux enchères le 17 juillet seront-elles définitivement adjugées au mystérieux groupe chinois ? Cela dépendra des contre-offres. Le tribunal s’est donné jusqu’au 15 septembre pour trancher.
Résumé des épisodes précédents. Jean-Marc Ayrault fut, comme on le sait, député-maire socialiste de Nantes pendant quelque trois siècles. Avant son départ précipité, il avait, dans un geste ultime de philanthropie, offert à sa ville la perspective grandiose et futuriste d’un nouvel aéroport à la campagne, sur les terres chouannes de Notre-Dame-des-Landes ( lire le résumé ici). On le sait, l’ingratitude du petit peuple est sans limites, et les paysans au front bas du bocage, poussés vers l’émeute par une chienlit écologiste, monta un jour à l’assaut de l’hôtel de ville de Nantes, fourches au poing, hurlant des obscénités sur le compte pourtant valeureux de monsieur Jean-Marc Ayrault. N’entendit-on pas ces criminels ensabotés, crottés jusqu’aux narines, hurler : « Ayrault, fumier, tu serviras d’engrais » ? Si. Ils le firent.
Alors, comme vous vous en souvenez tous, le maire fut contraint au départ, n’emportant qu’une maigre valise, embarquant in extremis à bord d’un antique Avion III créé par Clément Ader, doté de tiges de bambou, barbes en toile et papier de Chine. Pendant 120 ans environ, le sort de Jean-Marc Ayrault est demeuré inconnu, et je ne suis pas peu fier, aujourd’hui, de vous livrer en exclusivité un scoop de derrière les fagots, qu’on ne trouve pas sous le sabot d’un cheval, dont on parlera dans Landerneau, digne des meilleurs professionnels.
Ayrault a réussi à refaire sa vie en Espagne, sous un faux nom naturellement. Visiblement bien introduit sur place, il est parvenu en peu de temps à tenir une place aussi enviable que celle qu’il occupait chez nous. Car il est en effet président – socialiste toujours – de la région chère au cœur de l’Ingenioso Hidalgo Don Quijote de la Mancha, autrement dit Castille-La Manche. Mais se refait-on jamais ? Connu en Espagne sous le nom de José Maria Barreda, Ayrault a décidé, financé, soutenu de toutes ses vives forces un aéroport international appelé Ciudad Real. ll ne peut s’agir que d’un clin d’œil au formidable humour que l’on prête à Miguel de Cervantes. Car autant vous le dire, Ciudad Real signifie, comme vous ne l’ignoriez sûrement pas, Ville Réelle. Ville Royale d’abord, mais aussi Ville Réelle.
Mais quel facétieux, cet Ayrault-Barreda ! Après investissement de 500 millions d’euros – ce n’est qu’un début, une mise en bouche – et construction de pistes de 4 kilomètres de long pouvant accueillir des Airbus 380, l’aéroport est prêt à recevoir ses 2,5 millions de passagers par an ( lire ici). Beau travail, Jean-Marc (tu permets que je t’appelle Jean-Marc ?) ! Beau travail. Des centaines d’emplois ont été créés, et des entreprises ont installé des bureaux à prix cassés par les aides publiques. Normal : le TGV doit relier Madrid en moins de cinquante minutes, les autoroutes sont innombrables, et l’emprise directe au sol – 1250 hectares – permet d’envisager des agrandissements à répétition.
Bien sûr, il reste à régler quelques détails. Après le départ de la compagnie Air Berlin, l’Irlandaise Ryanair occupe à elle seule l’aéroport international, retenue au moment où elle pliait bagage par une subvention publique. En somme, tout est désert, fantasma. Les 24 comptoirs d’enregistrement sont fermés toute la sainte journée, on ne croise ni hôtesse ni passagers, mais tout de même quelques-uns des 300 employés chargés de l’entretien et de la gestion. Car il faut bien gérer, non ? La passerelle prévue pour relier l’aéroport à la ligne de train Madrid-Séville s’achève au-dessus du vide. On peut toujours sauter.
La réussite est complète. Deux ans après son inauguration, le bel oiseau a déjà creusé un trou de 300 millions d’euros, entraînant la faillite de la Caisse d’épargne de Castille-La Manche (CCM), obligeant la région de mon ami Jean-Marc-José à créer de toute urgence une société publique capable de financer les pertes astronomiques. Et c’est là, je vous le demande personnellement, que nous devons tous nous lever pour applaudir. Je vous en prie, faites-moi confiance au moins une fois dans votre vie. Standing ovation ! N’écoutant que son courage de grand élu socialiste, Ayrault-Barreda refuse de baisser les bras.
Fin mai, notre homme double s’est à nouveau engagé, en hidalgo : « El presidente de Castilla-La Mancha, José María Barreda , aseguró que el Gobierno regional hará todo lo posible, dentro de la legalidad, para que el proyecto del aeropuerto privado de Ciudad Real tenga viabilidad en el futuro y “pueda despegar definitivamente”». Vous pourrez lire le texte intégral (ici ), ou vous en tenir à mon court résumé. Ayrault-Barreda veut davantage de fric pour que Ciudad Real « pueda despegar definitivamente ». Pour qu’il puisse « décoller définitivement ». J’espère que vous goûtez comme moi, et à nouveau, l’humour noir de Janus. Décoller. Définitivement. Cela ouvre bien des perspectives.
Dans un autre entretien, Ayrault-Barreda a finement présenté les deux termes de l’alternative. Ou l’argent public coule à nouveau, ou l’on abandonne. Et si l’on abandonne, il ne faudra pas s’étonner que « crezca la hierba en la pista de aterrizaje y se estropeen las instalaciones ». Il y en a pour trembler, comme dit un vieil homme de ma connaissance. L’herbe pousserait alors sur les pistes, et les magnifiques installations rouilleraient peu à peu, avant de disparaître dans la poussière de Rocinante. Rossinante, quoi.
Et maintenant, avant de rendre l’antenne, deux post-scriptum.
Le premier : l’Espagne est en train de sombrer. Il est plaisant qu’un olibrius comme moi ait pu le dire si longtemps avant les commentateurs appointés (lire ici, ici encore, et là). Elle sombre. Un million de logements y sont en vente. 40 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage. La spéculation et la corruption de masse ont détruit un pays. Telle est la réalité. Extrait de l’article cité tout en haut de cette page : « Surtout, au lieu de construire 800 000 logements chaque année, l’Espagne va se limiter à 100 000 pendant plusieurs années. Avec un impact terrible sur la croissance et sur l’emploi : “Il faut réinventer 18 % du PIB”, résume un économiste ». Oui, c’est à eux, aux économistes, aux politiques responsables de ce désastre biblique qu’on demande de réinventer du PIB. PIB ! Paltoquets, Imbéciles, Branlotins. Nous en sommes là, au point zéro d’une histoire à recommencer.
Le second : la dette des régions d’Espagne atteint 95 milliards d’euros, une somme inouïe. Le siège luxueux des braves gens aux commandes, les ronds-points, les subventions à l’agriculture industrielle, aux barrages, aux transferts d’eau vers le Sud à sec, les aides aux villes fantômes du littoral, tout cela coûte cher. Au fait, Ségolène Royal ne se faisait-elle pas appeler la Zapatera, nom dérivé de celui de José Luis Rodríguez Zapatero, le cornichon socialiste en place à Madrid, qui achève de dynamiter ce qui reste ? le Figaro rapporte une visite de Royal à Madrid en octobre 2007. Elle vient donc de perdre face à Sarkozy. Et voici l’extrait du journal, qu’il faut savourer à la petite cuiller : « Zapatero aurait chaleureusement encouragé Ségolène Royal à se présenter à la prochaine élection présidentielle. “Je me sens très proche de Zapatero et de cette gauche pragmatique”, a commenté celle que l’on dénomme ici “la Zapatera francesa”. Enchantée de porter ce surnom, Royal a estimé qu’elle avait plusieurs points communs avec Zapatero : “Au départ, Zapatero n’était pas forcément le favori au sein de son parti. Il était jugé trop jeune, inexpérimenté ou sans stature, mais il a réussi à prouver le contraire…” ».
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Vous trouverez ci-dessous un choix de quelques articles que j’ai consacrés à l’Espagne. Vous y verrez, si vous avez le temps, qu’il était possible de voir autrement les mêmes choses. Quand Ségolène Royal encensait le Premier ministre Zapatero – coquette en diable, ne se laissait-elle pas appeler la Zapatera ? -, d’autres, dont je fais partie, racontaient le dessous des cartes. Après relecture, cela reste intéressant. Il me semble.
Avouons que ce papier s’adresse d’abord à ceux qui croient encore dans la politique. Je veux dire la politique ancienne, celle qui émet les signaux que nous connaissons tous, celle de madame Royal, de monsieur Sarkozy. Celle venue en droite ligne de 200 ans d’histoire tourmentée.
On le sait, ou l’on finira par le savoir, je ne porte plus guère attention aux acteurs de ce jeu de rôles, mais je ne cherche pas à convaincre. Je ne fais qu’exprimer un point de vue. Et voici pour ce jour : j’aimerais vous parler d’Andrés Martínez de Azagra Paredes. Un Espagnol. Cet ingénieur, également professeur d’hydraulique, propose un néologisme : oasificación. Pour nous, Français, ce n’est pas très difficile à comprendre : il s’agit de créer des oasis. Martínez est un homme très inquiet de l’avenir de son pays, menacé par des phénomènes de désertification dont nous n’avons pas idée. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà, comme aurait dit Montaigne. Mais nous avons grand tort, en l’occurrence, de ne pas tendre l’oreille.
Martínez, en tout cas, a des solutions ( attention, en espagnol : www.oasification.com). Cela consiste, sommairement résumé, à récupérer l’eau, de pluie surtout, et à restaurer un couvert végétal là où il a disparu. En mêlant savoirs ancestraux et technologies nouvelles. J’avoue ne pas en savoir bien plus. Est-ce efficace ? Peut-être.
Mais la vraie question est autre : l’Espagne devient un désert. Bien entendu, il est plus que probable que nous ne serons plus là pour admirer le résultat final. Le processus est pourtant en route (afp.google.com) : le tiers du pays est atteint par des formes sévères de désertification, et le climat comme la flore et la faune seront bientôt – à la noble échelle du temps écologique – africains. J’ai eu le bonheur, il n’y a guère, de me balader sur les flancs de la Sierra Nevada, cette montagne andalouse au-dessus de la mer. Je me dois de rappeler que nevada veut dire enneigée. De la neige, en ce mois de novembre 2005, il n’y en avait plus.
Pourquoi cette avancée spectaculaire du désert en Europe continentale ? Je ne me hasarderai pas dans les détails, mais de nombreux spécialistes pensent que le dérèglement climatique en cours frappe davantage l’Espagne que ses voisins. Et comme le climat se dégrade aussi en Afrique, notamment du nord, il va de soi que les humains qui ont tant de mal à survivre là-bas ont tendance à se déplacer plus au nord, au risque de leur vie quand ils tentent la traversée vers les Canaries ou le continent.
Et que fait le gouvernement socialiste en place ? Eh bien, avec un courage qui frise la témérité, il vient de décider la création d’un Plan national contre la désertification. Tremblez, agents de la dégradation écologique ! Je ne vous surprendrai pas en écrivant que les choix faits depuis 50 ans n’ont jamais qu’aggravé les choses. La surexploitation des ressources en eau, la déforestation, l’agriculture intensive et l’urbanisation sont les points les plus saillants d’une politique d’autant plus efficace qu’elle est évidente, et rassemble tous les courants qui se sont succédé au pouvoir.
Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?
Donc, Zapatero. Il me fait penser à DSK. Ou à Moscovici. Ou à Delanoé. Ou à tout autre, cela n’a pas la moindre importance. Il se vante donc de l’état de l’économie sous son règne, espérant bien remporter les élections générales du 9 mars prochain. Comme je m’en moque bien ! Car il y a tout de même un peu plus important. Certes, le socialistes locaux ont stoppé – pour combien de temps ? – le démentiel Plan hydrologique national de la droite, qui entendait détourner une partie des eaux de l’Èbre – fleuve du Nord qui a donné son nom à la péninsule – jusque vers l’extrême sud et les côtes touristiques.
Certes. Mais la soi-disant bonne santé du pays repose, pour l’essentiel, sur la construction. Qui n’est bien entendu que destruction. Jusqu’à la crise des subprimes, ces damnés crédits immobiliers américains, l’Espagne était considérée comme un modèle (www.lemonde.fr) à suivre partout en Europe. Écoutez donc cette nouvelle chanson, dans la bouche de Patrick Artus, gourou financier bien connu : « La crise récente risque de montrer qu’il s’agissait de “faux modèles” à ne pas suivre. Que reste-t-il du dynamisme de ces pays, une fois enlevés l’expansion des services financiers et de la construction, qui y représentaient 50 % à 80 % des créations d’emplois ? ».
Zapatero est un grossier imbécile. Je vous le dis, vous pouvez le répéter. Imbécile, je pense que cela va de soi. Grossier, car dans le même temps que sa ministre de l’Environnement faisait semblant d’agir contre l’avancée du désert, on apprenait la teneur de quelques chiffres officiels. L’an passé – de juin 2006 à juin 2007 -, les mairies du littoral espagnol reconnaissaient l’existence de projets immobiliers plus nombreux que jamais. Soit 2 999 743 nouveaux logements, 202 250 lits dans l’hôtellerie, 316 terrains de golf et 112 installations portuaires avec 38 389 places neuves pour les jolis bateaux. Sans compter 90 cas de corruption établis, impliquant 350 responsables publics (attention, en espagnol : www.glocalia.com).
Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.
Je souhaite ardemment que personne ne vienne prendre leur défense, ici tout au moins. Car ailleurs, je sais combien ils sont choyés, aimés, cajolés. Madame Ségolène Royal – dite la Zapatera – ne s’est-elle pas excusée il y a quelques jours, au nom de nous tous, auprès de son si cher ami José Luis Rodríguez Zapatero, Premier ministre espagnol en titre ? Ne lui a-t-elle pas demandé de pardonner des propos prêtés à notre Sarkozy national (ici) ? Si.
Or que font donc les socialistes espagnols ? Ils détruisent avec frénésie ce qui reste de ce pays de légende. En janvier 2008, avant donc l’annonce de la crise économique que vous savez, j’ai écrit (ici) sur quoi reposait le soi-disant miracle espagnol, avec ces taux de croissance admirés d’un bout à l’autre de notre Europe si malade. Tenez, je me cite : « Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?
Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.
Pourquoi ce rappel ? Mais parce que les socialistes au pouvoir à Madrid s’attaquent aujourd’hui au grand joyau ornithologique de la péninsule, l’Estrémadure. Je connais ce lieu, qui est rude au regard et au corps. Froide l’hiver, brûlante l’été, la région abrite une sorte de savane arborée méditerranéenne, la dehesa. Comme un compromis entre la nature et l’homme, immémorial, sur fond de chênes verts, d’oliviers sauvages, de genêts, d’arbousiers et de troupeaux. C’est aussi le pays des oiseaux. Des grandes outardes. Des vautours fauves, moines, percnoptères. Des grues. Des oies. Des canards. L’Éstrémadure est si pauvre que les bureaucrates madrilènes l’ont laissée en paix, tout occupés qu’ils étaient à ronger les côtes sublimes du pays.
Fini. Le gouvernement vient de décider une série de mesures scélérates au dernier degré. La plus extravagante est peut-être le cadeau fait à une transnationale étasunienne, Florida Power and Light (ici), qui pourra construire deux usines solaires cette année à Casas de Hito, en Estrémadure. 600 millions d’euros d’investissement – on ne sait rien d’autres arrangements éventuels, qui peuvent se produire néanmoins – et 100 emplois à la clé. 100 emplois en échange d’un paradis des oiseaux. En 2007, on a dénombré à Casas de Hito 11 325 grues. Et sept espèces d’oies, et 140 000 canards hivernant à trois kilomètres, sur le lac de barrage de Sierra Brava. Je dois vous avouer que je n’ai pas regardé de près les dangers que feront peser sur les oiseaux sauvages ces installations. Et vous renvoie à une pétition des naturalistes espagnols de SEO (ici). Ils sont déprimés. Moi aussi.
D’autres projets simplement criminels menacent l’Estrémadure. Une raffinerie de pétrole à Tierra de Barros, des centrales électriques, des parcs éoliens lancés dans des conditions douteuses de légalité, et qui sont apparemment dangereux pour des oiseaux comme les vautours. Lesquels sont magnifiques, à la différence de ceux qui traînent dans les bureaux des promoteurs d’Ibérie comme de France.
Je vois bien que naît sous nos yeux encore ébahis un capitalisme vert censé nous clouer le bec. Si vous avez le moindre doute, jetez un œil ici, je crois que nous nous comprendrons. Eh bien ? Au risque flagrant de me répéter, il n’est pas question de considérer ces gens-là, qui incluent évidemment nos socialistes comme de vagues cousins un (long) temps égarés. Ce sont des adversaires. Ce sont des ennemis. Et je vous jure que je les exècre. Zapatero, Zapatera, toutes ces camarillas, tous ces sbires, tous ces fifres et sous-fifres, tous ces petits marquis, ces Dray, Mélenchon, Royal, Hollande, Fabius, Weber, Bartolone, Aubry, Rebsamen, Le Guen, Hamon, Delanoé, Désir, Bloche, ad nauseam. J’ai pris le parti des oiseaux et du vol libre au-dessus des cimes, celui des migrations, celui de Nils Holgersson, celui de la beauté. J’ai pris le parti du soleil, de la lune, de la pluie et des arbres. Et ce n’est pas le leur.
Après la Grèce, l’Espagne ? Je n’ai pas le temps, hélas, de rechercher quelques perles égrenées par nos économistes-en-chef, nos politiques princiers, de droite et de gauche bien sûr. Il y a une poignée d’années, l’Espagne était LE modèle que nos élites proposaient à une France jugée malade, en tout cas assoupie. Son taux de croissance faisait chavirer le cœur de tous les abrutis qui croient penser, quand ils ne font que braire. Le problème est que tout reposait sur un château de cartes, un lointain château en Espagne que personne ne possèderait un jour.
La politique criminelle des élites espagnoles tient en peu de mots : corruption de masse, destruction de la nature, délire immobilier. On a détruit là-bas ce qui restait de rivage après la stupéfiante flambée franquiste des années soixante du siècle passé. Et construit, souvent au bord de l’eau, mais aussi dans d’improbables banlieues, des milliers de programmes immobiliers qui jamais ne trouveront acquéreurs. Jamais. Certains sont achevés, mais sans aucune adduction. D’autres sont commencés, et se trouvent à divers stades. Mais le cochon de client s’est évaporé. Il s’agissait d’une chaîne de Ponzi, la même pyramide que celle qui a conduit l’escroc Madoff en taule. Tant que les gogos achètent et que d’autres gogos se lancent à leur suite, tout marche à la perfection. Mais dès que le doute s’installe, c’est l’effondrement.
Cela fait longtemps que j’ennuie mon entourage en répétant que l’Espagne est d’une fragilité de verre. On conspue aujourd’hui les gouvernements grecs dans les rues d’Athènes. Il n’est pas exclu que l’on fasse pire demain avec ceux du Parti populaire (PP) espagnol et du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Car ils ont mené la même politique et créé les conditions du chaos. Je vous, je nous le demande : qui paiera pour ces appartements morts-nés ? Qui paiera le prix de la corruption et de la dévastation écologique ? N’oubliez pas que des banques ont massivement prêté aux margoulins pour faire leurs galipettes monétaires. Je vous l’annonce, pour le cas où vous ne le sauriez pas : celles de France sont plombées par le désastre immobilier espagnol. Pas toutes, non, et pas à la même échelle. Mais si mes informations sont bonnes, on peut s’attendre à des surprises. Et elles seront mauvaises.
[J’ai des moments d’absence, que je crois liés aux médicaments que je prends. Dont la morphine, encore et toujours, six mois jour pour jour après la tuerie. Je pense évidemment à mes morts. Et aux amis blessés : Philippe, Riss et Simon]
Thierry Jaccaud et Corinne Smith cherchent de l’argent. Un tout petit peu d’argent, mais qui ferait la différence. Qui sont-ils ? Ils tiennent à bout de bras et d’énergie une très belle revue, L’Écologiste (ici). Ce trimestriel est l’édition française du magazine mythique The Ecologist, fondé dès 1970 par Teddy Goldsmith, que j’ai eu le bonheur de connaître un peu. Il ne s’agit pas pour autant d’une traduction, mais bien d’une création originale qui entremêle des articles français à d’autres écrits au départ en anglais, espagnol, italien ou portugais.
Je vous le dis simplement : ces textes sont le plus souvent – pas toujours, non – d’une grande qualité, qui oblige le lecteur à s’interrompre pour penser lui-même. Et l’action n’est jamais très loin. J’y ai personnellement appris bien des choses sur les OGM, l’eugénisme, le nucléaire, la maladie, la morale, le Sud, et je ne dois pas être le seul.
Thierry, que je tiens pour un ami, me signale que L’Écologiste lance une campagne, via Kisskissbankbank (cliquer ici). Il s’agit de récolter la somme ridicule de 15 000 euros pour financer quelques projets d’amélioration. Ne remettez pas ce qu’il est si facile de faire aujourd’hui : il ne reste que 17 jours pour atteindre ce premier objectif, dont je ne doute pas qu’il sera pulvérisé. Ça commence à cinq euros, et je crois donc pouvoir dire que (presque) tout le monde peut participer. Vous me dites ?
Dans mon article précédent, je vous parlais du rédacteur-en-chef du quotidien The Guardian, Alan Rusbridger. Le Monde, et j’en suis ravi, a recueilli l’interview qui suit, très éclairante.
Quant à moi, je ne vais ni mieux ni pire. Le plâtre qui m’empêche de marcher m’a joué de tels tours que j’ai dû, sans autorisation médicale problématique, le scier sur une petite portion. La première fois avant de me coucher. La seconde en pleine nuit, grâce à la modeste scie de mon inséparable couteau suisse. Mais ça va mieux.
—————————————–L’ARTICLE DU MONDE
« Il n’y a pas de sujet plus sérieux que le climat »
Le quotidien britannique The Guardian est associé depuis mars avec l’ONG 350.org dans la campagne « Keep it in the Ground » (« Laissez-le sous terre »), visant au « désinvestissement » dans les énergies fossiles. Le Guardian Media Group, qui dispose de 1,1 milliard d’euros d’actifs, a lui-même annoncé début avril qu’il commençait à se débarrasser de ses participations dans l’industrie des combustibles fossiles. Alan Rusbridger, le directeur du Guardian, qui quittera le quotidien cet été pour prendre la présidence du trust propriétaire du titre, détaille au Monde la genèse de cet engagement.
Pour quelles raisons « The Guardian » mène-t-il campagne pour renoncer à l’exploitation des réserves d’énergies fossiles ?
Tout a débuté à Noël 2014, lorsque j’ai réalisé que j’allais quitter mes fonctions. Quand vous vous apprêtez à partir d’une institution incroyable comme le journal The Guardian, après deux décennies passées à sa tête, vous vous demandez ce que vous avez raté. Non que je regrette la couverture que nous avons faite jusqu’ici de l’environnement. Mais si l’on pense à ce qui restera dans l’Histoire, le changement climatique est la plus grande « story » de notre époque. Or jusqu’à présent, elle n’avait fait que très rarement la « une » du Guardian.
J’ai été frappé aussi par ma rencontre avec Bill McKibben [fondateur du mouvement 350.org]. Il m’a fait prendre conscience que les médias étaient englués dans un traitement environnemental et scientifique du climat alors que c’est une question politique et économique. En abordant le sujet dans la rédaction, nous nous sommes mis à parler également de santé, de culture… Cela a créé une énergie entre nous. C’était le moment d’impliquer l’ensemble du journal sur ce sujet.
Comment avez-vous organisé cette mobilisation du journal ?
Une partie de la rédaction est partie avec moi une semaine en Autriche pour planifier cette campagne. Il est bon de temps en temps de quitter le bureau et de couper le portable. Nous avons enregistré chaque mot de nos discussions et une partie de ces échanges ont été publiés sous forme de podcasts, sur le site du journal. C’était aussi une manière de montrer à nos lecteurs comment un journal fonctionne. Les entreprises de presse devraient être plus démocratiques. Je n’aime pas les journaux construits autour d’une figure très imposante.
L’une des premières choses dites pendant notre séminaire, c’était que nous ne pouvions pas lancer une telle campagne sans avoir nous-mêmes décidé de quelle énergie nous voulions pour remplacer les combustibles fossiles. La discussion s’est notamment focalisée sur le nucléaire. J’ai demandé que l’on ne cherche pas à trancher ce débat. Car si nous élargissons trop le sujet, les gens risquent de perdre de vue le sens de notre campagne.
Pourquoi avoir pris pour cible des fonds financiers impliqués dans le secteur des énergies fossiles ?
Quels vont être les faits marquants en 2015 sur le climat ? Tout le monde à la rédaction est d’accord pour dire que la Conférence de Paris sur le climat (COP 21) sera le grand événement de l’année, mais ce n’est pas le sujet que l’on a le plus envie de lire. On s’est dit, ensuite, pourrait-on persuader des investisseurs de changer d’avis sur les énergies fossiles, responsables d’une majeure partie des émissions polluantes ? Nous avons par exemple lancé le 7 mars une pétition en direction des fondations philanthropiques telles que le Wellcome Trust et la Bill & Melinda Gates Foundation [180 000 signataires au 17 avril]. Nous n’allons pas en faire des ennemis, mais comme elles gèrent des gros portefeuilles d’actifs, elles peuvent prendre la tête du mouvement de désinvestissement.
Avez-vous rencontré des réticences dans la rédaction à propos de cette campagne ?
Seuls quelques-uns étaient inquiets de cette démarche. Je l’étais moi-même. Durant ces vingt ans comme directeur du Guardian, je n’avais jamais lancé un appel comme celui-ci. Il s’agit d’un sujet complexe, c’était un peu risqué de plonger le journal dans cette complexité. Ce qui m’a convaincu, c’est l’importance de l’enjeu. C’est très différent des OGM, sur lesquels on peut tirer des conclusions divergentes. Là, l’écrasante majorité de la communauté scientifique s’accorde à dire qu’il y a urgence à agir. Il n’y a pas de sujet plus sérieux que le réchauffement climatique.
Pourtant, près de 40 % des Britanniques se disent sceptiques face au réchauffement climatique. Ne craignez-vous pas de perdre une partie de votre lectorat ?
Si vous vous levez chaque matin en vous demandant si vous allez perdre du lectorat, c’est une très mauvaise façon de construire un journal ! Le renoncement aux énergies fossiles est une cause morale, bien sûr, mais aussi une mesure de bonne gestion. Je ne m’attendais pas à ce que le Guardian Media Group (GMG) décide aussi vite de désinvestir. En voyant ce qu’il a fait, le monde de la finance a commencé à en parler. Aujourd’hui, notre propre conseiller financier nous dit : « J’ai observé les chiffres sur les dix dernières années, les énergies fossiles sont devenues de mauvais investissements, qui sous-performent. »
« Keep it in the Ground » n’est-il pas également un formidable coup de pub pour votre journal ?
Au cours de ces cinq dernières années, The Guardian a sorti les dossiers WikiLeaks, le Tax Gap [vaste enquête sur les manœuvres d’évitement fiscal des entreprises britanniques], l’affaire Snowden… Maintenant, nous faisons campagne sur le changement climatique. Si l’on entreprend ce travail d’investigation journalistique, ce n’est pas pour s’assurer des records d’audience, mais pour être à la hauteur de notre réputation. Les gens se rendent compte qu’on est prêt à faire des choix courageux, à dépenser de l’argent quand c’est nécessaire.
A vous entendre, les journaux devraient remplir une mission de service public…
Ce que nous faisons doit servir l’intérêt général. Au cours des dix dernières années, l’industrie de la presse s’est fracturée, elle est devenue peureuse. On regarde en permanence nos chiffres de ventes, nos nombres de lecteurs et d’abonnés. Cela a mené certains à faire des choses idiotes. Si vous voulez faire du journalisme, il faut garder l’intérêt général comme moteur. Et je ne vois pas de plus grand intérêt général que d’aider à la prise de conscience sur le dérèglement climatique. Il est irresponsable de la part des journalistes de ne pas réfléchir davantage à la manière de couvrir cette grande question.
Comment concilier le traitement de l’actualité et une réflexion de long terme sur le climat ?
Le journalisme est très efficace pour raconter ce qu’il s’est passé hier, il l’est beaucoup moins pour faire le récit de ce qui va se produire dans dix ans. Pourtant, cela reste du journalisme, car les décisions que nous prenons aujourd’hui auront des conséquences dans les dix prochaines années et au-delà. Il faut trouver le moyen de faire réfléchir nos concitoyens car la classe politique ou les marchés ne sauront pas le faire. Les investisseurs, en revanche, sont capables d’un tel effort : ça les intéresse de savoir ce qui va se passer dans les dix ou les vingt prochaines années.
La nature des relations entre les journalistes du « Guardian » et les entreprises pétrolières a-t-elle changé ?
Non. Nous avons par exemple un rubricard énergie pour qui les compagnies ont beaucoup de respect. A un moment, Exxon a refusé de répondre à certaines de nos questions, estimant que nous n’étions pas impartiaux. Qu’une compagnie qui pèse 300 milliards de dollars [278 milliards d’euros] refuse de nous répondre en dit davantage sur elle-même que sur le Guardian.
Acceptez-vous toujours les publicités des compagnies pétrolières ?
Oui, nous acceptons et, j’en conviens, c’est une vraie question. Je considère que la publicité est la publicité, l’éditorial est l’éditorial. Ce sont deux choses complètement séparées. Au moment où vous commencez à former un jugement sur la publicité, vous franchissez cette ligne de démarcation.
En lançant cette campagne, pensiez-vous être rejoints par d’autres journaux ?
Nos concurrents sont tous focalisés sur les élections législatives du 7 mai. Jusqu’à présent, je n’ai vu aucune réaction de leur part. Au Royaume-Uni, les journaux se vivent comme des adversaires et ils détestent faire des choses ensemble.