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Polar (re)

Juste un mot sur le roman policier – le mien – que j’évoquais ici il y a quelques jours. Je ne vais pas vous mentir en vous disant que je suis assailli, mais plusieurs d’entre vous m’ont fait savoir qu’il y avait un problème sur le titre. L’explication est simple : dans les dernières semaines, ce dernier a changé. Le bon, le seul titre est : Le vent du boulet (Fayard). Je redis une dernière fois qu’il n’est pas consacré à la crise écologique. La preuve – qui m’étonne moi-même – que je ne pense pas seulement à elle.

Aveux tardifs (sur un roman policier)

(À la demande générale de Raton et de Hacène, je me dois d’écrire ici que les aventures de tata Thérèse ne sont pas terminées. Il reste dans les placards quelques histoires vraies, dont une si hénaurme que je n’aurais pas été capable de l’inventer. Qu’on se le dise donc, tata va revenir. Pas tout de suite, parce que je n’ai pas le temps, et ce qui n’a pas été écrit, je ne vous le fais pas dire, ne l’est pas encore.)

So what ? Je passe aux aveux, car il est temps, plus que temps. J’ai écrit un roman policier qui sort ces jours-ci – ou qui est sorti, je ne sais pas trop – aux éditions Fayard. Pour mettre d’emblée de côté les rieurs que j’ai repérés parmi vous, sachez que la collection Fayard Noir abrite aussi Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel. Ce n’est pas une blague : moi, à côté de lui,  dans la même collection.

Bon. Contrairement aux apparences, cet avis n’est pas publicitaire. Je ne cherche pas à vous faire acheter un livre qui, je vous le précise aussitôt, n’est pas consacré à la crise écologique, obsession souveraine de mes jours et de mes nuits. Mais franchement, je ne pouvais quand même pas cacher que j’ai écrit ce livre. Si ? Bon, c’est fait. Il s’appelle Le vent du boulet. De quoi parle-t-il donc ? De la France, je crois. D’une certaine France qui existe bel et bien, selon moi en tout cas. Pour ne pas non plus paraître ingrat avec vous, qui me lisez avec plus ou moins de patience et d’indulgence, je vous donne en excusivité mondiale, ci-dessous, le prologue de ce roman-là. Ma mission est accomplie, et du même coup, elle est terminée. Le bonsoir.

PROLOGUE

Voilà. On est le 17 avril, je suis vivant. Si on veut. Cela fera bientôt un an qu’un ami a franchi ma porte, rue Lesage, Belleville, Paris, France, pour me rendre service. J’espère qu’Antoine De Bei regrette certains jours de ne pas être devin : il m’aurait laissé dépérir. J’aurais préféré peut-être, que tant souffrir.

Je vais mieux. Si. J’ai arrêté tous les médicaments dès octobre, au cul la chimie, et je n’ai jamais repris l’alcool, sauf en de rares occasions, quand le pleur menace, quand Antoine m’invite chez lui, et les deux fois où j’ai couché avec Maureen. La gauloise est toujours ma forteresse d’antan, la gardienne de mes prisons, elle s’agite en ce moment sous mes yeux.

Je suis encore vivant, c’est déconcertant. Je ne suis pas sûr de pouvoir compter dessus bien longtemps. Que s’est-il passé depuis la fin de l’été passé, quand j’ai échappé à ce bastringue ? Commençons par les morts, peut-être. Monsieur Ahmed Kebbour n’a toujours pas été retrouvé, selon Antoine, qui suit de près l’actualité locale. À l’heure qu’il est, que retrouverait-on de lui ? Ses dents jaunes ? Son haleine de rat ? Oublions.

Monsieur Christian Mathieu a officiellement été tué par un cambrioleur. La police n’a pas même cherché la vraisemblance, à croire que c’était au-dessus de ses forces maigrelettes. Un voleur chez un collectionneur de poids et haltères ? Retrouvé quasiment à poil,  ses vêtements éparpillés autour de lui, sa silhouette musculeuse criblée de trois impacts de balles ? Lui, l’ancien parachutiste d’exception, se serait laissé surprendre puis descendre comme un loulou de Poméranie ? Quelle belle enquête, et quelle jolie conclusion ! La police est grande, quand elle le veut.

L’amie de cœur de Popeye, une certaine Nicole N’Diaye, Sénégalaise selon le journal La Provence, aurait vu le meurtrier. Il aurait vingt-cinq ans, il aurait des lunettes, il aurait une casquette. Tout moi. Je me suis demandé pourquoi elle avait raconté de telles conneries, je me le demande encore. J’ai osé penser qu’elle était soulagée de ne plus sucer la queue de Popeye. J’ai osé.

Concernant les noyés de force, j’ai été surpris par la conclusion de l’enquête. Hartmann n’a pas abdiqué, il a œuvré, comme il avait promis. Il a fait son travail, en partie du moins. L’autopsie n’a pas été préfabriquée, elle a démontré que les poumons des deux plongeurs de Port-Cros contenaient de l’eau douce, qui se rencontre peu en haute mer. Je parviens désormais à écrire sans trop trembler que des petites ordures leur ont trempé la tête dans un quelconque récipient. L’enquête continue, bien qu’enlisée, bien que perdue dans le désert en plein soleil, car elle a été ouverte pour assassinat.

Du côté des vivants, Lando ne veut plus entendre parler de rien, et je le comprends. Du reste, à l’entendre, il n’a jamais fait la moindre analyse. Le genou de Kijo ? La machine s’est trompée, ou c’est lui. Stop, de toute façon, stop s’il vous plaît, stop. Stop est l’un de ses mots préférés, dans cette nouvelle étape de sa pauvre vie. La nénette qui l’accusait de l’avoir gravement tripotée a retiré sa plainte, et Lando parle d’exil. Il ferait mieux.

Kijo, justement. Je viens de recevoir une petite carte de lui, avec un couple d’amoureux de Peynet au recto. Il dit qu’il est heureux, que sa copine attend un petit. Une petite, en fait. Il a quitté sa supérette, il parle d’un BTS d’horticulture, il parle des Alpes-de-Haute-Provence. Pierre-Henri est bien allé au Canada, voir son frère installé là-bas, mais il n’en est pas revenu. Ou plutôt, il est repassé chez lui pour tout bazarder, personne autour de lui n’a compris. Il a vendu la maison, fermé le cabinet, il a rendu son tablier trop maculé. Je l’ai vu, et je dois l’aller visiter là-bas, à Trois-Rivières, où il travaille dans un hôpital. Il dit qu’il est soulagé, que le Québec est grand, que le Québec est libre. Il adore New-York, qu’il rejoint certains week-ends en avion.

Le Philippe à Marina, l’ancien Philippe à Marina a fini par m’écrire une longue lettre fin novembre. Auparavant, on s’était écharpés au téléphone, je lui aurais bien balancé un ou deux coups de boule, mais à distance, ce n’est pas évident. Dans sa lettre, il était calmé, apaisé pour de bon, et me donnait du cher Fred. Si. Il prétendait être en plein deuil, mais ajoutait qu’il fallait se tourner vers la vie. N’est-ce pas, mon cher Fred ? Je n’ai pas répondu, je crois bien que j’ai déchiré la lettre. Depuis, j’ai su par Pierre-Henri et son ancien réseau local qu’il s’était marié. C’est donc ainsi qu’il oublie. Requiescat in pace.

Antoine semble normal en tout point. Il rit. Il continue de bien aimer Domi, sa femme, bien qu’elle soit un peu chiante sur les bords. Je ne parle pas pour moi, cette fille a toujours été adorable à mon endroit. Antoine rit, Antoine aime, Antoine plaide. Il a récemment, en février, défendu Jean-Paul, un ami commun, un éditeur qui n’hésite pas à prendre les risques qu’il faut. Une sombre histoire de rétro commissions, concédées par l’Algérie dans le cadre d’un vaste contrat gazier, et dénoncée dans un livre au napalm. Jean-Paul et son auteur, un Algérien courageux, ont emporté le morceau grâce à une ruse de guerre, une faille formelle dénichée au dernier moment par Antoine. Il semble normal, mais les rares fois où l’on a abordé ensemble les événements passés, sa voix a flotté, son œil a cherché la fuite au loin, il a eu des soupirs pesants. Il a peur. Voilà, la chose essentielle est dite. Antoine semble normal, mais il a peur. Pour lui peut-être, et pour sa famille, sûrement. Il voudrait que l’affaire soit vitrifiée, enterrée pour 300 ans au cimetière de La Hague, au milieu de déchets électronucléaires, voilà ce qu’il voudrait, j’en suis bien certain. Rarement, mais tout de même, il parvient à m’arracher un rire d’avant.

Maureen vit sa vie, regarde Charwa, sa pousse, commencer la sienne dans les éclats de rire, Maureen a un amant, ce n’est pas moi. Elle m’a lancé des appels de phare jusqu’en janvier, par là, on s’est retrouvés au lit deux fois, je me répète, mais je l’ai envoyée promener, une fois de plus. Et donc, elle a un jules, un mec que j’aimerais bien détester, mais ce salopard est si gentil avec elle que je n’y parviens pas. Putain, comment fait-il ?

Charwa m’a sauvé la vie, elle a planté des fleurs autour, et des rires, et des instants de bonheur. Je n’ai cessé de la voir, je propose sans arrêt à Maureen de la garder dans la journée, d’aller la promener, de la sortir, merde, je suis attaché par les fibres, je n’en reviens pas. Certains matins, je regrette, oh comme je regrette d’avoir refusé, avec Maureen. Trop tard.

Angelica m’envoie des mots, des flots. Je ne lis pas tout, car à chaque fois, je suis embarqué pour deux jours, la tempête souffle de bas en haut. J’aime cette femme, à un point qui m’inquiète, mais il faut 900 km entre nous, c’est mieux. On s’est téléphonés deux ou trois fois, elle est passée en coup de vent gargantuesque à Paris, je l’ai menée chez un Chinois. Ce jour-là, tout était d’un calme étrange. Elle continue de pleurer. Et Ange boit.

Hartmann m’étonne. Un peu avant Noël, je me suis autorisé à l’appeler au travail, je voulais ajouter deux ou trois phrases au merci du jour de mon départ. Il a été laconique au possible, réfrigérant, mais m’a recommandé d’attendre de ses nouvelles. Le mystère. Dès le lendemain, dans ma boîte aux lettres de la rue Lesage, il y avait un petit mot avec une courte phrase : « Pour continuer la conversation, appeler à 17 heures précises, d’une cabine publique éloignée ». Il y avait un numéro de portable à la suite. À dix-sept heures, j’ai appelé depuis une cabine au coin du Cirque d’Hiver, et de l’autre côté, on se doute, Hartmann. J’ai pu me libérer d’un peu de ma dette avec des phrases méditées et sincères.

Hartmann est un homme exceptionnel, pas la peine de chercher plus loin le compliment. Je le lui ai dit, à ma manière louche. Il m’a servi quelques sentences, mais aussi demandé des nouvelles de ma santé, j’étais touché plus que je ne saurais dire. Il a affirmé pour finir, en montant sur ses grands chevaux, que l’enquête sur les noyés de Port-Cros se poursuivait, et qu’elle se poursuivrait. J’ai gardé mes doutes pour moi.

Quant à moi, je vis, je vivote, je vis. En échange de menues conneries écrites, dont des corrections, Jean-Paul, l’ami éditeur, me délivre un petit salaire qui me suffit, d’autant que je ne paie rien pour la rue Lesage. Il n’est pas exclu, comme j’en avais la vague intention l’an passé, que je tente de coucher avec la voisine d’en face. Le mois d’avril recommence, bientôt mai, tout n’a pas disparu dans la vaste trappe des jours. Rien n’a disparu. Je pense à Marina Lourens, je rêve d’elle.

N’oublions pas la haine. Il ne faut pas haïr, dans une belle société pacifiée comme la nôtre. C’est barbare. Je suis un barbare qui n’oublie ni ne regrette rien. Ni Kebbour, ni Mathieu. Je suis un barbare qui se réveille la nuit quand il rencontre dans l’eau froide le visage d’hommes jamais vus. Je suis un barbare qui pense à la vengeance. On verra bien. Patience.

Julien Dray (Glucksmann, Kouchner, Sollers, etc.)

Ne fuyez pas encore. Je jure que je ne tente pas un saut périlleux arrière retourné. Si je vais parler brièvement de quelques célébrités politico-médiatiques, c’est bien pour évoquer finalement la crise écologique, comme on verra. J’essaierai d’être bref, tout en sachant que je n’y parviendrai pas.

Julien Dray, actuel député socialiste de l’Essonne. Il a mon âge, ce qui fait que nous avons eu 15 ans, et même 16 ans en même temps. Étonnant, non ? J’ai connu Juju – on l’appelait déjà ainsi – vers le début de 1971, car l’école où je me trouvais alors n’était pas éloignée de la sienne. Et nous étions pareillement saisis par la fièvre de la révolution. Je ne dirais pas ce que je pensais alors de lui,  car on m’accuserait d’inventer ou de lui faire un procès rétrospectif. Ce que je peux certifier, c’est qu’il me faisait rire, involontairement je dois ajouter. Je le revois penché à l’une des fenêtres de la mairie de Bondy (Seine-Saint-Denis), mégaphone en mains. Ce jour-là, nous avions décidé une grève contre « l’impérialisme français au Tchad ». Oui, j’ai fait fait grève contre cela.

Juju, donc. Vous devez savoir qu’il a de gros ennuis. Un rapport d’une structure de surveillance des comptes bancaires, Tracfin,  a découvert ce qu’il faut bien appeler des mouvements de fonds stupéfiants sur les comptes personnels du député. Il n’a pas été interrogé, et j’en resterai donc là. À un détail près, qui n’a rien de pénal. Qui n’a rien d’illégal. Juju est bourré de thunes, comme je dis quand vous n’êtes pas là. Et il n’est jamais comblé. Et il a acheté une maison à Vallauris (Alpes-Maritimes) grâce à de l’argent que lui a passé le grand homme de gauche à la sauce Mitterrand – et petit homme de droite – qu’est Pierre Bergé, richissime comme on sait. Mais Juju rembourse, affirme Bergé. Sûr, il rembourse. De cela, je ne saurais douter. Il rembourse.

Pour le reste, madonna !  Juju reçoit chaque mois, pour le cumul de ses charges publiques, autour de 15 000 euros. Sans compter les revenus de sa femme. Sans compter le bel argent que tant de gens s’acharnent à lui prêter ou à lui donner. Et cela ne suffit pas. Cela ne suffira jamais. Si je n’aime pas du tout ce garçon, ce n’est même pas pour cela. Cela suffirait, notez, mais non, je pense à autre chose. Pas même à ses liens amicaux noués à la buvette de l’Assemblée nationale avec des figures de la droite, dont Charles Pasqua, dès le milieu des années 80. Pas même le fait que Juju, si Royal avait gagné les élections, serait devenu ministre de l’Intérieur, et grand flic de France.

Il y a autre chose. SOS Racisme. Cette invention politicienne, manoeuvrée depuis l’Élysée par Mitterrand, et suivie pour le compte de son maître par Juju et Harlem Désir. Cette guignolade des années 80, quand par ailleurs les socialistes réhabilitaient le capitalisme extrémiste, mettaient sur orbite Tapie, donnaient les clés d’une télé à Berlusconi, cette guignolade a aggravé dans des proportions inouïes la crise ontologique des banlieues. Au moment où il aurait fallu lancer un plan national majeur pour empêcher à toute force la formation des ghettos, Juju and co, si délicieusement « modernes », préféraient les concerts « antiracistes », les petites mains « Touche pas à mon pote », les passages à la télé, et les grosses subventions publiques et privées. Dont acte, comme il m’arrive aussi de dire. Dont acte.

Deuxième cas : le bon docteur Kouchner. Une seule chose m’intéresse dans le mauvais livre que Pierre Péan vient d’écrire sur lui (Le monde selon K, Fayard). Une seule, qui n’est pas contestée. Ni contestable. Kouchner a noué des liens d’affaires, fructueux pour lui, avec Omar Bongo, président du Gabon, et Denis Sassou Nguesso, président de la République du Congo. J’arrête là, car chacun peut savoir aisément qui sont ces hommes et comment ils traitent leurs peuples. Je n’ai pas besoin d’en savoir plus sur Kouchner, « médecin humanitaire » et porteur de sacs de riz sous les sunlights. Tiens, c’est un grand, grand copain de Cohn-Bendit. Mais je m’égare.

Troisième cas, André Glucksmann. Si je pense à ce « philosophe » aujourd’hui rallié – il a 71 ans – à Sarkozy, c’est que je suis tombé sur un petit film qu’on peut regarder en ligne (ici). Nous sommes en 1978, et on y voit  Glucksmann opposé au responsable du parti communiste français René Andrieu. Dédé – oui, certains le nomment ainsi – a toutes les apparences d’un soixante-huitard sur le retour. Jean, baskets, cheveux longs. Et il attaque avec violence Andrieu – qui le mérite cent fois, certes -, lui reprochant cinquante ans de mensonges sur l’Union soviétique.

Et alors ? Eh bien, ce que personne ne sait alors, ce que tout le monde a évidemment oublié depuis, sans s’y être intéressé d’ailleurs, c’est que Glucksmann, en cette année 1978, traîne lui-même un épouvantable passé stalinien. Il a adhéré au parti communiste en 1950, au pire de cette histoire de sang et d’horreur. Certes, et je n’ai aucune raison de le cacher, il a quitté le monstre après l’intervention de Budapest. Mais il a remis le couvert dès les années 60, en devenant un maoïste, plutôt un maolâtre déchaîné. Jusque vers 1973 ou 1974, il a soutenu de toutes ses forces le régime de Pékin, qui avait tué ses citoyens par dizaines de millions. Et la révolution culturelle de 1966, qui est probablement l’acte de manipulation politique le plus achevé de l’histoire humaine. Or donc, quand il engueule Andrieu à la télé en 1978, il vient à peine de quitter la grande famille de la dictature. Mais il a un visage si expressif ! Si sincère ! Des ailes blanches ajoutées à ses épaules ne dépareraient pas dans ce si joli chromo.

Sollers enfin. Il y a de quoi se les mordre, pardonnez-moi, je suis souvent aux limites de la vulgarité quand je m’énerve. Cet écrivain de troisième ordre règne – ou a régné – sur une partie des journaux qui sont censés faire la critique littéraire de ce pays. Il commentait ces derniers jours, dans Le Nouvel Observateur (ici), un ouvrage posthume de Roland Barthes (Carnets du voyage de Chine, Christian Bourgois). En avril 1974, Barthes, Sollers et une poignée d’autres de la revue Tel Quel – joli nom, tel quel, pour une pareille entreprise -, partent en Chine pour une tournée de propagande en faveur du régime.

À cette date, Mao, qui n’est pas encore tout à fait mort, dévaste une ultime fois son pays, au cours d’une purge géante, et sanglante cela va sans dire. Mais Sollers est lui aussi, après avoir été stalinien de souche au PCF, un stalinien pékinois passionné. Enthousiaste. En cette année 1974 où René Dumont commence sa campagne électorale des présidentielles, et parlera bientôt d’eau, de pétrole et de nourriture devant des caméras de télévision médusées, Sollers est donc à Pékin.

Il soutient encore, publiquement, une dictature extraordinaire, et d’ailleurs en place 35 ans plus tard. Il a 38 ans, ce n’est donc pas tout à fait un perdreau de l’année. Tout rapprochement avec les crapules « intellectuelles » qui firent le voyage de Berlin en pleine guerre mondiale, en octobre 1941 – entre autres Chardonne, Jouhandeau, Fernandez, Brasillach, Drieu La Rochelle, Bonnard – serait très déplaisant pour Sollers. Mais ne se fout-il pas de tout ? À commencer par nous ?

Il est temps de conclure, et je remercie les vaillantes et vaillants qui m’auront suivi jusqu’ici. Ces itinéraires, divers sans nullement être variés, auraient-ils un rapport avec la crise écologique ? Mais oui, pardi. La misérable génération que je viens d’évoquer, narcissique, indifférente à l’injustice, au malheur humain dans sa dimension universelle, cette génération exprime bien entendu une décadence des valeurs morales essentielles. Il est bien certain que des gens pareils ne pouvaient en aucune manière considérer l’effondrement des systèmes naturels, bien plus grave que celui des bourses et des économies. Le plus drôle, dans le genre grinçant, c’est que ces personnages n’auront cessé de parler d’autre chose, toute au long de leur vie sans but ni vérité, quand l’évidence s’imposait pourtant qu’il fallait réagir. La crise de la vie, massive, obsédante, angoissante, si déroutante aussi, leur sera restée inconnue.

Cette génération encore au pouvoir, qui inclut évidemment Sarkozy et sa bande, entretient avec nous des liens complexes. Ne mentons pas. Cette fois du moins, regardons les choses en face. Sans les lecteurs de leurs niaiseries, sans les électeurs qui ont garni leurs comptes bancaires, sans cette complicité diffuse et massive, pas de pitres, pas de pantins, pas de turlupins. Ces tristes figures sont aussi les nôtres.

Cela changera-t-il ? Oui, bien entendu. Quand ? Nul ne peut savoir. Comment ? Personne ne nous le dira non plus. Mais je dois affirmer ici ma conviction qu’il faudra un sursaut inédit pour nous débarrasser de ces négateurs de la destruction du monde. Je ne souhaite nullement leur mort, on s’en doute. Je rêve que des humains un peu meilleurs que ceux qui les laissèrent triompher leur tournent le dos à jamais. J’espère le voir de mes yeux. J’espère que l’esprit nouveau qui lève enfin, malgré les grandes incertitudes de l’heure, obligera notre société à se choisir d’autres porte-parole que ces insupportables médiocrités. Je sais. Je suis en plein rêve.

Élisabeth Badinter, Publicis et les Précieuses ridicules

Ce qu’est l’esprit d’escalier. Acte un : il y a quelques jours, j’entends sur France-Inter un matin la philosophe Élisabeth Badinter. Et je dresse l’oreille, bien que n’ayant jamais lu le moindre livre d’elle par le passé. J’ouvre l’oreille, car je sais qu’elle représente au mieux l’idéologie « progressiste » de gauche – caviar, s’entend – et féministe. En outre, comme il s’agit apparemment d’une émission consacrée à sa personne, madame Badinter s’en donne à cœur joie sur elle-même et son destin sur terre.

N’ayant pas pris de notes alors, il est possible que je me montre imprécis, mais l’essentiel est dans ce qui suit, il n’y a pas de doute. Madame Badinter disait combien elle regrettait le Siècle des Lumières et des salons intellectuels. Comme cette époque avait été brillante. Comme on y avait pensé pour le plus grand bien de l’homme et des sociétés. Elle déclarait même une flamme posthume à D’Alembert, ce philosphe co-auteur de l’Encyclopédie. Bref, elle avait le sentiment que vivaient alors des géants.

Et maintenant ? Ah, maintenant. Madame Badinter trouvait notre temps et ses usagers médiocres. Très médiocres. Elle se sentait, elle la philosophe quasi-officielle, comme un borgne au royaume des aveugles. Cette dernière expression est d’elle, je l’assure. Elle estimait que notre siècle aurait dû savoir penser la mondialisation – au moins – et qu’il s’en montrait incapable. On lui aurait offert un remontant.

Acte deux, Kempf. Hervé Kempf, journaliste au Monde. C’est un homme que je connais depuis vingt ans et que j’apprécie beaucoup sur le fond, même s’il m’arriva plus d’une fois de me heurter à lui. Hervé est un excellent homme, et un journaliste de grande qualité. Je viens de recevoir son dernier livre ( « Pour sauver la planète, sortez du capitalisme », Le Seuil), dont j’essaierai de faire la critique plus tard. Je précise, et c’est une incise, que c’est un bon livre, très agréable à lire par ailleurs. Un bon livre, même si je pense très différemment de lui.

Kempf, donc. Page 62 de son livre, il attaque madame Badinter. Il y écrit exactement ceci : « On ne verra pas une coïncidence dans le fait qu’une philosophe favorable à la liberté de prostitution, Élisabeth Badinter, se trouve détenir 10,32 % du capital d’une des plus grandes compagnies de publicité du monde – Publicis – au conseil d’administration duquel elle a sa place ». Pour Kempf, que je rejoins intégralement, la publicité a joué un rôle clé dans la marchandisation du corps humain, exploitation sexuelle y compris. Je me souviens de ces féministes qui défilaient aux cris de : « Notre corps nous appartient ». Je criais alors avec elles. Je ne le ferai plus, car nos corps appartiennent désormais à TF1, à Coca, à la pub en général, à tous ces foutus salopards ivres d’eux-mêmes.

Acte trois : je découvre avec près de cinq ans de retard un échange épistolaire entre l’association écologiste Les Amis de la Terre – salut, au passage – et madame Badinter. Il s’agit d’une polémique et je vous invite à lire les courriers (ici), car ils ne manquent pas d’intérêt. En deux mots, nous sommes au début de 2004 et Métrobus – Publicis – réclame un million d’euros à 62 rebelles qui ont osé tagguer quelques saloperies publicitaires dans le métro parisien au cours de l’automne 2003. Un million d’euros. Publicis, où madame Badinter joue un rôle premier. Les Amis de la Terre envoient un courrier précis à la philosophe, dans lequel ils notent « la disproportion manifeste entre les sommes plusieurs fois supérieures aux revenus de toute une vie qui leur sont réclamées et la situation matérielle de ces citoyens souvent très modestes (…) Ce harcèlement judiciaire est d’autant plus choquant que les “barbouillages” qui justifieraient, selon Publicis, cette action, posent des questions légitimes sur la dégradation croissante du service public des transport en terme de cadre de vie, de développement durable et de liberté d’expression ».

C’est net, n’est-ce pas ? Le 1er mars 2004, madame Badinter répond. Et c’est beau comme l’antique. Pas comme D’Alembert, mais presque : « Quand vous parlez de dégradation de la qualité de vie dans le métro, note–telle, je suis obligée de vous répondre, que la Régie, depuis quelques années, rénove l’ensemble de ses stations et modernise de manière évidente, pour qui les utilisent, les transports en commun, les matériels comme les stations. Je ne crois pas par ailleurs que les voyageurs de la ligne Météor trouvent que le cadre de vie du métro se dégrade ».

Un premier commentaire : génial. Madame Badinter, qui n’a pourtant aucun rapport autre que commercial – les affiches – avec la RATP, se sent obligée de prendre la défense de l’entreprise. Deux, et même si je n’ai pas la moindre preuve, j’avancerais audacieusement l’hypothèse que madame Badinter ne prend jamais le métro. Ou peut-être de temps à autre entre Saint-Placide et Odéon ?

Deuxième extrait : « De manière plus générale, votre courrier manifeste un rejet de la publicité pour tout ce qui ne convient pas à votre éthique personnelle. On peut certes regretter que notre société produise des biens jetables plutôt que durables. Je pense contrairement à vous, que le consommateur n’est pas dénué de discernement, qu’il a le sens de ses intérêts et sait très bien choisir ce dont il a besoin. Enfin, il me semble qu’il faille rendre grâce à la liberté du commerce et de l’industrie car je ne connais pas de pays démocratiques où elle n’existe pas, même si l’inverse n’est pas toujours vrai ».

Deuxième commentaire, et derechef : génial. Sans publicité, sans désorganisation voulue et accélérée de l’esprit humain, pas de démocratie. N’ouvrez plus la bouche, petits imbéciles des Amis de la Terre, car vous n’êtes en réalité que des fantoches au service de l’entreprise totalitaire. Et comme c’est moi qui vous le dis, moi l’icône du Nouvel Observateur et de toute la gauche bien-pensante, eh bien c’est vrai. Quelqu’un aurait-il l’audace d’ajouter un mot ?

Oui, quand même. Cette pauvre madame Badinter fait franchement pitié. Elle qui aimerait tant que les gens bien élevés réfléchissent ensemble, dans le VIème arrondissement de Paris, à ce que signifie la mondialisation, n’est pas même capable de seulement évoquer la crise écologique. L’événement le plus colossal de l’histoire de l’homme se déroule sous son nez même, et elle ne l’entrevoit pas ! Seulement borgne, vraiment ? On se rapproche ainsi, sans bien s’en rendre compte soi-même, de la sottise la plus fate qui se puisse concevoir.

Je vous invite à relire, madame – à lire, peut-être ? -, une pièce de l’admirable Jean-Baptiste Poquelin, alias Molière. Je sais, il n’est pas du siècle de votre gôut. Il a cent ans de moins. N’importe, Molière a assez bien décrit le monde réel, ce me semble. Quelle pièce ? Mais Les Précieuses ridicules, bien entendu ! Je vous raconte, pour le vif plaisir de me remémorer les scènes elles-mêmes. Soit ce couillon de Gorgibus, père de Magdelon et oncle de Cathos, deux jeunes filles en âge de se marier. Mais les deux se moquent cruellement de leurs prétendants officiels, La Grange et Du Croisy.
Ils ne conviennent pas, car comme elles sont influencées par les salons littéraires qu’elles fréquentent, Magdelon et Cathos attendent mieux. Et trouvent, en la personne du marquis de Mascarille et du vicomte de Jodelet. Lesquels sont faux, faux, FAUX. Ce sont en réalité les valets de La Grange et Du Croizy, que leurs maîtres ont déguisés pour mieux tromper les Précieuses ridicules, qui s’amourachent donc d’ectoplasmes.

Toute ressemblance avec madame Badinter, grande, noble, haute, admirable, miraculeuse figure de l’intelligentsia française de ce début du XXIème siècle, serait à n’en pas douter une curiosité. Mais le monde n’est-il pas curieux, ces temps-ci ?

L’université d’Oxford perd le Nord

Tellement fou que je ne résiste pas. Oxford vient de perdre 30 millions de livres (38 millions d’euros) que la noble université avait placées dans trois banques islandaises, lesquelles, on le sait, sont en situation de faillite (lire ici, en anglais). Pour être totalement sincère, cette perte reste virtuelle, mais l’université a d’ores et déjà appelé au secours.

Quel symbole ! La plus ancienne université d’Angleterre – on trouve la trace d’un enseignement là-bas dès 1096 – a lamentablement spéculé en Islande. Et perdu. La culture la plus essentielle d’un des pays les plus civilisés de l’histoire humaine aux mains de la finance. Entre les mains de ruffians qui ne sont même pas sûrs de savoir qui est Shakespeare. Nous en sommes bien là, il n’y a aucun doute sur la question.