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Jacques Le Goff, le Moyen Age et les funambules (gaffe !)

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Je pense que personne ou presque n’aurait pu faire mieux que Jacques Le Goff, dont vous trouverez plus bas une tribune publiée samedi 13 mars 2010 dans Le Monde, sous le titre : Nous ne sommes plus au Moyen Age. Le Goff est un historien de réputation mondiale, un médiéviste, c’est-à-dire un spécialiste du Moyen Age, précisément. J’ai lu, je crois, deux livres de lui. Le premier s’appelle L’imaginaire médiéval, et j’en gardé le souvenir éblouissant d’un savoir global. Je me souviens bien moins, désolé, d’un livre que Le Goff a consacré à François d’Assise, celui qui devait devenir saint. Je précise cela pour vous dire combien je respecte le savant.

Quant à la tribune du journal Le Monde, elle est pitoyable, presque pathétique. Le Goff, né en 1924, a aujourd’hui 86 ans. C’est un homme de gauche, social-démocrate comme ils le sont tous désormais. L’historien est un véritable archétype de cette génération, de ces générations plutôt qui ont cru au « progrès » des sociétés humaines, et qui continuent, par peur du vide. On compte parmi les sectateurs de cette imagerie la quasi totalité de ceux qui monopolisent la parole publique, quel que soit le domaine considéré. On les entend à la télé comme à la radio, on les lit dans les livres et sur les journaux, ils sont de droite comme de gauche. Ils croient. Ce n’est pas une honte, loin s’en faut. Le malheur est qu’ils ne se voient pas croire. Le drame est que, pour eux, c’est toujours l’autre qui est dans l’idéologie et l’indécrottable naïveté, au mieux. Eux, ils savent. Et relèguent aux marges, parfois aux gémonies, ceux qui prétendent penser autrement, et agir de même.

Voici donc la tribune de Le Goff, qui illustre à la perfection le débat absurde sur les élections régionales. D’un côté, il y a un monde qui s’engloutit en pleurant, tempêtant contre les messagers. De l’autre, dansant sur un fil au-dessus des cascades, doutant de tout mais avançant pourtant, une poignée d’olibrius. Il ne peut y avoir d’accommodement et il n’y en aura pas. Peut-être les funambules tomberont-ils à l’eau. Mais les autres seront alors noyés depuis longtemps.

Nous ne sommes plus au Moyen Age, par Jacques Le Goff

Historien du Moyen Age, j’ai consacré l’essentiel de mes recherches et de mes publications à restaurer l’image d’époque des ténèbres que la Renaissance puis l’époque des Lumières avaient donnée à cette période de notre histoire.

Le Moyen Age m’est apparu comme une époque créative et innovante qui, de la croissance agricole à Dante, en passant par les universités et les cathédrales, avait été un grand moment de la construction de notre civilisation européenne. Je n’ai pas caché qu’il présentait des manifestations d’irrationalisme tout à fait dépassées comme la peur du Diable, la peur de l’Antéchrist, ou la peur de la fin du monde.

Or je crois voir et entendre dans la plupart des médias une renaissance de ces côtés arriérés que je croyais disparus. L’écologie, la peur du réchauffement climatique engendrent des propos producteurs de transes et de cauchemars. Certes, nous devons accorder plus d’attention qu’on ne l’a fait en général dans les décennies précédentes au respect de l’environnement, et prendre des mesures de précaution face à d’éventuelles conséquences graves d’un réchauffement climatique. Il faudrait par ailleurs que ces affirmations et ces craintes soient justifiées par l’opinion de personnes compétentes, et il conviendrait que leurs propos ne soient ni déformés ni exagérés.

Puis-je souligner que les peurs qui sont ainsi suscitées d’une façon souvent irrationnelle ont pour conséquence certaine et vérifiée qu’elles frappent encore plus les populations à l’existence difficile et précaire ? L’incroyable assaut à la consommation de la viande contribue largement aux graves difficultés des agriculteurs, une catégorie sociale sur laquelle l’Europe s’est en partie fondée. Le coût élevé de l’alimentation bio écarte un peu plus les pauvres de la table des riches et rajoute aux difficultés des habitants de pays émergents chez qui la famine fait de cruels ravages.

Voilà, me semble-t-il, le type de problème qui réclame toute l’énergie des nantis : la lutte contre la faim, les maladies, la mort, pour l’équilibre social et pour la mise à niveau des pays émergents. Qu’on n’oublie pas non plus que l’excès dans la malédiction peut aller à l’encontre de son objet. Les critiques énoncées posément et rationnellement justifiées sont les plus efficaces.Comment peut-on réduire à l’écologie le programme économique, social et politique que doit présenter tout parti en démocratie ? Le souci de l’environnement ne doit être qu’un des sujets d’un programme plus large et plus profond. Cet abus me semble se rattacher à la regrettable obsession que je cherche par ces lignes à faire rentrer dans le cadre de la raison, sans pour cela rester les bras croisés devant les réels efforts que demande l’environnement. Il m’est souvent arrivé de m’insurger contre les personnes parfois éminentes qui disaient « nous ne sommes plus au Moyen Age ». Aujourd’hui, face à ces transes, j’ai envie de dire moi aussi : nous ne sommes plus au Moyen Age.

PS : la peur. La peur. Un long traité ne suffirait pas. Je me contenterai de quelques mots. D’abord, elle est humaine. Il est certain qu’elle souvent irraisonnée. Qu’elle prend chez beaucoup d’humains des formes extraordinaires, extravagantes, folles. Mais d’où vient-elle ? Telle est l’une des questions que j’aurais, moi Fabrice Nicolino, aimé poser à Jacques Le Goff. Lui préfère s’en prendre à ce qu’il nomme l’irrationnel. Lui, si fier manifestement de la conquête du monde réalisée par la raison technique, ne voit pas ce qui crève les yeux du premier observateur venu. Depuis qu’elle a triomphé – disons depuis le siècle dit des Lumières -, cette Raison a unifié le monde selon ses règles. Créé les conditions de guerres mondiales plus dévastratrices qu’aucun crime de masse de notre vieux passé « barbare ». Inventé des outillages, telle la bombe nucléaire – qui donnent la possibilité de tout anéantir. Sapé les bases d’éléments aussi essentiels que le climat lui-même. Vidé ces océans que les Le Goff du passé croyaient inépuisables. Etc, ad nauseam. Bref, la peur, quelle que soit la forme qu’elle prend et prendra, est justifiée sur le plan choisi par Le Goff lui-même. Elle peut présenter des formes déconcertantes. Elle peut paraître folle. Mais elle est aussi, profondément et malgré tout, rationnelle. Oui, nous avons bien raison d’avoir peur.

Gagnez 18,50 euros en ma compagnie (et celle de Jospin)

 

J’avoue tout de suite, ce qui m’épargnera pour la suite : cet article est un cas flagrant de masochisme. Je ne suis pas affecté de ce mal chaque jour, ni chaque semaine, mais quelquefois, il faut bien dire que je n’y coupe pas. Exemple assuré avec le parcours (rapide, très rapide) que je viens de faire d’un livre que je vous déconseille fortement. Son titre : Lionel raconte Jospin. Son éditeur : Le Seuil. Ses auteurs, outre Jospin lui-même, sont les deux journalistes qui l’ont interrogé : Pierre Favier, ancien de l’AFP, et Patrick Rotman, documentariste. Son prix, comme indiqué dans le titre : 18,50 euros.

Ne le lisez pas, ne faites pas comme moi. Le maigre paradoxe de cette affaire, c’est que ce pauvre livre demeure intéressant. Mais à la vérité, sans doute pas pour les raisons que souhaiteraient ses auteurs. Avec votre autorisation, je découperai mon propos, avec l’arbitraire qui me caractérise, en deux parts inégales. L’une fondamentale, à mes yeux du moins. Et l’autre contingente, où vous retrouverez, pour les plus fidèles de Planète sans visa, certaines obsessions bien (trop) personnelles. Commençons par le principal. Souvenez-vous que Lionel Jospin a été le Premier ministre de la France entre 1997 et 2002, et que s’il n’avait pas été aussi sot – politiquement, s’entend -, il aurait été élu président de la République à la fin de ses cinq ans à Matignon, au lieu que de donner les clés à Chirac, qui se sera assoupi dessus, n’insistons pas. Jospin a donc été, pendant trente années, l’un des responsables les plus en vue du principal parti d’opposition au pouvoir actuel, et il fait montre, dans ces entretiens, d’une cécité totale à la seule question qui, désormais, vaille : la crise écologique.

Je vous le dis comme je le pense, ce texte insipide est un monument érigé à la gloire de la sottise. La sixième crise d’extinction, la plus grave de l’avis de la plupart des biologistes depuis la disparition des dinosaures il y a 65 millions d’années, jette à la fosse commune des milliers d’espèces animales et végétales. Le vivant est ainsi atteint dans son cœur. Mais Jospin pense et parle de la Corse et du préfet Érignac, du PCF de 1981 et des tactiques mitterrandiennes pour en réduire l’influence, de Michel Rocard, de Laurent Fabius, de Claude Allègre, de Mazarine Pingeot, de ses dérisoires campagnes électorales, de ses ridicules affrontements de congrès, de ses si vaines et si fugaces espérances présidentielles.

La faim ravage la planète, les villes ne sont plus que dépotoirs où l’on entasse les humains, le pétrole s’épuise, les biocarburants déferlent, les forêts brûlent, l’eau manque et les grands fleuves meurent les uns après les autres, la contamination chimique empoisonne la totalité des êtres, les océans sont bouleversés pour des dizaines de milliers d’années au moins par la surpêche, le nucléaire se répand comme la peste qu’il est, l’érosion et le désert engloutissent des régions entières, le dérèglement climatique, par-dessus le tout, menace la Terre du chaos et de la dislocation des sociétés humaines, mais Jospin n’a pas un mot pour ces phénomènes écosystémiques, planétaires, essentiels et même cosmiques. Jospin aura traversé sa vie en aveugle. Il ne sait rien, n’a rien lu ni rien compris, il croit visiblement que faire de la politique consiste à faire de la politique. On hésite. Faut-il le plaindre ? Faut-il le moquer ? Moi, je dois vous avouer tout net que je le trouve lamentable.

Pourquoi ce mot rude ? Je vais vous expliquer mon point de vue. Je ne reproche pas à Jospin de ne point partager ma culture et la vision du monde qu’elle impose. Je ne suis pas à ce point abruti. Non. Je lui reproche de ne pas même avoir eu la curiosité intellectuelle de lire deux ou trois livres, de rencontrer deux ou trois intellectuels qui eussent pu l’éclairer. Je lui reproche de s’être vautré pendant cinquante ans dans la sous-culture de l’univers politicien, qui exclut les grands questionnements,  et partant, tout basculement. Pauvre monsieur, pauvre vieux monsieur désormais, qui entendait diriger la France sans rien savoir, aucunement, sur la marche du monde. Voyez, finalement, je le plains. Et j’ajoute : je nous plains, nous qui avons bel et bien mérité cet homme-là.

Je vous avais promis deux parties, et j’espère que vous me pardonnerez ce que, d’emblée, j’ai présenté comme contingent. J’aurais pu ne pas en parler, mais ma pente naturelle me pousse à le faire. Vous pouvez éventuellement sauter. Le 28 juin 2001, j’ai publié dans le quotidien Le Monde une tribune qui n’avait rien à voir avec l’écologie. Elle était intitulée L’étrange monsieur Lambert, ce dernier étant encore à l’époque – il est mort depuis – le chef du mouvement appelé Organisation communiste internationaliste (OCI), auquel Jospin avait adhéré clandestinement dans les années 60. On s’en fout ? Pas moi. Je rappelle que Jospin a failli devenir notre président. Or, dans la tribune du Monde, jamais attaquée, jamais contredite, je racontais des choses extrêmement graves sur l’OCI, Lambert et donc Jospin. Notamment sur la « préhistoire » de Lambert, qui plonge ses racines dans les années de guerre. Notamment sur les liens entre Lambert et Alexandre Hébert, invraisemblable pilier du syndicat FO. Notamment sur l’attitude si baroque des « lambertistes » pendant la guerre d’Algérie, pendant mai 68, puis les années 70. Notamment sur la violence. Notamment sur le refus obstiné de participer aux mobilisations de l’extrême-gauche de ces années-là, qu’elles soient antiracistes, féministes, antinucléaires, antifascistes, antimilitaristes. En résumé, tout montre que l’OCI n’a jamais appartenu à cette nébuleuse connue sous le nom d’extrême-gauche. Mais alors, pourquoi avoir fait semblant ?

Aujourd’hui, bien des gens de ce courant funeste, de Jospin à Benjamin Stora, en passant par Pierre Arditi, Bernard Murat ou Bertrand Tavernier, veulent croire que l’OCI, à laquelle ils étaient liés à des titres divers, était en réalité l’une des composantes de mai 1968. Mais c’est simplement faux. Une structure pyramidale, ayant pour sommet Lambert, s’est absolument opposé à ce mouvement de la jeunesse, pour des raisons qui restent à éclairer, mais qui laissent entrevoir d’étranges coulisses. Et ce livre sur Jospin, alors ? C’est bête, mais j’ai été indigné de la manière dont Favier et Rotman le laissent présenter son engagement de près de trente années dans le mouvement lambertiste. Au moment où je vous écris, nul ne sait précisément quand il y a adhéré, ni quand il l’a quitté. On peut estimer qu’il est resté dans l’orbite de ce si curieux mouvement entre 1960 et 1985, voire 1987. En mai 1968, que Jospin présente en 2010 comme une aventure sympathique, les lambertistes intimaient l’ordre à ses membres, donc Jospin, de ne pas se rendre sur les barricades d’un mouvement jugé comme un complot du pouvoir gaulliste. Quand Jospin ose dire à Rotman et Favier que 68 lui « a paru passionnant par la radicalité de ses remises en question (page 41) », ou bien il ment, ou bien il se ment.

Le fait est en tout cas qu’il adhère au parti socialiste à la fin de 1971, alors qu’il est encore un militant de premier plan, mais secret, de l’OCI de Lambert. Et là, nouveau mystère sidérant, dont semblent se contreficher Rotman et Favier. En 18 mois, ce militant de base sans passé, sans grand charisme – si ? – parvient à un poste stratégique à la tête du PS de Mitterrand. Le voilà intronisé, à la stupéfaction générale, secrétaire national à la formation et membre du Bureau exécutif. Je n’ai pas d’explication, mais je sais qu’il y en a une. On ne me fera pas croire que, dans ce parti d’ambitieux et d’arrivistes, cette ascension de météore a pu être le fait du hasard. Non, vous repasserez plus tard pour les contes de fées.

Je me doute bien que certains d’entre vous se demanderont pourquoi diable je perds du temps dans ces embrouilles passées. Mais il ne s’agit pas forcément du passé. La France a failli élire président de notre République un homme qui a caché des pans essentiels de sa vie, non pas privée, mais politique, intéressant au premier chef les citoyens de ce pays. Il s’était passé exactement la même chose à propos de Mitterrand et de son amitié indéfectible pour le secrétaire général de criminelle police de Vichy, René Bousquet. Nous en faudra-t-il donc un troisième ? Une troisième ? Nous sommes tous, je dis bien tous complices de ces silences aussi révélateurs que bien des paroles. Croyez-moi ou non, tant que la société sera aussi indifférente à la question de la vérité, elle n’avancera pas d’un pas. Dans aucun domaine. Pas davantage dans celui qui m’obsède tant, et qui est la crise de la vie sur terre. Croyez-le ou non, mais cette facilité avec laquelle une société éduquée accepte sans broncher les pires bobards ne prépare pas les lendemains que je continue pourtant à espérer.

I am happy comme le chien Droopy (grâce à la bidoche)

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Vous connaissez tous le chien Droopy, créé par le génial cartooniste Tex Avery. Avec son inimitable tronche, impavide et triste à la fois, il répétait souvent quelques phrases fétiches. Au début : « Hello all you happy people…you know what? I’m the hero ». Et à la fin : « You know what? I’m happy ». Il était donc le héros de l’histoire, et il était aussi heureux.

    fond d'écran de Droopy

Allez savoir pourquoi, on ne le croyait jamais réellement. Et aux dernières nouvelles, cela n’a pas changé. Notons tout de même que Droopy avait quelquefois de fugitives compensations, comme l’on peut voir ci-dessus. C’est un peu dans cet état esprit que je vous livre un article paru dans le quotidien régional L’Union-L’Ardennais (ici). On y verra, vous y verrez peut-être que mon livre Bidoche commence à produire des effets dans la réalité. Ce que je souhaitais ardemment. Ceci expliquant cela,  « You know what? I’m happy ».

Les Amis de la Terre contre le lobbying des « viandards »

 

Afin de permettre aux jeunes de découvrir les saveurs de la viande, le Centre d’information des viandes a proposé un jeu concours dans les cantines scolaires. Au grand dam des Amis de la Terre.

 

« IL y a des circulaires qui interdisent le démarchage en milieu scolaire. J’ai l’impression qu’à Reims, on s’en contrefiche. Pour nous, le jeu concours intitulé « Les toqués de la viande » organisé dans de nombreuses cantines publiques rémoises par le Centre d’information des viandes n’est ni plus ni moins du lobbying commercial pour promouvoir la consommation de viande à travers des slogans dénués de toute portée sanitaire ou pédagogique. À Charleville-Mézières, ils l’ont compris et ont refusé l’organisation de ce concours dans les écoles. » Président des Amis de la Terre de la Marne, Denis Rousseaux n’est pas content et vient de l’écrire à la maire. Fils d’agriculteur du Rethélois et pas du tout végétarien, -il mange de la viande deux à trois fois par semaine-, le pédagogue tient aujourd’hui à tirer la sonnette d’alarme sur « la triste réalité écologique de la filière viande pour la planète. »
Très inspiré par Fabrice Nicolino auteur de « Bidoche », il pense, pour faire court, que manger moins de viande serait bon et pour la santé des gens (maladies cardio-vasculaires, diabète) et pour la planète.


Réquisitoire contre la viande
Et de dresser un vrai réquisitoire contre la viande : « L’élevage est responsable de 18 % des émissions de gaz à effet de serre, plus que les transports. Il mobilise 70 % des terres arables (favorisant la déforestation) et 9 % de l’eau douce de la planète. Un repas avec de la viande et des produits laitiers équivaut en gaz à effet de serre à 4.758km en voiture contre 629km pour un repas sans viande et produits laitiers. L’élevage agro-industriel pollue les nappes phréatiques et met à mal les ressources en eau. L’alimentation du bétail le plus souvent à base de plantes génétiquement modifiées se retrouve dans les assiettes sans qu’aucun étiquetage n’en précise la nature. En Europe, 80 % des animaux d’élevage consomment des OGM contenus dans le soja importé du continent américain. »
D’accord pour reconnaître qu’il faut bien défendre les régions à vocation d’élevage qui élèvent des animaux à l’herbe, Denis Rousseaux précise que son association « ne raisonne pas au seul niveau du petit coin de France qui n’est d’ailleurs pas si vertueux quand on voit les dégâts des lisiers porcins sur la nature en Bretagne, mais au niveau du monde entier. »
Car si la consommation de viande baisse en France, ce n’est pas le cas dans le monde où on commence d’ailleurs à voir poindre une concurrence entre l’alimentation animale et l’alimentation humaine puisque 40 % des céréales produites sont déjà destinées à alimenter le bétail.

Enfin, à un moment où la Ville de Reims a manifesté sa volonté d’introduire, à son avis, encore trop timidement une part d’alimentation biologique dans les cantines, si demain la part de consommation de la viande augmente comme le souhaite implicitement le centre d’information des viandes, ce sera autant d’aliments bio en moins dans les assiettes des enfants.

Alain MOYAT

Daniel Cordier le magnifique

 À propos du désastreux Sommet sur le climat de Copenhague

Je me permets de commencer par un coup de bâton : il est vain d’espérer convaincre la majorité, puis de mettre en place un gouvernement convenable. Non, nous n’arriverons pas à ce résultat, quoi que nous fassions, et cette route est comme barrée loin devant nous, ad vitam aeternam.  Deux crises, au moins, se mêlent de manière indissoluble. D’abord, bien entendu, la crise écologique, qui englobe tout le reste, et nous menace du pire. Ensuite, une crise très secondaire, mais aux effets immédiats dévastateurs, qui est celle de la représentation, de la démocratie. Je me sens tout à fait démocrate, mais je vois bien que le système imaginé il y a un peu plus de deux siècles n’a plus aucun avenir.

Et j’affirme tranquillement qu’on peut aimer la liberté et juger que notre manière de représenter l’intérêt général a fait son temps. Car elle a fait son temps. N’est-elle pas totalement incapable d’affronter les menaces qui pèsent désormais sur la vie elle-même ? Que peut-il y avoir de plus important que la fertilité du sol, la stabilité du climat, la préservation des dizaines de millions de formes vivantes – différentes – qui existent encore ? Oui, quoi ? TF1, un discours de l’occupant de l’Élysée, une publicité pour Free ? Restons sérieux. Le monde s’enfonce dans un chaos qui fait redouter l’effondement, et nos politiciens pensent à leur brushing du soir, et aux élections de mars prochain. Ridicule ? Infernal.

Mais bien entendu, sans nous mêmes, sans notre soutien permanent, sans notre constance à soutenir leurs jeux les plus stériles, ils ne tiendraient pas le manche, et nous ne serions plus les humains versatiles, capricieux et fantasques que nous sommes. Car nous sommes cela, je pense qu’il est inutile de se faire des illusions à ce sujet. Le 26 avril 1944, le maréchal Pétain se rend à Paris, pour la première fois depuis qu’il est le chef de cet État d’opérette – sinistre – que fut Vichy. La controverse n’a pas cessé depuis. Combien étaient-ils à l’acclamer place de l’Hôtel-de-Ville ? En vérité, peu importe. Car ils étaient encore très nombreux, quatre mois avant que le général de Gaulle n’arrive dans une ville libérée autant qu’exultante. En septembre 1944, malgré quatre années d’anéantissement national et de privations, un sondage de l’Ifop révélait que 58 % des interrogés ne souhaient pas qu’on infligeât une peine quelconque à ce vieux salaud. Cela (me) fait réfléchir.

Par bonheur, je suis en train de lire un récit fascinant, le mot n’est pas trop fort, bien que galvaudé. Il s’agit de Alias Caracalla, de Daniel Cordier (Gallimard). Je précise par précaution que si l’on n’a pas des lumières sur la période qui court de 1930 à 1945 – au moins -, sa lecture n’est pas aisée. Qui est Cordier ? Né en 1920, dans une famille bordelaise plutôt riche, il baigne dans une culture politique royaliste, antisémite, fasciste. Militant de l’Action Française, admirateur frénétique de Charles Maurras, il ne rêve que de détruire la République et d’en fusiller, éventuellement lui-même, les chefs.

Le 17 juin 1940, il écoute la radio dans la maison de Pau où il habite en compagnie de sa mère et de son beau-père, lui-même violemment maurassien. Les Allemands ont percé les défenses françaises, Paris est occupé, la débâcle est complète. À la radio, Pétain réclame ce 17 juin les conditions d’un armistice, véritable coup de poignard dans le dos des Anglais, jusqu’ici nos alliés. Cordier monte à sa chambre, et se met à pleurer, comme dans la comptine. Cet ultranationaliste, qui misait tant sur le Maréchal, le voit désormais pour ce qu’il est : un épouvantable traître. Et il s’embarque in extremis sur un rafiot qui quitte Bayonne au moment où les troupes nazies arrivent.

La seule chose que Cordier sait, c’est qu’il lui faut combattre ceux qu’il appelle sans façon les Boches. Sa valeur suprême s’appelle la France, la France éternelle. Le navire, finalement, ne gagne pas comme attendu l’Afrique du Nord, mais Londres. Cordier fait partie des deux ou trois cents (très) jeunes pionniers du mouvement gaulliste naissant. Vous avez bien lu : deux ou trois cents. Et le livre, déjà fort instructif, devient passionnant. Aussi étrange que cela paraisse, nombre des volontaires de ce périlleux An 1 de la résistance militaire anti-allemande sont de jeunes fascistes. Des ennemis de la République, qui s’indignent, comme Cordier lui-même, de toute allusion favorable à la gauche, de tout semblant d’accommodement avec la démocratie.

Je suis obligé de passer sur les événements. Cordier suit un entraînement militaire de très haut niveau, qui dure deux années, puis il est parachuté en France, où il devient le secrétaire particulier d’un homme qu’il ne connaîtra, dans la clandestinité, que sous le nom de Rex. Ce n’est qu’après la guerre que Cordier apprendra que Rex n’est autre que Jean Moulin, chef de la résistance en France, mort après sa capture par les Allemands. En 1942, quand il se met au service de Rex, Cordier est encore dans les vapeurs nationalistes et chauvines. Par extraordinaire – j’ignore s’il a tenu un journal, je sais qu’il a mené un travail acharné d’historien -, Cordier parvient à nous présenter ce temps sous la forme d’un éphéméride, jour après jour, donc, avec une infinité de détails et de dialogues. Ce n’est pas un vieil homme – Cordier va sur ses 90 ans – qui raconte, mais un jeune, qui vit. Et c’est pure merveille. Cordier se débarrasse peu à peu, couche après couche, sous nos yeux mêmes, de son bagage raciste et fasciste. Il devient un démocrate. Il devient un ennemi de la dictature. Il devient ce qu’il aurait eu tant de mal à être dans d’autres circonstances : un homme libre.

Voici une première nouvelle, prodigieuse, chargée de tous les espoirs du monde : il est possible de changer. De devenir meilleur. Plus généreux. Plus humain, et en profondeur. N’est-ce pas réellement magnifique ? Mais Cordier nous administre une autre leçon, aussi belle que terrible. Il est probable que la France de 1942 à 1944 – environ 40 millions d’habitants , ne comptait pas plus de 300 000 résistants, dont un certain nombre, disons inefficaces. Autrement dit, dans un pays vendu au pire du pire – le nazisme -, où l’on traquait les Juifs jusque dans les greniers avant de les envoyer vers la mort, grâce au concours empressé de nos flics et de nos gendarmes, la quasi-totalité de la population regardait ailleurs.

Regardait ailleurs ? Cela ne vous rappelle rien ? Chirac, oui Chirac avait déclaré au Sommet de Johannesbourg, en 2002 : « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs ». Et, ma foi, en cette occurrence en tout cas, n’avait-il pas raison ? Mutatis mutandis, je crois que la crise écologique nous place dans une situation qui rappelle, de loin certes, celle de juin 1940 à Londres. Il est inutile, sans intérêt, sans espoir de penser qu’il faut convaincre 64 millions de Français de changer de mode de vie. Chacun sait qu’il se passe quelque chose de fou, mais la plupart préfèrent s’occuper de leurs affaires personnelles. Et cela continuera.

Et cela continuera. La responsabilité qui repose sur les refusants, et qui ne sont pas encore des agissants n’en est que plus écrasante. Il faut tout endurer, serrer les dents, serrer les rangs, et préparer le moment où, enfin, peut-être, tout basculera. Si ce jour se produit jamais, il va de soi que les premiers à se lever, les premiers à dire un Non ferme et retentissant, seront aussi les oubliés de la fête. C’est une règle, une loi sociale qui ne se démentira pas. Ceux qui triompheront, si triomphe il y a finalement, seront les mêmes que ceux qui nous crachent au visage aujourd’hui. Car eux savent tout du fonctionnement réel du monde, alors que nous nous contentons de sa partie rêvée, enchanteresse, bouleversante et risquée.

Je vous le dis comme je le pense : les combattants de la vie sont seuls. Les véritables écologistes sont seuls par force, et le resteront, et n’auront jamais droit, dans le meilleur des cas, qu’à une poignée de mains entre deux portes. Et alors ? Oui, franchement, et alors ? Ceux qui se lèvent aujourd’hui et se lèveront demain le font et le feront parce qu’ils sont mûs par un mystérieux appel des profondeurs. Pourrions-nous faire autrement ? Serais-je capable de ne pas écrire ce que j’écris ici ou ailleurs ? Évidemment, non. Je ne mérite, vous ne méritez aucun avantage, pas le moindre remerciement. Vous êtes ? Alors soyez.

J’ajoute un dernier point tout provisoire. Nous sommes encore dans un moment d’accumulation des forces. Ce qui nous attend sera incomparablement plus difficile. Il faudra, un moment ou l’autre, mettre en jeu notre monde personnel, des équilibres chèrement payés, des situations, des bonheurs peut-être. Il est donc bien trop tôt pour dire qui fera partie de la petite bande de notre Londres à nous. De notre 18 juin à nous. Je serais bien stupide, pour ce qui me concerne, de prétendre que j’en serai. Dans ce domaine, comme dans l’amour, il faut des preuves. On verra donc. On verra bientôt. De ce point de vue, Copenhague n’a pas de sens particulier. Ou plutôt, si : cette conférence prouve qu’il nous faut suivre un autre chemin. Solitaire ? Nous n’avons pas le choix.

La Très Grande Bibliothèque de l’écologie

Il existe en France l’une des plus belles bibliothèques européennes consacrées à l’écologie, et personne ne le sait ! Elle a été créée par un homme à part, qui fut le secrétaire de Robert Hainard. Je le connais bien, il s’appelle Roland de Miller. C’est davantage qu’un passionné, davantage qu’un collectionneur, davantage qu’un lettré. Son joyau contient près de 60 000 ouvrages, 1000 collections de périodiques français et étrangers et un énorme fonds d’archives et de documentation.

Ses livres furent longtemps disséminés dans les ruines d’un château des Alpes-de-Haute-Provence, dont la silhouette, par soir de pleine lune, évoquait tantôt la Transylvanie de Dracula, tantôt le Nom de la Rose, d’Umberto Eco. Je ne dresserais pas ici la liste innombrable, innommable d’ailleurs, des emmerdements subis par Roland. Car s’il est un génie du livre, il s’en faut qu’il le soit également de la vie quotidienne.

N’importe. La plus belle bibliothèque de France. L’une des plus belles de notre vieux continent. Et alors ? Alors, rien ne va plus, du tout. Roland occupe depuis quelques années un local de la ville de Gap (Hautes-Alpes), en vérité indigne d’un tel trésor. Mais de toute façon, il lui faut faire ses balluchons, et repartir sur les routes avant le 26 décembre 2009, sous peine d’astreinte journalière. Avec 400 m3 de livres et de textes sous le bras. Sa situation est affreuse, car il est à peu près seul. Le déménagement, à lui seul, coûterait 10 000 euros, compte non tenu de l’emballage, qu’il souhaite organiser avec des bénévoles, des tonnes d’ouvrages.

Ensuite ? Il y a des pourparlers avec la ville d’Arles, mais même s’ils aboutissent, ce ne sera pas avant des mois, sinon des années. En attendant, il faudra, il faudrait stocker. Comble peut-être, Roland doit rembourser avant février 2010 un dette privée d’environ 30 000 euros qui ajoute au désastre annoncé. Notez qu’il dispose d’un fonds de librairie estimé à 100 000 euros, qui pourraient servir à gager un éventuel emprunt. Car Roland est aussi libraire, sans aucun doute l’un des tout meilleurs dans son domaine, l’écologie. La dette n’a pas de rapport avec la bibliothèque, mais elle empoisonne évidemment l’esprit de Roland, qui n’a pas besoin de cela en ce moment.

Faisons le compte ensemble. Il faut trouver environ 40 000 euros, dont les trois quarts gagés. Et une petite armée de bénévoles pour mettre en cartons la bibliothèque. Mais au-delà ? Au-delà, je rêve, moi, d’un grand mouvement public d’aide et de solidarité. Demain – disons après-demain – cette bibliothèque peut devenir le centre intellectuel incontesté du mouvement écologiste, toutes tendances confondues. Un lieu de rencontres, de colloques, d’étude, de réflexion, d’action. Ce serait audacieux, mais tellement beau !

Qu’en pensez-vous ? Qu’en dites-vous ? Il va de soi que Gap est loin, et que la plupart d’entre nous sont déjà bien occupés ailleurs. Mais peut-être aurez-vous des idées ? Mais peut-être voudrez-vous participer à ce qui peut devenir une grande aventure intellectuelle et morale ? Qui sait ? Je vous laisse, en confiance, l’adresse électronique de Roland de Miller : roland.demiller@free.fr. Je vous en prie, ne le dérangez pas pour rien, car il croule sous les difficultés. En revanche, si vous tenez un truc, un truc concret, pratique, solide, envoyez-lui un message. Cet homme admirable a besoin de nous. Et nous avons tous le grand besoin d’une Très Grande Bibliothèque. Il me semble.