Je suis en dette, car je reçois ou achète des livres, et si j’en lis beaucoup, j’en parle rarement. Pour me faire pardonner un temps, permettez-moi de vous signaler une petite fraction de ceux qui traînent ici. Tous ont un rapport, fût-il indirect, avec la crise écologique, ce personnage principal de Planète sans visa. Surtout, ne croyez pas sur parole mon jugement. Vérifiez, avant d’éventuellement acheter, que tel livre vous apportera réellement quelque chose. Car à la vérité, mais vous le savez aussi bien que moi, le prix des livres est devenu délirant. Sans rapport, trop souvent, avec leur qualité réelle.
Commençons par La bio (entre business et projet de société). Paru en avril chez l’éditeur marseillais Agone (430 pages, 22 euros), il rassemble plusieurs contributions, sous la direction de Philippe Baqué. J’avais un peu peur, en le lisant cet été, de tomber sur un texte idéologique. Mais tel n’est pas le cas. Même dans l’article consacré au réseau de magasins Biocoop, Baqué se garde de simplifier des débats qui sont aussi légitimes que délicats. Il ne fait pas de doute, à le lire, que la tendance à l’industrialisation de ce qui fut longtemps une aventure sociale et politique pèse lourd. La plupart des 320 magasins – en 2011 – de l’enseigne ont désormais une structure patronale classique, tandis que les formes coopératives du passé ne sont plus que relique.
Dans l’ensemble, le livre est excellent, et n’oublie jamais des dimensions généralement mises de côté. C’est bête à écrire, mais la bio repose quand même sur des paysans, qui sont en fait les grands héros du livre. Et non seulement les paysans d’ici, mais également ceux du monde réel. De précieux articles sont consacrés au Maroc – celui-ci écrit par mon ami Patrick Herman -, la Bolivie, la Colombie, Israël et la Palestine, les États-Unis. Beaucoup, beaucoup d’une excellente information.
Marie-Monique Robin, que j’estime au plus haut point, n’a guère besoin de moi pour se faire (re)connaître, mais enfin, deux mots sur son livre, Les moissons du futur (Arte éditions/La Découverte), 300 pages, 19,50 euros). Le sous-titre du livre est explicite : Comment l’agroécologie peut nourrir le monde, et il nous propulse dans un monde que la plupart des médias ignorent totalement. Celui des paysans du Sud, au Malawi, au Mexique, au Sénégal. Un personnage très remarquable hante cette enquête menée dans le monde entier : Oliver de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation. Ce type est un Juste de notre temps.
Sur le même sujet sans limites – la faim, la terre – payons une dette qui ne sera jamais remboursée. Je vous signale une ONG suisse, qui fait un travail, notamment d’édition, de très grande qualité (ici). Pour commencer, le Cetim a publié il y a quelques mois un petit livre dont le titre, Terre et Liberté (192 pages, 10,50 euros), renvoie au cri de guerre des paysans du monde entier, à toutes les époques. Tierra y libertad, somptueux mot d’ordre universel, se retrouve chez les Russes – Zemlya i Volya -, chez Emiliano Zapata, qui l’avait piqué à Ricardo Flores Magón, chez les anarchistes espagnols bien sûr, qui en firent un journal. Bref. Le livre du Cetim contient deux articles importants et un entretien avec Paul Nicholson, l’un des fondateurs du mouvement planétaire La Vía Campesina, l’une des rares réussites complètes du mouvement écologiste. On y apprendra, au plan des idées, l’essentiel de l’aventure. Les articles, quant à eux, sont signés Xavier Montaigut, un prof catalan membre de Xarxa de consum solidari (ici) et Javiera Rulli, biologiste argentine – et suédoise -, très active dans la dénonciation du modèle agricole intensif en Amérique latine. Que vous dire ? Ce ne sont pas des chefs-d’œuvre de la littérature, non pas. Mais les informations réunies ici ne le sont jamais ailleurs. Il m’arrive d’en avoir un peu marre de ceux qui se plaignent de l’indigence des journaux officiels, sans faire l’effort de lire autre chose.
Deuxième livre du Cetim, édité avec l’association Grain, qui est une pure merveille de la Création (ici) : Hold-up sur l’alimentation (176 pages, 10 euros). Davantage encore que le précédent, cet ouvrage doit figurer dans votre bibliothèque. J’ignore le montant des frais d’envoi, mais à ce prix de départ, de toute façon, peu seront ruinés. C’est passionnant du début à la fin. On passe d’une analyse fine du système alimentaire mondial à l’arnaque du lait, de la crise climatique à l’agrobusiness, de la souveraineté alimentaire à l’accaparement massif des terres agricoles, des OGM à l’Afrique, du riz à la viande industrielle.
Cela va (presque) de soi : il faut lire le dernier livre de Gilles-Éric Séralini, Tous cobayes (256 pages, 19,90 euros). Il y parle bien entendu de l’empoisonnement généralisé dont nous sommes les victimes, de sécurité alimentaire, de la nécessité d’une expertise enfin indépendante des lobbies industriels. Mais aussi, et j’y suis très sensible, de détoxification des corps et de désintoxication des esprits. Il faut, insiste-t-il, imaginer un nouveau cadre pour la santé, un paradigme neuf, adapté à la révolution folle de la chimie de synthèse et des manipulations du génome. On n’y est pas, certes, mais c’est une raison de plus pour commencer à marcher.
C’est passablement incroyable, mais ce livre – Les marchands de doute (524 pages, 29 euros hélas) – est sorti sans provoquer le moindre remous médiatique. Publié par les éditions Le Pommier en janvier 2012, sous la plume d’Érick Conway et Noami Oreskes, il est l’implacable description des manœuvres de l’industrie pour tromper les opinions. Amorale on le sait, l’industrie n’a qu’un devoir : fourguer. Tout. De la pénicilline ou de l’anthrax, selon les cas. Les deux auteurs de ce grand livre racontent avec une minutie digne d’éloge comment les marchands de tabac, de pétrole, de pesticides, sont parvenus à créer suffisamment de trouble pour retarder et saboter la prise de conscience dans des domaines aussi décisifs que le climat, entre autres. Bien que connaissant l’essentiel, j’ai été secoué en lisant ce qui a été imaginé pour couler Rachel Carson, auteure immortelle de Printemps silencieux. Pour une raison qui m’échappe, les éditions Le Pommier ont réalisé une abominable couverture du livre. À ce prix-là, c’est un petit désastre.
J’ai bêtement laissé passer le livre que Pierre Jouventin – un éthologue de grande réputation – consacre à une louve (Kamala, une louve dans ma famille, Flammarion, 346 pages, 21 euros). Sorti en février 2012, le bouquin de Jouventin, spécialiste notamment des manchots, raconte une histoire foldingue. L’auteur et sa femme Line décident d’adopter un loup, une petite louve qui sera nommée Kamala, du nom d’une enfant-loup indienne, découverte en 1920. Kamala la louve naît en mai 1975 au zoo de Montpellier, et doit être euthanasiée, car le directeur, M.Gallet, ne parvient plus à vendre les animaux en surnombre nés en captivité. Les Jouventin n’hésitent guère et ramènent celle qui s’apprête à devenir Kamala dans une boîte à chaussures. Or ils habitent en appartement, à Montpellier ! Le reste, qui dure des années, est un extraordinaire face-à-face. Qui est Kamala ? Que peut-on apprendre d’un animal sauvage apprivoisé ? Peut-elle mordre Éric, le jeune fils de la maison ? Comment sera-t-elle en compagnie de chiens ? Est-elle intelligente ? Sans trahir l’auteur – car il s’agit d’une histoire, même si elle est vraie -, l’amour emporte et recouvre tout. Malgré le déchaînement de Kamala sur les meubles, les livres, tant d’objets nécessaires à la vie quotidienne. Il y a de l’amour, donc, de l’humour et de franches rigolades, et au total, on sort du livre enthousiasmé, dévoré – c’est le mot – par l’envie de faire pareil que les Jouventin. Mais fort heureusement, la loi interdit aujourd’hui de faire joujou avec les animaux sauvages.
Un regret, que me pardonnera je l’espère Pierre Jouventin : les digressions, bienvenues en général, sont fort mal placées dans le récit et gênent ce dernier. Mon avis rétrospectif aurait été de couper en deux le texte. D’abord cette formidable aventure, ponctuée de quelques annotations naturalistes. Et puis un plus court essai, entre éthologie et philosophie. Bon, c’est dit.
Le journal de David Thoreau – Henry David Thoreau – ne peut être mis entre toutes les mains. Il me semble, moi, qu’il est difficile d’apprécier cette déambulation étendue du 22 octobre 1837 au 31 décembre 1840 sans en savoir un peu-beaucoup sur Thoreau et son univers, sur l’Amérique de son temps aussi (Journal 1837/1840, éditions Finitude). Thoreau est un grand magicien de la Nature, et un anarchiste entraînant, partisan de la désobéissance civile, au risque de la prison. Dans son si magistral Walden ou la vie dans les bois (Walden; or, Life in the Woods), il raconte son séjour solitaire de deux ans, deux mois, deux jours dans une cabane au bord de l’étang de Walden, d’où le nom du livre.
Ce récit est pratiquement devenu mythique aux yeux de la vaste tribu des amoureux américains de la Nature. Un peu moins, beaucoup moins en fait chez nous. Moi qui ai lu le livre il y a longtemps, j’en garde un souvenir intense, celui d’une métamorphose de l’être par le contact avec les éléments les plus simples de la vie réelle. Mais pour en revenir au Journal, sachez donc que ce n’est pas l’introduction la meilleure au monde de Thoreau. En revanche, pour ceux qui sont familiers de ce dernier, un seul mot d’ordre : en avant ! L’éditeur, culotté, courageux et donc remarquable, annonce d’autres tomes du Journal. Ne soyez pas les derniers à lire (10 janvier 1840, alors que Thoreau n’a que 22 ans) : « Je connais un monde où terre et eau se rencontrent ».
J’ai une tendresse personnelle pour ce livre collectif titré Homéopathie à la ferme (Des éleveurs racontent). Publié par les éditions Repas, au prix raisonnable de 16 euros (pour 224 pages), il rapporte les paroles inspirées d’éleveurs réunis dans un réseau parti de la Drôme, qui essaime jusqu’en Bretagne. Mais pourquoi cette tendresse ? Parce que je connais le point qui relie tout ce beau monde, et qui se trouve être un vétérinaire homéopathe. Alain Boutonnet est un être exquis, mais cela ne suffit pas encore à faire un bon livre. Or celui-là l’est. On pénètre grâce à lui dans un monde enchanté dont personne ne parle jamais, moi compris. Celui des animaux aimés par leurs éleveurs. Et soignés par l’homéopathie, preuve s’il en était besoin de l’efficacité de cette étrange médecine dont personne ne comprend comment elle marche.
Yveline, Vincent, Annick, Jean-Louis, Agnès racontent vraiment la maladie d’animaux vivants, dont certains ont un nom. Ils décrivent le travail, le troupeau, les questions, les échecs. Et Alain commente, sans jargon. Cornillon, une brebis, commence à avoir des visions, ce qui la trouble profondément. Junon, une vache de 11 ans, a un panaris. Farouk, autre vache de 9 ans, a la fièvre et un traumatisme à la mamelle. À chaque fois, les animaux sont évidemment soignés à l’homéopathie. Ça marche fort bien, mais le remède est parfois difficile à trouver. Alain Boutonnet, beau travail !
Un livre qui donne l’impression d’être une poule en liberté, qui picorerait ce qui lui plaît. Frédérique Basset (Vers l’autonomie alimentaire, éditions rue de l’Échiquier, 130 pages, 13 euros) signe un livre court, plein d’entrain, mêlant en une multitude de petits flashs « pourquoi, comment, et où cultiver ce que l’on mange ». Un pied dans le compost, un zoom sur Kokopelli, une visite express dans tel ou tel jardin partagé – en ville -, un entretien avec Xavier, sur les terrasses potagères. On se perd un peu, mais avec le plus grand plaisir. Car il s’agit d’une immersion.
Je suis très prudent avec tout ce qui touche la vaccination. Je n’aime guère, autant le dire, les proclamations idéologiques, qui font plaisir à ceux qui les émettent, mais n’aident pas ceux qui les reçoivent. Le livre de Virginie Belle (Faut-il faire vacciner son enfant ?, chez Max Milo, 432 pages, 21,90 euros) sort du lot, car une multitude d’informations sérieuses, sourcées, permettent de se faire une meilleure idée du sujet. Et c’est donc énorme. J’ai apprécié les textes simples, et qui m’ont paru de très bonne tenue, sur les maladies infantiles. Le moins que l’on puisse écrire, c’est qu’on ne sort pas de là avec une confiance accrue dans les diverses autorités supposées défendre le sort des mioches.
J’ai gardé pour la fin le plus improbable. Un livre qui ne concerne que la Loire-Atlantique et la Vendée, mais qui coûte la bagatelle de 54 euros. Cette Biohistoire des papillons (Presses universitaires de Rennes) est l’œuvre magistrale de Christian Perrein, aidé il est vrai par des dizaines d’observateurs. Comment vous dire à quel point c’est réussi ? On y trouve un excellent résumé des principales caractéristiques de la région étudiée – climat, sols, végétation, flore, géologie, etc. -, une histoire des lieux, depuis le lointain Paléolithique, et une formidable mise en scène de trois siècles de lépidoptérologie, c’est-à-dire l’étude de papillons. J’y ai appris que le génial Réaumur – ses 4000 pages de Mémoires pour servir à l’étude des insectes ! – était Vendéen.
Cette somme impressionnante compte également des monographies – accompagnées de photos – consacrées, comme de juste, aux papillons. Leur texte en est savant, sans jamais être pédant, sans jamais perdre en route le lecteur. Quels noms, soit dit en passant ! L’Azuré porte-queue voisine avec l’Azuré du trèfle, la Petite Violette avec le grand Mars changeant, la Vanesse des chardons avec le Grand Nègre des bois.
Je dois vous avouer que je suis épaté, admiratif devant un travail aussi soigné. Alors, 54 euros pour voir s’envoler les papillons de Loire-Atlantique et de Vendée, c’est cher ? Hors de prix, mais fabuleux. (Petite Bergère, je crois que c’est fait pour toi).