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Une halte à propos de Victor Serge (en défense)

Attention, et je suis sérieux : ce qui suit risque de ne pas intéresser une bonne part des lecteurs habituels de Planète sans visa. J’insiste : rien à voir avec la crise écologique, sujet presque unique de ce rendez-vous. Et pour une fois, je ne vais pas m’emberlificoter dans d’improbables excuses. J’assume : ce qui vient nécessite de connaître un peu l’histoire d’un des hommes les plus estimables que je connaisse : Victor Serge. Né le 30 décembre 1890 à Ixelles, Belgique. Mort Viktor Lvovitch Kibaltchitch à Mexico (Mexique), le 17 novembre 1947. Ou l’inverse, peut-être.

J’aime profondément cet homme et tout ce que j’écrirai sur son compte pourra et devra être retenu contre moi. Voici une quinzaine de jours, j’ai reçu un livre adressé par son auteur, Jean-Luc Sahagian, dont le titre est : Victor Serge, l’homme double (Libertalia, 13 euros). Sahagian s’occupe dans les Cévennes d’une bibliothèque libertaire – gloire ! – et la personne de Serge lui est à ce point présente qu’il lui a donc consacré un ouvrage de 230 pages.

Comment expliquer ? Le mieux est de dire tout d’abord le bien. Même pour un supposé connaisseur de la vie de Serge et de ses nombreux arrières-plans  – l’anarchisme individualiste et la bande à Bonnot, la CNT barcelonaise de 1917, la Russie bolchevique de 1919 et ses épouvantables suites, l’Espagne en guerre civile de 1936, la guerre au fascisme -, ce que je crois être, le livre de Sahagian apporte des informations nouvelles. Pas fracassantes, mais nouvelles.

J’ai pris du plaisir à lire ce livre, et ma foi, ce serait déjà bien suffisant pour en conseiller la lecture à qui s’intéresse à ces passionnantes vieilleries. Mais à la vérité, mon éloge s’arrête à peu près à ce point. Au-delà commence, à mes yeux en tout cas, une très étrange mise en cause de Serge. Étrange, car me paraissant procéder d’un point de vue a priori bien arrêté. Serge, « anarchiste individualiste » à Paris entre 1909 et 1912, aurait abandonné cette cause au profit du bolchevisme – il rejoint la Russie d’Octobre en 1919 – avant que de passer le restant de sa vie à tenter, sans succès, de justifier son reniement.

Qu’étaient donc les « anarchistes individualistes » de cette lointaine époque ? Des « en-dehors » de la société, des révoltés parfois flamboyants qui, découragés de voir les « masses » de leur temps soutenir l’Autorité et la règle sociale, voulaient créer leur propre espace, pour ne pas dire leur propre (contre-)société. Où l’on voit que cette tension politique n’est ni d’aujourd’hui, ni d’hier. La tentation du repli et de l’immédiat – il n’y a là rien de honteux – sont de toute éternité.

En tout cas, ces individualistes-là, parmi lesquels certains deviendraient des membres de la bande à Bonnot – braquages en automobile, tirs sur les caissiers et les flics, arrestations, mort par abattage ou guillotine -, étaient également de formidables inventeurs. On leur doit, même si l’origine est évidemment bien plus ancienne, la pratique de « l’amour libre », de la vie communautaire, du végétarisme, du naturisme, de l’amour des animaux, de l’art consommé du vol en tant que  « récupération ». La plupart des idées neuves d’une partie de l’après-68 viennent de là, en ligne directe.

Bon. Encore bravo, sincèrement. Et puis après ? Le malheur de Sahagian est qu’il veut prouver dès le départ sans bien savoir quoi. Que Serge a trahi ? Qu’il a rejoint l’armée de la hiérarchie et de l’écrasement de l’homme ? Mais cela, tout le monde le sait. Il est indiscutable que Victor Serge s’est fourvoyé, pendant près de quinze ans – disons avec arbitraire de 1919 à 1933 – dans l’accompagnement d’un bolchevisme sans excuse, passant sans solution de continuité d’un fantasme de complète révolution à une réalité de total asservissement.

Il a eu tort ? Ô combien. Encore aurait-il fallu suivre autrement, avec la sympathie qu’il mérite, l’homme. Je sais dès l’avance que Sahagian se récriera, clamant qu’il déborde de compréhension pour Victor Serge. Et peut-être est-ce vrai, après tout. Mais tel n’est pas mon sentiment. Je ne peux bien sûr passer en revue tout ce qui m’a spontanément arrêté, mais il est bien rare que je laisse tant de cornes aux pages d’un livre.

Concentrons-nous. Je n’aime guère, et c’est un euphémisme, les incursions que s’autorise l’auteur dans la supposée vie privée de Serge. Car elles commencent par une phrase bien connue de certaine génération politique :  « Je me demande parfois si Victor Serge n’a pas dans la bouche un cadavre ». Qui commence ainsi un chapitre doit aller au bout. Or l’auteur en reste à de plates banalités sur les trois amours féminines qu’il répertorie dans la vie de Serge. L’étonnante Rirette Maitrejean, de l’époque Bande à Bonnot. L’envoûtante Liouba Roussakov, mère de ses deux fils, qui deviendra folle. La spectrale Laurette Séjourné, au moment du grand exil.

Mais que diable veut donc nous dire Sahagian, s’appuyant sur des sources qui feraient se détourner le moindre historien ? Que Serge est, sinon dépourvu de sentiments, du moins incapable de les vivre. Eh bien, ce n’est tout simplement pas juste. L’auteur a-t-il seulement entendu parler de l’extrême pudeur présente chez tant d’auteurs et même d’individus contemporains de Serge ? Je crains que non.

Concernant la terrible période soviétique de Serge – il devient en effet un militant important de l’Internationale communiste, après avoir rompu avec son anarchisme de jeunesse – Sahagian s’appuie là encore sur des bribes. Et sur des témoignages de seconde main auxquels il accorde une bien curieuse bienveillance – tout paraît faire ventre, pourvu que cela soit contre Serge -, sans s’attarder sur deux éléments clés. Qui éclairent sans excuser les choix de Serge. Le premier, c’est l’effroyable, l’inconcevable boucherie de 1914, au cours de laquelle l’Europe se noie, corps et âme.

Il est tout de même splendide, dans cette ruine qui envahit alors les cœurs les plus purs, que Victor Serge ne se rallie pas à l’affreuse et patriotarde Union sacrée. Il est tout de même admirable que Serge refuse, au procès des rescapés de la bande à Bonnot, en 1912, d’accabler des hommes qu’il connaît bien, certes, mais dont il a publiquement critiqué la dérive sanglante. C’est admirable, car Serge fera cinq ans de dure forteresse en France, alors qu’il n’a pas joué le moindre rôle dans les attaques des fameux « bandits en auto ».

Pourquoi Sahagian ose-t-il écrire ces mots : « Victor Serge (…) paiera assez cher (cinq années d’emprisonnement et une interdiction du territoire) son soutien public, en tout cas son non-désaveu des « hommes perdus » de la bande à Bonnot ». Cinq ans pour rien, est-ce seulement assez cher ? Je préfère penser que Sahagian ne se sera pas bien relu. La messe est déjà pleinement dite lorsque ce dernier entend rendre compte du ralliement de Serge à la cause bolchevique. Je le cite : « Il faut dire qu’il travaillera, quasiment dès son arrivée, au service de la propagande de l’IC, se transformant ainsi, et à quelle vitesse, en menteur professionnel ».

Même pour vous qui m’aurez suivi jusqu’ici, je dois une courte explication. Expulsé vers la Russie révolutionnaire en janvier 1919 – après avoir fait ses cinq années de prison en France, il est allé s’insurger dans la Barcelone du printemps 1917, avant de revenir clandestinement chez nous -, il adhère, lui l’ancien anarchiste, au parti communiste dès mai. Et commence une carrière de journaliste militant à l’IC, citée plus haut, c’est-à-dire à l’Internationale communiste. Et à ce point, j’enrage, oui.

J’enrage, car Sahagian se moque d’une histoire qu’il reconstitue pour les seuls besoins de sa démonstration. En ce début 1919, dans cette Russie assiégée par les Blancs et les armées européennes – dont la nôtre -, rien n’est encore dit, rien n’est réellement joué. Accuser Serge de s’être mis au service du mensonge est un pur anachronisme. Bien entendu, pour nous qui connaissons la suite, dont le stalinisme, il est aisé de condamner en se bouchant le nez. Mais nous sommes alors à la fin d’une guerre folle qui a éventré l’idée européenne et celle de liberté. À ce point de l’histoire, il est d’autant plus facile de croire dans la griserie bolchevique – à laquelle succombent tant de libertaires russes – que nul ne peut alors comprendre le mécanisme totalitaire qui va tout emporter.

Malgré l’écrasement des armées paysannes de Makhno en Ukraine ? Malgré l’immonde massacre des révoltés de Kronstadt par l’Armée rouge de Trotski ? Évidemment, et pour une raison qui tombe sous le sens : ces événements n’ont pas encore eu lieu ! L’histoire demeure ouverte, disons entrouverte. Mais cela, Sahagian ne veut le voir, car cela ruinerait sa thèse. Il faut donc que Serge soit devenu, dès la mi-1919, lui le combattant intrépide de la liberté, un « menteur professionnel ». Eh bien, désolé, mais cela ne passe pas.

De même, et fort logiquement, l’auteur renvoie à l’extrême fin de son livre, loin du nœud gordien de l’affrontement intime entre le libertaire et l’autoritaire, l’épisode de la Commune de Lagoda. C’est pourtant la preuve certaine que Serge – il tente une expérience communautaire à la campagne, loin des bureaucraties urbaines, à la fin de 1921 – souffre les mille morts de la répression de Cronstadt, qui vient de déshonorer l’armée bolchevique.

J’arrête ici, car je n’en finirais plus. Si je prends la défense de Serge, c’est bien entendu qu’il n’est plus là pour se défendre. Et parce qu’il le mérite bien. Sahagian, par une série de procédés que je déplore, entend reconstruire l’image simpliste d’un homme qui aurait renié sa vaillance et son amour de la vérité. Or tout au contraire, la vie entière de Victor Serge est celle d’un combattant qui ne peut renoncer à ses principes essentiels, fût-ce au prix de sa liberté et de celle des siens. En quoi il est, sous mon regard, définitivement grand. En quoi le livre de Sahagian, qu’il faut lire pourtant, attaque sans rien démontrer de convaincant l’honneur d’un homme qui resta debout au-delà des limites communes.

Pour ceux qui souhaiteraient encore lire Serge, je signale, outres ses romans, publiés ici ou là – certains sont de vrais grands romans -, son fabuleux Mémoires d’un révolutionnaire (Bouquins, chez Laffont). Il s’agit à mon avis d’un des plus beaux ouvrages politiques jamais écrits.

Victor Serge, l’ami, le frère, le magnifique

Où l’on découvre, muet de surprise, ce que Planète sans visa doit à Victor Serge, un homme mort en 1947.

J’entretiens comme par miracle une correspondance incertaine avec un homme que je n’ai jamais rencontré. Physiquement, je veux dire. Car nul doute, en vérité, que nous savons bien qui nous sommes, lui comme moi. Cet homme s’appelle Charles Jacquier, et il est éditeur chez Agone, maison marseillaise (ici). Charles est un fin lecteur, plongé entier dans un monde englouti mais néanmoins merveilleux. Celui de la lutte sociale menée pendant des décennies en-dehors du stalinisme, et souvent contre lui.

Ceux qui auront la tentation d’arrêter ici leur lecture auront tort. Non parce que c’est moi qui tiens le clavier, ô certes non. Mais plus exactement parce que le monde n’a pas commencé avec la dernière version de Firefox. Je suis viscéralement attaché à l’histoire des vaincus du mouvement ouvrier, ce qui peut faire sourire certains, je le sais. Je parle moi de cette entreprise admirable de civilisation humaine entreprise vers 1830, et qui a bien failli emporter le monde des maîtres et des esclaves. Au moins pour un temps. L’assassinat de ce puissant chef-d’œuvre se sera fait en deux temps principaux. D’abord par la boucherie de 1914, à laquelle les sociaux-démocrates de l’époque ont tant contribué. Ensuite par l’irruption d’un monstre aussi total que totalitaire, le stalinisme, qui perdure encore en quelques points de la planète.

Vous avez le droit de vous moquer de cela comme de votre première chemise. Vous avez le droit de juger dérisoires la création de syndicats, de bourses du travail, de journées de huit heures, de congés payés, de mutuelles, de l’éducation populaire par le livre et la conférence, des charges de policiers à cheval dans les rues de Paris, comme du reste. Moi, j’y attacherai, jusqu’au dernier moment, mon respect le plus vif. J’aimerai toujours les combattants de la liberté.

Et Jacquier ? Et Agone ? Charles a publié – entre bien d’autres ouvrages – le grand livre signé Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, de 1492 à nos jours. Dans la collection qu’il dirige – « Mémoires sociales » – Jacquier édite des auteurs aussi inoubliables que négligés. Il m’a envoyé voici six semaines un gros ouvrage que je n’ai pas encore pu lire comme je le ferai. Mais il est clair qu’il s’agit d’un très grand livre sur l’histoire de la ville, que bien des gens s’honoreront, tôt ou tard, d’avoir dans leur bibliothèque. Son titre : La cité à travers l’histoire, de Lewis Mumford. Son prix, élevé, est de 33 euros.

Passons à Serge, Victor Serge. Je l’ai expliqué au premier jour (ici) : je dois à Serge, qui l’avait probablement trouvée chez les surréalistes, l’expression Planète sans visa. Je lui suis redevable de quantité d’autres choses, que je serais bien en peine de soupeser. Né en 1890, mort en 1947 au Mexique, Serge aura connu le pire, et plus rarement le meilleur, de ce qui leste la vie d’un révolutionnaire. Je signale dans la collection Bouquins, chez Laffont, la reprise de ses extraordinaires Mémoires d’un révolutionnaire. Vous pensez bien que j’ai chez moi des éditions plus anciennes. Je crois par ailleurs que ses romans sont éparpillés, sauf dans une édition du Seuil, qui date de 1967. Mais on me démentira peut-être.

Charles Jacquier a fait paraître l’an passé un livre dont j’ai parlé ici, Retour à l’Ouest, formé de chroniques étirées de 1936 à 1940. Serge, échappé d’extrême justesse à la mort dans l’Union soviétique stalinienne, a repris alors le combat, entre Bruxelles et Paris. Ses articles sont d’une beauté et d’une clairvoyance qui font parfois chavirer le cœur. Or, il reste des inédits. Charles m’a adressé il y a quelques semaines trois textes de Victor. Parce qu’il sait que je l’aime. Parce qu’il se préoccupe de relier par des fils fragiles ces grands combats passés et la question écologique. Et parce que Serge, d’une manière qui peut sembler subliminale, exprime dès avant la guerre des préoccupations, disons des sentiments et des presciences que je ressens profondément.

Dans le texte ci-dessous, nous sommes en avril 1938. La guerre fait rage en Espagne, où les staliniens font la loi à Madrid et même Barcelone, où ils ont enlevé, très probablement torturé et en tout cas assassiné le grand Andreu Nin. À Rome, Mussolini parade. À Berlin, Hitler triomphe. S’il est minuit dans le siècle – titre d’un roman de Serge -, la vie continue pourtant, aussi déterminée qu’elle l’a toujours été. Et Serge parvient, comme on va le découvrir, à s’extasier sur un livre que, par coïncidence, j’adore : Boréal. Vous me ferez peut-être le plaisir de me dire ce que vous pensez de cela.

 

« Boréal »

Quand on a beaucoup vécu, rares deviennent les livres qui vous procurent une satisfaction complète ou réussissent à vous émouvoir. Les « tranches de vie » et les « romans », on en connaît trop le tragique vrai, le ton romancé, l’indigence littéraire, la convention à base d’égoïsme. On acquiert, envers l’écrivain, de nouvelles exigences. On lui demande une sincérité simple, sans affectation ni exhibitionnisme. D’avoir quelque chose à dire. De ne pas s’exagérer sa propre importance ni celle des petits drames qu’il a pu connaître de près. De ne pas oublier qu’il y a l’espace, le vaste univers, des hommes et des hommes, tous en marche, en souffrance, en partance…

On souhaite des œuvres vastes, aérées, qui vous mettent en contact avec des visages nouveaux, des terres inconnues, des avenirs imprévus. Entendez-moi bien, il y a tout cela autour de nous, seulement il faut, pour le voir, des yeux de vrais poètes et, pour le dire, une vaillance révolutionnaire assez rare chez les gens de lettres. Le plus simple est dès lors d’aller chercher au loin, très loin, dans des fjords d’autres univers, un message de libération, un contact nouveau avec la double réalité primordiale : la terre et l’homme.

J’ai songé à tout ceci en lisant un livre rudement aéré : les vents du Pôle y soufflent sur les glaciers. Des hommes y vivent d’une vie tout à fait pleine et riche, dans des huttes l’hiver, sous la tente l’été, se nourrissant de phoques et de poissons. Dans la belle saison, les femmes et les enfants vont, sous des pics roses dressés en plein azur, faire la cueillette des myrtilles. Quelques milliers de pêcheurs Eskimos, dispersés sur les côtes d’un continent à peine moins vaste que l’Occident européen, seuls avec les esprits, les icebergs, les oiseaux, les ours, la banquise lumineuse, la nuit terrible. Ils ont pour compagnons un peuple de chiens intelligents et durs à la peine. Hommes et chiens vivent dangereusement, simplement.

Ces hommes sont, au sens coutumier du mot, des barbares ; mais ils ignorent l’autre barbarie, celle des civilisés, la pire des deux, incontestablement. Un jeune Français, Paul-Émile Victor, étant allé vivre parmi eux, sans TSF ni journaux (ce qui était d’une admirable sagesse), a fait, de ses notes au jour le jour, prises sans recherche littéraire, mais avec un sûr instinct de vérité, ce livre remarquable : Boréal (Grasset, éditeur). Le style, ici, c’est l’âme du livre. Et cette âme est de réalité – d’une réalité que les civilisés oublient trop.

« Vendredi, 4 septembre 1936. 23 heures. — Sur mes pieds Ekridi dort, secoué par le hoquet. À côté de moi, Doumidia dort aussi, étendue, les bras croisés derrière la tête, les lèvres entr’ouvertes sur ses dents très blanches (qu’elle brosse deux fois par jour), les jambes légèrement ouvertes. Dans son aisselle, Timertsit a enfoui sa petite tête et fait des rêves. Dehors, le vent et la mer. Et la joie est en moi ».
(Ekridi et Timertsit sont, d’après une note de l’auteur, deux petites chiennes nées en juillet 36, « le jour même de notre retour au pays des hommes », fin de la traversée de l’Inlandsis… « Nommées d’après les deux habitants imaginaires du grand désert de glace. Ont été comme mes enfants, toujours dans mes jambes, dormant chacune sur un de mes pieds ».)

« …Que cette terre est belle !
« De l’autre côté du fjord, tout proches, des pics splendides, rougeoyants, entrecoupés de glaciers abrupts qui se jettent dans la mer. Par l’ouverture de ma tente, deux glaciers, flanqués de montagnes, ont l’air de se mirer dans une glace verticale.
« De ce côté-ci, harmonie de couleurs, terre couverte de mousses rouges et brunes, rochers noirs, glaces bleutées. J’entends le torrent qui se précipite en cascades au pied des falaises dressées derrière la tente.
« Je ne crois pas pouvoir jamais vivre longtemps dans un pays où chaque parcelle de terre est propriété privée, dans un Kulturstaat… ».
Les seuls titres des chapitres forment un poème : « En ce réduit, que de félicité… — Et la vie continue… — Et l’hiver vient pour moi aussi… — Le mauvais sort… — Le soleil va disparaître… — Les glaces sont là et la nuit vient… — Le soleil est sur la pente qui monte… »
À son retour en France, Paul-Émile Victor, que ses frères d’élection, Les Eskimos, appelaient Wittou, dépouilla des liasses de journaux et annota son carnet. À ses pages boréales, toniques comme l’air glacé des espaces, il dut ajouter des lignes comme celle-ci : « Lundi, 10 août 1936. Franco pénètre en Espagne avec 4.000 soldats. Dictature militaire en Grèce…». Le jour où « la Chambre vote la dévaluation par 350 voix contre 221 » — « pluie torrentielle. La tente est au milieu d’un lac… — Tu n’es pas triste tout seul, dans ta tente ? me demande Doumidia aujourd’hui ».

Mais le plus précieux, pour moi, dans cette œuvre, c’est ce sentiment rare dont il est pénétré de bout en bout : l’estime et la compréhension de l’homme différent. La plus désolante marque de la barbarie profonde des civilisés est dans leur penchant à mépriser, même entre eux, ceux qu’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas comprendre. Dire qu’il se trouve des pauvres types pour écrire sur les Juifs des quatre cents pages d’invectives ! Pour comprendre l’autre visage humain, le plus éloigné de nous en apparence, il suffit de s’identifier à lui avec bonne volonté ; de le déchiffrer du dedans. On lui découvre alors, sans effort, une beauté inconnue ; et l’on éprouve la joie, à nulle autre égale, d’une nouvelle fierté dans la communion. L’auteur de « Boréal » y a réussi. Que Wittou, Eskimo d’adoption, trouve ici, à son tour, l’hommage d’une estime totale, mûrie pour lui dans d’autres neiges, d’autres glaces, d’autres nuits de grand gel…

Victor Serge
23-24 avril 1938

Sur mon livre, sur la télé, sur les gaz de schistes

Pause, et nouvelles de mon livre Qui a tué l’écologie ? Il se vend. Il a été réimprimé. J’ai enregistré une heure de l’émission Ligne Jaune, produite par le site de Daniel Schneiderman, Arrêt sur image. Étaient présentes, côté invités, deux personnes que j’apprécie, la sénatrice d’Europe-Écologie Marie-Christine Blandin, et la porte-parole du réseau Sortir du Nucléaire, Charlotte Mijeon. Ceux que j’attaque durement dans mon livre – le WWF, Greenpeace, la fondation Nicolas Hulot et France Nature Environnement (FNE) – ont tous refusé de débattre avec moi. C’est étrange, mais c’est logique. Ils espèrent que tout rentrera bientôt dans l’ordre, et que mon livre sera oublié. Peut-être ont-ils raison, peut-être tort. On verra bien. Un mot sur Guy Birenbaum, maître de séance. Comme pour mon livre précédent, Bidoche, il a été un hôte parfait.

Ensuite, j’ai filé au Fouquet’s. Oui. Moi. Là où Sarkozy a fêté son élection. Je devais participer à un débat sur des télés du Net – Terre tv et Néoplanète -, en face de Teddy Follenfant, défenseur de ce que je pourfends le plus : le « développement durable ». Ce qui est fâcheux en la circonstance : Teddy Follenfant m’est très sympathique. Je ne partage absolument pas son point de vue, mais il m’est sacrément sympathique. Où étions-nous ? Salon James Joyce. Je le jure. James Joyce.

Demain, je suis auditionné par l’Assemblée nationale au sujet des gaz de schistes. Je dirai ce que je sais. La mainmise des ingénieurs des Mines sur ce dossier clé, et la proximité de Nicolas Sarkozy, à travers ses grands amis Paul Desmarais et Albert Frère. Le soir, vers 23 heures, je dois passer en direct dans l’émission de Frédéric Taddéi, Ce soir ou jamais, sur France 3. Chaque jour suffit sa peine. Je me couche.

 PS : on trouvera ci-dessous une recension de mon livre signée Bernard Langlois. Je me suis énormément engueulé avec lui lorsque je travaillais pour Politis, dont il est le principal fondateur. Le temps a passé. Et je suis très heureux des mots qui suivent. Qu’il sache – et il le sait – que je l’en remercie vivement.

mardi 29 mars 2011 à 11:53

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Il y a écolos …

par Bernard Langlois

… et écolos !

Dans un récent billet, le talentueux Yéti en appelle à l’union du Front de gauche et d’Europe-Ecologie-Les-Verts (dont on note au passage, concernant ces derniers, qu’ils n’ont pas même été capables de se mettre d’accord sur une raison sociale, ce qui donne cet alliage patronymique ridicule …), union qui en ferait, selon lui et l’analyse qu’il fait des résultats des dernières cantonales, la deuxième force politique juste derrière le PS et avant le FN et l’UMP.

Ce qui n’est pour le moment qu’un vœu pieux (et probablement destiné à le rester) suppose plus d’accointances qu’il n’en existe entre les deux formations (qui sont aussi déjà deux alliances) et le Yéti a l’œcuménisme généreux. Je ne lui en veut pas : j’ai cru aussi assez longtemps que ce genre de choses était possible, on appelait ça « la belle alliance » : rouge-rose-verte.

Je n’y crois plus. Car entre un PCF resté très largement productiviste (et nucléariste), le très républicain et anti-européen [1] Parti de Gauche, et le magma écologiste cornaqué par Cohn-Bendit, où les européistes les plus ardents côtoient des alter-mondialistes convaincus, et qui se rallierait volontiers à une candidature de Nicolas Hulot, lequel accommode sans vergogne ses opinions écologistes à une sauce capitaliste et libérale au sein de sa fondation, — entre tous ces gens-là, cher Yéti, il y a tout de même un peu trop de différences pour que le plat soit goûteux.

Du reste, comme tu sais, les militants verts vraiment de gauche ont déjà rallié Mélenchon, derrière Martine Billard, devenu la vice-présidente du PG.

Il y a en effet écolos et écolos.

Deux livres récents en témoignent :

D’abord (par ordre de parution),

— le dernier essai d’Hervé Kempf, l’excellent et radical spécialiste du Monde. Après Comment les Riches détruisent la planète, et Sortez du capitalisme, Kempf creuse son sillon et dénonce cet entre-deux où nous sommes (dans le monde occidental et en France notamment) qui n’est plus la démocratie, si pas encore tout à fait la dictature, et qu’il nomme l’oligarchie (on pourrait aussi bien dire la ploutocratie). Et il décrit trois choix politiques possibles, trois scénarios du futur : « Oligarchique, de gauche productiviste, écologiste. Les deux premiers scénarios sont croissancistes, c’est à dire adhérent à l’idéologie selon laquelle la croissance économique améliore la situation générale. » Cette idéologie-là est une impasse, qu’elle soit de gauche ou de droite et conduit le monde à sa perte. Pour imaginer une troisième voie, Lisez L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie [2] .

Ensuite (il vient juste de sortir) et pour être vraiment déniaisé (et tant pis pour les optimistes, même si l’auteur se croit tenu de conclure par « un cri d’espoir » …) !), il faut lire le petit dernier de Fabrice Nicolino (après Pesticides et Bidoche) où il tire sur tout ce qui bouge et dézingue à peu près tout ce qui a pignon sur la rue Ecologie : Boorlo et affidés bien sûr, et son Grenelle, Hulot et son pacte attrape-tout, les politiques de EELV, évidemment, à qui il ne consacre que quelques lignes cinglantes (« Queue de comète du mouvement de 68, hédonistes petits-bourgeois, indifférent en fait aux peuples du Sud, ce parti n’a aucune chance de nous aider à affronter la crise écologique planétaire. ») , mais, de façon plus surprenante, les grandes associations comme WWF, Greenpeace et France Nature Environnement (FNE), qui comptent certes des militants sincères, mais dont les dirigeants, notabilisés, compromis, parfois même coupables de liens très douteux, lui semblent perdus pour la cause … La marque de fabrique de Nicolino : une enquête fouillée et une plume trempée dans le vitriol. Lisez Qui a tué l’écologie ? [3]

Tout ça étant écrit avant Fukushima …

A votre bonne santé, et vive le printemps qui perce !

Notes

[1] Je sais : le terme est impropre, car on peut être pour une forme d’Europe différente de celle qui nous est imposée par le Marché.

[2] Seuil, 160 p., 14 euros.

[3] LLL, Les Liens qui Libèrent, 297 p. 20, 50 euros.

Qui a tué l’écologie ? (un livre à paraître)

Le 16 mars prochain paraît aux éditions LLL un livre intitulé : « Qui a tué l’écologie ? ». Il est de moi. J’ai grand besoin de vous.

Ceci est de l’autopromotion. Je vous dois une explication, car si certains me connaissent, la plupart ignorent qui je suis. Je suis un militant écologiste de longue date, mais je ne suis pas dans les clous. Je crois, comme je l’écris ici depuis des années, que la crise écologique est le cadre de la pensée humaine. Ce n’est pas un choix, c’est une réalité. Nous sommes confrontés à l’impensé radical, peut-être à l’impensable. Moi, je veux croire malgré tout à la vie, dans sa splendeur. Je ne peux plus changer, ni ne le souhaite : je postule que tous les êtres humains sont égaux. Je réclame leur liberté. Je proclame leur fraternité. Mais comme ce n’est pas à mes yeux une blague inscrite au fronton de nos mairies, je me situe du côté des grands humiliés de la terre, des affamés perpétuels, de ceux sur qui ce monde pisse du matin au soir.

Et j’y ajoute tout ce qui vit. Car la vie ne saurait être découpée. Elle est. L’homme n’a nul droit de faire disparaître la moindre espèce, aussi futile qu’elle lui paraisse. En outre, s’attaquer à quelque forme que ce soit, c’est s’attaquer au principe lui-même. Qui tolère la mort des abeilles ou des chauves-souris prépare les grands désastres humains de demain. Je plains les aveugles qui nous conduisent, car ils nous mènent à l’abîme. Je ne les plains pas, à la vérité, car leurs yeux brillent du feu de la rapacité, et de la si complète sottise qui l’accompagne.

Ce préambule pour vous dire que l’autopromotion qui suit n’est pas de nature commerciale. Je pourrais gagner de l’argent. Au lieu de quoi j’ai écrit ici en trois ans et demi près d’un millier d’articles, pour lesquels j’ai dû payer de mon temps, et du reste. Et qui n’ont rien coûté à ceux qui les lisaient. Je l’ai fait avec bonheur, mais qu’au moins on m’accorde ce crédit-là. J’écris des livres pour faire avancer les idées auxquelles je crois. Pas seulement sans doute, mais surtout, je le pense. Et j’ai besoin de votre aide active, si vous me la concédez. Car l’ouvrage que je vous présente ci-dessous n’a qu’une seule chance : le bouche-à-oreille. Peu de journalistes en relaieront l’existence, pour des raisons que j’aurai l’occasion de détailler une autre fois. Par ailleurs, il a de fortes chances de mettre en colère quantité de petits marquis, éventuellement écologistes. En revanche, je vous tiens collectivement pour la chance de ce bouquin.

Je ne vous demande aucunement de me faire confiance a priori. Je vous demande d’enregistrer que ce livre sort le 16 mars prochain, aux éditions LLL. Je vais reproduire ce qu’on appelle dans le jargon la quatrième de couverture, qui est une très courte présentation, suivie de la couverture elle-même. Si vous jugez le sujet digne d’intérêt, je vous en prie instamment : faites circuler dans vos carnets d’adresse. C’est tout bête à écrire, mais vrai ô combien : j’ai besoin de vous.

La quatrième de couverture :

Ce livre va faire mal, parce qu’il décrit ce qu’est devenu le mouvement écologiste officiel, celui des salons dorés, des petits-fours, des photos de groupe devant les palais officiels. Ce livre va faire mal, parce qu’il révèle pour la première fois l’histoire, les histoires, les coulisses. On peut donc le lire comme un roman vrai, un polar implacable, rempli de personnages aussi étonnants qu’Anton Rupert, l’un des véritables fondateurs du WWF International.

Mais l’acte d’accusation vise bien au-delà la « bande des quatre » qui s’est autoproclamée représentante de la société française. Et qui a décidé de se soumettre aux ruses et risettes de l’État français, Nicolas Sarkozy, Jean-Louis Borloo et Nathalie Kosciusko-Morizet en tête. Certes, il existe de nombreuses différences entre le WWF, Greenpace, la Fondation Nicolas Hulot et France Nature Environnement (FNE). Ce document rend à chacun ce qui lui appartient.

Mais au total, le bilan est désastreux. Alors que les mêmes clament que la planète est en perdition – et elle l’est -, ils préfèrent compromis et compromissions, tapes dans le  dos et décorations. Dernière dérobade : l’affaire des gaz de schistes, qui exigerait pourtant une mobilisation immédiate. « Qui a tué l’écologie ? » ne se contente pas de poser une question, mais y répond. Le livre a été écrit par un écologiste engagé depuis des décennies dans le combat pour la vie sur terre. Il appelle à un sursaut historique, seul capable de nous aider à faire face à la crise écologique qui arrive. Qui est déjà là. C’est donc un cri d’espoir. Et un appel majeur.

Et la couverture:

Qui a tué l’écologie ?

Le recyclage d’un voyou de la pensée (le cas Lomborg)

 Le faussaire Bjorn Lomborg a de nouveau droit aux honneurs de la presse. Le Monde, en l’occurrence. Et pourtant…

Je ne sais pas qui est vraiment le Danois Bjorn Lomborg (ici). Je sais ce que j’ai écrit le 11 juillet 2002 dans le numéro 709 du journal Politis. Il y a huit ans, nul en France ne connaissait Lomborg. Moi, j’avais suivi l’extraordinaire engouement, au Danemark et au Royaume-Uni, de son « grand » livre, paru quelques mois plus tôt, en 2001, The Skeptical Environmentalist. Il serait traduit plus tard en France, mais alors, il n’était qu’une rumeur.

Dans mon article de juillet 2002, j’ai appelé Lomborg « notre Meyssan scandinave », du nom de celui qui nie encore l’explosion d’un avion sur le Pentagone le 11 septembre 2001. Lomborg dénonçait en bloc les écologistes, niait le dérèglement climatique, clamait que dans de nombreux domaines essentiels de la vie – les océans, les forêts, etc -, les choses allaient de mieux en mieux. Phénoménal, non ? Je précisais : « Or Lomborg ruse, truque, manipule les chiffres à l’envi  ». Je n’entre pas dans les détails, ce qui serait bien trop long. Déjà, j’étais fâché contre la presse française, qui donnerait dans les années suivantes tant de place, tant d’entretiens, tant de doubles pages à ce tricheur. Je me posais la question et je me la pose encore. Pouvait-il s’agir d’un hasard ? La proximité avec le Sommet de la terre de Johannesburg, ce même été 2002, n’était-elle pas une clé ? Quels intérêts réels servait cet homme ?

Lomborg a en tout cas fait des dégâts colossaux dans l’esprit public, flattant cette part de si profonde stupidité qui existe hélas chez nous tous, et qui ne demande qu’à être sollicitée.  En 2004, l’éditeur français Le Cherche-Midi – honte, honte, honte ! – a publié L’Écologiste sceptique, la traduction du bouquin de Lomborg, avec une préface remplie de contrevérités essentielles et de stupidités crasses, sous la plume de Claude Allègre. Mon Dieu ! j’ai ce livre chez moi, quelle torture. Le faux me brûle, je n’y peux rien.

En janvier 2003, une très prudente Commission scientifique danoise (Udvalgene vedrørende Videnskabelig Uredelighed) a rendu un rapport terrible sur la malhonnêteté scientifique de Lomborg. Car il a été pris la main dans le sac ! Dans le sac ! Extrait de la conclusion : « Objectively speaking, the publication of the work under consideration is deemed to fall within the concept of scientific dishonesty ». Ce qui veut dire à peu près : « Objectivement considéré, la publication de l’ouvrage en question tombe bien dans le cadre de la notion de malhonnêteté scientifique ».

Dans un monde régi par des règles de droiture élémentaire, un Lomborg aurait été carbonisé à jamais. Mais non, il revient sans cesse, aidé, formidablement aidé par des journalistes qui semblent ne jamais voir le mal là où il est pourtant. Je suis donc consterné, et le mot est bien trop faible, par l’entretien que le journal Le Monde consent à Lomborg dans son édition datée du 14 septembre 2010, page 4 (ici). Le titre : « Le changement climatique est une réalité ». C’est déjà prodigieux, car où est donc l’info, amis ? Ce charlatan a troublé l’opinion en niant ce phénomène, et maintenant, il reconnaît sa réalité. Mais où est l’info ? J’ajoute que Lomborg, dans son livre cité plus haut, s’est affublé de l’apparat scientifique, truffant son texte de milliers de notes de bas de page. Or il n’est pas plus scientifique que moi. Peut-être encore moins, si c’est possible.

Poursuivons. Ce texte est, dans sa totalité, une horreur. Le journal n’ayant pas rappelé qu’il a été convaincu de malhonnêteté scientifique, Lomborg se pavane et parle comme s’il savait mieux que des milliers de gens sérieux, étudiant la dévastation du monde sur le terrain. Le changement climatique ? « Oui, il est réel, il découle de l’activité humaine, et c’est un phénomène important ». Le GIEC honni par les climatosceptiques ? Il est « la meilleure source d’information que nous ayons sur le changement climatique » et « le point fondamental est que le GIEC est correct à 90 % ».  À chaque ligne, sa morgue est proprement insupportable, mais tel n’est pas le pire.

Le pire est que, d’évidence, D’ÉVIDENCE, Lomborg poursuit sur la même voie qu’en 2001. Il ne souhaite plus, le cher ange, défendre la thèse négatrice d’Allègre et compagnie. Mais pour quelle raison ? Telle est bien la question, qui ouvre sur des abîmes. Car dans l’entretien au quotidien Le Monde, il se fait le chantre de l’abandon des politiques – dérisoires, certes – menées depuis Kyoto pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.  Il suggère en fait de poursuivre l’entreprise de démolition du monde, en utilisant les pétroles stockés dans les sables bitumineux et les schistes. Au pire, il resterait, dit-il sans état d’âme, le charbon.

Tout ça pour quoi ? Mais pour promouvoir des solutions techniques, donc économiques, donc financières. Le stockage en profondeur du CO2, la géo-ingénierie, qui prévoit par exemple la construction de miroirs géants pour détourner une partie des rayons solaires, etc. En somme, Lomborg se fait le héraut d’une fuite en avant technologique complète. Il est en phase, on ne peut mieux, avec ce capitalisme vert qui entend faire de la crise écologique un moyen de continuer comme avant, de faire durer ce fameux développement qui nous a menés au désastre actuel. De nouveau, je me pose la question : peut-il s’agir d’un hasard ? Cette concomitance entre le discours d’un faussaire et les intérêts de très nombreuses transnationales n’interroge-t-elle pas ? Je gage que Lomborg servira encore tant et plus au cours de la préparation du Sommet de la terre de Rio, en 2012. Je vous ai déjà dit il y a peu que l’ultralibéral Brice Lalonde en serait le grand organisateur. La convergence des deux me semble certaine.

Au-delà, ma profonde tristesse. Cette façon de faire de Lomborg l’une des vigies de notre époque, sans rien rappeler de ce qu’il est à coup certain, c’est un mauvais coup. Un très mauvais coup.